Toute généralisation comporte, par définition, des éléments d’erreurs puisque les phénomènes marquant de leur sceau une époque ne peuvent, au mieux, qu’illustrer une tendance dont les effets varient dans l’espace et dans le temps.
Une chose, pourtant, est certaine. La rapide mutation technologique, dont l’une des caractéristiques est la substitution de l’artificiel au naturel, entraîne une transformation physiologique aux conséquences imprévues.
Le processus est en cours, même si ces conséquences ne se font que progressivement sentir. Il affecte sans doute le comportement humain, donc l’univers psychologique qui le détermine. L’effort cérébral fait place au calculateur électronique. La liberté de décision est volontairement limitée, puisque soumise aux données fournies par l’ordinateur qui règne souverain, non seulement dans les entreprises, mais aussi dans les chancelleries dont dépendent la guerre ou la paix.
La nourriture aux composants chimiques modifie la complexe alchymie du corps et l’utilisation de fertilisants non naturels dans la culture, de même que l’emploi d’hormones dans l’élevage, entraîne des réactions biologiques chez l’être humain.
Les mets congelés, déshydratés, lyophilisés envahissent les marchés. Les fibres synthétiques remplacent la laine. Des produits à saupoudrer la viande pour la rendre moins coriace altèrent les qualités nutritives.
La chaleur nécessaire aux cuissons est remplacée par un procédé à ondes ultra-courtes qui dissocient les molécules alimentaires, pour permettre leur consommation.
La pilule modifie le rythme biologique de la femme et la génétique s’emploie à donner aux humains le moyen de fabriquer des surhommes ou, peut-être, des monstres.
Il semble acquis que l’homme saura promouvoir les conditions nécessaires à l’éclosion de la Vie. Il s’écriera dans son orgueil qu’il la crée, inconscient qu’elle ne se crée pas, « étant de toute éternité ».
Ignorant des lois de la Vie, il prône l’avortement, sans se soucier si la particule énergétique appelée âme, expulsée de son habitat naturel ne se réfugiera pas dans une autre matrice, entraînant des malformations qu’engendre la dissonance de son rythme particulier d’avec celui de la femme lui ayant donné asile, ou avec celui d’une ethnie dont l’évolution ne correspond pas à la sienne. La révolte, un jour, se déclenche et la haine éclate.
Sait-on qu’en une seule décade, en Occident, les avortements coûtent la vie à plus de victimes que l’hécatombe de deux guerres mondiales ?
Les recherches se poursuivent, les inventions se succèdent et font croire au progrès, mais on est en droit de se demander si la promotion humaine avance vraiment.
Livré à soi-même, l’homme moderne s’ennuie. Il tourne le bouton de la radio ou de la télévision. Il cherche un bruit de fond, même dans le travail. Il se promène dans les rues les oreilles bouchées par l’embout d’un transistor portatif. À force de donner des jouets sophistiqués aux enfants, ils ne savent plus jouer. Les citadins se sentent déboussolés. Ils consultent des voyantes, des astrologues, des psychiatres. Aucun idéal ne les soutient dans leurs préoccupations journalières.
Désabusés, ils se jettent à corps perdu dans des aventures sans issue, voulant trouver dans le paradis des drogues le terrorisme, le fanatisme, ou dans l’agitation permanente des exutoires à la nostalgie d’un ailleurs indéfini.
L’artificiel déshumanise-t-il ses victimes consentantes ou, à la longue, les aide-t-il à mieux maîtriser un destin méconnu ? En ce cas, comment s’y prendre et cet interrogatoire fondamental nous amène à la vocation, donc à la mission de l’homme occidental et, par voie de conséquence, de l’Occident.
Même nébuleuse, même si des excès de tout genre semblent favoriser le déclin, une prise de conscience se dessine, caractérisée entre autres par la recherche du maître qui s’accélère en Occident. Elle est le fait d’une jeunesse qui se révolte, voulant comprendre et non croire. La jeune génération s’imagine volontiers trouver au loin l’être exceptionnel qui saurait guider sa quête.
Le désir de le trouver risque de la faire dévier. À force d’imaginer ce qu’est un maître, on court le danger de se fourvoyer. On veut ne pas se tromper, mais on tombe victime de son illusion.
On oublie trop facilement qu’un maître ne se vante jamais, ni de ses qualités ni de ses pouvoirs, qu’il évite d’exercer la moindre influence, s’abstenant de toute affirmation provoquant la satisfaction à l’idée d’être privilégié. La quête du maître est, cependant, le symptôme d’une aspiration essentielle, celle de découvrir comment assumer son destin.
Notre siècle est, en fait, profondément religieux malgré les apparences contraires. Si les séminaires ou les monastères se vident, se remplissent les centres zen, tibétains ou autres. Des groupes se forment, des communautés s’installent, des sectes foisonnent, promettant aux adeptes une « existence différente ».
Le meilleur s’allie au pire et l’exploitation d’une aspiration essentielle bat son plein. Elle fait, néanmoins, tache d’huile et la quête de Vérité atteint des couches de plus en plus larges de la population.
De quelle Vérité s’agit-il ? Elle semble élusive, puisque d’aucuns la cherchent, alors que d’autres prétendent la posséder et que d’autres encore clament : « À chacun la sienne ! »
Éclairons cet important sujet, en nous rendant à l’évidence que la Vérité ne peut pas être codifiée. Elle correspond à la vision de l’instant, mais cet instant de Vérité illumine l’Être, sans pour autant enfermer le personnage dans une certitude illusoire due à une représentation mentale qu’il voudrait définitive.
La Vérité participe au rythme de la Vie et ne peut s’appréhender qu’au-delà de la mouvance des formes dont chacune révèle une de ses innombrables facettes. La vérité, alors, se confond avec la Réalité à l’arrière-plan des apparences, mais cette Réalité est, elle-même, liée aux différents niveaux de perception qui s’échelonnent du plan physique, au plan supramental ou spirituel.
Pour les uns est vérité ce qui est observable, pour d’autres elle correspond à une idéation divine dont le Verbe est l’expression. L’observable se situe dans la double polarité des choses de ce monde. La vérité quotidienne rend cette dualité perceptible. Elle est une donnée du plan existentiel. En revanche, l’idéation divine correspond à la Loi Universelle, au Logos des anciens et cette Réalité transcende toute polarité se situant au-delà du Yin et du Yang, au-delà de l’actif et du passif, au-delà du masculin et du féminin.
Entre ces deux extrêmes, l’observable et le sacré, se place le monde de l’occulte. On a trop longtemps nié de trop récalcitrants miracles pour s’étonner de la vogue dont jouit l’exploration de l’univers de la parapsychologie, de la médecine dite parallèle et du spiritisme.
« Rien de caché qui ne doive être connu. » L’attrait de l’occulte offre, néanmoins, un danger. Il faut une préparation pour pénétrer les arcanes de l’invisible. Il faut ne pas vouloir y trouver ce qu’on y cherche et pas davantage s’imaginer que les notions familières y ont cours.
Aborder le monde de l’occulte avec des idées préconçues est le plus sûr moyen d’aboutir à des interprétations pour le moins tronquées, ou plus vraisemblablement, entièrement fausses. Il faut dépasser toute projection mentale pour comprendre, et non croire à ce qui n’est pas vérifiable.
Dans l’un des évangiles apocryphes, il est dit : « Lorsque le féminin ne sera plus féminin et le masculin ne sera plus masculin, tu entreras dans le Royaume », et cette affirmation attribuée à Jésus nous ramène au problème de la dualité existentielle.
Tournons-nous un court instant vers le calvaire. Si le terme apocryphe a pris le sens de douteux, sa signification première évoque le secret. Un secret envelopperait-il, au-delà du drame vécu, la cruci-fiction ? Le calvaire nous offre le spectacle tragique de Jésus crucifié entre deux larrons. Image saisissante, image chargée d’enseignements. Pourquoi Jésus a-t-il été crucifié entre deux larrons qui s’opposaient dans leur ultime comportement ? L’un de ses larrons s’éveille à la vie, tandis que l’autre, irrémédiablement aveugle, adresse quelques cruelles plaisanteries au sublime messager.
Tout symbole véhicule une idée essentielle. Le drame poignant du calvaire servirait-il de symbole ? S’agirait-il de l’homme tourmenté entre le bien et le mal, naissant à la vie en mourant ? Peut-on en déduire que la Vie, toujours triomphante, poursuit sa vivante aventure, même si l’existence est suspendue ?
Sur le plan existentiel, le bien et le mal s’opposent. Le mal règne quand l’homme cherche la puissance pour s’en servir à son profit, ou au profit du système auquel il s’identifie. En revanche, le bien est ce qui assure l’harmonie, celle du corps et de l’esprit, celle qui dépasse l’effervescence des passions.
L’opposition est source de perpétuelles confusions, donc de conflits. « Je suis écartelé entre le mal que je fais et le bien que je voudrais faire », s’est écrié Ovide, et avant, et après lui, bien d’autres.
L’homme avide de nourritures terrestres, d’émotions, de savoir et de vanités intellectuelles donne naissance à la peur, racine du conflit. Tourmenté par la peur de l’inconnu, la science, en repoussant les limites de ce qui échappe au savoir, l’amplifie, dévoilant une complexité croissante de l’Univers, qui l’effraye. C’est toujours par le jeu des opposés que l’homme se laisse distraire du chemin de la Vérité, qui est aussi celui qui conduit à l’Arbre de Vie, planté au centre du Jardin de l’Eden.
Ayant mangé du fruit de l’Arbre de la Science du Bien et du Mal, l’homme, oublieux de son unité originelle succomba à l’illusion de la dualité attaché à l’existant. Il s’efforce de trouver le chemin qui conduit à l’Arbre de Vie, mais les bonnes intentions ne suffisent pas. L’enfer est pavé de bonnes intentions, qui sont un voile que l’homme jette pudiquement sur ses désirs, sur ses passions, sur ses vices.
L’homme, victime de la dualité est en constant conflit avec lui-même. Étant soumis à ce conflit, il n’est pas libre, donc incapable d’accéder au troisième terme fécond, à l’Harmonie qui transcende les forces antagonistes.
Réaliser l’Harmonie en Soi, c’est réaliser le parfait équilibre entre les plans de sa constitution ternaire, physique, psychique et spirituelle, c’est épanouir sa vraie nature. Chargé d’astuces, de malices, de pseudo-spirituelles évocations, soumis à des théories captivantes et des doctrines appâtant la raison, l’homme s’attache aux satisfactions temporelles, s’imaginant pouvoir servir Dieu et Mammon en même temps.
« Celui qui marche dans les ténèbres ne sait où il va », a dit saint Jean. Or, manquant de discernement, on marche dans les ténèbres de l’inconscience qui comporte, quoique occulté, le souvenir de toutes les expériences passées. « On peut connaître le monde sans quitter sa chaise, a dit un sage, parce que le monde est en soi. » « La goutte dans la mer, poursuit-il, sait peut-être qu’elle appartient à la mer, mais elle ignore que la mer est en elle. »
Dieu et le diable sont en nous, mais c’est surtout le diable qui mène grand tapage. Il est passé maître dans l’art de faire parler de lui. Scandales, meurtres, affrontements, controverses et autres maux s’étalent à la une des journaux.
Le diable conduit une farandole gigantesque, pourrait-on croire. C’est exact, pour autant qu’entraîné dans une ronde diabolique, l’homme cherche les succès éphémères voulant soumettre la nature à sa loi. Les défaites succèdent aux victoires et les victoires aux défaites, sans le faire renoncer à poursuivre des chimères.
Fort de son génie, il marque le monde de son empreinte, il greffe les arbres, il crée des espèces nouvelles et il modifie l’aspect du globe. La satisfaction habite son cœur que le bonheur déserte et que l’anxiété investit.
Il est temps de se rappeler que l’Arbre de Vie est sous la garde des anges et que l’immortalité se distille dans son propre corps, en faisant vibrer la harpe de son âme à l’unisson de celle du monde, autrement dit, en accordant son rythme essentiel au rythme pur de l’esprit.
Devenu lui-même angélique, l’homme pourra s’approcher de l’Arbre de Vie du Jardin de l’Eden, cueillir les fruits d’Or dans le Jardin des Hespérides et s’élever, lui-même un dieu, dans l’éther radieux pour être admis parmi les immortels.
Cette métaphore figure dans les « Vers Dorés », attribués à Pythagore, qui voyait en l’homme réalisé un dieu en puissance, et la Bible semble le confirmer. Elle parle d’un apprenti dieu qui, en toute logique, doit pouvoir atteindre la maîtrise. À condition de connaître ses outils, à condition de connaître l’œuvre qui sollicite sa collaboration, â condition d’être disponible de cœur et d’esprit.