(Revue Énergie Vitale. No 9. Janvier-Février 1982)
Jai Ganesh !
Les années 1880, Bénarès, le Gange coule, éternel et paisible. Sur les Ghats, on se lave, on rince le linge, on prie, on chante, et l’on brûle les cadavres.
Un cortège funéraire passe, portant le corps d’un petit garçon de 4 ans 4 mois et 4 jours, mort du choléra asiatique. Hommes et femmes pleurent en se dirigeant vers le « burning ghat ». Soudain une voix s’élève : « Amenez-moi cet enfant ».
C’est Sri Lahiri Mahasaya[1], le grand Guru de Kriya Yoga, disciple de Mahavatar Babaji, qui a hélé le cortège. « Cet enfant n’est pas mort » et, en lui donnant alors sa première initiation, Sri Lahiri ramène à la vie le petit garçon. C’est par ce miracle que débuta la vie du grand Yogi, connu aujourd’hui sous le nom de Ganesh Baba[2].
Son enfance se passe merveilleusement bien : sa famille est très riche, il est adoré de sa mère, de ses tantes et grand-mères, c’est un écolier brillant élève des meilleures écoles britanniques en Inde. Quand un jour son père, brahman, magistrat, propriétaire terrien et industriel bengali, demande à son fils ce qu’il veut devenir quand il sera grand, l’enfant va chercher une image du Bouddha : « C’est cela que je veux devenir » répond-il alors âgé de 13 ans.
Son père est atterré. Il a 8 filles à marier et celui-ci est son fils unique : qu’adviendra-t-il du patrimoine ?
C’en est trop, son père ne résiste pas au choc et meurt bientôt laissant ainsi son fils responsable de toutes les affaires de la famille, alors qu’il n’est qu’un adolescent.
Il fera alors de brillantes études à Calcutta. Les Sciences surtout l’attirent et le fascinent. Il deviendra Docteur es Sciences, rencontrera Einstein lui-même dont il parle aujourd’hui comme de son Guru scientifique. Il étudie aussi la psychologie, surtout intéressé par C.G. Jung qui donne des conférences à Calcutta; puis le Droit nécessaire à la gestion des affaires familiales.
En bon Hindou, il s’acquitte alors envers sa famille et la société de ses devoirs : il dirige des usines alimentaires, plusieurs cinémas, marie ses sœurs. Il vit avec sa mère, mais célibataire endurci, il ne se laissera jamais marier.
Quel est donc le secret de ce riche Brahman, à qui tout réussit, de cet Indien érudit très « British », aimé de tous et de toutes? Il pratique régulièrement et silencieusement Kriya-Yoga et Méditation, et rencontre ses Gurus au cours de son existence d’homme d’affaires.
Et puis un beau jour ce fut le « flash ». Aux environs de ma 55è année, me dit-il, je me réveillai en pleine nuit et commençai d’écrire … d’écrire… »
Le lendemain matin, il s’aperçut qu’il venait d’écrire son testament. « Propriétés, usines, biens étaient distribués et répartis entre mes différents beaux-frères, neveux et amis, clair et net, noir sur blanc !
« Je renonçai au monde sans même m’en rendre compte. Il me semblait n’être plus là, j’étais comme téléguidé, inspiré par mes Gurus ».
« Alors vêtu d’un simple longui et d’une chemise, je pris 100 roupies et quittai la demeure familiale pour n’y jamais revenir ».
La tradition Hindoue veut que l’homme, après l’enfance et d’adolescence, se réalise en tant que chef de famille selon la tâche que sa caste lui impose, puis une fois ses devoirs acquittés, renonce au monde pour se consacrer à la recherche de la Vérité.
Alors commença pour lui le chemin du Sannyasi, celui qui a renoncé. Il rencontra bientôt Swami Sivananda Sarasvati, le célèbre Yogi de Rishikesh qui l’ordonna sous le nom de Swami Ganeshhanand Sarasvati.
Plus tard, il servit Ananda Moyi Mâ et dirigea pendant de nombreuses années un de ses ashrams. « Jamais, dit-il, je n’ai vu femme plus belle que Mâ dans sa jeunesse. La nourriture qu’elle offrait et qu’à l’époque elle cuisinait encore de ses propres mains était divine ! » Mâ est pour lui la Mother-guru.
Plus récemment, lors d’une rencontre entre la grande sainte et Ganesh Baba, elle s’exclama: « Regardez mon Ganesh, il ne vieillit pas! » (il devait alors être âgé de 85 ans…).
Au cours du long chemin de « celui qui a renoncé », Baba rencontra Srimahant Suraj Giri. Celui-ci l’initia et le fit entrer dans l’ordre Shivaïte des Nagas, à la fois redoutés et respectés de tous en Inde, sont les serviteurs du Seigneur Shiva, Dieu de la destruction et du temps, grand ascète dont le corps nu couvert de cendre blanche est celui du parfait yogi, à la fois attirant et terrifiant, tantôt époux de Parvathi et père de Ganesh, tantôt chaste ermite dont la méditation sur les sommets himalayens est imperturbable. Aux Nagas, tout est dû et tout est permis. Leur langage est parfois très crû. Ils sont néanmoins les représentants de Lord Shiva, l’ultime guru.
Après la mort de Suraj Giri, Swami Ganeshanand Giri (« Ganesh Baba ») étant le plus vieux de ses disciples se retrouva avec Datt Giri[3] à la tête de l’Anandankhara, Monastère de la Félicité ou « Temple de la Béatitude », de Bareilly.
C’est à l’époque où il servait Ananda Moyi Mâ que Ganesh Baba entra en contact avec les premiers Hippies… « Quel choc ! je n’en croyais pas mes yeux ! » Vers les années 60-65, l’apparition des hippies en Orient causa des remous, surtout en Inde où les gens n’avaient connus que des Britanniques riches, smart, éduqués, qui les avaient colonisés… Quelle ne fut alors la surprise de Baba de voir ces chevelus, barbus, vêtus à l’indienne, fumeurs de haschisch, qui dormaient à même le sol à quelques centaines de mètres de l’ashram de Mâ ! …
Quelque chose avait dû se passer en Occident pour que les enfants mêmes de ceux qui avaient été leurs « maîtres », leurs colons, viennent en Inde comme des mendiants à la recherche de la Vérité.
« Dès lors, dit Baba, j’ai adhéré pleinement au mouvement hippy et travaillé avec eux 24 h. sur 24 ». Réalisant l’importance que l’usage des drogues psychédéliques avait eu sur cette génération, il se voua à éclairer spirituellement cette « lame de fond » qui allait déferler sur tout le monde occidental depuis la Californie jusqu’à l’Europe et l’Australie… « La psychédélia sans méditation, dit-il, reviendrait à naviguer sans gouvernail ».
Mais éduquer les hippies n’est pas une tâche facile : Souvent les expériences psychédéliques spirituelles font croire à celui qui les a vécues qu’il sait tout et qu’il n’a plus rien à apprendre de personne. L’égo, au lieu d’être devenu modeste s’est renforcé et résiste à l’humilité nécessaire à la Sadhana.
Ganesh Baba, grâce à son humour, son incroyable érudition, l’aisance avec laquelle il manie la langue anglaise et sa connaissance de toutes les substances psychédéliques que lui autorisait sa condition de Naga, gagna sans peine une grande popularité auprès des jeunes voyageurs de l’esprit.
Ce guru « pas comme les autres » était souvent assis parmi un groupe de jeunes occidentaux à Assi Ghat, Bénarès; certains venus là apprendre le sitar, les tablas, le sanskrit ou encore à la recherche d’eux-mêmes. Baba discutait, riait, chantait, fumait avec eux comme un grand-père hippy… « Mes rapports avec mes disciples sont impensables pour un guru indien ».
C’est cette étrange fraternité, cette proximité, pleine de modestie et d’amour, ce refus du trône pour guru lointain et inapprochable qui le rendit si populaire auprès de la génération du « Peace and Love », les flower-children. Nombreux sont ceux qui ont essayé de construire autour de lui ashrams, sociétés, associations, missions. Mais toujours le Naga en lui épris de liberté et de vérité partait en voyage… avec quelques disciples itinérants : Katmandu, Bénarès, Darjeeling, Goa partout on entendait parler de lui.
Le message de Ganesh Baba à l’homme moderne est la Synthèse Ganéshienne, synthèse entre l’Est et l’Ouest, l’Esprit et la Matière, entre les différentes religions, le monde spirituel et le monde matériel : trouver le juste milieu, l’harmonie et l’équilibre pour vivre heureux et mourir heureux.
Baba est loin de n’être que ce guru psychédélique que le magazine américain « High Time » a dépeint en 1978 (Mars) « Vous seriez naturellement High si vous mainteniez votre colonne vertébrale droite, mes chers enfants! » leur déclara-t-il.
La technique de méditation enseignée par Ganesh Baba, le Kriya Yoga[4] dont Paramahamsa Yogananda donne un exposé scientifique dans son autobiographie[5] ; favorise cette synthèse.
Aujourd’hui, Baba est aux États-Unis où il a été invité de façon très familiale par des disciples de l’État de New York. Une greffe de la cornée en octobre 1980 a rendu au vieux saint la vue qu’il avait presque totalement perdue.
Sa parfaite connaissance des lois cosmiques, ses explications scientifiques lui ont valu le respect et l’attention de nombreux chercheurs de l’Université de Cornel, N.Y. et de Syracuse, N.Y. Aujourd’hui âgé d’environ 95 ans, Baba Ganesh, symbole de l’omniscience et de l’érudition, voyage d’Est en Ouest aux États-Unis au gré des invitations lancées par ses disciples, toujours moine itinérant prêchant la Synthèse par Spiritualisation Scientifique (S.S.S.).
Nombreux sont les traités, écrits, traductions d’un tel érudit (tous encore inconnus du public). Certains sont en cours de traduction en français. Nous espérons avoir la visite de Ganesh Baba, Swami Ganeshanand, en France en hiver 81-82; ce qui serait une joie et une bénédiction pour tous ceux qui auront le plaisir de le rencontrer lors de son séjour parmi nous[6].
La synthèse Ganeshienne : La Spiritualisation Scientifique par Christian PILASTRE
(Revue Énergie Vitale. No 9. Janvier-Février 1982)
(d’après Swami Ganeshanand Giri)
La méthode de Spiritualisation Scientifique de Ganesh Baba repose sur une Cosmologie rigoureuse et scientifique. Elle tient compte et complète la théorie d’Einstein du « Champ Unitaire » en ce sens qu’elle réunit les découvertes de la science moderne et celles de la science sacrée des Rishis en une synthèse harmonieuse.
Autrefois la physique était concernée uniquement par des événements dans le champ inertio-gravitionnel. Elle ne s’intéressait qu’à la matière sous sa forme la plus grossière. Au niveau du Macrocosme, on étudiait le mouvement des planètes, en tant qu’amas de matière gravitant autour d’une étoile ; mais on ignorait les forces plus subtiles qui meuvent les systèmes d’étoiles et les galaxies. Au niveau du Microcosme, la plus petite unité à étudier restait l’atome.
Mais la physique moderne a découvert qu’à l’intérieur de l’atome, les particules obéissent à des lois bien différentes de celles de la physique de Newton : c’est la découverte du champ électromagnétique.
Connue depuis des millénaires par les Yogis, sous le nom de Prana, puis redécouverte plus récemment dans l’Ouest par Wilhem Reich qui l’a appelée Orgone, existe une énergie plus subtile, vibration spécifique de toute entité organique. De même que le passage d’un courant électrique s’accompagne d’un phénomène magnétique, l’énergie biologique (prana, orgone) est accompagnée d’un phénomène psychique : c’est le champ bio-psychique dont il s’agit. Il n’y a pas de créature biologique, la plus minuscule, la plus élémentaire qui soit dépourvue de psychisme.
Les particules qui se meuvent dans chacun de ces champs sont séparées les unes des autres par une différence quantique, c’est-à-dire de niveau d’énergie.
Plus subtil encore est le champ causal ou intello-conscient.
Dans le mécanisme de la création, ou involution, l’Esprit donne naissance à la matière par un processus de grossification progressive. Le mécanisme de la Création, au même titre que son opposé et complément l’évolution (évolution-incolution) est un mécanisme cosmique fondamental. La création se manifeste et se propage selon une Octave Harmonique : il existe 8 stades de manifestation progressive :
1) Conscience
2) Intellect
3) Mental
4) Vie
5) Temps
6) Espace
7) Énergie
8) Matière
Dès lors que la matière est créée, le processus d’évolution commence. Les atomes se lient entre eux par réaction chimique et forment les molécules. La vie apparaît avec le passage de la matière inorganique à la matière organique dans les molécules contenant des atomes de carbone.
Un grand pas dans l’Évolution est l’apparition de l’amibe, ou première cellule animale autonome et mobile. Puis la Vie escalade l’échelle de Darwin, les reptiles et poissons apparaissent, sortent de l’eau ; les oiseaux, les insectes et pour finir les mammifères.
Les mécanismes cérébraux deviennent de plus en plus complexes. Le système nerveux se complique et la colonne vertébrale se redresse. Mais seul l’Homme — Homo Sapiens — atteint presque la verticalité. Le stade d’évolution suivant sera l’homme droit — Homo Erectus. L’évolution physique et biologique de l’homme est alors pratiquement terminée et cède la place à l’évolution psychologique. C’est là qu’intervient le « libre arbitre »… et le Yoga. L’animal humain prend conscience qu’il a le choix : ou bien poursuivre une existence de mammifère supérieur civilisé, engoncé dans son matérialisme morbide, ou bien se « spiritualiser », poursuivre volontairement et consciemment l’évolution et contacter la Conscience Cosmique, l’origine de la Création.
Ce processus de Spiritualisation, qui boucle le cercle Création-Évolution ne peut se faire que par une connaissance et une perfectivité de notre machine Bio-Psychique. Le système nerveux humain est un gros ordinateur qui fonctionne dans les 4 champs cités plus haut. La connaissance et la perfectivité de la machine humaine ont intéressé les hommes depuis une époque lointaine. Connue depuis des millénaires en Inde, cette science est le Yoga, ou communication et intégration cosmique, ce que Ganesh Baba appelle « Cosmocom ».
Le Crea-Yoga (ou Kriya-Yoga) est la partie opérationnelle ou technique de l’Asthanga-Yoga de Patanjali. C’est la clé centrale du Raja Yoga. Le Crea consiste à synchroniser les 4 phases de notre être, physique, biologique, psychologique et spirituelle, qui correspondent aux 4 champs inertio-gravitionnel, électro-magnétique, bio-physique et intello-conscient.
P1 : Posture. L’action sur la phase physique consiste à maintenir la colonne vertébrale dans une posture correcte : verticale, confortable et sans affectation (cf. Patanjali : Asana)
P2 : Pranayama. Phase biologique, le Prana correct est une respiration rythmique reposée; respiration complète qui intègre respirations abdominale, thoracique et claviculaire.
P3 : Pindalisation. On agit sur la phase_ psychologique en focalisant l’attention sur la glande pinéale (Ajna Chakra ou 3e œil) (cf. Patanjali : Pratyahara).
P4 : Pronov (Primordial Notal Vibration ou Première Note Vibratoire). La phase spirituelle correspond à notre corps causal. Pronov est la répétition mentale silencieuse du son Aum (cf. Patanjali : Dharana).
La spiritualisation Scientifique, grâce à une synthèse des techniques orientales et du rationalisme occidental, en utilisant la technique cruciale du Crea Yoga offre à l’homme moderne la possibilité de boucler le cercle de l’Évolution en faisant l’expérience directe de la Conscience Cosmique.
[1] Voir Autobiographie d’un Yogi, de Paramahamsa Yogananda (Adyar édit.)
[2] Ganesh Baba est décédé en 1987. Voir http://en.wikipedia.org/wiki/Ganesh_Baba & http://www.serendipity.li/baba/gb_art.html
[3] Datt Giri Baba, Srimahant de l’akhara Anand de Bareilly, a quitté son corps en 1978.
[4] G.B. a occidentalisé les mots « Kriya Yoga » (union par action cosmique) et les écrits « Crea-Cosmocom », qui dit-il sont plus marquants pour l’œil de l’homme moderne occidental.
[5] La Science du Kriya-Yoga.
[6] Ganesh Baba ezst retourné en Inde en 1986. Il visita le centre Kriya Yoga en France, puis retourna en Indie. Il décéda à Nainital le 19 Novembre 1987, il est enterré au temple Alakha Nath de Bareilly.