Joëlle Sicart : La femme, initiatrice de l'homme

Et si les héros des quêtes mythologiques et légendaires appartiennent toujours au sexe mâle, c’est aux femmes, en revanche, qu’est dévolue la mission d’impulser et de guider ces quêtes. De la merveilleuse pucelle jusqu’à la sorcière, car la femme est multiple et peut prendre tous les visages, ce sont elles qui animent l’homme, le mobilisent, lui insufflent l’énergie sacrée qui le pousse à agir. Et c’est encore elle, la femme, qui est la plupart du temps au terme de la quête. C’est en s’unissant à elle que l’homme acquiert le pouvoir qu’elle détient (car dans la tradition celtique, c’est la femme qui incarne le pouvoir et qui le délègue, pour qu’il l’exerce, à l’homme qui assure auprès d’elle sa fonction virile). Et c’est dans cette union aussi qu’il peut vivre, durant quelques instants, l’expérience du retour à la divinité initiale, avant-goût d’éternité puisque retour à l’état d’incréé qui ne s’inscrit pas encore dans le temps, but ultime de toute recherche spirituelle.

Jacqueline Kelen : La femme oubliée…

Quand on lit les mythes que nous ont légués les grandes civilisations, on s’aperçoit combien notre mémoire est oublieuse, ou partiale, car les religions et les mythologies les plus anciennes nous offrent des figures de femmes non point ignorantes, passives, mais au contraire initiatrices, femmes d’amour et de connaissance qui guident l’homme et l’éveillent à un autre plan. Pourquoi a-t-on oublié cette Tradition de la femme initiatrice, cette souveraineté spirituelle qui est la part féminine dans nombre de mythes et de légendes ? Pourquoi un tel silence, un tel gouffre d’oubli ? On sait que « mythe » et « muet » ont même racine : de là à faire taire la femme…

Les sociétés secrètes modernes : 4 Les méthodes initiatiques et l'évolution des sciences

En réalité, le sacré ne repose ni sur l’intelligible, ni sur le sensible, ni sur la science, ni sur la métaphysique. Le monde du sacré est fondé éternellement sur l’incarnation du mystère, c’est-à-dire sur l’ordre de l’inconnu et de l’inconnaissable, sur l’ordre du non-humain et non pas sur la seule raison humaine. Et s’il n’y avait pas de transcendance à la base même des mystères, alors il n’y aurait pas non plus de mystères et toutes les sociétés secrètes traditionnelles ne seraient que des écoles de philosophie et des systèmes de morale qui passeraient comme tous les systèmes et comme toutes les écoles. Mais si elles sont fondées sur la transcen­dance, alors les mystères initiatiques sont réels et non seule­ment réels mais éternels comme leur principe universel. D’autre part, la voie traditionnelle vers le divin se propose de changer l’homme tout entier et non pas de développer des pouvoirs humains particuliers. Le processus de cette lente métamorphose, c’est l’initiation, et ses méthodes ne pré­sentent aucun rapport avec celles de l’enseignement et de la pratique des sciences…

René Alleau : Les sociétés secrètes modernes : 3 La géométrie symbolique

Qu’entendons-nous par l’expression : « géométrie symbo­lique » ? Nous avons naguère essayé de distinguer aussi pré­cisément que possible les « synthèmes » et les symboles à partir de la différence qui sépare des signes de liens mutuels, de nature sociale et profane, des signes d’une ou de plusieurs liaisons, de nature religieuse et sacrée, attestée soit par des initiations, soit par les rites. Les « synthèmes » suggèrent des rapports rationnels descrip­tibles ; les symboles évoquent, dans leur essence, des rela­tions spirituelles qui ne sont ni mesurables ni exprimables de façon totalement adéquate. De plus, nous avons indiqué qu’entre les synthèmes sociaux et les symboles sacrés se situaient les emblèmes, bases du langage de l’art. Ainsi peut-on concevoir qu’une géométrie puisse être synthématique, emblématique ou symbolique, selon sa structure propre et sa finalité.

Le théâtre et le sacré entretien avec Wolfram Mehring

Si l’on veut accéder à une vie sacrée il nous faudra d’abord assumer celle qui nous emprisonne actuellement et la rendre consciente. Sinon nous risquons toujours de parler du sacré tout en conti­nuant à appartenir, sans le savoir, au profane. Tel qu’il se présente actuellement, le théâtre me paraît immobile, arrêté. Le foisonnement de formes différentes, cette agitation culturelle où chaque chose nouvelle vieillit aussitôt pour laisser place à la nouveauté du jour ne font que le confirmer. Le théâtre est soumis aux modes au lieu de traduire des changements de fond. On change sans cesse les meubles de place mais continue à habiter dans la même chambre. Au lieu de faire éclater les murs qui nous emprisonnent nous nous enfermons chaque jour davantage dans la sécurité d’une pensée utilitariste et pro­fane. Cette production théâtrale est en étroite relation avec la société qui la finance ; elle la sert consciemment ou inconsciemment. Elle veut influer sur le public, le convaincre ou simplement l’in­former. C’est un théâtre de la vulgarisa­tion, qu’elle soit politique, culturelle, esthétique ou métaphysique.

Docteur Jacques Vigne : Violence et sacré

Certes chez l’homme, il y a des pulsions comme chez l’animal. Mais ce qui fait que l’homme est homme, disait Aristote « c’est qu’il est plus apte à l’imitation. » (Poétique) Cette faculté d’imitation, Girard en fait un axe de sa pensée. Il l’appelle mimésis. Le singe en possède le germe, lui qui a la faculté précisément de « singer ». Mais c’est chez le petit de l’homme que le mimésis prend tout son développement. Quel appren­tissage culturel serait possible sans cette faculté ? Le bébé n’apprend-il pas déjà sa propre langue maternelle par imitation essentiellement ?

Zéno Bianu : Bali : la mystique ondulatoire

L’apprenti est immé­diatement introduit en situation de danse, dans une globalité chorégraphique. En même temps que les posi­tions de base, il doit se pénétrer de la mélodie centrale des gender (métallophones), des figurations rythmiques des tambours, des différentes cadences des gongs. Lors­qu’il sera appelé à danser au temple, il devra interpréter la musique avec son corps tout en commandant l’inten­sité et le tempo de celle-ici, suivant un système de coor­dination extrêmement structuré. Chaque geste est alors hiéroglyphe : mouvements brefs de la tête et des yeux, arrêts brusques changements soudains de direction, séries de petits pas en staccato ponctuent la mélodie et constituent autant de signaux, d’appels aux musiciens, déterminant des changements de rythme, des pauses, des accélérations, au sein d’une parallélité frémissante où accent musical et geste fusionnent pour ne former qu’une seule impulsion. L’objectif du maître est donc de déclen­cher chez l’élève une réponse corporelle automatique aux modulations syncopées de l’orchestre…

Giulia Archer : Le théâtre religieux au Moyen Âge

‘Le dernier des soucis de l’acteur médiéval est le réa­lisme : son vrai souci est la vérité du sentiment en deux sens : le sentiment des acteurs d’accomplir un acte important pour la vie de la communauté, un acte religieux et non pas artistique ou de distraction – le sentiment suscité chez les spectateurs-fidèles qui devaient par­ticiper aux événements représentés ; raison pour laquelle par exemple celui qui représentait le Christ sur la Croix devait vraiment souffrir, pour que le sentiment de la souffrance devienne présent aux esprits.

Jean Markale : Des liturgies ambiguës

À des titres divers, le théâtre participe de ce Sacré. On a voulu écarter toute notion de sacré au nom d’un vague rationalisme. On a profané le théâtre en en faisant un divertissement. Cependant, il ne suffit pas de vouloir écarter le sacré pour l’anéantir. Plus il est refoulé, plus il a tendance à franchir des niveaux de conscience qui devraient demeurer obscurs. Plus on le combat ouverte­ment, plus il affirme sa plénitude, ne serait-ce que par les biais les plus subtils, les plus innocents en apparence. Huis Clos de Sartre est une tragédie religieuse. Les ten­tatives du Living Theater sont les balbutiements d’une nouvelle formulation dramatique où le sacré envahit l’univers psycho-social dans lequel on prétendait enfer­mer l’action humaine. Alors, allons-nous assister, à l’aube du troisième millénaire, à une résurgence de la drama­turgie sacrée ?

Jacqueline Kelen : Amour, acte de transfiguration

Tout se passe comme si, dans notre société occidentale, et dans une société patriarcale, les hommes parlaient du corps de la femme, de sa sensualité, de son plaisir, pour éviter de dire leur propre corps, leurs propres sensations. Le corps de la femme paraît renvoyer, plus qu’un miroir, une interrogation, voire une provocation à leur propre corps, à leur sensibilité. On sait comment, dans les religions monothéistes où la divinité revêt un aspect masculin et dans les sociétés gouvernées par des valeurs masculines, la femme, et d’abord dans son corps, a été étouffée, domestiquée, niée…