Du concept de totalité à l’intuition de l’unicité
D’un point de vue métaphysique, le concept de Totalité Une cosmique est, me semble-t-il, le seul qui puisse satisfaire l’intuition et la raison : chaque entité distincte (mais non séparée !) est une manifestation éphémère de la Totalité. De plus le ‘‘percevoir’’ et le ‘‘penser’’ procède de l’interaction entre l’entité distincte et la Totalité. Tout ce qui advient appartient donc au fonctionnement du Tout. La Totalité Une cosmique n’est pas créée un jour puis dissoute un autre jour, Elle est éternellement présente et identique à la Conscience universelle. La Totalité ne résulte pas de l’assemblage des entités distinctes, celles-ci adviennent spontanément de l’Unicité et sont connues par Elle. Inutile d’essayer de comprendre intellectuellement cela, c’est impossible : voilà (‘‘vois là’’) simplement ce qui est.
La compréhension vécue de ce qui précède implique l’absence d’un moi imaginaire séparé et, simultanément, la Présence de l’Unicité, de la Totalité, de l’universelle Conscience comme Source intemporelle du monde manifesté. Dans ces conditions, la liberté correspond à un déterminisme total en phase ou résonance avec la Totalité ; et ce que nous considérons généralement comme liberté individuelle est pure illusion du moi imaginaire séparé, c’est-à-dire un produit de l’ignorance.
Le ‘‘penser’’ comme le ‘‘percevoir’’ sont des processus liés au fonctionnement spontané de la Totalité ; mais le moi séparé procède du mouvement phénoménal dépendant d’une mécanicité complexe propre à la pensée dualiste surimposant des modèles imaginaires déconnectés de la Totalité et source de souffrance.
La mécanicité phénoménale peut se ‘‘soustraire’’ quelque peu à la Source cosmique Une, c’est-à-dire qu’elle peut fournir aux entités distinctes des modèles de comportement contingents dans le sens d’occasionnels et parfois d’habituels. Ainsi, la plume, bien que soumise à l’attraction gravitationnelle tout en étant très sensible aux courants d’air, tombe plus lentement que la pierre. L’être humain, soumis à la même loi d’origine cosmique, est rivé au sol, mais son intelligence technique lui permet de s’évader de l’attraction terrestre et d’envisager des voyages vers d’autres planètes mais aussi, hélas, de bombarder ses semblables. Enfin, le sentiment d’être une entité séparée – sentiment partagé par la plus grande majorité d’entre les humains – est inclus dans ces modèles contingents mais, chose importante, il peut être fragilisé par la connaissance de soi. Dans certaines circonstances, cette dernière indique la possibilité de renoncer à ce conditionnement même si celui-ci est peut-être, comme les lois de la nature, une ‘‘habitude’’ qui appartient au fonctionnement spontané de la Totalité. Disons qu’il est bon de savoir que la programmation cosmique est dynamique même si la Totalité est Présence éternelle. Nous pouvons révoquer le sentiment d’être un moi autonome et séparé en abandonnant, par la compréhension, les pièges de la pensée dualiste : la programmation cosmique est infiniment productive, inattendue, et aussi cohérente et évolutive.
Chaque entité se ‘‘connaît’’ elle-même (sujet) et est connue par elle-même (objet), car toute entité distincte (mais non séparée !) est l’expression de l’Unicité qui est aussi Connaissance absolue, le ‘‘Connaître’’ englobe le sujet et l’objet. Nous passons alternativement de l’un à l’autre, et le ‘‘passage’’ correspond à un intervalle nul indiquant la Source de conscience, l’Éclairage d’où procède l’existence de ce que nous voyons comme des opposés. En réalité sujet et objet ont une Source commune, un Éclairage unique : la Conscience intemporelle qui seule peut ‘‘expliquer’’ la double fonction, qui est aussi la double solution, de toute entité : se connaître soi et être connu par soi. Cette double fonction est aussi double solution, disons-nous, car elle permet de sortir du processus aliénant de la double contrainte : souhaiter changer et résister au changement. Il est possible de surmonter ce douloureux conflit : La connaissance alternative de soi en tant que sujet se connaissant lui-même, et en tant qu’objet connu par lui-même est un processus autorisant que chaque passage d’une alternative à l’autre soit l’occasion d’un éveil à la Présence inconditionnelle de la conscience. La connaissance de soi implique la possibilité que le ‘‘rôle’’ sujet de notre être puisse à tout moment franchir l’intervalle nul jusqu’au ‘‘rôle’’ objet du même être et réciproquement. Chaque passage, puisqu’il est une occasion d’éveil à la Présence, est aussi une possibilité, non pas de résoudre les doubles contraintes (désirs et résistances), mais de les dépasser en observant consciemment ce que nous avons appelé la double fonction, ou double rôle, de se connaître soi et d’être connu par soi. Ce double rôle, présent à tous les niveaux de la création, est la manifestation de l’Un car tout ce qui est advient du fonctionnement spontané de la Totalité. À ce niveau, la double contrainte n’est autre qu’un symptôme du double fonctionnement évoqué ; la solution au problème est elle aussi forcément double, alternante, avec la possibilité d’une ouverture à l’Un en lequel le problème se dissout spontanément.
En général, nous souhaitons tous le bonheur, et nous le savons parce que l’être se connaît lui-même (rôle sujet) ; En même temps nous voyons des résistances à ce désir, et nous le savons parce l’être est connu par lui-même (rôle objet). La résistance, nous l’imputons par exemple à un manque de confiance en soi, ou à l’environnement, à notre passé, au karma, ou à tout ce que vous voulez d’autres. Vouloir résoudre cette question en se concentrant exclusivement sur le désir ou, à l’inverse, en essayant de supprimer les résistances – car nous n’avons pas compris que l’être satisfait aux deux rôles de sujet et d’objet –, amenuise sérieusement nos chances d’y arriver. Seule l’ouverture à la Présence de Cela qui est conscient, de l’Un est vraiment libératrice car la dualité sujet-objet, désir-résistance est, en quelque sorte, prise de vitesse, elle devient (cette alternance des rôles) secondaire et dérivée, elle advient du fonctionnement spontané de l’Un.