Dr Jacques Melaine
Essai de classification des rêves

Il est pratiquement impossible de donner une classification des rêves qui soit, même approximativement, rationnelle, précise et complète. Et cependant nous avons pensé que dès notre prise de contact avec nos lecteurs il serait utile d’envisager un mode de classement selon les aspects que présentent les rêves, car cela mettrait un peu de lumière dans ce domaine assez obscur

(Revue Psi International. No 1. Septembre-Octobre 1977)

Il est pratiquement impossible de donner une classification des rêves qui soit, même approximativement, rationnelle, précise et complète.

Et cependant nous avons pensé que dès notre prise de contact avec nos lecteurs il serait utile d’envisager un mode de classement selon les aspects que présentent les rêves, car cela mettrait un peu de lumière dans ce domaine assez obscur.

Pendant de longs siècles, « l’onirocritique » d’ARTEMIDORE d’Ephèse, paru vers 140 après Jésus-Christ, fut le traité le plus complet sur les rêves. Il les classait en deux catégories :

1) Ceux qui relevaient du présent ou du passé ; à savoir :

a) les « énupnia » qui traduisaient d’une façon simple une représentation ou son contraire (comme la faim ou la satiété)

b) les « phantasmata » qui amplifiaient de manière fantastique la représentation donnée.

2) Ceux qui étaient orientés vers l’avenir. Soit:

a) la prophétie directe reçue en songe (krematismos) ou (oraculum)

b) la prédiction d’un événement à venir (orama) ou (visio)

c) le rêve symbolique nécessitant une explication (onéiros) ou (somnium).

Cette classification nous prouve au moins que le souci de placer le rêve et le songeur dans le temps fut précoce et tenace. Nous n’y voyons cependant qu’une justification très relative de celle que nous proposons avec toutes les réserves qu’elle impose. Nous distinguerons donc, très schématiquement:

I — LES RÊVES RELEVANT SURTOUT DU PASSÉ

1) du passé « historique » de l’homme.

« Par le rêve et le sommeil, disait NIETZSCHE, nous refaisons la tâche de nos ancêtres ».

Et JUNG déclarait… « La principale tâche des rêves est de rappeler à notre souvenir cette préhistoire (de l’homme) et le monde de l’enfance jusqu’au niveau des instincts les plus primitifs ». « … Cet esprit originel est tout aussi présent, tout aussi actif dans l’enfant que les stades de l’évolution physiologique de l’humanité le sont dans son embryon » (Jung, Essai d’exploration de l’inconscient).

De son côté, FREUD estimait aussi que le rêve donnait « une image du développement de la race humaine dont le développement de l’individu n’est qu’un abrégé influencé par les circonstances de la vie ».

2) de l’enfance du sujet.

Freud considérait, en effet, que le rêve renvoyait le rêveur à sa « condition première », ressuscitant « les impulsions instinctuelles qui le dominèrent aussi bien que les méthodes d’expression qui étaient alors à sa disposition ». Il cherchait le sens du rêve dans le passé du sujet, par une méthode rétrospective.

II — LES RÊVES PARAISSANT SURTOUT LIES AU PRÉSENT

Pour Ernest AEPPLI (Les Rêves), le rêve fournit une image de notre situation existentielle, image dans laquelle l’inconscient répond aux événements de la journée par la conception qu’il s’en fait. Il en résulte une sorte de bilan. Ce sont les événements actuels qui font appel au rêve et au jugement de l’inconscient.

Aeppli déclare : « le rêve ne ramène à la surface que ce qui peut servir au moi actuel ». Cependant il reconnaît que « c’est au moyen de souvenirs personnels que la plupart des rêves tiennent leur langage ».

— Pour Freud, le rêve combattrait les méfaits des tendances refoulées et serait une tentative de réalisation d’un désir contenu à l’état de veille.

En outre, les rêves seraient « les gardiens du sommeil et non ses perturbateurs ». Il considérait, en effet, que la « censure » déformait les images des rêves jusqu’à les rendre méconnaissables ou trompeuses afin de masquer à la conscience qui rêve le véritable sujet rêvé et de protéger le sommeil contre le choc d’une réminiscence désagréable.

Mais, déclare Jung, « cette théorie qui fait du rêve le gardien du sommeil me laisse sceptique. Tout aussi souvent, en effet, les rêves troublent le sommeil » (Essai d’exploration de l’inconscient).

— Pour Jung, les rêves sont le moyen grâce auquel l’inconscient comble une lacune entre le passé de l’individu et son futur.

Le rêve a aussi une fonction compensatrice centrant l’attention sur certains aspects d’une condition ou d’une personnalité qui avaient été négligés ou sous-estimés à l’état de veille.

— Le Dr SCHATZMANN (Rêves et Hallucinations) se demandait si « les rêves ne seraient pas chargés de former paratonnerre pour permettre aux agités de faire figure d’équilibre pendant l’état de veille ».

— Pour MAEDER, les rêves « cherchent à résoudre les conflits courants »… Ils sont « une préparation à la vie ».

— Pour Gaston BACHELARD, « le rêve est le prélude à la vie active ».

— On a aussi mis en évidence l’aide que nous apportent certains rêves pour résoudre des problèmes difficilement solubles.

Norman MACKENZIE cite dans « Les Rêves », le cas du Dr Hilprecht, professeur d’Assyrien à l’Université de Pennsylvanie, qui rêva d’un prêtre de Nippur qui le conduisit dans une salle de trésors et l’orienta vers un rapprochement entre deux morceaux d’agathe qui lui permit de résoudre le problème auquel il se heurtait.

Le rêve serait capable d’induire un état d’hyperconscience. A ce sujet, certains rêves télépathiques me semblent trouver ici leur place.

Nous reviendrons évidemment sur les problèmes fort importants qu’ils posent et je me bornerai à ne donner ici qu’un exemple.

C’est ST-AUGUSTIN qui en fit le récit dans la « Cité de Dieu » : « Un homme instruit qui s’occupait beaucoup de la lecture de Platon assurait qu’une nuit, dans sa chambre, il avait vu venir à lui un philosophe qu’il connaissait intimement et qui développa des propositions platoniques : chose qu’il avait jusqu’alors refusé de faire.

« Le lendemain, ayant demandé à ce philosophe comment il se faisait qu’il lui expliquât dans une maison étrangère ce qu’il avait refusé dans la sienne propre…

« Je n’ai rien fait, répondit ce philosophe ; mais j’ai rêvé que je l’avais fait ».

« Ainsi, ajoute St-Augustin, l’on voit et entend au moyen d’une image fantastique, étant parfaitement éveillé, ce qu’un autre a vu en songe »

« … Nous pouvons assurer que la personne de qui nous tenons le fait n’est pas capable de nous en avoir imposé ».

III — LES RÊVES NOUS ORIENTANT SURTOUT VERS L’AVENIR

— Pour ADLER, le rêve est « une antenne expérimentale vers le futur ».

Il a une « fonction d’anticipation ».

— Pour STEKEL, « c’est le signe qui montre la voie du conflit vital ». Il nous faut placer ici les « rêves prémonitoires » sur lesquels nous aurons aussi l’occasion de revenir.

Citons à titre d’exemple celui que Bizouard raconte dans son ouvrage intitulé « Des rapports de l’homme avec le Démon ».

Un homme qui ne savait pas un mot de grec se rendit chez de Saumaise (érudit français né en 1588 et mort en 1653) et lui montra quelques mots écrits selon leur consonance qu’il avait entendus au cours d’un rêve.

— « Que signifiaient ces mots ? » lui dit-il.

Saumaise garda le silence; mais, sommé de répondre, déclara…

— « Ces mots signifient en grec : « Va-t-en ! Ne vois-tu pas la mort qui te menace? »

A peine le songeur eut-il quitté la maison qu’il habitait, qu’elle s’écroula.

L’on serait tenté d’ajouter les « rêves prodromiques » liés aux symptômes précurseurs de certaines maladies comme celui du malade de Galien qui se vit en rêve avec une jambe de pierre et qui, quelque temps après, fut frappé de paralysie ; mais il s’agit en fait de la prise de conscience déformée de troubles qui existaient dans le présent et non d’une prémonition.

En fait, selon Jung, le rêve comporterait en proportions variables trois niveaux :

— une intégration d’événements passés,

— un bilan de notre situation psychique présente,

— une orientation pour des conduites à venir.