(Revue Panharmonie. No 165. Janvier 1977)
Le titre est de 3e Millénaire
Compte rendu de la réunion du 1.10.1976
Le thème de cette réunion était celui de la « Solitude spirituelle » et les participants devaient faire part de leurs réflexions à ce sujet soit par des notes, soit par des rédactions.
« La solitude a au moins deux sens. Elle implique souvent un isolement douloureux, certainement ressenti par beaucoup d’entre nous. Et comme chaque expérience personnelle a un intérêt pour tous, il serait bon que ceux qui l’ont éprouvée nous en fassent part. Trois sens connexes peuvent être donnés au mot solitude : 1° son aspect psychologique, émotionnel, 2° l’isolement dans le sens d’indépendance pouvant être ressenti agréablement lorsqu’on vit dans un cadre oppressant, fût-ce celui de la famille, 3° la solitude, manque de contact avec les autres, mais aussi le sentiment d’être un être en soi et à la limite l’absence de l’autre n’est plus éprouvée comme bonne ou mauvaise, parce que la différence entre les êtres et les choses est abolie.
Un échange de vue se fait alors entre les participants. Voici quelques réflexions :
— On ressent la solitude quand on n’est pas sur le même plan que les autres. Elle n’est pas une souffrance pour tout le monde. Ma solitude n’est pas d’ordre humain, mais divin, il manque le contact que l’on pourrait avoir, mais comment l’atteindre ?
— Est-ce vraiment d’ordre spirituel ? N’est-ce pas l’angoisse éprouvée lorsqu’on fuit une zone de sécurité et qu’on est obligé, seul, d’affronter quelque chose de nouveau ?
— Pour un autre cette solitude n’est pas encore vraiment ressentie. La recherche se fait seul dans son coin. Dans la vie on est toujours seul quelles que soient la situation ou la famille. C’est une bonne chose qui oblige à se scruter soi-même et qui peut amener à Dieu, à son omniprésence. D’autre part on n’est jamais seul quand on peut rendre service à d’autres.
— Il ne devrait pas y avoir de solitude spirituelle, je ressentais la solitude lorsque j’étais dépendant de toute partie physique, émotionnelle, pulsionnelle en moi. Il était nécessaire que j’acquière une certaine indépendance et que je fasse une coupure brutale avec la notion du père et de la mère. Et alors cette solitude devenait satisfaisante, mais parfois angoissante. Ce qui me préoccupe, c’est la différence entre indépendance et autonomie, cette dernière ne m’obligerait pas à me couper des autres et m’apporterait un contact avec la Réalité, car je suis arrivé à cette conviction que « les autres » sont ce qui n’est pas encore moi, je ne les ai pas encore intégrés.
— N’est-ce pas le monde qui doit vous intégrer ?
— C’est précisément dans ces différentes nuances que se situe ma recherche. Il ne faut pas d’aliénation ni d’un côté ni d’un autre. C’est difficile à expliquer.
— Il y a deux niveaux de communication, commente notre animateur, celle sur le plan humain, sur le plan moral, elle est rare, et peu de gens ont de vrais amis. L’autre est celle où l’on est à l’écoute de l’écho qui peut venir. On écoute le silence de l’autre.
Celui qui part dans une recherche est isolé, le comportement avec les autres en est souvent altéré, parce qu’on se croit nettement divergent. L’étude de la pensée traditionnelle opère un changement dans l’inconscient qui fait que c’est beaucoup moins soi qui pense. Il y a aussi une certaine implantation dans l’être qui pense autrement que ne pense le moi courant. On vit sur deux plans, celui de l’expérience avec l’ensemble des réactions psychiques que comprend ce sentiment d’isolement, et simultanément on est conscient que cela a un certain cachet d’irréalité et là alors il n’y a plus de solitude en tant que sentiment d’isolement, on se rend compte que ce n’est qu’un filet d’eau dans tout le torrent de l’existence sensorielle et psychique qui est alors vécue comme un provisoire. Il y a une certaine préhension du caractère non-essentiel du vécu au profit du non-vécu.
Dans la pratique de la méditation la solitude n’est pas ressentie, mais une certaine indépendance. C’est l’état sans penser qu’on appelle « dhyana ». A ce moment il n’y a plus ni moi, ni les autres. On sent bien que quand on a quitté cet état, le monde est toujours là et se repolarise en intensité et en exigence et que la présence du monde et son élimination sont jusqu’à un certain point, soumis à la volonté ; et on découvre que la pensée, la partie du monde la plus fugace, est la moins nécessaire. En résumé, on peut très bien être à la fois en état d’isolement et se rendre compte qu’il y a autre chose. A ce moment on travaille sur deux plans. Et, en troisième lieu il y a la méditation qui permet d’expérimenter ces choses.
— Il y a un premier sentiment d’isolement quand on rompt avec les sentiers battus des traditions et qu’on est obligé de se reconstruire intérieurement. Puis au fur et à mesure que se précise la recherche, il se produit un retournement des valeurs et on ne parle plus le même langage que le commun des autres. Finalement s’établit une communication avec les autres, quelle que soit leur attitude dans la vie, du fait que nous sommes tous d’une même essence et que malgré toutes ces divergences, il y a quelque chose qui joue, qui perçoit l’essence des êtres et alors il n’y a plus de solitude.
— Ne pourrait-on dire que la Réalité qui est inconsciente dans l’être, s’exprime à travers la manifestation qui n’est qu’un aspect de la Réalité. Et comme nous nous identifions à cette apparence, nous sommes frustrés. Mais à travers cette frustration et les avatars de l’existence se produit un déclenchement de la conscience qui se rend compte que tout cela n’est pas la Réalité.
— Nous ne voyons pas le Réel, nous ne voyons que la façon dont il se manifeste. Lorsque nous voyons un objet en bois, nous ne voyons que l’objet qu’il représente et non le bois. Or finalement c’est du bois et non un objet. Il y a une intuition qui nous permet de constater l’existence des choses et non du monde et de voir que celui-ci n’est pas aliénant, parce qu’il ne manifeste rien qu’un même inconnaissable, mais qui est tout ce qui est connu. La conscience individuelle est aussi un de ces objets. De quoi est-elle faite ? C’est une question qui s’impose quand on fait beaucoup de méditations, on se demande « qui est-ce qui voit ? » Il y a un être psychique qui voit, une conscience, et puis il y a quelque chose qui est vu. Dans le silence, les yeux fermés, le spectateur et ce qui est vu sont réduits à leur plus simple expression, c’est-à-dire une sensation confuse d’identification. Le monde nous ne savons pas ce qu’il est, nous l’expérimentons et cette expérimentation du monde est un certain type d’expérience de nous-mêmes en tant qu’expérience et non d’expérimenté. Ce sont des expériences différentes je parle ou j’entends. Dans la méditation le courant sensoriel qui nous irradie sans cesse est sensiblement ralenti, nous nous apercevons qu’il n’est pas essentiel et nous prenons simplement notre esprit comme un écran qui n’est pas seulement à trois dimensions, mais qui a toutes les dimensions qu’ont nos sens. Le monde c’est cela pour nous, nous l’absorbons, nous le possédons, le monde c’est nous.
— Un participant conteste que la Réalité en nous est inconsciente.
— Il y a une conscience universelle, répond l’autre, une intelligence universelle, un inconscient universel qui va selon les phases de la manifestation dans sa descente, prendre des instances différentes. C’est Dieu qui s’expérimente lui-même et nous ne sommes finalement que des prises de conscience de cette participation universelle.
— Je ne pense pas, il n’y a qu’un effacement possible de ce qui n’est pas et alors il ne reste que ce qui est.
Patrick Lebail : Vos positions ne sont pas tout à fait les mêmes. Etre conscient de quelque chose, c’est là où il y a quelqu’un qui voit et quelque chose qui est vue. Mais la conscience sans objet n’est pas une abstraction et la conscience individuelle n’en est qu’un point de vue. La Réalité n’est pas autre chose que la perception vue par elle-même dans les différents Soi. (S’adressant à un participant) Est-ce que vous acceptez ces façons verbeuses, un peu philosophiques de s’exprimer ?
— Oui, parce qu’il y a des gens qui doivent s’exprimer ainsi. Ce fond qui est commun, ce Soi auquel chacun apporterait éventuellement quelque chose est comme une conscience pour les hommes. Si on rend service on est en contact avec cela, de même quand on est content de ce qu’on a fait. Si on se place à ce point de vue on n’est plus seul. On l’est peut-être vis-à-vis des humains, mais on ne l’est pas parce qu’il y a un arrière-plan. Sur ce plan on n’est pas seul, tout le monde marche ensemble, c’est la communication de chaque jour.
— Mais que se passe-t-il lorsque vous avez fait quelque chose de juste et que le choc en retour de la personne en question ne correspond pas à votre intention ?
— Je l’ai expérimenté, c’est assez dur même quand je suis content de moi. Il faut avoir le sens d’être juste, on ne peut pas toujours faire plaisir.
— Le terme solitude spirituelle n’est-il pas un peu faux et ne pourrait-on pas parler de solitude sur le chemin ?
— Le mot spirituel n’a pas de définition standard, on peut le substituer à un autre. Dans un grand traité hindou il est dit : « Pour celui dont les pieds sont chaussés, la terre entière paraît recouverte de cuir ! »
Au sujet de l’art : L’art est en un certain sens une compensation. Il ne faut pas mêler le psychisme au spirituel. L’aventure elle-même est psychique, c’est une expérience. Le spirituel est un parfum, une foi, une intuition. L’art peut être un piège. Il est un mélange de compensation, d’émotivité, d’autosatisfaction et, d’autre part, il est tout de même de la nature de l’illumination qui ressort dans les œuvres d’art. L’artiste engendre un monde idéalisé qui est un sous-produit, une sorte de décalque imparfait, assez grossier du monde réel. Il contient quelque chose de divin, mais on ne sait pas quel en est le dosage.
Compte rendu de la réunion du 5.11.1976
La réunion débute par la proposition de son animateur d’approfondir le travail personnel et de trouver un nouveau thème à débattre. Ce travail doit déboucher sur quelque chose et pour cela il est indispensable que chacun prenne la décision d’y participer en consacrant quelques minutes par jour à la réflexion et à un peu de pratique.
Il semblerait que la recherche soit faite de trois composantes : l’émotivité, la moralité et l’intellectualité. D’après un schéma, Patrick Lebail nous explique les affinités qui existent entre les composantes et les « voies » qui permettraient de préciser les tendances d’une sensibilité.
L’étude et la pratique sont les deux jambes du chercheur. L’étude permet de comprendre ce que nous faisons, la pratique de faire une application de l’étude, c’est-à-dire de ne pas rester dans une attitude de spéculation. La pratique s’avance dans un univers inconnu du psychisme.
Dans le Gîta il y a principalement deux thèmes : la foi et la méditation Ceux qui décident de faire un travail personnel trouveront l’illustration de ces thèmes dans les versets cités.
La question de la foi semble tout à fait centrale : « la foi de chacun correspond à ce qu’il est en sa propre nature ». La foi, essentiellement, c’est ce que nous aimons une fois que nous avons retranché les choses auxquelles nous sommes attachés dans le monde sensible. Il est extrêmement important de savoir ce qu’est sa foi, de connaître son angoisse. La foi n’est pas sécurisante, elle apaise. « L’homme est véritablement ce qu’est sa foi », voilà ce qui nous met sur le plan psychologiquement et spirituellement vrai.
La méditation, c’est la culture de l’attention. Il s’agit de patience, de fortitude et de quiétude progressivement atteintes. Les émotifs peuvent aller vers la Bhakti, les gens de nature purement morale vivent une pureté dont ils ont l’intuition et qui les gouverne. Les intellectuels ont l’esprit alimenté par leur étude qui se vérifie dans le silence.
Une approche de la méditation peut être facilitée par l’ouvrage de Patrick Lebail, « La Découverte Intérieure » parue au Courrier du Livre. Cet ouvrage a été écrit dans un but didactique.
Le thème de la solitude avait été retenu lors de la précédente réunion. Des participants ayant noté par écrit leurs réflexions sur ce sujet, il s’ensuit de longs échanges de vues à propos de ces textes.
Parmi les réponses à la question « suis-je un chercheur ? » certaines remarques peuvent être rapportées, notamment que le fait de chercher sa voie est une possibilité moderne.
S’il y a un minimum de recherche à faire pour trouver ce qui est assez valable, il ne faut pas passer son temps à chercher. On trouvera un jour ou l’autre une évidence, pourvu que l’on soit décidé à s’arrêter quelque part. Alors on a ce fameux éveil de la foi.
On ne s’arrête pas pour contempler, la recherche continue, mais dans un sens assez déterminé. Certains, très rares, s’arrêtent comme ce fut le cas pour le Maharshi. Il y a là une ascèse. C’est un travail d’autodestruction qui ne peut aboutir qu’à la mort des instincts, des désirs. C’est la mort de soi-même et c’est dans cette mort qu’il y a la résurrection. Le Maharshi a dit « La solitude est une attitude mentale. L’homme attaché aux choses de ce monde ne peut l’obtenir où qu’il soit. »
Après quelques années de recherche, il n’y a plus de solitude sur le chemin, car l’on rencontre des gens qui sont du même bord. Cela prend du temps, c’est le travail d’une vie. C’est cela qui lui donne son sens.