Jean-Louis Siémons
La réincarnation à l'ordre du jour

En constituant le présent dossier, notre intention n’a pas été d’amener le lecteur à croire à la réincarnation, ni à rejeter une précédente croyance pour une nouvelle, plus vraisemblable. Souvent, il est vrai que « croire » revient simplement à se retrancher dans un édifice rigide de pensées et d’images où l’on se sent bien chez soi, résolu à repousser toute idée contraire. Au XXe siècle, on veut savoir — ce qui ne va pas sans mal ni sans angoisse. Mais la raison est plus profonde. Sans même insister sur la difficulté d’informer sans déformer — à raconter le point de vue des autres on s’expose toujours à des simpli­fications excessives, des erreurs d’interprétation voire des trahisons involontaires — il faut dire ceci : la réincarnation est réellement un sujet plus complexe qu’on ne le croit. En ferait-on à bon marché un nouvel article du Credo ?

(Extrait de La Réincarnation, Des preuves aux certitudes Éditions Retz 1982)

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À la fin de ce XXe siècle, qui a vu la remise en question de tant de certitudes, la réincarnation est passée à l’ordre du jour. Il est bien loin le temps où, objet de curiosité et de discussion dans les cercles éclairés, elle nourrissait la pensée de quelques généreux utopistes français cherchant, dans ce qu’ils appelaient alors la palingénésie, individuelle ou sociale, les voies d’une future rédemption de l’humanité.

Un quart de siècle environ a suffi pour que l’idée de la réincarnation prenne son essor et se répande en Occident, d’une manière timide et insensible, tout d’abord, au sortir de la seconde guerre mondiale, puis à un rythme de plus en plus rapide, au point de devenir un sujet courant de débat et de réflexion : certains échanges organisés à la radio sou­lignent bien l’intérêt suscité par la réincarnation dans les couches les plus diverses de la société.

Même si généralement le public n’a pas une idée bien claire des choses, sous l’angle philosophique et métaphysique, la simple perspective de revenir ici-bas, de revivre dans ce monde afin de pouvoir une fois encore, dans un corps à nouveau jeune et bien vivant, respirer l’air chargé du parfum des fleurs terrestres, a quelque chose de réconfortant et même de fascinant dans notre existence où, de toutes parts, la mort semble guetter pour nous ôter la vie à l’heure fixée et nous faire bascu­ler dans l’inconnu.

Tandis que la réincarnation suscite chaque jour de nouveaux adeptes, qui s’efforcent de la faire connaître et d’en fournir des preuves indis­cutables, par les voies les plus variées, la mort elle-même est en train de changer de visage : objet d’horreur pour nos ancêtres, sujet encom­brant, elle est pressée maintenant de toutes parts par des chercheurs d’écoles diverses qui s’efforcent de sonder ses mystères. Tandis que les cliniciens luttent souvent avec succès pour ranimer ou maintenir en vie des victimes potentielles, d’autres praticiens, se mettant à l’écoute des mourants, ou des réanimés, mènent leurs patientes enquêtes pour surprendre les secrets du Grand Passage. La survivance personnelle de l’« âme » humaine est apparue progressivement à notre monde matérialiste comme une possibilité sérieuse, voire même, pour cer­tains, comme un véritable dogme.

À l’heure de la science expérimentale, ces idées nouvelles, attestées par un vécu qui semble parfois criant de vérité, deviennent crédibles; elles ont un impact profond sur le public, impressionné par les preuves de plus en plus nombreuses qui paraissent s’offrir aux pionniers modernes. Ces derniers ne sont d’ailleurs plus de nos jours des philo­sophes ni des religieux mais des médecins, des psychologues, des para­psychologues, ou des adeptes de telle ou telle école de yoga : on se souvient de l’effet de bombe produit par la parution du livre du Dr Moody, La Vie après la Vie, présenté au public français en 1977 (Éd. Laffont). Toute innovation introduite dans les habitudes de pensée d’une société s’accompagne invariablement d’une réaction de défense de la couche conservatrice de la collectivité; aussi, malgré certains aspects fort séduisants, réincarnation et survivance de l’âme n’entrent-elles pas en triomphatrices dans le mental occidental ; elles y suscitent même de vives réactions, qui sont d’ailleurs révélatrices de la psychologie humaine à de nombreux niveaux.

Souvent, en effet, ceux-là mêmes qui devraient se réjouir de l’arrivée d’idées neuves dans le champ de la pensée, pour en tirer le meilleur parti en ajustant leur position en face de ces idées, ou pour prouver la vitalité de leur propre vision, se contentent d’opposer une fin de non-recevoir, un refus en bloc, sur la base d’arguments qui, finalement, n’ont rien de très convaincant.

À ce propos, il est très instructif d’analyser les réactions indignées des corps constitués, avec leurs porte-parole autorisés — tant dans le domaine religieux que scientifique — lors de la publication de l’enquête du Dr Moody. Bien que la réincarnation puisse paraître moins inquié­tante que l’hypothèse de la survivance — qui lance un défi immédiat à la civilisation matérialiste — elle peut être souvent ressentie comme un danger plus insidieux, comme un défi à la Tradition occidentale chrétienne qui s’est perpétuée pendant deux millénaires en l’ignorant presque complètement.

Toutes les réactions créées par ces idées nouvelles n’empêchent pas leur progrès : on dirait même qu’elles le stimulent. On ne peut vrai­ment plus revenir en arrière et, de nos jours, l’impression s’affirme que la réincarnation s’est imposée à l’Occident comme une question à résoudre ; peut-être même comme un problème majeur dont l’humanité devra trouver la réponse alors qu’elle ignorait encore son existence il y a seulement 30 ans.

Où en sommes-nous aujourd’hui ?

À en juger simplement par le nombre des livres et des articles de revue qui paraissent sur le sujet, on peut être sûr que la réincarnation pas­sionne le public. Des rééditions de vieux ouvrages, depuis longtemps épuisés, participent à ce concert de publications. Signe des temps, on voit ici et là se tenir des Congrès internationaux réunissant des participants de tendances très diverses. Avec un plein succès.

L’année 1978 a été particulièrement féconde en ce domaine. Ce fut d’abord, en Angleterre, au Centre du Wrekin Trust, animé par sir George Trevelyan, une conférence avec des personnalités de renom, comme Christmas Humphreys, fondateur en 1924 de la Buddhist Society de Londres, le Dr Arthur Guirdham, connu pour ses études de cas de réincarnation liés au Catharisme, et Sylvia Cranston, une spé­cialiste venue des États-Unis. Cette rencontre, qui eut lieu du 7 au 9 juillet, débuta par une causerie de Sylvia Cranston sur un sujet en prise directe sur l’actualité : « La Renaissance moderne de la Réincarnation. »

Deux mois après, du 13 au 17 septembre, c’était Innsbruck qui accueil­lait le 7e Congrès international de l’Association Imago Mundi, sur le thème de la survivance. Parmi les interventions des savants orateurs, on a pu noter celle d’un théologien, le prof. Ernst Benz, sur « L’idée de la Réincarnation dans l’Histoire européenne de l’Esprit » et celle d’un ethnologue-psychologue, le Dr Werner Bonin sur « l’expérience de la Réincarnation dans la psychologie transpersonnelle et sous l’influence de drogues ».

Deux mois encore se sont écoulés, et cette fois ce fut le Palais des Congrès de Bruxelles qui reçut une foule de 1200 spectateurs sur les thèmes de la survivance et des rythmes cosmiques, sous la présidence d’un universitaire, le prof. Jean Dierkens. À cette occasion, le public de la capitale belge eut la chance d’entendre « en direct » le Dr Steven­son, professeur de psychiatrie à l’université de Charlottesville (Virginie), exposer certains des plus convaincants parmi les cas expérimen­taux observés d’apparente « réincarnation », sélectionnés parmi des centaines de dossiers, réunis depuis plus de vingt ans d’enquête ; il s’agit généralement d’enfants qui se souviennent spontanément d’une vie antérieure, avec des détails si précis qu’on peut souvent trouver la trace de leur précédente famille et vérifier leurs dires. Bien plus, s’il arrive que l’enfant renaisse avec des cicatrices reproduisant les blessures qui avaient causé la mort dans l’autre incarnation, ces marques de nais­sance se disposent parfois sur le corps, de façon troublante, aux endroits relevés par le médecin légiste… dans la vie précédente. Le Dr Stevenson étaya son discours de nombreuses diapositives inédites illustrant ces observations.

On comprend l’intérêt, voire l’engouement du public pour de telles démonstrations. D’autres voies expérimentales permettant de sonder les problèmes de la réincarnation et de la survivance exercent également un grand attrait sur les spectateurs de ces Congrès — spiritisme, voyance et hypnose apportent tour à tour leurs témoignages très écoutés. Il s’en faut, bien sûr, que l’accord règne entre tous les intéressés, sur la conception même de la réincarnation, et sur les méthodes permettant d’en fournir les preuves.

La France, elle aussi, a eu son Congrès. À Montpellier, les 26, 27 et 28 octobre 1979, organisé par l’association « Culture et Savoir » en coopération avec le Laboratoire de Parapsychologie de l’université de Toulouse-Mirail, dirigé par le prof. Lignon. Titre : « 1er Congrès inter­national sur la Métempsychose et la Réincarnation » [1].

On ne peut espérer que l’unanimité se fasse dans de pareilles réunions, mais les échanges — parfois très passionnés — entre le public et la tri­bune, ont témoigné, à Montpellier, de l’impact profond de la réincarna­tion sur une fraction de nos contemporains qui, dans bien des cas, voient en elle beaucoup plus qu’un sujet de discussion académique. Peut-être parfois est-elle ressentie comme une promesse à laquelle on s’accroche et on veut croire comme une espérance salvatrice.

Pendant ce temps-là, en Amérique

Aux États-Unis, la vague d’intérêt pour la réincarnation ne date pas d’hier, du fait que les « lectures de vie » du célèbre voyant Edgar Cayce, capable, en état d’auto-hypnose, de décrire les existences antérieures de ses contemporains, ont défrayé la chronique déjà bien avant la dernière guerre, et que le non moins célèbre Morey Bernstein a écrit l’un des best­-sellers du siècle, en racontant la vie passée de Bridey Murphy, l’énig­matique Irlandaise exhumée par voie de régression hypnotique, à une époque (1956) où, en Europe, la réincarnation n’intéressait encore guère que quelques spécialistes. Tout prend vite des proportions impression­nantes en Amérique : c’est en mettant en œuvre des plans d’expérimentation à grande échelle que des pionniers de la parapsychologie comme J. B. Rhine ont pu contribuer à prouver la réalité de l’E.S.P. (perception extra-sensorielle). Aussi n’est-on pas surpris de voir d’autres cher­cheurs, dans le domaine de la réincarnation et de la survivance, déployer aussi des moyens d’enquête vraiment efficaces qui, joints à une compé­tence scientifique indiscutable — et une ténacité digne de tous éloges, dans un monde parfois hostile — permettent d’explorer des terrains pratiquement interdits aux amateurs.

Le prof. Ian Stevenson, cité plus haut, a commencé, en 1960, publier des résultats d’enquête sur certains cas observés qui « suggèrent » la réincarnation. En 1966, dans son livre très connu et souvent cité, Twenty cases suggestive of Reincarnation, l’auteur assurait déjà être en possession de près de 600 dossiers.

Avec l’aide d’un réseau international d’informateurs et d’enquêteurs qui dépistent les sujets intéressants, Stevenson parcourt le monde [2] à la recherche du « cas idéal », scientifiquement indiscutable — et inexpli­cable par toute autre hypothèse que la réincarnation. En conséquence, le nombre des observations ne fait que croître —1700 cas répertoriés en 1978 — ainsi que leur variété. D’ailleurs cette multiplicité autorise déjà certaines statistiques : la réincarnation est attestée dans tous les continents et quels que soient le niveau de civilisation et le type de croyance religieuse. Bien entendu, aux États-Unis, le grand public n’est pas tenu dans l’igno­rance de ces travaux : revues et journaux à grand tirage [3] font de temps à autre avec Stevenson le point de ses recherches.

Plus intéressant encore, semble-t-il, est l’intérêt suscité dans le monde scientifique — qui s’était d’abord montré plutôt réticent ou franchement hostile — lors de la publication, en 1977, d’une note de Stevenson sur « la valeur explicative de l’idée de la réincarnation », par le Journal of Nervous and Mental Disease, c’est par centaines que des scientifiques de toutes disciplines demandèrent des tirés-à-part de cette très sérieuse revue.

Parallèlement, dans le domaine de la survivance, les enquêtes se pour­suivent. Parmi les chercheurs, si le plus connu en Europe est le Dr Moody, en raison de ses livres sur l’expérience des mourants arra­chés in extremis à l’état de mort clinique, on ne peut passer sous silence l’un des chefs de file parmi les thanatologistes, le Dr Elisabeth Kübler ­Ross qui assiste les mourants, depuis de longues années, pour comprendre leurs expériences et les aider à les vivre jusqu’au dernier instant [4].

Il conviendrait aussi de citer Karlis Osis et Erlendur Haraldsson qui ont abordé le problème des expériences subjectives (visions et « hallucinations ») des mourants, sous l’angle statistique, en comparant des populations très différentes (U.S.A. et Inde). Les résultats d’une pre­mière enquête — menée sous les auspices de l’American Society for Psychical Research — ont été publiés sous la forme d’un livre passion­nant [5].

Pendant que se poursuivent toutes ces enquêtes de longue haleine, dans le domaine du vécu, le sujet de la réincarnation inspire des recherches historiques et bibliographiques non moins intéressantes.

Ici, c’est un professeur de philosophie à l’université de Californie du Sud — et prêtre anglican — qui publie un livre très bien documenté et original sur la réincarnation dans la chrétienté [6] et qui fait un cours sur le même sujet à l’université d’Iowa en 1979.

Là, une équipe de chercheurs de New York, J. Head et S. Cranston (déjà citée) fournissent au public la documentation bibliographique nécessaire à une étude approfondie de ce qu’on pourrait appeler « la réincarnation à travers les âges ». Fruit de plusieurs éditions succes­sives, cette copieuse anthologie de 620 pages [7] est probablement ce qui existe de plus complet au monde sur le sujet.

Le succès considérable de pareils livres aux États-Unis montre bien qu’ils répondent à un besoin croissant.

Signalons encore un fait nouveau, qui n’étonne plus outre-Atlantique : l’introduction dans l’enseignement public de « Death Education Courses », des cours d’éducation sur la mort — ou, si l’on préfère, des cours d’information sur le phénomène de la mort et l’expérience des derniers moments de la vie. Il existe ainsi un Directoire de « Death Edu­cators » comprenant des enseignants de lycées, collèges et universités, d’écoles de médecine et d’écoles d’infirmières. On ressent fortement aux États-Unis le besoin d’informer la jeunesse — et ceux qui vont être au contact des malades graves — sur le sujet « tabou » de la mort. Qui s’en plaindrait ? (Et combien de décennies attendra la vieille Europe pour faire un pas dans ce sens ?)

Certains enseignants éprouvent aussi la nécessité d’apprendre quelque chose sur la réincarnation, de manière à pouvoir répondre aux ques­tions de plus en plus nombreuses de leurs élèves.

À cet effet, un Handbook on Reincarnation [8] (document général d’in­formation sur la réincarnation) a été publié et envoyé aux intéressés, avec l’anthologie Head-Cranston, pour les aider dans leur travail. Ce document comprend, outre des conférences et des articles, toute une partie consacrée aux questions les plus fréquemment posées, avec l’in­dication des références bibliographiques de l’anthologie où les réponses peuvent être trouvées.

Sans doute ce genre de cours ne mobilise-t-il encore que des « ensei­gnants de pointe ». Notons en passant un fait caractéristique : la nomi­nation en 1977, de Myrra Lee au poste envié d’« America’s Teacher of the Year », quelque chose comme « Meilleur-Professeur-de-l’Année des États-Unis ». Reçue par le président Carter lui-même à cette occasion, cette sympathique personne a été honorée de cette distinction, parmi 40 000 candidats, pour ses remarquables capacités pédagogiques et ses innovations en matière d’enseignement : on ne s’étonnera pas d’ap­prendre qu’elle a inclus dans son programme des discussions sur la mort et les expériences du mourant où la réincarnation a sa place natu­relle [9].

On pourrait encore multiplier les exemples et citer des personnalités modernes qui se déclarent convaincues de la réincarnation et s’expriment publiquement à ce sujet. Mais il suffit : ce très rapide aperçu de l’état des choses outre-Atlantique nous laisse en somme présager ce qui pour­rait nous attendre en Europe d’ici la fin de ce siècle; malgré sa vitalité déjà manifeste, le mouvement de renaissance de la réincarnation n’en est encore probablement qu’à ses débuts.

Un sujet passionnant — donc explosif

En entrant dans l’arène publique, la réincarnation a perdu son carac­tère primitif de curiosité orientale. L’Occident s’en est emparé et en a fait un objet passionnant. Passionnant ? Entendez par là : capable de déchaîner les passions. En effet, n’est-il pas évident que tout peut être remis en question par la réincarnation ?

Jusqu’à présent, nous n’avions le choix qu’entre deux grandes optiques de la vie : soit naître et mourir, sans aucun lendemain, dans une pers­pective matérialiste où la conscience humaine n’est qu’un épiphéno­mène, un « quelque chose » de plus, obtenu dans l’évolution animale grâce à un événement heureux, mais fortuit [10] — l’augmentation sensible de la capacité crânienne, au jour J de l’histoire de la terre —, soit au contraire traverser l’existence terrestre avec la promesse consolante d’un grand départ, irréversible, vers les hauteurs du Royaume des Cieux.

Voici maintenant que la réincarnation nous ouvre d’autres possibilités : un voile se déchire devant nos yeux. Et on ne peut vraiment rester impassible devant les nouvelles interprétations du sens et du contenu de notre vie ; préservant la croyance quasi universelle en l’immortalité de l’« âme » (quelle que soit cette « âme » d’ailleurs), la réincarnation propose à l’homme une voie qui sauvegarde aussi sa dignité d’homme : revenir sur la terre, pour maintes fois « remettre sur le métier » l’ouvrage de son propre perfectionnement, et progresser ainsi par des efforts indi­viduels, résolus, afin de réaliser finalement toutes les promesses de son être profond.

Sans entrer ici dans l’analyse des conséquences éventuelles de la réin­carnation, ni préjuger de la validité de cette doctrine, il faut concéder qu’elle représente, pour le moins, une hypothèse objectivement aussi intéressante à considérer que les deux autres. Mais, justement, par l’importance qu’elle peut revêtir sans conteste dans la pensée moderne, on doit s’attendre à ce qu’elle soulève des passions, voire des conflits entre partisans de l’une ou l’autre des théories en présence. Aussi, n’en doutons pas : la réincarnation est — ou deviendra — un sujet explosif. Faut-il même parler au futur ?

Le temps n’est pas si loin où spirites anglo-saxons et spirites français de l’école d’Allan Kardec s’opposaient sur cette question, les premiers niant la possibilité d’un retour sur terre pour les « Esprits » des décédés, les seconds la professant comme une vérité cardinale.

En France en particulier, dans les années 1920, la réincarnation a fait l’objet d’un procès en bonne et due forme (si on peut appeler ainsi ce genre de jugement expéditif), et condamnée, sans circonstances atté­nuantes, comme une absurdité pure et simple, une regrettable invention des néo-spiritualistes occidentaux. Et dans cette affaire, le procureur n’était pas le premier venu : par ses autres travaux, René Guénon s’est fait un nom réputé dans les cercles qui s’attachent à la Tradition spiri­tuelle et à l’ésotérisme. On le cite toujours comme une autorité. Aussi bien, si cette autorité vous assure, sans hésitation et au mépris de l’opinion générale, qu’« aucune doctrine traditionnelle n’a jamais admis la réincarnation » et que « cette idée fut complètement étrangère à toute l’antiquité » [11], et si le réquisitoire sans nuances de cet auteur, démontrant l’impossibilité métaphysique d’une telle théorie, parvient à vous convaincre, vous ne manquerez pas de vous demander à quoi rime tout ce mouvement moderne d’idées autour de la réincarnation. Et peut-être de prendre parti, avec virulence ?

La réincarnation devient vite un sujet explosif : l’exemple qui précède en est une illustration. Bien entendu, nous aurons l’occasion dans la suite de passer en revue les arguments de René Guénon. Il a d’ailleurs fait des émules, tels que Julius Evola qui, pour se placer dans une perspective bouddhiste, n’en a pas été plus tendre pour la doctrine mise en accusation — ni plus courtois vis-à-vis de ses adversaires.

Un dossier mal instruit, et souvent mal défendu

Le niveau de polémique où s’élèvent parfois les échanges entre partisans et négateurs n’est guère favorable à l’apparition de la vérité. Et, dans les Congrès spécialisés, le ton d’autorité de quelques orateurs donne certains jours aux spectateurs le pénible sentiment d’être d’irré­cupérables sceptiques, si leur conviction résiste à la force des preuves ou des arguments présentés.

La réalité est la suivante : il en est parfois de ces réunions comme de la Tour de Babel. Chacun y parle son langage et s’enferme dans sa propre opinion sur le sujet dont on est censé discuter. C’est qu’il n’existe pas, à la vérité, une seule doctrine officielle de la réincarnation, à laquelle tout honnête homme devrait se ranger. Il ne suffit donc pas d’en prononcer le mot pour se faire comprendre. Il est facile de s’en convaincre en faisant une petite enquête auprès de gens qui font profession de « croire » à la réincarnation. Demandons-leur d’expliquer leur point de vue avec quelque détail, et comparons les réponses. Le résultat de ce sondage ne laissera pas d’être surprenant. Par la diversité même des réponses. Dans les débats sur la réincarnation, il conviendrait donc de commen­cer par s’entendre sur les définitions : on s’apercevrait vite que le dossier que l’on cherche à plaider est tout simplement mal instruit.

Le travail d’un juge d’instruction ne consiste pas à porter des jugements mais, en somme, à faire une investigation scientifique aussi objective que possible, pour réunir tous les éléments nécessaires au tribunal. C’est ensuite à la défense et à l’accusation — pourvues des mêmes éléments d’information — de débattre et d’arriver à un jugement.

Dans la cause qui nous occupe, on s’aperçoit vite que le juge d’instruc­tion aurait encore fort à faire. Pour les raisons suivantes :

d’importantes pièces manquent encore au dossier ou sont mal exploitées,

certaines, qui y figurent, sont présentées d’une façon tendancieuse qui déforme leur contenu,

d’autres, qui y sont introduites, n’auraient probablement pas lieu de s’y trouver, ou sont même sans réelle valeur.

Le premier point ne doit pas nous surprendre. La conception que se fait le public de la réincarnation résulte d’une agglomération plus ou moins disparate d’informations ; et le contexte social et religieux joue ici un rôle puissant de filtre sélectif : à la radio, à la télévision, ce sont presque toujours les mêmes voix qui ont l’occasion de se faire entendre.

Un exemple assez convaincant (dans un autre domaine, il est vrai) est fourni dans ce sens par un livre publié récemment sur la mort. Le but est d’y comparer les enseignements des diverses traditions du monde pour tenter de percer le mystère de l’après-vie. Effectivement, on y apprend beaucoup de choses passionnantes. On s’y interroge longue­ment sur la question de l’existence de la « mort chrétienne », sans que rien ne transperce de positif sur la face cachée de la mort, puisque, même ressuscité, Lazare n’a rien dit sur son expérience [12]. Par contre, sur la tradition ésotérique occidentale (hermétisme, théosophie, etc.) c’est la portion congrue. On dirait que ces doctrines n’ont presque rien à dire sur le sujet.

Aucun machiavélisme dans cette répartition des temps de parole, bien entendu. Mais des témoins restent muets. On trouve ainsi beaucoup de publications sur la réincarnation qui semblent oublier encore de nos jours des sources fort importantes.

Le second point met en évidence la hâte des avocats de la réincarnation à rassembler beaucoup de preuves de leur thèse. On voit par exemple un auteur bouddhiste illustrer la réincarnation en citant la Bhagavad Gîtâ et d’autres sources, bien étrangères au bouddhisme. On lit d’im­pressionnantes énumérations de personnalités illustres ayant cru à la doctrine, ou l’ayant professée.

À la réflexion, il est évident que ces listes ne constituent pas des pièces de grande valeur si chaque cas cité n’est pas accompagné d’une analyse critique de l’information rapportée et d’une note sur son contexte. Par exemple, on lit souvent que nos ancêtres les Gaulois croyaient à la réin­carnation, non moins que Platon et Pythagore, les anciens Égyptiens et telle secte juive en activité du temps de Jésus. Encore une fois, le lecteur non informé a bien des chances de prendre toutes ces choses pour argent comptant et les colporter telles quelles. La réalité est beau­coup moins simple.

Il ne suffit pas non plus que le mot réincarnation apparaisse plusieurs fois dans les écrits d’un auteur pour en conclure qu’il est un fervent propagandiste de cette doctrine. Un bon exemple nous est fourni par M. Maeterlinck ; dans son ouvrage La Mort, nous lisons cette belle envolée [13] : « On ne saurait nier que de toutes les hypothèses religieuses, la réincarnation est la plus plausible et celle qui choque le moins notre raison. Elle a pour elle, ce qui n’est pas négligeable, l’appui des religions les plus anciennes et les plus universelles, celles qui ont incontestablement fourni à l’humanité la plus grande somme de sagesse et dont nous n’avons pas encore épuisé les vérités et les mystères. »

On lit encore (p. 168) : « …il n’y eut jamais croyance plus belle, plus juste, plus pure, plus morale, plus consolante et jusqu’à un certain point plus vraisemblable… »

La vérité demande cependant de compléter ces convaincantes citations par celle-ci (p. 169) : « Mais la qualité d’une croyance n’en atteste pas la vérité. Bien qu’elle soit la religion de 600 millions d’hommes… Il lui faudra faire ce que ne firent pas les autres : nous apporter d’irrécusables témoignages, et ce qu’elle nous a donné jusqu’ici n’est que la première ombre d’un commencement de preuve. »

Importante nuance. Ces diverses remarques ne sont pas faites pour ôter toute valeur aux livres de compilation historique, mais pour inviter auteurs et lecteurs à une plus grande prudence dans le maniement des « preuves ». Il arrive qu’en voulant défendre une noble cause on fasse plus de mal que de bien — par maladresse, ou par manque d’objecti­vité.

La même critique peut souvent s’adresser aux livres qui exposent des faits expérimentaux de « mémoire des vies antérieures ». Il arrive, il est vrai, que ces faits appartiennent à la réalité d’un vécu indéniable. Ce sont indiscutablement des observations à verser au dossier, mais, sou­vent, leur analyse se prête à des interprétations multiples, en dehors de la réincarnation. C’est d’ailleurs pour cette raison que le prof. Steven­son présente ses cas, en apparence « criants de vérité », comme des exemples qui suggèrent la réincarnation. Bien des auteurs manquent de cette prudence et donnent vite dans le sensationnel : on voit paraître des livres offerts au lecteur comme de « bouleversants-témoignages-sur-­la-réincarnation »… Une fraction du public, avide de merveilleux, n’est-elle pas effectivement trompée sur le fond ?

Cette réflexion nous amène à notre troisième point.

Certaines pièces du dossier ne devraient certainement pas s’y trou­ver, car elles n’ont rien à voir avec la réincarnation. Tout d’abord, avec toutes les informations que l’on peut puiser dans les milieux « ésotériques » spécialisés, il y a de talentueux charlatans qui ne résistent pas à la tentation d’écrire des best-sellers relatant, en termes plausibles, les savoureuses péripéties de leurs propres incarnations passées, où ils étaient (de préférence) grands-prêtres en Égypte ou Lamas initiés au Tibet. À titre de variante, l’exploration d’autres mondes peut fort bien s’ajouter au menu. Lobsang Rampa en est un exemple type. Ces livres ont naturellement leur public, friand d’aventures extra­ordinaires « vécues » : ils contribuent par leur côté fantastique à trou­bler les esprits, à déformer l’image de la réincarnation et même à la discréditer complètement. Il arrive aussi que certains ouvrages, dont, cette fois, l’honnêteté n’est pas, a priori, mise en question, prétendent apporter des preuves expérimentales, mais que leur analyse critique conduise, au contraire, à émettre les plus grands doutes sur les témoi­gnages fournis. Ce sont, par exemple, les récits mirifiques des vies anté­rieures de tel individu remarquable, rapportés par quelque « mage » persuadé de posséder un don unique de super-clairvoyance.

Invitation à une exploration un peu différente

En constituant le présent dossier, notre intention n’a pas été d’amener le lecteur à croire à la réincarnation, ni à rejeter une précédente croyance pour une nouvelle, plus vraisemblable. Souvent, il est vrai que « croire » revient simplement à se retrancher dans un édifice rigide de pensées et d’images où l’on se sent bien chez soi, résolu à repousser toute idée contraire. Au XXe siècle, on veut savoir — ce qui ne va pas sans mal ni sans angoisse. Mais la raison est plus profonde.

Sans même insister sur la difficulté d’informer sans déformer — à raconter le point de vue des autres on s’expose toujours à des simpli­fications excessives, des erreurs d’interprétation voire des trahisons involontaires — il faut dire ceci : la réincarnation est réellement un sujet plus complexe qu’on ne le croit. En ferait-on à bon marché un nouvel article du Credo ?

Quand on prend connaissance de doctrines peu familières comme celles de l’Orient, on peut s’enchanter de leur exotisme. Sous les récits colorés, s’essayer à surprendre l’intention morale. Et même, avec une recherche assidue et de l’intuition, avoir la chance d’atteindre au niveau d’une philosophie appuyée sur de subtils concepts.

Serait-ce tout cependant? Au-delà de la croyance et du savoir, il arrive qu’on parle de connaissance intérieure, d’ésotérisme. Pourrait-on s’y élever en s’enfermant dans une croyance ?

Pourquoi ne pas partir plutôt dans notre exploration du domaine de la réincarnation avec la pensée qu’il y a peut-être quelque chose de plus à découvrir que les personnes, les signes, les symboles qu’on y rencontre ? Pour ne pas passer à côté sans le voir. Si toutefois ce quelque chose existe…

Certes, un tour d’horizon général sur la réincarnation doit d’abord satisfaire une légitime curiosité. On ne saurait se soustraire à cette attente : c’est même le premier but de ce livre d’apporter une informa­tion raisonnée sur le sujet.

Pour cela, la méthode la plus simple et la plus efficace — à ce qu’il nous a semblé — se résume par le découpage suivant de nos chapitres.

a) Étude de quelques modèles types de la réincarnation (chap. I à V)

On ne peut juxtaposer spiritisme et brahmanisme ; il faut se résoudre à s’instruire des points de vue différents d’un même sujet. Mais, en sélec­tionnant convenablement les systèmes, on peut en limiter le nombre et aboutir à trois grands types de réincarnation :

  • des modèles très « réalistes » dans leur approche (chap. I),

  • des modèles très élaborés sur le plan philosophique, se prêtant à des inter­prétations graduées selon les clefs dont on dispose (chap. II à IV),

  • des modèles de conception assez moderne (les « modèles-sans-âme » du chap. V).

b) Coup d’ail rapide sur l’Histoire (chap. VI)

Tout en évitant le piège de l’analyse complète des « témoins de la réincarnation » au cours des siècles [14], on peut suggérer l’étude de quelques grandes figures de l’Histoire, et encourager le lecteur à en déchiffrer lui-même le message, à l’aide des modèles tracés précédem­ment. Pour l’Occident chrétien, les avatars de la réincarnation, des origines du christianisme à nos jours, offrent également un sujet de réflexion d’actualité : les Églises ont-elles définitivement fermé la porte à cette doctrine ?

c) Étude critique des preuves (chap. VII)

L’audition complète des témoins apportant leurs preuves demanderait des volumes. Pour faciliter le travail, le plus économique est de classer en catégories la masse des témoignages, et de tester leur valeur, dans chaque catégorie, en tenant compte de toutes les explications de rechange dont nous disposons aujourd’hui : la réincarnation n’est pas toujours la mieux placée sur la liste des « possibles ». Les arguments contraires ont droit au même examen critique.

Faut-il préciser que ce livre n’est celui d’aucune école malgré de fré­quentes références à tel ou tel système — chaque fois qu’elles éclairent le sujet. L’objectivité gardée en vue n’oblige pas à un froid travail d’archiviste : on n’a guère de chances de bien comprendre un témoi­gnage si on ne l’aborde pas avec une certaine sympathie — qui ne signifie pas crédulité.

Et lorsque la vérité le demande, faudrait-il se priver d’entendre des témoins que la rumeur publique — pas toujours bien informée — désigne comme suspects ?

Avant d’ouvrir le dossier : Au fait, qu’est-ce au juste que la réincarnation ?

Empruntons simplement la définition suivante au prof. Stevenson [15] : « Brièvement définie, la réincarnation implique l’idée que l’homme comprend, dans sa constitution, corps physique et mental (mind). À la mort d’une personne, son corps physique périt, mais son mental peut persister et s’associer plus tard à un autre corps physique, dans le processus appelé réincarnation. Certains peuvent trouver que le mot  » mental  » dans cette définition est dépourvu de clarté ou peu recommandable de quelque autre manière. Ils peuvent certainement lui substituer un autre mot comme  » âme  » ou  » indi­vidualité « . Mon intention est simplement de désigner un constituant des êtres humains qui, dans notre compréhension actuelle, n’est pas compris dans leur corps physique, lequel constituant peut bien persister après la mort physique. »

Définition extrêmement prudente, on le voit, qui, en fait, a l’avantage de pouvoir englober tous les modèles théoriques possibles de la réincarnation.

Il y a ceux qui croient à l’âme et ceux qui n’y croient pas ; ceux qui entrevoient un progrès évolutif et ceux qui ne pensent à rien d’autre qu’à un retour dans la famille humaine pour participer à son existence et éventuellement maintenir sa cohésion ; ceux qui pensent que le men­tal n’a pas de support matériel et ceux qui le voient persister d’une certaine manière dans les électrons des atomes physiques. À tous ceux-là, une place est offerte pour loger leurs théories dans le cadre général de notre étude. Un tri s’impose cependant parmi les schémas proposés.

Question de vocabulaire

Le mot réincarnation est de formation récente (XIXe siècle).

On trouve aussi d’autres termes voisins dont il convient de préciser le sens :

  • La transmigration traduit l’idée très large d’un processus conduisant l’âme à changer d’état, de condition ou de séjour, en prenant une forme ou une autre, sur terre ou ailleurs,

l’ensomatose ou incorporation, est, selon Hermès Trismégiste, l’immersion (baptismos) de l’âme dans la chair ; la répétition périodique de cette chute est la métensomatose ; pour Plotin il n’y a métensomatose que si l’âme passe d’un corps terrestre à un autre corps terrestre (ce que nous appelons réincar­nation de nos jours),

  • l’empsychose est l’action d’animer la matière lors de l’incorporation (ensoma­tose) ; on songe ici à l’âme (psyché) comme un souffle de vie. L’animation successive par l’âme de plusieurs corps (éventuellement dans les règnes infé­rieurs) est la métempsychose [16],

le transvasement (métangismos), malgré l’image réaliste qu’il évoque, n’est plus employé,

la renaissance (palingenesis) est susceptible de nombreuses interprétations selon le contexte.

Malgré la limitation de son emploi au retour-dans-un-corps-de-chair, le mot réincarnation est passé dans le langage courant.

La réincarnation — qu’est-ce que ça change ?

Voici que nous arrivons à la fin de ce préambule sans avoir écrit le mot karma.

Ce mot sanskrit est entré dans le vocabulaire universel. Avec le sens primitif d’action (dans toutes les acceptions du terme), action humaine ou cosmique, il en est venu à signaler le poids des actions passées qui se manifeste dans notre vie dans tous les événements journaliers.

Les hommes du XXe siècle parlent abondamment de la loi de karma, loi de cause et d’effet, qui ajuste à toute action une conséquence légi­time et inéluctable, dans un avenir proche ou lointain. On parle même de « créer du karma », entendez par là hypothéquer l’avenir par des actes, paroles ou pensées, dont il faudra assumer plus tard la respon­sabilité. Même si dans le sanskrit classique, karma au sens de destin est d’un emploi limité [17], l’idée de l’enchaînement de l’homme à la roue des réincarnations, par l’effet d’actions antérieures, est à la base même des philosophies orientales, lesquelles enseignent précisément les voies de la libération des chaînes de karma.

La loi de causalité éthique — résumée par le mot karma — accompagne invariablement toutes les doctrines réincarnationnistes qui tiennent à l’existence d’une âme en évolution : cette âme récolte tôt ou tard le fruit de ses efforts. Envisagée seule, la réincarnation ne serait qu’un « per­pétuel repullulement de la terre », selon le mot caustique de Julius Evola.

Avec karma, qu’est-ce qui change ? Tout change. Puisque dès lors la vie obéit à une logique : il y a une continuité d’une existence à l’autre et l’homme peut devenir l’artisan de son propre salut. On conçoit que la réincarnation ait pu éveiller bien des espérances. Nous verrons ce qu’elle promet encore aujourd’hui.

Une dernière remarque

La multiplicité des modèles théoriques que nous allons bientôt décou­vrir et les difficultés rencontrées dans les explications de la réincarnation tiennent, dans le fond, à l’ignorance profonde de notre nature essen­tielle. C’est même sur ce point — l’« âme » — que se distinguent et s’opposent tous les schémas types.

Certains systèmes donnent une image de la vie après la mort qui a l’air d’un prolongement enjolivé de l’existence terrestre. Sans bien éclairer ce qu’est la vie pendant la vie.

D’autres, élaborés au contraire par des sages tenus pour des Connais­seurs, sont présentés, avec allégories et symboles, pour parler à l’in­tuition d’hommes incapables de penser autrement qu’en termes d’expé­rience sensorielle.

Dans tous les cas, c’est pour nous le même obstacle majeur : l’ignorance de ce qu’est l’homme intérieur.

Aussi, plus que des preuves expérimentales, plus que des révélations mirobolantes sur le pèlerinage des âmes, ce qu’il nous faudrait rechercher le plus aujourd’hui, en particulier pour aller au fond du problème de la réincarnation, c’est, semble-t-il, une philosophie, ou mieux encore une connaissance de cette étrange réalité qui est là dans les êtres, comme une présence indicible, et qui donne cette profondeur au regard des hommes, avec son caractère de mystère unique.

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Commentaire sur LA RÉINCARNATION, DES PREUVES AUX CERTITUDES de Jean-Louis Siémons par Robert Amadou

(Revue Question De. No 51. Janvier-Février-Mars 1983)

Voici — rendons-nous à l’évidence — un livre intelligent et sensé, raisonnable et pourtant favorable, documenté, sur la réincarnation. Si Jean-Louis Siémons privilégie, quant à lui l’enseignement de Mme Blavatsky, son dessein vise à ins­truire le dossier de l’affaire et à le défen­dre. Ce double but est atteint.

L’ouvrage a trois parties. D’abord, il étu­die quelques modèles de la réincarnation, classés eux-mêmes en trois catégories : modèles « très réalistes » (animisme, spi­ritisme) ; systèmes philosophiques « très élaborés » (hindouisme, bouddhisme et théosophie de Mme Blavatsky qui serait l’hindouisme en son meilleur) ; enfin les modèles « sans âme » : « n’importe quoi plutôt que d’accepter l’idée d’une conscience permanente survivant à la mort ».

Jean-Louis Siémons réprouve, ainsi qu’il convient, le scientisme dont relèvent les doctrines du dernier type, mais peut-être sous-estime-t-il les dangers de plusieurs ordres que courent les pratiquants du spiritisme. En revanche, il a sans doute raison d’affirmer, nonobstant les va­riantes, et aussi les préjugés de certains Occidentaux, l’analogie de la doctrine hindoue et des doctrines hindouisantes avec les doctrines dites réincarnation­nistes.

On se réjouit enfin de la prudence, voire du scepticisme, que l’auteur manifeste en concluant sa troisième partie, où sont exposées les prétendues preuves expé­rimentales de la réincarnation.

Des arguments métaphysiques et théolo­giques, les seuls qui soient décisifs, excluent à mes yeux la possibilité de la réincarnation au sens parfaitement défini, expliqué et illustré par Jean-Louis Sié­mons. Ce n’est pas le lieu de les pro­duire. Mais la vie personnelle se poursuit assurément au-delà de la mort physique et elle peut comporter des étapes, qui se situent ailleurs que sur la terre, les lieux symbolisant en l’espèce des états de l’être. La métempsychose, disait Saint-Martin, est le masque du purgatoire. En cette perspective comme en celle de la réincarnation il faut travailler ici-bas à abréger, ou à éviter, les étapes futures. Or, cette tâche Jean-Louis Siémons rap­pelle, « en manière de conclusion » et au cas transposable du réincarnationisme, qu’elle implique le service des hommes incarnés. Divin paradoxe. Mais le suicide spirituel procéderait de la pire confusion. Peut-être faut-il tenir qu’aucune libération, aucun salut ne sera total avant d’être global ; la vérité contraint de réaffirmer que, pour chaque homme, le sort de son âme doit demeurer primordial.

Robert Amadou

Chapitre Suivant

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1 Ayant participé moi-même à ce Congrès, aussi bien comme conférencier que comme audi­teur, je dois rendre cette justice aux organisateurs d’avoir su réunir à la tribune une palette très étendue de personnalités comprenant des représentants de tendances très diverses, voire oppo­sées : mystique hindoue, spiritisme et métapsychisme, tradition ésotérique, théosophie, rosi­crucianisme et théologie chrétienne, sans oublier l’hypnologie, domaine d’élection de C. Chris, animateur de « Culture et Savoir », ni la parapsychologie scientifique, dans la ligne de J. B. Rhine, représentée par le prof. Lignon.

2 À raison d’environ 90000 km par an — ce qui donne une idée des moyens employés et du travail accompli.

3 Citons, par exemple, Family Circle (édité par le New York Time), tirage : 8 500 000 exem­plaires.

4 Le Dr Kübler-Ross est l’auteur de plusieurs ouvrages sur la mort qui font autorité, comme On Death and Dying (MacMillan Co. New York, 1969), Death, the Final Stage of Growth (Prentice-Hall, Inc. New Jersey, 1975) traduction française : La Mort (Ed. Québec/Amérique, 1977).

5 What they saw… at the hour of death. Avon Books. New York. Novembre 1977.

6 Geddes Mac Grégor : Reincarnation in Christianity — a New Vision of the Role of Rebirth in Christian Thought (A Quest Book. T.P.H. Wheaton III. 1978.)

7 Reincarnation : The Phoenix Fire Mystery. An East-West Dialogue on Death and Rebirth from the Worlds of Religion, Science, Psychology, Philosophy, Art, and Literature, and from Great Thinkers of the Past and Present. (Crown — New York, 1977).

8 A Handbook on Reincarnation, compiled by Mindy Robak (Death Education Books — New York, 1979).

9 Myrra Lee est l’auteur d’un article intitulé « La Réincarnation en classe : problèmes et sug­gestions » où elle aborde des questions pratiques pour l’éducateur. Cet article est incorporé aux comptes rendus du symposium sur « L’enfant et la mort » tenu au Medical Center de New York les 25-27 janvier 1979 sous les auspices, entre autres, de la Fondation de Thanatologie, et du Département de Psychiatrie du Collège de Médecins et Chirurgiens de la Columbia University.

10 Il est vrai que cette vision un peu rigide s’est beaucoup assouplie ces derniers temps. Mais même si on peut en venir à croire que tout est inscrit dans le programme de l’univers, à titre de probabilité, cela ne laisse toujours pas de place à une survivance consciente après la mort.

11 Extrait du livre : « Le Théosophisme, histoire d’une pseudo-religion », Éditions tradition­nelles — Nouvelle édition — Paris, 1965.

12 Comme l’a d’ailleurs remarqué le père Delépierre au Congrès de Bruxelles, signalé plus haut, « la mort, c’est le mur du son » ; seule la foi permet de le franchir. Pour le chrétien, l’au-delà est domaine de foi et non pas d’expérience.

13 La Mort, Fasquelle Éditeurs, Paris, 1913.

14 Dans ce domaine, outre Reincarnation : The Phoenix Fire Mystery, mentionné plus haut, on doit signaler à l’attention du public français, l’ouvrage du Dr E. Bertholet : La Réincarnation, réédition 1978 chez Pierre Genillard — Lausanne, ainsi que l’excellente étude historique de A. des Georges : La Réincarnation des âmesselon les Traditions orientales et occidentales, Albin Michel, 1966.

15 The Journal of Nervous and Mental Disease (article déjà cité), vol. 164 No 5, mai 1977 (p. 305).

16 La distinction entre métensomatose et métempsychose n’est pas toujours claire, même chez les auteurs s’exprimant en grec.

17 Ce sens est attesté cependant dans le grand dictionnaire de Sir M. Monier Williams : Sans­krit-English Dictionary, University Press, Oxford.