Robert Linssen
La conscience suprême

Les formes les plus élevées des sagesses antiques et les Maîtres contemporains de l’Eveil, tels Sri Bhagavan Maharshi (env. 1870-1950), Krishnamurti (1895-1986), Sri Nisargadatta (env. 1900-1981), Wei Wu Wei (1895-1986) enseignent l’existence fondamentale d’un champ de conscience cosmique antérieur aux diverses formes familières de conscience personnelle. Les pensées, les émotions, les formes, les mots, les images se profilent sur la toile de fond unique d’un océan de conscience nouménale auquel elles empruntent leurs énergies. Sans cette base essentielle, nos pensées ne pourraient exister. Dans l’ordre du déroulement de la manifestation de l’Univers, le champ de conscience cosmique occupe la première place, non seulement en raison de son antériorité, mais aussi par la priorité et l’intensité créatrice de ses énergies.

(Revue Être Libre, Numéro 329, Mai – Juillet 1994)

Les formes les plus élevées des sagesses antiques et les Maîtres contemporains de l’Eveil, tels Sri Bhagavan Maharshi (env. 1870-1950), Krishnamurti (1895-1986), Sri Nisargadatta (env. 1900-1981), Wei Wu Wei (1895-1986) enseignent l’existence fondamentale d’un champ de conscience cosmique antérieur aux diverses formes familières de conscience personnelle. Les pensées, les émotions, les formes, les mots, les images se profilent sur la toile de fond unique d’un océan de conscience nouménale auquel elles empruntent leurs énergies. Sans cette base essentielle, nos pensées ne pourraient exister. Dans l’ordre du déroulement de la manifestation de l’Univers, le champ de conscience cosmique occupe la première place, non seulement en raison de son antériorité, mais aussi par la priorité et l’intensité créatrice de ses énergies.

Il est à noter que David Bohm déclarait lors d’une conférence donnée à l’Université de Berkeley vers 1985, que « la conscience est antérieure à l’Univers et au cerveau. Celui-ci est une structure qui permet de l’exprimer et d’en fournir des commentaires ».

Les êtres humains ont-ils la possibilité de faire l’expérience de la « conscience suprême » antérieure à la pensée, aux noms, aux formes qui tendent à limiter cette conscience fondamentale ?

Quels sont les obstacles qui s’opposent à la disponibilité des richesses d’amour, de béatitude et l’intelligence de cette toile de fonds unique sur laquelle se profilent la totalité des agitations défilant dans le champ de notre esprit ?

Ainsi que le déclare Sri Nisargadatta : « L’expérience de la conscience suprême, sans nom, sans forme, ne peut être réalisée sans une non-identification totale au corps ».

« C’est seulement lorsqu’on est compris en profondeur, avec une grande conviction, qu’il n’y a pas de personne, pas d’individu, et que tout ce qui arrive n’est que la programmation du travail de la conscience (suprême), un pur fonctionnement, sans entité qui soit en cause, sans entité qui en souffre, c’est seulement alors que la désidentification peut avoir lieu (p. 135, « La Source de la Conscience », Sri Nisargadatta).

Ainsi que le suggérait fréquemment le docteur Roger Godel, lors des nombreux entretiens amicaux qu’il nous consacrait « le mental possède un caractère visqueux qui le conduit à « coller » sur les objets ou événements qui se présentent à lui. Cette viscosité tend à nous fixer exagérément sur les réactions que provoquent les événements, la vision des objets, des êtres et des choses est prisé pour de l’argent comptant ». Le manque de profondeur de notre attention contribue à nos chutes constantes dans les nombreux pièges que nous tend le monde matériel : apparente immobilité des solides, apparente séparativité des objets et des êtres vivants alors qu’il est démontré que rien n’est séparé, apparente fragmentation des êtres, objets du monde extérieur alors que l’Univers est en priorité une totalité une, homogène, « monobloc » d’un seul tenant.

Le manque de vigilance et de profondeur de notre capacité d’attention contribue à masquer à notre vision intérieure la présence prioritaire d’une conscience cosmique, sans noms, sans formes. Nous nous laissons nonchalamment guider par une paresse intérieure tendant à nous fixer essentiellement sur les noms, les formes des objets, des êtres, des événements et perdons complètement de vue la conscience cosmique, qui est la toile de fond sur laquelle se profilent toutes les pensées, les émotions, les noms, les formes, les images que nous avons de nous-mêmes. Nous sommes prisonniers de l’énorme paquet de mémoires conférant un semblant de solidité à notre ego.

Les Sages, tels Sri Nisargadatta et Krishnamurti, enseignent que les premiers pas sur le chemin de la méditation véritable consistent à nous libérer de l’emprise des « contenus » de la conscience, tels noms, formes, mémoires, etc., afin de nous ouvrir à la vision d’immensité, d’infinitude, d’omniprésence, d’amour et de béatitude de la conscience cosmique fondamentale.

A ce niveau essentiel s’effondrent toutes les limitations, tous les antagonismes à quelque niveau que ce soit. Les conflits, les violences, les peurs, les angoisses, les haines, en bref, tous les problèmes disparaissent.

Ainsi que le déclare Krishnamurti (« La vérité et l’événement », éd. du Rocher, cité par « Om Transmission », p. 12).

« Notre conscience, c’est la conscience de chacun, la conscience du monde. Votre comportement peut être marginalement différent, mais au fond, en essence, votre conscience est la conscience de tous les êtres humains. Et si vous êtes affranchis totalement de la peur, vous affectez la conscience du monde. Comprenez-vous à quel point il est capital que nous changions fondamentalement parce que cela va nécessairement affecter la conscience de tous les êtres humains ».

Au niveau fondamental des énergies psychiques (qui sont des champs de forces substantiels) — la séparativité n’existe pas, nos états intérieurs affectent instantanément la totalité de la planète. Ceci n’est pas une hypothèse mais un fait démontré.

En un certain sens, il serait plus utile de parler de LA conscience et non seulement de NOTRE conscience. Cette dernière est conditionnée et rigidement limité par notre hérédité, notre milieu, notre éducation, notre structure cérébrale, les mémoires individuelles ou collectives.

Parmi ces dernières, il importe de signaler l’influence considérable exercée par ce que Krishnamurti appelle « l’ego de l’humanité » correspondant à l’inconscient collectif de C.G. Jung. C’est un immense réseau de milliards de mémoires résiduelles ou « champs morphogénétiques » émis par l’espèce humaine depuis la préhistoire.

Telle est la réalité qu’évoque le symbolisme du « Vieil Homme » dont il est d’une impérieuse nécessité que nous nous affranchissions afin de nous libérer de la « pesanteur du passé » et de l’emprise des « contenus de la conscience, noms et formes ».

A ce propos, les conseils de Sri Nisargadatta sont particulièrement utiles à méditer. Il déclare (« Sois », p. 254, éd. Deux Océans) :

« Vos activités semblent avoir lieu à l’extérieur, mais elles se produisent en fait à l’intérieur. C’est la conscience qui sent la peine ou le plaisir, ce n’est pas le corps. C’est la conscience qui perçoit le monde « extérieur ». En fait, tout se passe, en priorité, à l’intérieur, dans le corps subtil (au niveau des champs psychiques d’autres dimensions). Ce n’est jamais le corps qui découvre qu’il existe, c’est la conscience. Vous êtes seulement Lumière (conscience infinie, sans nom, sans forme).
» Comprenez bien cette conscience, avec une clarté absolue, elle embrasse et pénètre tout. Lorsque vous vivez dans cette conscience (pure), vous pouvez alors vous éveiller à l’état le plus haut (p. 196) ».

C’est à ce niveau que se situe le « Témoin ultime », les Indiens l’appellent Parabrahman, l’Inconnaissable. Krishnamurti le désigne par l’Inconnu, l’autreté (the « otherness »).

Ainsi que le suggèrent constamment Sri Bhagavan Maharshi et Sri Nisargadatta, il est absolument nécessaire de voir les choses de l’intérieur, libéré des noms, des formes tant extérieurs qu’intérieurs.

La véritable vision intérieure dépasse les limitations innombrables de la pensée conceptuelle et de ses références au passé. Elle est une complète libération du « connu ».

Ainsi que le déclare Krishnamurti (« Krishnamurti Notebook », p. Gollancz London 1976, p. 55) : « La vue sans pensée est la vue totale. Voir un nuage ou une montagne sans la pensée et ses réponses est le miracle du neuf; c’est explosif dans son immensité. C’est quelque chose qui n’a jamais été et qui ne sera plus jamais ».

A ce niveau, la pensée n’est qu’un instrument.

Krishnamurti déclare à ce propos (« Lettre aux Ecoles », p. 54, éd. Comité Krishnamurti, Bruxelles, 1983) :

« La vision pénétrante n’est pas quelque chose d’intellectuel à breveter et prouver. Il ne peut y avoir vision pénétrante sans qu’il ait amour. Cet amour est la plus haute forme de sensibilité. La vision pénétrante est holistique. Elle n’est pas un mouvement continu. Elle est l’intelligence suprême et cette intelligence se sert de la pensée comme un instrument ».

Il convient de rappeler ici que dans le livre « La flamme de l’attention », Krishnamurti déclare que « la Vision pénétrante ne passe pas par le cerveau ». Il va de soi que l’on ne pourra jamais assez insister sur ce point qui montre l’impérieuse nécessité d’une sorte de « décérébralisation » de la conscience. L’ouverture à l’énergie d’amour contribue à la réalisation de cette « décérébralisation » qui ne peut résulter d’un acte de discipline ou d’effort du « moi ».

La conscience suprême occupe un niveau « témoin » et ce « témoin » n’est nullement affecté par les perturbations pendulaires de nos enthousiasmes, de nos joies, de nos plaisirs, de nos souffrances.
Ainsi que le déclare Sri Nisargadatta (« Sois », p. 183) :

« Quelles que soient vos émotions, vous n’êtes pas cela, vous êtes antérieurs à tout cela, vous êtes pur observateur. Stabilisez-vous à ce niveau ».

« CE » qui perçoit en nous est, en fait, la Conscience suprême. Nous ne soupçonnons pas que nous ne sommes que de la conscience provisoirement conditionnée et prisonnière d’un réseau de mémoires résiduelles cristallisées dans un vaste ensemble d’organes constitués de milliards de molécules géantes. Celles-ci sont formées de particules, électrons, neutrons, protons qui ne sont que conscience suprême sous-jacente de première conscience d’ELLE-même.

Au réseau énorme de paquets de mémoires résiduelles et de sous-consciences que nous sommes, résultant de processus antérieurs à ce que nous croyons être, des noms, des titres, des fonctions nous ont été automatiquement attribués ainsi qu’un domicile.

Nous accordons à ces différentes étiquettes socialement nécessaires une telle importance que nous perdons complètement de vue notre identité naturelle fondamentale : la conscience suprême.

Nous sommes en Elle. Elle est en nous. Elle EST nous ! Aussi invraisemblable que cela puisse paraître, Elle est en nous, autour de nous, à travers nous, au cours de chaque respiration, de chacun de nos pas!

Au cours de chaque respiration effectuée apparemment par le corps seul — (qui n’est finalement que conscience suprême dans son intériorité la plus profonde) — les molécules d’oxygène, d’azote de l’air respiré, ne sont aussi que conscience, au niveau profond.

Un fait simple et surprenant est à souligner : l’espace dans lequel se poursuit notre existence et nos activités quotidiennes ainsi que l’énorme étendue d’espaces interplanétaires, interstellaires, les millions d’années-lumière des espaces intergalactiques, ne sont ni vides, ni néant.

Au contraire. Ils contiennent des énergies considérables et sont substantiels. L’univers en expansion ne se répand pas dans l’espace ! Celui-ci n’est pas pré-existant. L’Univers crée l’espace sous l’effet d’une pression ou d’un champ considérable. De ce fait, les physiciens et astrophysiciens révèlent que chaque centimètre cube de l’espace que nous considérions « vide » contient une puissance énorme : celle d’un champ dont l’énergie est supérieure à celle de tous les corps matériels. Nous nous déplaçons, vivons et respirons dans un univers qui est le corps d’un seul Vivant, corps « monobloc » au sein duquel circulent des multiples énergies ou « champs » répartis en plusieurs dimensions. Quelles qu’en soient les formes, ces champs et énergies empruntent leur existence à la conscience suprême formant la toile de fond sur laquelle se profilent leurs innombrables interactions et interfusions cosmiques.

Lorsque nous respirons, nous ignorons qu’en fait, l’air et l’espace ne sont que des modes de la conscience suprême dans laquelle nous sommes immergés.

La prise de conscience, non-mentale des processus qui viennent d’être évoqués nous conduit à la révélation intérieure d’horizons immenses d’une insondable infinitude. Telle est la plénitude de conscience antérieure à l’existence de l’univers.

Ceci nous montre à quel point il ne faudrait que peu de choses pour nous affranchir du carcan d’apparent isolement et d’exil de l’ego.

A chaque instant, quoi que nous fassions, nous frôlons à notre insu les profondeurs sans limite de la conscience suprême dans l’infinitude de ses qualités d’amour et d’intelligence béatifique.

Ainsi que l’exprime Krishnamurti (« The Flamme of attention », p.31):

« Il y a une origine, un fondement originel d’où toutes choses émergent. La méditation consiste à arriver à ce fondement qui est l’origine de toutes choses et qui est libre du temps. C’est le chemin de la méditation. Et béni est celui qui le trouve ».