Vimala Thakar
Esclavage et liberté

Nous discutions ces derniers jours de la question de la liberté, de la vérité, de l’amour et de la compassion. Ce matin nous regarderons le fait de l’esclavage plutôt que l’idée de la liberté ou de la vérité ? La quête de liberté ne serait-elle pas basée sur la réalisation et la conscience de la […]

Nous discutions ces derniers jours de la question de la liberté, de la vérité, de l’amour et de la compassion. Ce matin nous regarderons le fait de l’esclavage plutôt que l’idée de la liberté ou de la vérité ? La quête de liberté ne serait-elle pas basée sur la réalisation et la conscience de la nature de l’esclavage, du contenu de l’esclavage ? Nous rendons-nous compte pourquoi nous avons un tel besoin d’être libres ? Qu’est-ce qui nous a privé de la dimension de liberté ? Pourquoi n’y a-t-il pas plus d’amour, d’élégance, de tendresse dans nos vies ?

Le désir de liberté

Mes amis, comprendre la nature de l’esclavage c’est le début de la liberté. La compréhension du contenu de l’esclavage se transforme en un besoin effectif de liberté. Nous devons être vraiment certains de savoir si nous voulons véritablement la liberté, la libération, l’émancipation, Mukti, Moksha, Nirvana, ou quelque chose comme ça. Voulons-nous vraiment cela ? Ou bien nous tournons-nous vers la recherche religieuse parce que nous sommes nés sur cette terre Indienne et que c’est la mode de faire ainsi dans ce pays, parce que Mukti, l’émancipation, est une nécessité et que chacun doit se tourner vers elle ? Nous en avons eu connaissance, nous avons entendu parler d’elle. Alors voulons-nous nous conformer à une tradition et nous tourner vers la libération par désir de nous conformer à la majorité ou est-ce parce que le discours religieux le plus à la mode actuellement est de parler de Nirvana, d’émancipation, de Samadhi ?

Nous tournons-nous vers la Sadhana ou la recherche par acceptation passive de ce qui nous a été martelé par les parents, par l’école, par les centres religieux, les livres et les soi-disant saints ? Est-ce une acceptation passive ? Mes chers amis, si nous nous tournons vers la Sadhana par acceptation passive, à cause de l’autorité de la tradition, nous n’aurons pas de vitalité pour notre recherche. La vitalité est présente quand il y a un véritable besoin personnel, de première main, de découvrir la liberté pour elle-même, et pas parce qu’elle est sainte ou sacrée, parce que l’on doit ou que cela doit être fait. L’acceptation de l’autorité érode toute vitalité. Est-ce que je me tourne vers la Sadhana ou la recherche, parce que mon mariage a échoué et que cet échec me tourmente chaque jour ? Alors je me tourne vers un certain Ashram, un certain Swami, une certaine Bhagawati, un certain Bhagawan. Est-ce une réaction à l’échec de ma vie maritale, à un échec dans les affaires ? La recherche religieuse, la spiritualité n’est pas un refuge. Ce n’est pas un moyen de s’évader. Ce n’est pas un refuge à rechercher en cas d’échecs. Car l’élan et la vitalité de la recherche dépendraient alors de l’élan de la réaction. Supposons que vous trouviez ensuite quelqu’un qui, par hasard, vous convienne psychologiquement, alors vous développerez un sentiment d’autosatisfaction, vous aurez le sentiment d’être arrivé. Donc une réaction ne doit pas être confondue avec un besoin réel. La tradition et le conformisme ne devraient pas être pris pour un réel besoin de découvrir la liberté. Ainsi, on doit regarder sa propre vie et découvrir ce qui manque, où est l’esclavage, comment se fait-il qu’il ait vu le jour, comment se fait-il qu’il ait continué ? Ensuite après avoir vu qu’il était là, pourquoi et comment lui a-t-on permis de continuer ? Nous devons nous confronter aux réalités de la vie.

Vivre de façon désordonnée

Donc, je me tourne vers moi-même, ma vie quotidienne, la texture, la nature de mes relations avec les autres et j’observe afin de comprendre. Je laisse de côté tout discours sur la paix, le silence, la méditation, la liberté. Je me dis : laisse tout cela et regarde les faits. Où est l’esclavage ? Qu’est-ce que j’appelle l’esclavage ? Pourquoi n’y a-t-il aucune liberté ? Et est-ce qu’après avoir observé ce qu’est la vie quotidienne, je comprends vraiment que le mode de vie aléatoire, désordonné, mesquin, c’est cela l’esclavage ? Je fais les choses que j’aime, quand j’ai envie, comme j’ai envie, que ce soit prendre mes repas, aller au lit, parler aux amis, passer des vacances. Quelles sont mes relations avec la vie ? Y a-t-il de l’ordre dans ma vie ? Si je constate qu’il n’y a aucun ordre, c’est que c’est le désordre, c’est le chaos, c’est l’anarchie au niveau physique. Est-ce que je justifie cela, ou bien est-ce que je vois que c’est l’esclavage ? Le désordre produit du chaos. Le désordre mène à l’anarchie émotive et au chaos intellectuel. Il n’y a alors aucun rythme dans la vie. L’ordre et le rythme vont ensemble. Il ne s’agit pas de faire un vœu, de le suivre et d’y obéir. Cela n’est pas de l’ordre. L’ordre, c’est le parfum de la compréhension. L’ordre a l’élégance de la spontanéité, sans effort. Alors est-ce que je comprends que cette vie chaotique, mesquine, désordonnée, au niveau sensuel, verbal, mental, c’est cela l’esclavage ? Est-ce que je vois vraiment par moi-même, non pas parce que les livres religieux l’ont appelée esclavage, mais est-ce je vois par moi-même comment tout cela me prive d’initiative spontanée dans la vie ? Vous savez, la liberté c’est avoir l’initiative, de façon intacte, non mutilée. Mais la force des habitudes, le mode de vie désordonné, produit ses propres contraintes, stimule ses propres impulsions, et mon comportement devient impulsif. L’impulsivité produit de l’impatience. L’impatience mène au déséquilibre des comportements. C’est très simple.

Alors, est-ce que je réalise que cette impatience, que ce déséquilibre, c’est cela l’esclavage ? Ou bien, est-ce que je justifie cela ? Veuillez bien voir ceci. Parce que la simple observation ne sera pas une aide, sauf si nous en réalisons le contenu et en comprenons véritablement les implications. À moins que l’esclavage, la piqûre de l’esclavage, ne vous blesse profondément, il n’y aura pas de réelle aspiration à la liberté. Car vous direz seulement, « Oui, je l’ai vu, c’est l’esclavage. » Et c’est fini. Les gens ont toujours vécu ainsi. C’est notre mode de vie. Nos ancêtres ont aussi vécu de cette façon. Vous savez, la défense et la justification sont présents à chaque instant. Nous défendons ce que nous faisons, nous justifions ce que nous faisons, la manière dont nous parlons, les mots que nous employons, les attitudes, les approches que nous avons. Si nous continuons à justifier l’esclavage, à défendre l’esclavage, et si nous avons un sentiment de sécurité dans l’esclavage, comment peut-il alors y avoir une recherche ou une exploration digne de ce nom ? Alors que si, lorsque j’ai compris la nature de l’esclavage, cela me blesse d’avoir ces chaînes et ces entraves sur ma psyché, si ces déséquilibres et ces impatiences, qui s’expriment dans mon comportement, blessent mon sens de la dignité et de la décence, alors à partir de cette belle peine, de l’acuité de cette peine, naitra un réel besoin de Sadhana, un réel besoin de partir en quête. Autrement, ce ne sera qu’une soudaine flambée émotionnelle, une réalité verbale ou une tension neurologique supplémentaire au nom de la Sadhana. Voyez bien s’il-vous-plaît. Nous ne voulons pas en ajouter aux tensions et aux pressions que nous avons déjà. Dieu ne devrait pas être un problème supplémentaire. Et nous créons nous-mêmes un problème. Quoi que nous touchions, nous en faisons un problème.

Donc, le dernier jour, avant que nous ne partions, en signe d’amitié, on doit poursuivre par la Sadhana si, et seulement si, il y a un désir personnel, de première main, et non pas une réaction à quelque chose qui s’est produit, parce que la liberté est une chose très dangereuse. C’est la vulnérabilité à la vie, dans tous les sens du terme. On laisse alors tomber tout sens d’appartenance exclusive aux clôtures, au nom de la famille, de la communauté, d’un pays, d’une idéologie. C’est un état sans défense. C’est la vulnérabilité. Vous pouvez alors appartenir à la Vie toute entière ou vous n’appartenez à rien. Il n’y a aucune exclusivité dans ce sens d’appartenance qui vous ouvre au lieu de vous enfermer.

Ainsi la liberté est une chose dangereuse. On ne peut pas jouer avec, en passant. La Vérité est créative et destructive. Elle illumine votre conscience. Elle détruit vos illusions au sujet de vous-même. Elle démolit toutes les images que vous aviez construites sur vous-même. Ce n’est pas toujours agréable, ce n’est pas toujours confortable. Naître de la vérité peut être douloureux.

Qu’est-ce que je fais ?

Supposons que je réalise que c’est une exploration dangereuse, que cela brisera toutes les images que je me suis faites de moi ou que les gens autour de moi se sont faites de moi, alors que fais-je ? Nous vivons dans les cages de nos images, construites par d’autres, admises par nous et construites par nous également. Supposons qu’il y ait un véritable désir et aucune crainte de la vulnérabilité ou de l’état sans défense, l’innocence est sans défense, alors que fais-je ? Par quoi est-ce que je commence ? Si tous ces points sont pris en compte, si je suis dans cette position, alors je ne me tracasse pas de la liberté, de la méditation ou du Samadhi. J’aborde chaque fil de l’esclavage à chaque moment. C’est-à-dire que je m’éduque à un mode de vie ordonné, à une manière ordonnée de parler, à une façon de penser ordonnée. L’élimination du chaos, l’élimination de l’anarchie, est ce qui génère l’ordre. L’ordre ne peut pas avoir un modèle, mais je peux suivre le désordre à la trace et dire : bien, aujourd’hui ce ne sera pas ce désordre minable, je ne remettrai pas à plus tard. Je veillerai à ce que les choses appropriées soient faites le moment venu, de façon appropriée. Qui décidera de ce qui est approprié ? Je déciderai par moi-même, parce que je connais la situation dans la famille, parce que je connais mon travail et ses contraintes, et parce que je connais mes petites manies. Donc, je dois découvrir ce qui est approprié, les choses justes qui doivent être faites et la manière appropriée de les faire.

La Sadhana est une aide

Chaque personne doit creuser le chemin de sa propre Sadhana à partir de son histoire. Il ne peut pas y avoir une Sadhana rouleau compresseur universellement applicable. C’est possible quand vous étudiez les Mantras, parce que vous traitez l’énergie des sons. C’est possible quand vous pratiquez le Tantra, parce que vous traitez l’énergie sexuelle. Donc quand il s’agit du Hatha Yoga, du Tantra, des Mantras et d’autres pratiques et disciplines, là c’est possible, parce que la discipline vous est donnée par le Shastra, la science et vous devez la suivre. Mais ici, pour chaque personne, le passé est différent. Les conditionnements sont différents, les conceptions différentes. Ainsi chacun doit creuser le chemin de la Sadhana à partir de son propre être, comme une sculpture. Cela dépend du matériau, si c’est de la pierre ou pour un bronze ou quoi que ce soit d’autre. Quand vous connaissez le matériau, vous pouvez l’aborder correctement.

Alors, je découvrirai ce que sont mes conditionnements, né dans une famille hindoue, une famille visnouites, une famille jaïn, une famille musulmane, une famille bouddhiste. Quel est le sol sur lequel je suis ? Quelle est la nature de mon conditionnement ? J’ai vu le désordre, maintenant je veux éliminer ce désordre, le chaos. Donc je me tourne vers mes conditionnements, ceux qui ont causé le désordre, les tendances, les stress, l’héritage, biologique et psychologique, les habitudes héritées et aussi celles cultivées par moi. Ainsi Je me tourne vers tous ces conditionnements. Je me tourne également vers mon tempérament et tout ce que je me suis fabriqué. À supposer que j’ai un tempérament très émotif, alors peut-être que je peux m’aider de l’énergie du son. Je pourrais chanter quelque chose, exposer quelque chose de sorte que les émotions, dispersées dans diverses directions, soient rassemblées et que l’esprit agité et impulsif se trouve calmé et apaisé. J’emploie l’énergie du son sous la forme qui me convient et selon mes conditionnements. Je peux jouer du sitar, et en jouant du sitar toutes les agitations et instabilités de l’esprit peuvent se trouver immergées dans la musique du sitar ou de la flûte. Si je ne peux pas en jouer, je pourrais en écouter. J’emploie cela. Si je suis peintre, alors je prendrai la brosse et les couleurs et m’assiérai de sorte que l’esprit soit concentré sur ce point. L’énergie dispersée, l’énergie dispersée dans diverses directions se retrouve concentrée sur un point. Ainsi, ce qui aide à pacifier l’esprit et à devenir non-actif, différera d’un individu à l’autre.

Mes amis, toute Sadhana est une mesure d’aide. C’est sa valeur, parce qu’intérieurement il n’y a rien à faire disparaître et rien à réaliser. Intérieurement il y a seulement à comprendre ce qu’est la vie, ce que vous êtes, et vivre cette compréhension. La spiritualité n’est pas un champ de devenir, de réalisation, quelque chose auquel on parvient. C’est être qui vous êtes. Ainsi les mesures d’aide sont choisies à partir de mes conditionnements. J’emploie le passé habilement, Je convertis l’esclavage en mesure d’aide. C’est l’art de la révolution, de la révolution psychique.

Nombre d’entre vous peuvent se rappeler ce que le Mahatma Gandhi disait. Il avait l’habitude de dire : « Je suis un artiste en révolution. Je convertis des difficultés en occasions. » Si le passé est la substance de mon être neurochimique et qu’il ne peut pas être jeté, la seule option pour moi est de l’employer pour la liberté. Alors, je déciderai quelle mesure d’aide va pouvoir m’aider à me calmer, à apaiser mon esprit torturé, à me détendre l’esprit, à rassembler mes énergies, et à les concentrer sur la non-action.

Quel prix est-ce que je suis prêt à payer ?

Si ce point est clair, je voudrais continuer et me demander jusqu’où je suis prête à aller sur ce chemin de la liberté, de la vérité et de l’amour ? Quel prix est-ce que je suis prêt à payer ? Vous payez toujours le prix. Vous allez à l’école et à l’université pendant 10, 12, 15 ans pour avoir un examen, pour trouver un travail. Vous payez un prix quand vous vous mariez. Pour le confort et la sécurité de la vie mariée, vous payez le prix en diminuant votre liberté : tous les ajustements, les adaptations aux tempéraments des autres membres de votre famille. Qu’est-ce que cela veut dire de payer le prix et à qui ? À personne d’autre qu’à vous-même! Mais quel est le prix ? Le prix est de vivre la vérité au moment où vous la comprenez, indépendamment des conséquences et des désagréments immédiats que cela peut provoquer, indépendamment des malentendus et des erreurs d’interprétation de mon comportement par un proche ou un être cher, parce que la vérité doit être vécue. Ce n’est pas une simple description verbale d’une idée. C’est votre relation avec la vie. Elle doit être vécue. Suis-je disposé à vivre la vérité dans la vie quotidienne, dans le « travail » quotidien de la vie ?

Laissez-moi prendre un exemple. J’ai eu un ami qui lui aussi n’est plus. C’était une personne très honnête, un dirigeant du gouvernement. Votre amie Vimala a eu des relations amicales très étroites avec des dirigeants et des politiciens du gouvernement, des musiciens et des chanteurs, des saints et tant d’autres. Alors toutes les fois qu’il me rencontrait, il se plaignait, de la corruption de la société, combien il souffrait et était blessé de ce qui arrivait aux valeurs morales de ce pays, de ce qui est arrivé à ce soi-disant pays religieux. Il se plaignait chaque fois. Et je lui disais : « Mon ami, le mieux, le meilleur que vous puissiez faire est de vivre ces valeurs. Pourquoi regardez-vous les autres ? Pourquoi voulez-vous les améliorer et les changer ? Pour maintenir la bonne santé de votre esprit, vivez les valeurs que vous voudriez que les autres vivent. » Et notre discussion aurait pu continuer. Malheureusement, un de ses fils a détourné de l’argent pour un montant de plusieurs centaines de milliers de roupies, quelques lakhs, et son fils est rentré à la maison. Ainsi, le père, qui se plaignait de la corruption, de la détérioration des valeurs morales, n’a pas vu son fils en tant que citoyen de l’Inde, et n’a pas refusé d’assumer sa corruption. Il a essayé de l’aider en vendant les bijoux de la maison, en encaissant les dépôts non échus et ainsi de suite. Il n’a pas vu dans ce jeune homme un citoyen de l’Inde. Il n’a pas vu la détérioration morale. Il a vu le fils. Il n’a pas vécu la vérité dont il parlait pendant tant d’années avec moi. Voyez-vous qui paye le prix ?

Si vous voyez les frontières nationales, les frontières des états qui sont faites par des hommes, pouvez-vous vous identifier avec ce pays qu’est l’Inde et dire : « Je suis un nationaliste, je suis un Indien ». Ou bien direz-vous ? : « Je suis Indien par naissance, mais j’ai dépassé ces identifications et je suis désormais un être humain appartenant à la totalité de la famille humaine » Si je dis que je suis nationaliste, vivrai-je ce nationalisme dans ma vie, dans ma vie quotidienne ? Ou bien quand il s’agit de marier ma fille ou mon fils, me tournerai-je vers la caste ? D’un côté je critiquerai les castes, le communautarisme, mais quand il s’agit de marier mon fils ou ma fille, je regarderai la caste. Voyez-vous ? C’est une sorte d’hypocrisie, mes amis, si vous me pardonnez. Vivre la vie d’un hypocrite dans différents champs, économique, social, familial, religieux, etc., et puis parler d’une recherche spirituelle n’a aucun sens.

Donc, au moment où je comprends la vérité, je dois la vivre, et en payer le prix. Sinon, la vérité est une force très destructive. Car la lumière du soleil détruit l’obscurité, l’énergie pénétrante de la vérité détruira les illusions à l’intérieur, bien que vous ne puissiez pas accepter cela extérieurement. Elle vous piquera et elle vous rendra la vie malheureuse. Voulez-vous en ajouter à la misère de la vie ? La religiosité est la fin de la souffrance et de la douleur psychologiques. Nous ne voulons pas en ajouter. Ainsi, on peut parler de la liberté absolue sans conditions, on peut parler de la méditation, du Samadhi et ainsi de suite, mais est-ce que je suis prêt pour vivre cela ? Je serai réduit à n’être rien ni personne. La méditation ne me précise-t-elle pas que la vie n’est rien d’autre qu’espace vide? C’est un vaste vide, et vous êtes organiquement une partie de ce vide, de ce rien. Est-ce que je veux être quelqu’un dans la société ? Alors la vérité me tombe dessus : il n’y a personne, cette identification avec le nom, le corps, cette identification avec les qualités, les actions, leurs résultats est juste un jeu de société. Elle n’a aucune réalité. Elle n’a qu’une utilité sociale mais aucune réalité. Si cela est précisé, alors qu’arrive-t-il à la substance intérieure de la conscience ? La substance intérieure de la conscience est l’éveil au rien, la conscience du néant. Un silence vêtu de chair et d’os. Pas très agréable, n’est-ce pas ?

Relations et solitude

Maintenant, allons vers une approche encore plus pragmatique de la vie quotidienne. Je vis en relation. La vie est relation. Donc chaque jour, je dois assumer divers types de relations, comme mari, comme père, comme mère, comme client, en tant qu’avocat, comme industriel, en tant qu’homme d’affaires et ainsi de suite. Les relations. Et il y a une dynamique des relations. Je les gère raisonnablement, rationnellement, logiquement, sans aveuglements, sans fraude d’aucune sorte. Je vis très raisonnablement, en tant que personne responsable. Je vis tout cela. Mais si les relations sont une dimension de la vie, la solitude est l’autre dimension de la vie, parce que quand je suis né, je n’étais ni un mari ni un père, ni une mère, ni un homme d’affaires, ni un professeur, ni un agriculteur. Il y a une partie de mon être qui n’est absolument pas reliée à tous ces rôles que je dois jouer dans la vie, ni à toutes ces relations par lesquelles je dois passer. Ces rôles et ces relations, c’est une croûte externe, une croûte protectrice. Mais il y a la solitude : Qui suis-je, moi quand je ne suis pas un Indou, un Indien, un mâle ou une femelle, une mère, un enfant ? Quand tous ces rôles ajoutés à ma vie et toutes ces relations sont mises de côté, qu’est-ce qui reste de moi si ce n’est l’humanité qui est la forme que le Divin a volontairement prise ? La divinité s’est revêtue d’une forme humaine, une belle forme humaine, la complexité la plus évoluée de la vie.

Alors, les relations sont un aspect, une dimension et la solitude en est un autre. Le fait de se dénuder du relationnel est solitude. Est-ce que je vis cette solitude ? Puisque la liberté est équilibre spontané. La solitude et le mouvement des relations devront être équilibrés, un équilibre harmonieux entre les deux. Pas une contradiction, pas un conflit, pas une chamaillerie entre les deux. Ils ne devraient pas être incompatibles. Ils devraient être supplémentaires et complémentaires entre eux. Est-ce que je passe un peu de temps dans cette solitude ou bien est-ce que je dis n’en avoir pas le temps ? Nous sommes habitués à parler, dépendant de la verbalisation. Nous parlons même dans le sommeil. La parole qui est sculptée à partir des sons est elle-même une extension de silence. Vous dessinez un point sur un papier et vous l’étirez. Cela devient une ligne. Le son est l’extension du silence et la parole est la manipulation de l’énergie sonore. Mais si maintenant je parle toute la journée et que j’entends les autres parler également toute la journée, qu’en est-il du silence, de la source des sons et de la parole, c’est aussi la substance du mon être ? Est-ce que je vis à la source ? Ai-je une relation avec le monde sans mots, des sons libres de mots et le silence sans sons ? Ou bien n’ai-je jamais le temps pour cela, car je suis toujours en activité physiquement, au niveau des sens, au niveau verbal et au niveau mental. L’activité, le mouvement, est une dimension de la vie et l’immobilité en est une autre. Nos vies sont déséquilibrées, unilatérales. Nous sommes intéressés par la parole, par le mouvement, par des relations et pas par le non-mouvement, le silence et la solitude. Dès que ces deux dimensions seront équilibrées harmonieusement, la liberté en sera le sous-produit, la paix en sera le produit dérivé. La paix ne peut pas être recherchée. Elle ne vit pas dans le vide. La liberté non plus ne vit pas dans le vide. Ce sont toutes les deux des produits dérivés de nos relations avec la vie.

Vivre la priorité suprême

Je vais donc m’éduquer en me mettant en relation avec le silence, la solitude, le non-mouvement : physique, verbal, psychologique, intellectuel. Ai-je le temps de faire cela ? J’ai un travail, je dois préparer les repas, je dois prendre soin de mon mari et des enfants. Je n’ai pas le temps. Ou bien, je dois prendre soin de mon épouse et des enfants. Il y a une priorité intellectuelle mais c’est la vie quotidienne qui a le dernier mot. C’est notre condition pathétique. Si la priorité intellectuelle devient une priorité émotionnelle, puis sensible alors cette priorité est vécue. Mais s’il ne nous apparait pas urgent de vivre cette priorité, alors la recherche ne s’épanouit pas dans la compréhension. La priorité doit être vécue. Si vous vous dites que la mutation est votre priorité suprême, que Mukti, Moksha est votre priorité suprême, et puis que seize heures par jour vous gérez de l’argent et que vous êtes soucieux, inquiet à ce sujet. Ou bien que vous êtes inquiet de votre famille. Donc, pour vivre cette priorité, on doit organiser sa vie.

Laissez-moi développer ce dernier point. On doit organiser sa vie, on doit l’organiser tous les jours. La priorité suprême doit être vécue chaque jour. Vous la vivez comme vous vous lavez, vous vous habillez, vous mangez. Vous vivez quotidiennement en relation avec votre famille, votre travail, votre usine, vos affaires. Alors vous vivez en relation avec le divin tous les jours, aucun ajournement, aucune temporisation. Ce sera aujourd’hui, demain, après demain, jour après jour. Sinon, aujourd’hui j’ai un invité, demain j’ai un mal de tête ou je suis trop fatigué, et ainsi de suite. Nous trouvons des excuses et alors la soi-disant recherche demeure purement intellectuelle, mentale, un idéal. Elle reste prisonnière au niveau intellectuel, de temps en temps au niveau émotionnel, mais rien ne se produit. Si nous sommes réellement préoccupés par son avènement dans notre vie, alors la recherche doit être vécue à chaque niveau de la vie, corrélé avec tout ce que nous faisons. C’est la corrélation de la connaissance à l’acte de la vie qui apporte des résultats dans le phénomène de compréhension et alors, quoi que vous fassiez, tout porte le parfum de la conscience.

Pour finir, mes amis, il y a demain, après demain, le mois prochain, l’année prochaine pour organiser la vie au niveau matériel, au niveau physique. Vous le ferez avec le temps chronologique. Il vous faudra également du temps psychologique. Mais quand il s’agit de découvrir la nature de la Réalité, le mystère de la Vie ou la signification de la Vie, là il n’y a pas de demain. Les relations avec le lendemain sont au niveau psychophysique, mais au niveau de ce qui dépasse l’esprit, ce qui dépasse la connaissance, dans cette dimension de notre vie, la mesure du temps psychologique n’a aucune valeur. Le « demain » n’a aucune valeur. Là dans le domaine de la recherche, au moment où je me dis : « je le ferai demain », à ce moment précis, je cautionne le modèle d’habitude pour le prolonger jusqu’à demain. Je le ferai demain signifie que je continuerai ce que je fais jusqu’à demain. Voyez bien ceci. Vous cautionnez la continuité du passé. Vous lui fournissez le carburant quand vous dites demain. Pour toutes les choses matérielles à la maison, les achats, les provisions et ainsi de suite, pour accomplir ses responsabilités sociales, il y a un demain. C’est peut être nécessaire pour de telles fonctions. Mais pour le fonctionnement psychique, pour mener cette recherche, pour l’énergie de cette recherche, il n’y a aucun demain, parce que c’est seulement une idée.

Quoi qui doive être fait, ce doit être fait dans le présent intemporel, c’est seulement l’émanation de l’Éternité.

Je ne sais pas ce qui a été dit à travers moi et par moi depuis une semaine. Ceux d’entre vous qui sont venus pour la première fois, ont pu éprouver une intensité inconfortable de ma part et peut-être une acuité désagréable ou une hardiesse directe. Mais chaque réunion avec des Sadhakas, des Mumukshus, de véritables investigateurs est traitée par moi comme si c’était la dernière réunion. Je n’ai jamais compté sur demain. Alors, quand j’ai vu que bon nombre d’entre vous, issus des divers secteurs de la société, venaient de loin, du Mah?r?shtra, de Bombay, ou de différentes régions du Gujarât, je n’ai eu aucun désir de vous épargner.

Je vous suis reconnaissante de m’avoir donné l’occasion de partager le noyau le plus secret de mon être, dans la mesure où cela était possible par des mots. Si la sensibilité de quiconque a été blessée, c’est la Vérité qui en est responsable, pas moi !

Merci à tous, merci à tous.

(Extrait de L’ART DE MOURIR TOUT EN VIVANT par Vimala Thakar, Dialogues ayant eu lieu à Mont Abu (Inde) en novembre 1994 Traduction libre de Patrick Delhumeau). Emprunté au site Français consacré à Vimala et son œuvre