Henri Hartung
Karlfried Graf Durckheim

Formé par des maîtres zen lors de son séjour au Japon, Dürckheim a transmis à de nombreux Occidentaux, particulièrement Allemands, Français et Hollandais, la méthode Zazen. C’est là son irremplaçable contribution à l’éveil spirituel contemporain. Mais, d’abord, qu’est-ce que le ZaZen? Za signifie s’asseoir. Za-Zen, c’est la méditation assise du Zen. Pour le maître Dogen-Zenji, l’assise est l’essence même du Zen : « seulement » s’asseoir… mais en étant strictement attentif à sa posture, à sa respiration et à ses pensées. Justement pour dépasser celles-ci et retrouver l’état d’esprit originel de la « pensée sans pensées », le vide, point de rencontre entre l’homme et l’Absolu. Selon une autre formule de Dürckheim, « le but de la méditation Za-Zen est la grande expérience appelée Satori. Elle est l’état de l’homme parvenu jusqu’à l’ETRE, retourné à l’ETRE, libéré à la vie par l’ETRE ». Aussi, toutes les indications données par Dürckheim peuvent-elles se résumer à deux aspects : d’une part, méditer régulièrement, avec une posture juste et un contrôle précis de sa respiration afin d’autre part d’éprouver, d’abord, la transcendance immanente en se fondant dans l’ETRE et de devenir conforme, ensuite, à Celui-ci. RIEN que cela, mais justement TOUT cela.

(Revue Énergie Vitale. No  6. Mai / Juin 1981)

Ce qui en moi est plus vrai que moi… ce lien entre ce que je suis, ici et maintenant, et l’harmonie cosmique… l’éternel message de la Tradition Hindoue : Tat twam asi : « Cela* (le Soi, Dieu, la Personne), *toi* (Le moi, le mental, l’individu) *tu l’es » (Chhândogya Upanishad)… l’indication du Christ : « Qui m’a vu a vu le Père » (Jean, XIV, 9)… ce centre spirituel de l’être humain, n’est-ce pas en définitive, sa découverte qui reste pour chacun de nous, lors de son passage terrestre, la seule chose nécessaire? C’est en tout cas la réponse de l’un de nos contemporains :

« C’est précisément l’éveil de ce noyau, qu’on peut appeler la transcendance intérieure, qui constitue le cœur de tout mon travail jusqu’à aujourd’hui; l’éveil de ce noyau et bien sûr aussi son expérience ». Ainsi s’exprime Karlfried Graf Dürckheim dès la première page du livre qui lui est consacré [1]. Nous sommes ici au cœur du problème central de la condition humaine, confrontés à la question essentielle que nous posent toutes les grandes Traditions depuis des millénaires et que nous rappelle, au vingtième siècle, Ramana Maharshi : « Qui suis-je? ».

Rien, cependant, n’est moins évident, en cette triste fin d’un siècle chaotique. C’est d’ailleurs bien la raison pour laquelle il convient de rappeler la REALITE de l’Esprit, sa « présence » en nous et la possibilité de nous retrouver en Lui. Comme c’est aussi l’origine de notre intérêt pour tous ceux qui, à la place où ils se trouvent et avec le langage qui est le leur, témoignent non seulement de l’importance du spirituel mais surtout de son aspect réel, immédiat, naturel. Dürckheim est l’un de ces messagers occidentaux.

Son origine? Naissance en 1896 à Munich au sein d’une famille aristocratique du sud de l’Allemagne.

Sa formation? Des études de psychologie et de philosophie; professeur de philosophie. Dans tout son travail, la base psychologique est celle de C.G. Jung. Décisive, pour cette formation définitive, a été la rencontre avec le Zen à l’occasion d’un long séjour au Japon.

Son activité? Animateur du centre de Rütte, dans la Forêt Noire, accueillant toutes celles et tous ceux qui, au travers d’une activité spécifique, danse, musique, artisanat, souhaitent s’engager sur cette voie à la fois nouvelle, en tout cas pour un Occidental, et très ancienne, de ce que Dürckheim appelle les « exercices initiatiques dans la psychothérapie » :
« L’originalité, voire le côté révolutionnaire de cette thérapeutique vient de ce qu’elle reconnaît comme principe premier la nature métaphysique de l’être essentiel qui n’aspire qu’à se manifester dans le vrai soi. C’est en effet dans la mesure où l’homme prend conscience des forces enfouies au fond de son être qu’apparaît une dimension nouvelle, pleine de promesses, qui ne s’arrête pas à l’horizon du moi primaire et de sa représentation rationnelle du monde… et qui est de nature transcendantale. Cela revient à dire qu’il existe une dimension relevant. d’une transcendance inhérente à la nature de l’homme pris dans sa totalité… » Dürckheim, « Exercices initiatiques dans la psychothérapie », éd. le Courrier du Livre, 1977, page 10.

Ainsi le but apparaît-il clairement : réconciliation de l’être humain avec ce qui est en lui le plus profond : « Cela, toi tu l’es ».

Sa méthode? Elle est à la fois individualisée et universelle. L’aspect individuel, c’est l’homme qui vous accueille au seuil d’un chalet construit tout en bois. Grande paix d’un lieu de toute évidence protégé. Écoute attentive et souriante mais sans bonhomie comme sans « gentillesse ». Beaucoup plus que cela : une présence, une vision rapide de votre réalité globale. Il le dit lui-même : « La vigilance permanente est le fruit d’une décision complète de l’homme. Elle présuppose une décision qui va jusqu’au bout de votre être dans l’avancée sur le chemin… la profondeur de la décision est le meilleur garant de l’attention ». (« Graf Dürckheim », page 133). Tout est important pour lui, dans votre comportement, la lumière, bien sûr, mais aussi l’« ombre », qu’il convient de déceler, d’analyser, de dissoudre. Entretiens à la fois paisibles, intemporels et rapides, tendus… « sans ascèse il n’y a pas de progrès » … mais au contenu toujours précis, réel, transformateur. Une psychothérapie initiatique et ce n’est certes pas avec de seules connaissances psychologiques qu’elle peut être entreprise avec succès ! La psychologie a son rôle à tenir, comment ne l’aurait-elle pas chez un homme qui aime aujourd’hui encore se référer à Jung? Mais elle est mise à sa place. Dürckheim, sur ce point, a toujours été explicite : « On doit prendre conscience de ses forces noires, les prendre au sérieux et les accepter. En dehors du psychodrame, il y a bien d’autres possibilités : l’analyse des profondeurs, la psychothérapie, la thérapie de groupe, la gestalt thérapie et les multiples moyens actuels de défoulement ». Mais il y a un au-delà sans lequel la psychologie risque de dénuder un individu sans pour autant lui permettre de devenir une personne. Ici, alors, la méthode de Dürckheim rejoint l’universel. Et son « outil » privilégié est la méditation. En effet, une fois au clair avec ses « états d’âme », convient-il de se donner les moyens de poursuivre son cheminement vers son ETRE essentiel :
« La méditation, on peut sous cette étiquette comprendre et pratiquer plusieurs choses : des exercices de silence et d’apaisement, exercice de recueillement et d’intériorisation destiné à pénétrer le contenu profond d’un texte ou d’une image sacrée. On peut méditer pour ranimer et régénérer la foi traditionnelle. Tout cela est sans doute bon. Mais la méditation peut et doit être bien autre chose : l’instrument d’une percée vers l’ETRE essentiel. Le sens de la méditation est alors celui d’un exercice initiatique ». Dürckheim, « Méditer », (Ed. le Courrier du Livre, 1978, page 14).

Formé par des maîtres zen lors de son séjour au Japon, Dürckheim a transmis à de nombreux Occidentaux, particulièrement Allemands, Français et Hollandais, la méthode Zazen. C’est là son irremplaçable contribution à l’éveil spirituel contemporain. Mais, d’abord, qu’est-ce que le ZaZen? Za signifie s’asseoir. Za-Zen, c’est la méditation assise du Zen. Pour le maître Dogen-Zenji, l’assise est l’essence même du Zen : « seulement » s’asseoir… mais en étant strictement attentif à sa posture, à sa respiration et à ses pensées. Justement pour dépasser celles-ci et retrouver l’état d’esprit originel de la « pensée sans pensées », le vide, point de rencontre entre l’homme et l’Absolu. Selon une autre formule de Dürckheim, « le but de la méditation Za-Zen est la grande expérience appelée Satori. Elle est l’état de l’homme parvenu jusqu’à l’ETRE, retourné à l’ETRE, libéré à la vie par l’ETRE ». Aussi, toutes les indications données par Dürckheim peuvent-elles se résumer à deux aspects : d’une part, méditer régulièrement, avec une posture juste et un contrôle précis de sa respiration afin d’autre part d’éprouver, d’abord, la transcendance immanente en se fondant dans l’ETRE et de devenir conforme, ensuite, à Celui-ci. RIEN que cela, mais justement TOUT cela.

Pour l’occidental dont l’existence est marquée par une société matérialiste et un système de valeurs centré sur la stabilité et la réussite extérieure, le pouvoir et l’argent, il s’agit d’une prise de conscience de la réalité d’une autre vie. Oui, d’une vie autre. Radicalement différente. Or, même si l’intuition de cette alternative, réelle peut être, pour chacun, fulgurante, si le « goût » de cet essentiel peut survenir soudainement, à l’occasion d’un événement donné, il est bien juste de souligner que sa réalisation par l’approfondissement spirituel, l’ancrage dans l’Absolu et la transformation de notre vieux personnage ne se réalisent ni vite, ni facilement. C’est pourquoi, la présence à l’intérieur même d’une telle société, d’un maître du ZaZen respectueux à la fois de Sa méthode et de Sa finalité, est un bien précieux qu’il importait de rappeler aux lecteurs d’une revue centrée sur l’essentiel.

[1] Alphonse Goettmann, « Graf Dürckheim, dialogue sur le chemin initiatique », collection Témoins spirituels d’aujourd’hui, éd. Le Cerf, 1979.

Lectures :
« Hara, centre vital de l’homme » Éd. le Courrier du Livre, Paris 1974.
« Le Zen et nous ». le Courrier du Livre, Paris 1976.
« La double origine de l’homme » Éd. du Cerf, Paris, 1977.
ainsi que les 3 ouvrages cités dans le texte.

Le corps en mouvement….

Textes de KARLFRIED GRAF DÜRCKHEIM.
(Extraits de : Exercices initiatiques en psychothérapie).

Le corps humain vivant est toujours un corps en mouvement. Mais le mouvement, chez l’homme, est toutefois plus qu’un simple phénomène physique. Il exprime toujours la totalité de l’être humain et reflète donc tout ce qui l’émeut. Aussi peut-on dire, dans ce sens, que le mouvement est toujours geste, l’organisme toujours corps humain que l’on ne saurait comprendre, examiner, traiter et réparer indépendamment de l’âme et de l’esprit. Le corps, c’est au contraire la personne même qui, à travers ses gestes, s’exprime, se montre, s’affirme au monde dans son unité et se réalise ou bien « se manque » plus ou moins ! Les gestes passagers traduisent un état passager, par exemple la frayeur, la colère, la tristesse, le désespoir. Dans les attitudes qui lui sont devenues habituelles, l’homme exprime un « état » constant plus ou moins enraciné, par exemple lorsqu’il se trouve dans un état de tension qui lui est devenu habituel, une anxiété, une insécurité chroniques, etc. Ces états permanents n’ont pas seulement, pour le thérapeute, une valeur diagnostique, ils lui offrent également la possibilité de procéder à un traitement en profondeur. De même qu’une attitude physique figée agit sur l’état intérieur, et peut alors gêner le développement intérieur, de même la prise de conscience et la métamorphose de l’attitude « extérieure » influent très profondément sur le développement de l’ensemble de la constitution intérieure de la personne. La thérapeutique moderne reconnaît de plus en plus l’importance de l’attitude devenue habituelle, tant pour le diagnostic que pour le traitement.

L’homme qui est « là » de façon juste, est ouvert au monde sans y être livré ; il est recueilli en lui-même, sans être fermé au monde. Il est décontracté sans risque d’être dissous et a le tonus désirable sans être contracté. La façon juste d’être « là » dépend toujours de l’installation de la personne dans son centre, c’est-à-dire dans le centre de gravité qui convient. Lorsque ce dernier est placé trop haut, l’expérience montre que l’homme affirme son moi sans avoir vraiment confiance en lui-même, ce qui provoque un état de tension. Cet état est toujours l’expression d’une prédominance du moi qui nuit à la totalité de l’être et à la réalisation de soi et qui peut traduire soit un manque de confiance dans la vie, soit l’anxiété, soit un état d’alerte permanent ou bien encore une vaine suffisance. Tout cela est lié à un manque de stabilité de la personne, tant du point de vue physique que psychique et intellectuel. De plus, toute attitude tendue avec déplacement du centre de gravité vers le haut menace sans cesse de basculer dans l’état opposé, c’est-à-dire de tomber dans la dissolution, l’avachissement.

L’attitude juste tout comme l’attitude fausse se reflètent dans la manière juste ou fausse d’être debout, assis ou de marcher. a. Station debout tendue : Le centre de gravité est placé trop haut (quelque peu exagéré). b. Station debout correcte. L’homme tient son centre de gravité à la bonne place, il possède la base sûre qui le relie, comme par une racine, fermement à la terre, l’accueille et le laisse se développer et « être là » de façon naturelle. Dans une telle position, il est en mesure d’affronter toutes les tempêtes sans se laisser abattre. Celui qui possède le Hara ne vacille pas lorsqu’on lui porte un coup dans le dos. Sans Hara, il s’écroulerait. Grâce au Hara, il est décontracté, ouvert au monde et sans affectation. Il peut avoir l’attitude qui correspond exactement à sa nature profonde.