(Extrait de l’énigme que nous sommes, édition R. Laffont 1979)
Les gouttelettes d’une pluie fine et persistante zébraient les vitres de mon cabinet de travail. Le bruit de la circulation dans l’avenue, neuf étages plus bas, parvenait assourdi à mes oreilles.
Françoise, pimpante comme toujours, venait de déclarer d’une voix enjouée :
— J’ai quitté Germain à tout jamais ! La vie bourgeoise à laquelle il m’astreignait ne cadre pas avec mon caractère. Je regretterai, certes, notre petite maison au bord de la Seine, mais ma liberté vaut bien ce sacrifice.
La jeune femme, souriante, s’attendait à m’entendre la sermonner. Elle pensait que j’allais tenter de la dissuader de rompre une union avec un homme d’une grande probité, ayant en outre pour elle un profond amour.
Elle se trompait. Pour toute réponse je haussai les épaules. J’avais prévu la rupture du couple depuis longtemps et les raisons évoquées par la jeune femme, pour se justifier, confirmaient, par leur banalité, une décision que je savais irrévocable, étant donné certaines confidences que Françoise m’avait faites auparavant.
— Je pars pour Toulouse, annonça-t-elle. J’y ai acheté un studio, je pourrai peindre à ma guise et une amie, qui dirige une boutique de haute couture en cette ville, me propose de dessiner des modèles qu’elle fera exécuter. Bref, je vivrai ma vie !
Les semaines, voire les mois, passèrent. Un jour le téléphone sonna :
— Ici Françoise, je vous appelle de Toulouse. Un groupe de jeunes gens que je fréquente cherchent leur voie dans la vie sans très bien la trouver. Pouvez-vous venir, ne serait-ce qu’un jour, pour nous donner des éléments valables, nécessaires à notre quête. Déjà nous commentons certains passages de vos livres, mais nous avons besoin d’éclaircissements. Soyez chic, dites oui !
J’hésitai, mais capitulai lorsqu’elle ajouta :
— J’ai tout prévu pour vous convaincre. Lors de votre passage vous parlerez à un public qui sera ravi de votre venue. Nous avons loué une salle, nous nous occuperons de la publicité, et en acceptant ma proposition vous enfoncerez certaines portes entrouvertes. N’est-ce pas là ce que vous désirez ?
J’acceptai donc et elle vint m’accueillir à l’aéroport quelques semaines plus tard. Je la sentais tendue, cachant une certaine anxiété derrière une façade de fausse gaieté, bien en rapport avec son caractère, à la fois fantasque et primesautier. Elle savait bien en jouer pour plaire aux hommes, leur donnant l’illusion d’avoir besoin de protection.
Tout en conduisant à tombeau ouvert vers le centre de la ville, Françoise esquissa, en termes volontairement ironiques, la situation dans laquelle elle se débattait. D’emblée elle avoua d’un ton moqueur :
— Je suis dans un drôle de pétrin ! Mathieu et moi avons passé quelques jours en taule. C’est Albert qui nous a dénoncés.
— Qui est Mathieu et qui est Albert ? M’enquis-je, abasourdi.
— Vous les verrez dans un instant chez moi. L’un après l’autre. Ils vous expliqueront.
Notre échange prit fin, car ayant emprunté à cent à l’heure un sens interdit, toute conversation risquait d’être interrompue brutalement par une collision mal venue pour éclairer le sujet.
Dans une ruelle de la vieille ville, devant un immeuble récemment rénové, Françoise, à mon grand soulagement, stoppa.
A peine franchi le seuil de son coquet appartement, je me rendis compte que je pénétrais dans le cœur d’un embrouillamini étrange. Le pétrin dans lequel se débattait Françoise, je le constatai dès ma rencontre avec Mathieu, était de taille.
Installés tous deux autour d’une table, Mathieu se lança dans une explication proche d’une profession de foi.
— Ce qui m’intéresse, déclara-t-il, c’est l’absolu en amour, en politique et dans l’existence. L’atteindre est le but que je me suis assigné.
Au bout d’un instant, m’ayant détaillé des pieds à la tête, il enchaîna :
— Le monde a besoin d’une purge, d’une ascèse, si vous préférez. Il faut retrouver nos sources, purifier l’atmosphère pestilentielle d’une civilisation décadente, balayer l’hypocrisie, la fausse humilité qu’engendre une morale périmée.
Il s’emportait et je le laissais pérorer sans l’interrompre. Il parla longuement et, peu à peu, par son récit, les personnages du groupe dont avait parlé Françoise au téléphone prirent forme. Je compris que Mathieu avait assemblé autour de lui un noyau de jeunes gens et de jeunes filles décidés à réformer la société.
Pour ce faire, ils n’avaient rien trouvé de plus original que de s’amuser, le mot est de Mathieu, à leur façon. Armés et accompagnés d’un chien dressé à mordre au commandement, ils chassaient dans les quartiers mal famés de la ville. Était considéré comme gibier toute personne de couleur, mais aussi certains individus aux allures avachies offensant, à l’écouter, la dignité humaine.
Pour éprouver la fidélité de ses troupes, Mathieu avait demandé à Albert de tuer sa propre mère, histoire de voir, précisa-t-il, la réaction d’un « mou » Albert, sachant que la mère de Mathieu entretenait une liaison avec un Noir, persuadé du sérieux de l’invitation au meurtre, alla tout raconter à la police.
Il voulait ainsi échapper à l’ascendant que Mathieu exerçait sur lui, désirant, affirma-t-il par la suite, couper l’herbe sous le pied de Mathieu, autrement dit, l’empêcher de commettre un crime par personne interposée.
L’arrestation de Françoise et de Mathieu s’ensuivit, mais aucun début d’action n’ayant été constaté, ils ne furent retenus que pour port illégal d’armes et relâchés peu après.
Penaud, ayant vainement essayé de se faire engager dans la Légion étrangère pour fuir l’ire du groupe, Albert revint à Toulouse implorer son pardon. Afin de l’obtenir, il accepta, en guise de pénitence, de se laisser enchaîner chaque soir pour être flagellé par Mathieu en présence de Françoise, qui n’ignorait pas que ce pitoyable spectacle émoustillait les forces viriles de son amant, déficientes par l’abus du haschisch.
Joli tableau que cette jeunesse s’imaginant réformer la société et œuvrer dans le sens de l’histoire. C’est ce qu’ils affirmaient sans sourire, persuadés, par surcroît, d’être « missionnés » pour ce faire.
Ce ne fut qu’à trois heures du matin, compte tenu de l’interruption nécessaire pour parler â un public clairsemé, que j’eus connaissance de tous les éléments du drame en puissance et ce n’est que le lendemain, à l’aéroport, qu’eut lieu la grande explication au cours de laquelle Françoise s’efforça de justifier sa participation, sinon active, tout au moins passive, aux agissements de ses curieux amis.
Les arguments qu’elle invoqua prouvèrent combien, à son insu, elle s’était laissé influencer.
— La société est pourrie, déclara-t-elle. Mathieu lutte pour un monde propre. Il a dix ans de moins que moi. Je suis la seule femme avec laquelle il puisse faire l’amour. Grâce à quoi je l’empêche de donner suite aux projets démentiels qu’il caresse. Je suis donc un élément pondérateur. Si Albert n’est pas mort c’est à moi qu’il le doit. Je ne désespère pas de faire comprendre à Mathieu la nécessité d’un comportement différent.
« Il commence à s’intéresser aux livres tels que la Bhagavad-Gîtâ et d’autres ouvrages similaires que je lui prête. C’est en pensant à sa transformation que j’ai fait appel à vous. L’absolu qu’il cherche le conduira à Dieu. Mon rôle est salutaire, mieux, salvateur. Oui, je fume du « hasch », mais de moins en moins. Oui, je suis toujours végétarienne et le groupe commence à découvrir l’importance de ne pas tuer d’animaux. Oui, j’ai compris votre enseignement et vous ne sauriez m’adresser des reproches.
Exaltée, elle parlait de plus en plus vite et les larmes coulaient le long de ses joues.
J’essayais de la calmer, tout en lui démontrant combien spécieux était son raisonnement.
— J’admets, lui dis-je, que la guerre n’a pas résolu les problèmes dont l’acuité a débouché, en Allemagne, sur le national-socialisme. J’admets que nous avons, l’Allemagne en tête, après la guerre, reconstruit un monde qui ne diffère pas beaucoup de celui d’avant la tourmente. Elle aurait dû nous inciter à imaginer autre chose de mieux adapté aux aspirations profondes des hommes, c’est vrai.
« Cela dit, vous acceptez qu’on flagelle en votre présence un homme pour le plaisir pervers d’un autre. Vous vous targuez d’être l’égérie d’un groupe de jeunes gens auxquels vous donnez un détestable exemple, en participant à une entreprise de dégradation humaine. Vous prêchez la protection des animaux, tout en assistant à la déchéance morale d’un individu trop faible pour échapper à l’emprise de Mathieu. Vous affichez la meilleure conscience du monde en vous persuadant de jouer un rôle noble et pur. Pauvre gourde que vous êtes !
Elle pleurait de plus belle. Je la quittai pour me rendre dans la salle d’embarquement. Elle me rattrapa avant le contrôle des bagages, se jeta dans mes bras et murmura, toujours en larmes :
— Vous avez peut-être raison, mais Mathieu veut changer la société et en cela, c’est lui qui a raison.
L’avion quitta le sol. En contemplant le paysage qui défilait sous ses ailes, je me rendais compte que le problème fondamental que Françoise avait soulevé, en accusant la société de tous les maux, se situait en fait sur un plan différent de celui envisagé, et par Mathieu et par ses amis.
De nos jours l’univers humain s’est sensiblement élargi, mais a supprimé dans une large mesure, sous prétexte d’efficacité, l’intangible et l’incorruptible, en un mot, le Sacré.
C’est ce vide, découlant de cette suppression, qui conduit au besoin de « Purification » que ressent la jeune génération. Elle imagine, alors, un cadre en lequel elle s’autodivinise pour pallier l’absence de ce qui est éternel, donc inscrit dans le tréfonds de l’âme.
Le monde moderne a réduit les rites de l’intangible du sacré à un niveau qui les ramène à de simples gestes ayant perdu toute signification.
L’homme, dès lors, tourne le dos à la « Transcendance » enracinée dans son subconscient. Privé du rituel qui la rend apparente, assujetti à une résonance ancestrale, il invente un rituel au niveau d’un héros divinisé, ou d’une idole faite à l’image d’une exaltation collective.
Tout rituel est une communion et la quête du sacré correspond à un besoin fondamental. Les messes noires, brunes ou rouges, suivant les époques et les endroits, sont là pour le prouver.
Toute communion postule une ascèse et ce postulat, mal interprété, se transforme en violence qui se veut rédemptrice. On détruit pour purifier, ou, comme à Toulouse, on fait renaître des idoles en croyant à une mission, ou en faisant semblant d’y croire.
Privé, dans la vie moderne, de rites manifestant par la communion qu’ils suscitent une fraternité collective, on se fait justicier. On s’insère, casqué et uniformisé, dans la ronde infernale d’engins motorisés, autre forme d’un rituel des temps présents, et l’on accepte d’avance de devenir la victime propitiatoire d’une espèce de rituel, fondé sur le vrombissement des moteurs et le sentiment de puissance que donne la machine qu’on chevauche, en s’imaginant dépasser ses limites.
Il ne s’agit pas d’approuver ou de condamner. Il s’agit de prendre conscience des déviations que subissent des aspirations essentielles, escamotées par le mirage d’un développement continu de la société industrielle. Il entraîne la détérioration des relations humaines et, dès lors, par réaction nommée psycho-affective par les sociologues, naissent les excès dont nous sommes témoins.
C’est cette même réaction qui a pour conséquence, quoique sur un autre plan, la prolifération de sectes, de chapelles et de groupes qui s’efforcent d’attirer ceux qu’un isolement, voire une crainte métaphysique, consciente ou inconsciente, détourne des religions organisées. Ils sont nombreux, car les difficultés du quotidien accentuent un malaise dont l’origine est souvent très différente de celle invoquée.
Partout de par le monde on cherche des remèdes. On dénonce les méfaits d’une industrialisation détruisant l’équilibre écologique, on évoque les méfaits de la prolifération d’installations nucléaires, même à vocation pacifique ; on décèle la mort lente de la flore et de la faune des océans du globe et on redoute la stérilité croissante des terres se transformant en déserts.
La crainte augmente sans pour autant suggérer des solutions, car le vrai problème est ailleurs. On parle de l’homme et de ses besoins et on s’obstine à prôner le changement, sans comprendre que pour changer le comportement des hommes, il faut commencer par changer soi-même.
Dénoncer les tares qui rongent une civilisation est insuffisant. Aussi longtemps que l’homme, qui est un élément de la civilisation, ne changera pas, aussi longtemps qu’il restera avide de succès et de puissance, aussi longtemps qu’il n’abordera pas la voie de la transformation essentielle par laquelle se modifieront du tout au tout ses mécanismes de pensées et l’action qu’ils déterminent, il fuira en avant, quelle que soit la forme que prendra cette fuite. Qu’il s’agisse d’une retraite au sein d’une communauté, qu’il s’agisse d’une adhésion à un groupe dont le but spirituel correspond à des aspirations authentiques, qu’il s’agisse de terrorisme devant changer le monde, de drogues conduisant à l’oubli, aussi longtemps que n’aura pas eu lieu une transformation fondamentale, une naissance nouvelle, aucun des buts recherchés ne sera atteint.
Se donner bonne conscience est relativement facile. Abandonner ses habitudes de penser ne l’est pas, car il faut savoir oublier pour agir sans rechercher des résultats, à seule fin d’œuvrer en fonction d’une compréhension qui s’accorde avec une Réalité transcendantale que cachent les apparences.
Pour parvenir à une nouvelle naissance il faut commencer par se poser la question : « Qu’est-ce qui incite donc les hommes à rechercher des résultats, à atteindre des buts, à priser la compétition, à vouloir s’affirmer, en un mot, à se condamner à une lutte interminable ? »
La réponse est d’autant moins aisée que des facteurs apparemment divers interviennent. L’ambition, le désir du pouvoir, le besoin de considération, la crainte de ne pas avoir les moyens de satisfaire ses désirs sont autant d’éléments qui rentrent en ligne de compte. De même, l’aspiration à dépasser ses limites, à réaliser un rêve ou à être porté au sommet d’un destin fabuleux. La recherche permanente de résultats, lesquels, aussitôt atteints, ne forment qu’une plate-forme nouvelle pour en rechercher d’autres, conduit à l’affrontement.
Peut-on se libérer de cet enchaînement fatal, et cesser de convoiter des résultats ? Peut-on, par une prise de conscience fondamentale, parvenir à une perception par laquelle s’estompent les fausses notions, au profit d’une compréhension qui, d’instant en instant, se poursuit sans se référer au savoir de ceci ou de cela.
Il ne s’agit nullement de minimiser le rôle du savoir. L’adhésion de la raison à ce qui est spontanément compris est indispensable. Or, la raison se fonde sur les acquis du savoir, lequel, néanmoins, n’est que le savoir du moment. La notion de possessivité en découle. On possède telles langues ou tels moyens. Le savoir, en outre, sépare, puisqu’il s’agit d’observer le mieux possible un phénomène volontairement isolé des autres.
La connaissance, en revanche, se veut unificatrice. Elle s’intègre dans le mouvement incessant de la Vie et dévoile les relations qui, de chaque chose, mènent à toutes les autres. La pensée qu’inspire la Connaissance est l’émanation de l’Esprit qui habite l’homme. Elle délivre d’une série de fausses notions ; il cesse d’être faussement humble et faussement vertueux. On ne fait plus appel à de fausses justifications qui entachent l’action dont les raisons ne sont pas celles qu’on avance.
Il ne s’agit pas de vouloir être plus que ce qu’on est, bien au contraire ; mais il convient d’admettre être ce qu’on est, afin de ne pas se soustraire à une responsabilité qu’on récuse. Elle découle d’une ouverture de la conscience qui rend possible la perception d’une vérité du moment, non déformée par tous les conditionnements limitatifs.
La fausse humilité, la fausse vertu et la dénonciation véhémente de l’hypocrisie attribuée à une certaine morale par la jeune génération ont fait naître l’idée que pour elle Dieu est mort. Il n’en est rien.
Quoi qu’en disent les statistiques, puisque l’intangible et le sacré correspondent à un besoin enraciné dans le psychisme humain, ce besoin réapparaît de nos jours avec force, quoique sous des formes parfois insolites. Qu’il s’agisse de drogues psychédéliques ou de performances d’une contre-culture aberrante, qu’il s’agisse de la vogue dont jouissent certaines formes de méditation, plus particulièrement à base de rythmes sonores cadencés, qu’il s’agisse d’une adulation quasi mystique des héros du sport, il ne fait pas de doute que le besoin de merveilleux, le besoin du sacré explique, sinon tous, tout au moins certains de ces phénomènes.
On ne peut pas nier que les fidèles des religions traditionnelles se fassent plus rares, surtout en Occident. Pas non plus que couvents et monastères se vident et que les séminaires théologiques manquent de candidats. En même temps, cependant, se forment des communautés para-religieuses autour de gourous, de lamas ou d’instructeurs, et se remplissent des centres zen, tibétains ou indiens.
Des courants spirituels se propagent et d’anciennes révélations trouvent de nouvelles interprétations, tandis que sont déterrées les connaissances jusque-là maintenues sous le boisseau.
Le yoga connaît une vogue sans précédent. On lit les Upanishads et la Bhagavad-Gîta, livres sacrés de l’Inde. On cherche l’inspiration dans les ashrams de l’Orient. On se détourne de la liturgie classique pour militer sous l’étiquette révolutionnaire ou réformatrice, sans toujours comprendre que le besoin de découvertes mystérieuses est la motivation souvent inconsciente de ces attitudes, qui dégénèrent malheureusement fréquemment en violence, fanatisme ou nihilisme.
On peut affirmer que de nos jours la tendance à se donner « totalement » à Jésus, à Bouddha ou à Krishna, découle d’impulsions qui peuvent prendre des formes que réprouve la raison.
Pourtant elles sont, pour certains, la manifestation d’une action libératrice. C’est le besoin du Sacré qui pousse d’aucuns, et ils sont nombreux, à faire des retraites souvent de longue durée, et à partir au loin, à la recherche de réponses fondamentales, car la soif d’absolu est grande. On tente de l’étancher en assistant à des réunions au cours desquelles se pratique le dynamisme de groupe, combiné si possible avec des techniques liturgiques de tous genres. Cela n’est pas étonnant, car les symboles du Sacré font partie du subconscient de l’homme, et toutes les liturgies libèrent leur dynamisme.
Il n’y a aucun doute que l’accord fondamental entre l’action physique, la recherche psychologique et l’aspiration spirituelle, conduit à l’état de paix profonde, à condition qu’il résulte d’un accord réel du rythme personnel avec le rythme et l’Harmonie de la Vie. Or, l’Harmonie de la Vie se reflète dans les Symboles du Sacré, tant des tribus primitives que des peuples évolués, qu’ils soient égyptiens, grecs ou autres. C’est le rituel fondé sur les symboles qui confère à toutes les religions leur sève.
Si de nos jours des fidèles réclament un retour à la magie de la messe et déplorent l’absence de chants grégoriens et l’usage de la langue du pays en lieu et place du latin, pourtant incompris, c’est par nostalgie d’une résonance évocatrice d’harmonie fondamentale.
Des expériences ont été entreprises pour explorer les images contenues dans le subconscient des hommes, en administrant du L.S.D. à des cobayes humains volontaires. Ce qui frappe, en étudiant les rapports auxquels ces expériences donnèrent lieu, est la concordance de description de rites, de danses initiatiques et de séquences de mort et de résurrection totalement ignorées à l’état de veille.
Moins fréquents, et limités aux cas de personnes ne s’intéressant qu’aux choses spirituelles, sont les récits d’union avec la Réalité Suprême (HOUSTON & MASTERS, The Varieties of Psychedelic Experience).
Tout cela est significatif du profond enracinement du Sacré dans le subconscient ; les phrases : « mon corps devint un corps béatifié à l’unisson des rythmes de l’Univers », ou « l’Éternité avait englouti les portes du temps », manifestent ce fait.
D’autres exemples ne manquent pas, mais il ne s’agit pas de les multiplier. Il s’agit de cerner, autant que faire se peut, le phénomène d’un retour aux sources en plein milieu d’une époque qui se veut fonctionnelle, matérialiste et dévouée au pouvoir, au point de multiplier les recherches médicales, non pour aider l’humanité mais, au contraire, en vue d’actions belliqueuses.
Découvrir les moyens pour contrôler la psyché humaine est une priorité assignée par les services spéciaux de certaines grandes nations aux instituts de recherche. Le but avoué est de réussir à induire, dans le cerveau, par exemple, l’amnésie pour éviter des aveux compromettants en cas de capture d’un agent par l’ennemi.
Dissoudre le barrage que dresse la volonté pour extirper au cerveau ses secrets, pouvoir programmer, malgré l’opposition de l’intéressé, des actions contraires aux instincts les plus élémentaires de conservation, sont d’autres facteurs motivant ces recherches.
Ce n’est que l’illustration de la folie qui engage les hommes à user de la science en vue d’atteindre des résultats, lesquels, l’histoire le prouve, sont toujours éphémères.
La recherche du Sacré, à l’opposé de la recherche de puissance, s’explique par la double nature physique et spirituelle de l’homme. L’homme de la Terre et le Seigneur du Ciel, en leur union, révèlent le grand Mystère, et la mission de chacun est d’être fidèle à ce qu’on est dans ce qu’on fait.
Comment y parvenir est la question que se posent bien des personnes incapables de reconnaître, voire d’assumer, leur véritable destin. Aussi se lamentent-elles de ne pas savoir quoi faire sur Terre. De ne pas sentir de vocation particulière, bref, de ne pas pouvoir s’orienter.
Elles posent des questions, reçoivent des réponses, souvent contradictoires, ce qui ne fait qu’augmenter leur anxiété et leur découragement. L’anxiété et le découragement ne cesseront que le jour de « l’Éveil » et c’est pourquoi il faut prendre conscience de la nature de cet éveil.
Il s’agit d’une mutation fondamentale conduisant à l’équilibre, d’une part, des forces instinctives de la créature et, d’autre part, des forces qui jaillissent du tréfonds. Alors, l’existence entière change. Les liens amicaux, les relations, même familiales, se modifient. Les critères jusque-là acceptés perdent leur valeur. Savoir et Connaissance ne sont plus confondus. On se libère du poids des fausses obligations au profit d’une responsabilité librement acceptée.
On reconnaît, sans y succomber, l’attrait du pouvoir et la valeur factice de ses idéaux en tant que projections mentales. Bref, on se détache des fausses notions.
A défaut, incapable de lâcher prise, on a recours à d’autres méthodes. On tourne le dos au monde hostile, à moins qu’au contraire on ne lui tienne tête, par orgueil. On simule l’indifférence, on se réfugie dans un ashram ou dans toute autre retraite. On s’efforce de croire qu’on a trouvé la paix et la sérénité, et l’on se ronge intérieurement sans vouloir se l’avouer. Un jour éclate le drame psychologique ou affectif. La souffrance est au rendez-vous et au lieu de se soumettre à plus haute instance, on se révolte, pire, on tue pour se convaincre d’être en son bon droit.
On ignore que seule une conversion intérieure dégage la voie du bonheur, qu’il n’est possible d’emprunter que par la découverte et l’acceptation de sa mission humaine.
Je ne demande pas mieux, affirmeront d’aucuns, mais je ne sais pas comment m’y prendre. Je lis, j’écoute des conférences, je participe à des réunions au cours desquelles maints problèmes spirituels sont évoqués et cela en fonction de traditions différentes. Je suis d’accord sur tout ce qui se dit, sans pour autant me sentir plus avancé. Je cherche un maître spirituel qui saurait guider mon comportement, mais je ne sais pas où le trouver et, dès lors, j’erre dans un tunnel.
La première difficulté est de faire admettre que la quête spirituelle en vue d’un résultat est vouée à l’échec.
La seconde est de faire admettre qu’il s’agit de poursuivre une maîtrise de soi qui réponde à une ascèse, sans pour autant vouloir aller vite, en s’imaginant trouver un raccourci au gré de bons conseils glanés de-ci, de-là.
La maîtrise de soi doit être celle de la pensée et elle ne peut être atteinte que par la perception des mobiles qui la déterminent. Or, ils sont parfois subtils et pour les découvrir il faut éliminer ce qui paraît satisfaisant au mental et à l’émotion. Cette élimination doit aboutir à la dissolution des facteurs d’Illusion, contraires à une prise de conscience véritable.
Dans cette élimination il faut inclure toute narration intérieure, toute justification, toute considération concernant l’effet sur des tiers d’une action découlant de la pensée, bref, toute complaisance que suscite une analyse fondée sur des raisons imaginaires.
Il faut être conscient de son implication dans un corps, afin de comprendre le mécanisme de la pensée que comporte cette implication. Il faut être présent et silencieux afin que se réalise la mutation assimilable à une nouvelle naissance. Par elle, il est possible d’atteindre la compréhension. On ne comprend pas en usant d’une fausse érudition, ni en discutant ni en suscitant des objections, à seule fin de faire briller le mental, pour goûter la satisfaction que l’on éprouve lorsqu’on se complaît à réfuter brillamment une thèse, quitte à la défendre tout aussi brillamment par la suite.
La compréhension est pénétration. Si nous nous comprenons nous-mêmes, nous comprenons le voisin et, pas à pas, le monde ambiant. Cela ne veut pas dire que nous serons plus intelligents, mais nous serons intelligents avec ce que nous possédons d’Intelligence. Nous découvrirons notre mesure, parce que nous dépasserons les habitudes et les enregistrements de la mémoire, pour atteindre ce qui est vivant en nous.
Tel est le sens de l’Initiation aboutissant à la nouvelle naissance, celle d’un être vivant, conscient de son destin, de sa raison et de sa mesure. Mais attention, on ne s’ouvre pas à la conscience en voulant être conscient.
L’apparente contradiction de ce postulat saute aux yeux. Comment être quelque chose sans vouloir l’être ? Le problème de l’éveil se situe au-delà de la raison raisonnante, car il s’agit tout simplement d’aimer la Vie, d’être sensible à son mouvement, d’être attentif à sa Loi et d’éliminer tout le reste pour ne pas être distrait de cette aspiration.
Aimer la Vie, c’est accepter les contraintes journalières, afin que même le travail devienne joie et expérience toujours renouvelées. Aimer la Vie c’est débarrasser la pensée de toutes les entraves afin qu’elle s’élève vers les conceptions géniales qu’inspire l’Amour inscrit dans le Plan Cosmique. Il ne découle pas d’impressions ressenties au niveau physique, mais est l’expression d’une Loi Universelle qui se situe au-delà du monde sensoriel.
Quand on est ainsi, sensible à la Vie, on se donne à elle, à l’instar d’un mélomane qui se donne, ne serait-ce qu’un court instant, à la musique, oubliant tout ce qui l’entoure. Il goûte un bonheur spécial qui ne s’explique pas et qui ne demande pas à être expliqué.
Quand on est ainsi sensible à la Vie, on la découvre dans l’événement du jour et c’est de la sorte que l’existence projette dans la chambre secrète de l’âme une image de beauté.
Quand on est ainsi sensible à la Vie, sans faire appel à l’explication logique, qu’on pourrait comparer à un masque cachant le vrai visage de celui qui le porte, on fait tout le chemin qui, de l’intellect, aboutit à la spiritualité ; on fait tout le chemin qui conduit à la juste perception des problèmes de notre temps.