Jean Herbert
Hommage à Krishnaji

Il est de coutume dans l’Inde de classer les yogins, débutants ou avancés, selon le mode de discipline auquel ils se soumettent: yoga de la philosophie et de l’intellect, yoga de l’adoration du Divin sous l’un ou l’autre de ses aspects, yoga de l’ascèse et de l’intériorisation, yoga de l’amour du prochain et du travail désintéressé. Mais ces différents yogas ne s’excluent pas mutuellement ; il est même normal qu’ils se combinent dans des dosages variables, jusqu’au point d’atteindre une rigoureuse individualisation.

(Revue La Tour de Feu. N° 36-37. Printemps 1952)

Il est de coutume dans l’Inde de classer les yogins, débutants ou avancés, selon le mode de discipline auquel ils se soumettent: yoga de la philosophie et de l’intellect, yoga de l’adoration du Divin sous l’un ou l’autre de ses aspects, yoga de l’ascèse et de l’intériorisation, yoga de l’amour du prochain et du travail désintéressé. Mais ces différents yogas ne s’excluent pas mutuellement ; il est même normal qu’ils se combinent dans des dosages variables, jusqu’au point d’atteindre une rigoureuse individualisation.


Une particularité moins fréquente est qu’un yogin soit intérieurement sur une voie et extérieurement sur une autre. C’est ainsi que selon beaucoup de ses disciples Râmakrishna était au-dedans de toute connaissance et dans ses rapports avec autrui tout amour. Je crois que l’on pourrait dire l’inverse de Krishnamurti. Comme Vivekânanda, il est tout amour dans sa nature intime, mais tout intellect (au sens guénonien du terme) dans son apparence extérieure et son enseignement

Cet homme qui veut charger sur ses épaules tout le poids, le karma de son époque pour alléger d’autant notre fardeau, cet homme qui verse des larmes à la pensée du sort qui nous attend, se montre sec, froid, impersonnel, dès qu’il parle en public.

La chaleur de son cœur rayonne certes à travers toute sa personnalité, malgré la sobriété de ses gestes, la monotonie de sa voix, le regard indifférent de ses yeux, et c’est cette chaleur intime qui attache l’auditeur et lui donne la conviction que ce qu’il entend est vérité. Mais lorsque les paroles prononcées ont été sténographiées et imprimées, elles ont perdu toute vie, et le lecteur se trouve devant un pur jnâna-yoga, aride et abrupt, où nulle main secourable ne se tend.

Discipline ardue, exigeante, impitoyable, que l’on doit parcourir seul, sans faire appel ni à Dieu, ni au gourou, ni au compagnon de route. Attrayante certes à première vue, dans un sens, parce qu’elle fait appel à notre intelligence, dont nous sommes si fiers, mais vite déconcertante quand on s’aperçoit qu’il faut hausser cette intelligence sur des plans dont elle n’a pas l’habitude et où l’air est terriblement raréfié. C’était aussi l’enseignement de Râmana Maharshi, chez qui les dernières photographies, prises un mois avant sa mort, révèlent pourtant un amour si débordant, si émouvant.

Si dur qu’il soit, l’enseignement de Krishnaji est pourtant l’un des aspects qui nous sont encore accessibles de la Vérité une. Et maintenant que se sont éteintes, à quelques mois d’intervalle, quelques-unes des plus grandes lumières spirituelles de l’Inde, il faut compter Krishnamurti au tout premier rang des maîtres actuellement vivants que l’Inde a donnés au monde. Puisse-t-il rester longtemps parmi nous et puissent beaucoup d’âmes assoiffées boire à sa source!

Jean Herbert.