Le texte suivant est un exemple de la méditation vue plus comme une sorte d’application de la pensée positive qu’une voie de connaissance de soi. Les lecteurs intéressés pourraient se référer à ce sujet, aux textes sur ce même blog, de personnes comme Vimala Thakar, J. Krishnamurti, Jean Klein et bien d’autres…
(Revue Le chant de la Licorne. No 18. 1987)
Dans cet entretien accordé au Chant de la Licorne, le lama tibétain Tulku Pema Wangyal Rinpoche expose les bases nécessaires à une pratique correcte de la méditation.
Importance du Maître
Le Chant de la Licorne : Pourriez-vous dire quelques mots à l’intention des personnes qui approchent l’entraînement spirituel en général et le Bouddhisme en particulier depuis peu de temps et qui désirent commencer une méditation ?
Tulku Pema Wangyal : Avant d’entreprendre un entraînement spirituel, avant de commencer à méditer, il semble très important de recevoir des conseils d’une personne compétente et avoir une certaine connaissance de la méditation. Pour vraiment comprendre le sens de la méditation, il est très important de suivre les conseils d’un maître spirituel qualifié. Comme l’a dit le Bouddha lui-même : « avant de vous engager avec un maître, il est important de vérifier, d’examiner et le maître et l’enseignement…» Est-ce que c’est une voie valable pour moi ou non ? est-elle authentique ou pas ? Surtout de nos jours, il y a plus de faux maîtres que de vrais… Le Bouddha donnait l’exemple suivant : Quand nous désirons acheter de l’or, nous procédons à des examens approfondis : en le passant dans le feu, il est possible de savoir quelle quantité d’or pur il contient ; en le coupant, on peut déterminer les mélanges ; en le frottant sur une pierre, l’on voit d’après la couleur le degré de pureté et ainsi de suite. Comme il est dit : Tout ce qui brille n’est pas de l’or… De la même manière il est utile de vérifier et voir l’importance de s’engager dans tel ou tel entraînement spirituel.
Une fois établi un lien véritable, il est essentiel de poursuivre jusqu’au bout sans s’arrêter en route. Le Bouddha disait « Je peux vous montrer la voie, mais le fait d’arriver jusqu’à votre destination dépend entièrement de vous ». D’où l’importance de la diligence, et aussi les trois étapes de la sagesse :
– sagesse acquise par l’écoute,
– sagesse acquise par la réflexion, l’investigation,
– sagesse acquise par la pratique, l’entraînement.
Bien que je vous donne les informations qui suivent en me basant sur la sagesse, la connaissance et l’expérience transmises de maître à disciple en ligne directe depuis le Bouddha lui-même, personne ne doit se sentir obligé de suivre un tel entraînement à moins de penser que c’est une voie valable et bénéfique pour soi-même.
État d’esprit préalable
Pour commencer une méditation ou un entraînement spirituel, une chose très importante est de savoir se détendre, physiquement et mentalement. S’asseoir dans un endroit tranquille et essayer de se détendre, de relâcher toutes les différentes tensions physiques.
Vérifions alors notre état d’esprit et demandons nous : « Quelle est mon attitude intérieure? » Nous verrons que nous nous trouvons peut-être dans un état d’esprit très positif et que nous avons l’intention de faire quelque chose de très valable et de très bénéfique pour les autres ; ou peut-être nous trouvons nous dans un état très perturbé, avec toutes sortes d’émotions, notre esprit étant très agité ; ou bien, ni positif, ni négatif, nous sommes dans un état d’esprit un peu indifférent, neutre.
Il faut vérifier soigneusement. Les actions que nous entreprenons dépendent très étroitement de la préparation, des fondations que l’on pose. Si nous sommes dans le premier cas, très bien. Mais si nous trouvons notre état d’esprit négatif, sachons que commencer une méditation dans un tel état ne portera pas de fruits bénéfiques. Si nous commençons la méditation dans un état indifférent, ni positif ni négatif, il en résultera peu ou pas de bienfaits. D’où l’importance de développer une attitude positive avant d’entreprendre un entraînement spirituel. Souhaitons tout simplement que cette méditation que nous allons faire soit bénéfique pour nous-même et pour tous les êtres vivants.
La première étape est donc de développer une motivation très positive et de penser : « que cette méditation soit longue ou courte, je vais consacrer ce temps à quelque chose qui sera une source de liberté et de bonheur pour tous les êtres ».
L’instant présent
CLL : Si une motivation positive est importante comme préparation pour celui qui veut méditer, quels seraient les éléments essentiels de la méditation elle-même ?
T.P.W. : Bien sûr, cela dépend de la pratique ou du genre de méditation que nous ferons, mais dans tous les cas, il est essentiel d’être dans le moment présent. Il ne faut pas se laisser entraîner par les pensées liées au passé, ni par celles liées au futur et qui seraient extérieures au sujet de la méditation. Il est important d’être conscient de ce que nous faisons, d’être éveillé, et de ramener toujours notre esprit à l’instant présent.
Si nous nous laissons emporter par les pensées du passé, c’est comme essayer de tirer profit de la fumée d’un foyer déjà éteint. Il sera difficile d’utiliser cette fumée pour refaire du feu… Se laisser distraire par de telles pensées est une perte de temps.
En ce qui concerne les idées que nous nous faisons de l’avenir, de nos projets (en dehors de notre sujet), nous pourrions en rêver pendant longtemps ; les faits seront sans doute bien différents de notre expectative. Nous laisser emporter par nos fantaisies, dans une espèce de rêve éveillé, ne donnera rien de très utile.
Pour cela, il est important de nous en rendre compte quand nous sommes en train d’êtres emportés par les pensées du passé ou du futur et de ramener simplement l’esprit, ici et maintenant, au sujet de la méditation.
CCL : S’il est important, durant la méditation, de rester dans l’instant présent, dans le sujet de la méditation, comment la conclure ?
T.P.W : D’après les enseignements bouddhistes, je pense qu’il est important de conclure notre session de méditation avec une pensée positive : que notre méditation ait été bonne ou non, elle s’est faite sur les fondations d’une motivation pure et positive, nous y avons consacré du temps et de l’énergie, il est donc important d’en dédier le résultat au bonheur de tous les êtres, avec le souhait qu’ils puissent atteindre la liberté totale de l’Illumination.
DÉROULEMENT PRATIQUE D’UNE MÉDITATION
CLL : Que conseilleriez-vous, de manière générale, à une personne désirant poursuivre un entraînement qui soit en même temps profond et très simple ? Quelle serait une pratique que cette personne pourrait intégrer dans sa vie de tous les jours et qui pourrait l’amener à des niveaux plus élevés de méditation ?
T.P.W : Quand on entreprend la méditation proprement dite, il est important d’avoir une capacité de concentration que nous appelons « samadhi » en sanskrit ; cela veut dire concentration focalisée en un seul point.
Pour développer cette concentration, il semble utile, au début, bien qu’il existe des techniques variées qui emploient, les formes, la lumière… de savoir rester tout simplement conscients de notre propre respiration. Observons l’inspir et l’expir, lents et réguliers, et comptons notre respiration. Voyons si nous arrivons à observer sept ou bien vingt-et-une respirations sans être distraits par d’autres pensées. Quand nous comptons nos respirations, nous pensons parfois être concentrés sur elles, et tout à coup, nous nous rendons compte que nous ne savons pas à combien nous en sommes ni à quel moment nous avons été distraits. D’un autre côté, si nous nous concentrons sur la respiration de manière trop tendue, cela ne sera pas bénéfique pour notre détente physique et mentale. Pour cela, après avoir compté sept (ou vingt-et-une) respirations, détendons-nous pour un laps de temps équivalent, sans fixer l’attention sur quoi que ce soit. De nouveau, concentrons-nous pendant sept (ou vingt-et-une) respirations, puis détendons-nous, et recommençons le tout une troisième fois.
Une fois le corps et l’esprit bien posés, nous pouvons nous concentrer sur une sphère de lumière dans l’espace devant nous. Pensons que cette lumière rassemble et contient l’essence des bénédictions et de la réalisation de tous les grands êtres parfaitement illuminés ; elle contient aussi l’essence subtile des cinq éléments : eau, feu, terre, vent et espace. Visualisons cette lumière devant nous et essayons d’en ressentir la présence. Ensuite, cette lumière vient en nous par le sommet de la tête et remplit entièrement notre corps, notre parole et notre esprit. De nous, elle s’étend à tous les êtres de l’univers. Essayons alors, au travers de cette lumière, de méditer sur les quatre formes d’Amour incommensurable.
CCL : Que sont ces Quatre Incommensurables ?
T.P.W : Ce sont l’Amour-Bonté, l’Amour-Compassion, l’Amour Joie et l’Amour-Équanimité.
L’Amour
L’Amour-Bonté, c’est le souhait profond que tous les êtres soient heureux et possèdent les causes du bonheur.
Commençons en pensant à un être qui nous est très cher, notre mère par exemple, et ensuite étendons ce sentiment de plus en plus loin sur de plus en plus d’êtres. Nous choisissons souvent la mère, car les mères consacrent la plus grande partie de leur temps et de leur énergie à élever leurs enfants. Elles désirent leur apporter le bonheur, le réconfort et la paix. Mais, en raison de leur ignorance ou de leurs habitudes du passé, leurs intentions et leurs actions vont souvent en sens contraire, ce qui cause difficultés et souffrance.
En pensant à cela, on éveille un puissant sentiment d’Amour-Bonté, en désirant profondément et sincèrement que notre mère et que tous les êtres (nos mères au cours des multitudes de renaissances que nous avons prises), soient heureux et possèdent la cause du bonheur. La cause du bonheur, ce sont les actions positives du corps, de la parole et de l’esprit.
Très souvent, pour illustrer l’Amour-Bonté, on montre la mère-oiseau qui s’occupe de ses petits. Tout d’abord, elle leur prépare un nid douillet, ensuite elle pond et couve ses œufs malgré toutes les intempéries et tous les prédateurs.
Lorsqu’ils sont éclos, qu’il pleuve ou qu’il vente, elle fait tout pour nourrir ses petits et les défendre contre tous les dangers. Jusqu’à ce que les oisillons soient assez grands pour voler, négligeant son corps et sa propre vie, la mère-oiseau les entoure d’un amour spontané et complètement désintéressé.
Nous devons nous efforcer de développer un sentiment d’Amour-Bonté puissant et authentique, libre de tout égoïsme, de toute hypocrisie, et qui soit conforme aux besoins de chaque être.
La compassion
L’Amour-Compassion est ce sentiment profond et insupportable que l’on ressent devant la souffrance d’autrui. C’est réaliser que tous ces êtres qui ont été nos mères, emportés par les causes de la souffrance, se débattent dans les divers royaumes de l’existence. C’est le vœu de les libérer tous de la souffrance et de ses racines.
Essayons de nous imaginer ce que ressent une mère tendre et aimante, mais qui a perdu l’usage de ses deux bras, qui voit son enfant unique emporté par un torrent. Comment peut-elle lui porter secours ?
Éprouver un sentiment de cette force, c’est ce que nous appelons Karuna ou Compassion ; savoir que tous les êtres, entraînés par les courants multiples de la souffrance, se noient dans l’océan du samsara. Quand une mère voit son enfant en danger, elle crie, elle appelle au secours. De la même façon, nous devons faire appel à la compassion suprême des êtres illuminés afin de la faire jaillir du fond de notre cœur.
Le pouvoir de la compassion est inconcevable. Cette pensée, par elle-même, peut aider les êtres et apaiser leurs souffrances, et ce d’autant plus que nous nous entraînons à la développer. Le Bouddha, le Totalement Illuminé, a dit : « Ceux qui possèdent la compassion possèdent l’esprit d’Éveil. Pour ceux qui détiennent l’esprit d’Éveil, l’Illumination n’est pas loin ».
La Joie
L’Amour-Joie, ou sympathie, est la faculté de se réjouir à la vue ou à la pensée du bonheur des autres. C’est souhaiter que les êtres soient totalement libérés des causes de la souffrance et qu’ils puissent à jamais demeurer dans le bonheur. C’est l’opposé de la jalousie, de l’envie.
Souvent, nous sommes pris dans les filets de nos émotions : quand nos amis ou d’autres personnes jouissent du bonheur ou du confort, il nous arrive de les envier, de souhaiter avoir les mêmes choses ou les avoir à leur place. Les personnes qui désirent suivre un entraînement spirituel doivent éviter ce sentiment d’envie, et cultiver au contraire, une joie sincère à la vue du bien-être d’autrui. Souhaitons que cette personne et tous les êtres possèdent une joie et un bonheur matériels et spirituels toujours plus grands.
Nous complaire dans la jalousie engendre une sorte de voile obscurcissant qui nous empêche de voir les qualités d’autrui ; cela peut-être un obstacle ou une interruption importants dans le développement de notre potentiel spirituel.
L’exemple que l’on donne pour illustrer la force de cette joie est celui de la chamelle. De tous les animaux, c’est la chamelle qui a le plus d’affection pour son petit. Si elle perd son petit, sa douleur est extrême et quand elle le retrouve, sa joie est indescriptible. C’est une telle joie que nous devons nous efforcer de développer du fond du cœur.
L’Équanimité
L’Amour-Équanimité, se dit aussi impartialité. Nous devons être capables de développer les trois formes d’amour que nous venons de voir de manière égale pour tous les êtres. Sachons que les personnes avec qui nous communiquons difficilement dans la vie présente sont ceux envers qui nous avons une dette de bienveillance depuis des vies passées. Nous n’aurons aucune difficulté avec les personnes auxquelles nous avons rendu une bonté égale à la leur. Ainsi, les difficultés ne sont pas dues à des différences entre les êtres, mais à des connexions karmiques différentes.
De toute façon, il nous faut engendrer l’Amour-Bonté, la Compassion et la Joie envers tous les êtres de manière égale et impartiale. En effet, comment savoir qui est qui ? La nature du samsara est insondable. L’un des disciples du Bouddha, un très grand sage du nom de Katayana, se promenait un jour dans un village où il vit un spectacle d’apparence banale. Une femme portait dans ses bras un enfant, tout en mangeant un poisson dont elle jetait les arêtes à une chienne qu’elle repoussait du pied de temps en temps. Et Katayana, qui voyait le passé des êtres d’un regard libre des voiles de l’illusion, s’exclama en riant : « Elle mange la chair de son père et donne des coups de pied à sa mère. La femme ronge les os de son mari. La mère tient sur son sein le meurtrier de son père. Les choses de l’existence cyclique sont bien étonnantes ». En effet, le poisson était la réincarnation de son père, la chienne, celle de sa mère, et l’enfant celle du meurtrier de son père.
Il n’est pas un seul être dans l’univers avec qui nous n’ayons une connexion ; il est important de développer la Bonté, la Compassion et la Joie envers tous. Pour ce faire, commençons par nos amis, nos proches. Comme l’être auquel nous sommes le plus attaché, c’est nous-même, essayons de ressentir pour notre plus proche ami la même considération que nous ressentons à notre propre égard. Au début, ce sera difficile. Ensuite considérons deux, trois, plusieurs de nos amis avec Amour, Compassion et Joie, de manière impartiale. Quand nous arrivons à faire cela, nous devons ensuite ressentir le même Amour, la même Compassion et la même Joie pour les êtres qui nous sont indifférents et, finalement, même pour nous ennemis.
Prenons exemple sur les grands Êtres réalisés. Lorsqu’ils offraient un festin, conscients du fait que tous les êtres ont été nos parents dans une vie ou une autre, ils servaient de leurs propres mains la nourriture à tous ceux qui se présentaient, riches ou pauvres, sans faire la moindre distinction. Nous devons engendrer cette même Équanimité.
Pour conclure cette méditation, comme nous l’avons déjà expliqué, dédions le résultat de cette intention et de cette pratique pour le bonheur temporel et ultime de tous les êtres. Que tous atteignent la liberté totale de l’Illumination.