Jacques de Marquette
Le monde et l'homme dans les religions

En gros, dès son début, le 2e millénaire avant notre ère avait vu se réaliser un premier commencement de syncrétis­me, dans une réduction parallèle de la multiplicité des dieux secondaires des Panthéons des peuples du Proche-Orient au rôle de sujets d’un Dieu suprême et universel. Ce Souverain de l’Univers s’accommodait avec une souveraineté débonnaire de la persistance des cultes de déités inférieures; mais dès le XIIe siècle avant Jésus-Christ, Moïse exigea un culte exclusif pour un Dieu Unique de l’Univers, rejetant les autres au rang de simples créatures. En même temps, les divers clergés avaient tendance à échanger leurs conceptions, celles en particulier sur la constitution septénaire de l’Uni­vers, ainsi que sur une hiérarchie de sept légions d’esprits célestes, ministres de Dieu dont ils réalisaient les intentions créatrices sur les sept plans fondamentaux du Cosmos et dont la classe des anges la plus proche des humains, guidait ceux-ci dans leurs efforts de fidélité aux intentions du Créateur.

(Extrait de Panharmonie par  Jacques De Marquette. Édition Panharmonie. 1959)

Nous allons procéder à un court exposé comparatif des principales conceptions religieuses de la nature de l’Univers, de celle de l’homme et de sa place dans la création.

En gros, dès son début, le 2e millénaire avant notre ère avait vu se réaliser un premier commencement de syncrétis­me, dans une réduction parallèle de la multiplicité des dieux secondaires des Panthéons des peuples du Proche-Orient au rôle de sujets d’un Dieu suprême et universel. Ce Souverain de l’Univers s’accommodait avec une souveraineté débonnaire de la persistance des cultes de déités inférieures; mais dès le XIIe siècle avant Jésus-Christ, Moïse exigea un culte exclusif pour un Dieu Unique de l’Univers, rejetant les autres au rang de simples créatures. En même temps, les divers clergés avaient tendance à échanger leurs conceptions, celles en particulier sur la constitution septénaire de l’Uni­vers, ainsi que sur une hiérarchie de sept légions d’esprits célestes, ministres de Dieu dont ils réalisaient les intentions créatrices sur les sept plans fondamentaux du Cosmos et dont la classe des anges la plus proche des humains, guidait ceux-ci dans leurs efforts de fidélité aux intentions du Créateur.

Il est assez difficile d’établir si cette division septénaire de l’Univers a été formulée d’abord en Asie Centrale, ou aux Indes, ou bien en Mésopotamie, ou dans la vallée du Nil, ou si, selon les théories des occultistes, elle est venue de la fabuleuse Atlantide.

En tous cas, la Mishna et le Talmud nous apprennent que les Israélites revenant à Jérusalem ont apporté les théories Irano-Babyloniennes sur les Anges et les divers plans des prodigieuses sphères intermédiaires entre la terre et la lu­mière éblouissante entourant le Trône de l’Éternel. Ils rapportèrent aussi une sorte de théorie des rapports entre les aspects numérables des normes créatrices au sein des phéno­mènes avec les valeurs numériques attribués aux lettres et aux signes de l’alphabet ou des écritures liturgiques.

Ces théories sur les valeurs numérologiques des lettres et signes des langues sacrées eurent cours dans tout l’Orient depuis la Phénicie jusqu’aux divers Bouddhismes de l’Asie Orientale et elles engendrèrent de nombreux systèmes de magie numérologique et d’élaborations de clefs variées pour l’interprétation des écritures sacrées. Mais leur influence a été restreinte à des cercles assez étroits de philosophes plus ou moins ésotériques.

Cependant, il en résulta une tendance générale à considé­rer les textes religieux comme gros de significations qui ne se révélaient qu’à la réflexion. C’est ainsi que naquit la tradition courante dans le Judaïsme dès le retour de Babylone, de la présence dans les écritures de 4 à 5 sens inclus les uns dans les autres, en quelque sorte concentriquement.

Au contraire, les idées sur la structure septénaire de l’Uni­vers ont joué un rôle capital dans les descriptions des diver­ses phases de la création, dans celles de la nature de l’homme considéré comme un microcosme, un petit univers, organisé sur sept plans correspondant à ceux du Macrocosme. Elles ont également fourni les cadres attribués par les théories mystiques aux diverses phases de l’ascension de la conscience humaine vers l’Union avec la conscience divine. En ce qui concerne le Judaïsme, les théories septénaires du Cosmos ont servi de fondations au mouvement de la Mercaba qui, plus ou moins directement, constitue la base de la mystique Juive pendant 18 Siècles entre le retour à Jérusalem au VIe siècle avant Jésus et la publication du premier ouvrage sur la Kabbale, par un Juif Français de Beaucaire en Avignon, au XIIe siècle de notre ère.

Ces idées gnostiques décrivent la création du monde à tra­vers les hypostases de la Volonté Créatrice l’organisant le long des 7 plans de l’univers et de leurs nombreux sous-plans, eurent une influence profonde sur tous les peuples de l’Anti­quité ; dans les foyers de culture Hellénique d’Alexandrie et d’Antioche, sur les sectes mystiques Juives des Esséniens et des Thérapeutes qui fleurirent pendant les cinq siècles entre la reconstruction du temple et sa destruction finale par Titus. Il en fut de même pour les cercles ésotériques existant parmi les Pharisiens à l’époque du second temple avec leurs des­criptions des diverses légions d’Hayoth, les hiérarchies An­géliques, régissent le monde; sur les cultes des Mystères Grecs et à travers l’Alexandrisme sur les Pères de l’Église et sur l’admirable floraison d’auteurs mystiques Chrétiens en Syrie du IIIe au VIe siècle. On en retrouve des traces dans les sept châteaux de l’âme de Sainte-Thérèse.

D’autre part, on trouve cette division septénaire de l’Uni­vers dans l’Hindouisme et comme il est beaucoup plus facile de pénétrer la doctrine de celui-ci, encore professée par une pléiade de profonds philosophes, nous y aurons recours pour nous fournir la clef, non pas de l’univers réel, mais des représentations que s’en sont formées les plus puissants penseurs de l’humanité au cours des quarante ou cinquante der­niers siècles.

En commençant, pour couper court au haussement d’épau­les qui pourrait être causé par l’idée d’aller chercher des ins­tructions dans ces idées vétustes, rappelons que non seulement les astrologues Chaldéens avaient établi un calendrier exact il y a plus de 4000 ans, mais aussi que la loi de Manou des Indiens enseignait déjà, il y a 3 ou 4000 ans, une conception exacte de l’Univers qui n’a été adoptée par les reli­gions Occidentales qu’après qu’elle eut été découverte expé­rimentalement par les savants laïques d’Occident. Souvenons-nous modestement qu’à la même époque, en temps d’orage, « nos ancêtres, les Gaulois » sortaient tout hirsutes de leurs cases pour lancer furieusement leurs flèches contre Teutatès tonnant, pour l’amener à faire tomber sa foudre ailleurs. Pensons également à la démonétisation toute ré­cente non seulement des notions physiques du siècle dernier, mais aussi de la logique Aristotélicienne au profit des doc­trines physico-psychologiques (ou spirituelles) de la Doctrine de la Totalité. De nombreux savants modernes pensent qu’il est possible de concilier les données Hindoues sur la com­plexité des origines énergétiques des phénomènes de notre univers avec les idées modernes sur la structure des atomes. Si bien que, sans prétendre accorder aux idées Hindoues une valeur scientifique « incontrovertible », on est autorisé à s’en servir sinon comme d’hypothèses de travail ; mais au moins pour un effort d’appréciation des diverses thèses échafaudées par l’humanité pour comprendre l’Univers.

On peut dire qu’en gros, du point de vue humain, les Hin­dous considèrent l’Univers réel comme constitué par trois étages. I. – Le Créateur. II. – Le monde des causes intermédiaires entre le Créateur et sa création et comprenant les Trimourtis démiurgiques. III. – Le monde complexe des effets. C’est celui qui nous entoure, fournit à notre corps les maté­riaux subtils qui le constituent et dont le principal attribut est d’échapper à notre perception.

Le pseudo univers physique que nous croyons connaître par notre expérience pratique n’est qu’un sous-produit irréel du monde des effets. L’univers réel, celui des causes, nous échappe complètement. Pour Kant, les phénomènes étaient construits dans leurs aspects perceptibles par nos sens et par les catégories de notre entendement ; mais les noumènes, les « choses en soi » étaient inconnaissables. Les Indiens, consi­dérant les noumènes comme les seules réalités dignes de retenir l’attention des penseurs, rejettent ce monde matériel comme illusoire et divisent l’Univers en deux aspects complémentaires, le monde des causes ou monde sans forme : « Aroupa », et le monde des effets ou monde de la forme : « Roupa », dont l’expérience sensorielle n’est qu’un sous-produit. On se souvient qu’avec son génie, Platon écrivait dans son Téétète que l’univers naturel ne pouvait être ni vu, ni en­tendu, ni touché, mais qu’il pouvait être « perçu par l’intel­ligence rationnelle qui se tient au gouvernail de l’âme ». Ce fût exactement la position des antiques penseurs Indiens re­joints par l’épistémologie moderne.

Les Indiens décrivent deux mondes entre le Créateur et les histoires fictives que nos sens nous « racontent » sur le monde que nous croyons connaître. Le premier monde qui procède directement de l’Esprit ou du Créateur, Ishvara, est intermé­diaire entre la source transcendante à toute vie qui est hors de l’espace et du temps et de toute relativité, c’est-à-dire de toute qualité, et les centres d’émergence de la vie dans le monde du temps et de l’espace, qui sont les Trimourtis en­gendrant les innombrables « Brahmandanis », les œufs de Brahma, tous les soleils de toutes les voies lactées. On sait qu’entre l’Absolu « au plus haut des cieux », transcendant aux univers dont il provoque la création, et ceux-ci, il y a, pour notre science occidentale, en quelque sorte deux relais celui des voies lactées particulières, agglomérations de myriades de milliards de soleils, celui de l’Univers total en­globant toutes les voies lactées dans la courbe de son espace.

Entre l’absolu et les Brahmandanis solaires, les Indiens font état de deux plans transcendants, à l’entité spatiale uni­verselle. Celle-ci est une sorte de réceptacle de la grande âme du monde, qui serait une transcendante Anima Mundi, l’âme unique de l’univers de toutes les galaxies, constituée par le mouvement perpétuel de l’acte créateur par lequel Nirguna Brahman devient Saguna Brahman, c’est-à-dire l’acte par lequel, avant d’entreprendre les opérations qui amèneront l’actualisation réalisatrice de la troisième personne de la Trinité, du Saint-Esprit, celui-ci reçoit l’essence de la seconde. Celle-ci est ainsi réellement le Sacré Cœur des univers puis­qu’elle est au point d’émergence de la vie au sein de toutes les créatures où Sa présence créatrice est intimement impli­quée dans les actes opératoires du Saint-Esprit.

Le plan immédiatement supérieur à l’enveloppe ou sphère extérieure et spirituelle de l’œuf de Brahma est le Vaikuntha Loka, sorte de centre trans-spatial de notre voie lactée, notre Céleste Patrie. Le Goloka serait le point inétendu et infini à travers lequel l’acte créateur passe de la potentialité de la deuxième personne de la Trinité à l’actualisation de la troisième.

Il faut avoir soin de ne pas accepter littéralement cette tentative de description des deux plans Vaikuntaloka et Go­loka. Il serait radicalement faux de considérer ces aspects de la volonté créatrice comme associés aux espaces galacti­ques ou même à l’espace total de l’Univers avec son diamètre de millions d’années-lumière. Il s’agit là de sujets dépassant entièrement notre entendement. Il est cependant assuré que la différence entre le Goloka et le Vaikuntaloka et le degré le plus élevé du plan communiel de notre œuf de Brahma, le Satyaloka, sont d’ordre purement qualitatif et ne relèvent en rien des données du monde de l’espace-temps et de ses quan­tités mesurables.

Nous sommes entrés dans ces détails pour permettre aux débutants de la métaphysique orientale de comprendre quelles perspectives vertigineuses elle offre aux spéculations. Mais pour le moment, nous retiendrons la description de l’univers solaire, l’œuf de Brahma par l’intermédiaire duquel l’homme participe à la vie universelle.

L’univers solaire se compose d’une hiérarchie de sept gran­des modalités du devenir s’élevant vers l’Être, englobant toutes les créatures qui y puisent à la fois les cadres et les éléments de leur développement. Aucun de ces sept plans n’est matériel au sens où nous entendons ce terme. Même sur le plus inférieur, le plus dégradé de ces élans de l’Esprit créateur vers les bas fonds de l’espace-temps, ceux où le temps s’écoule avec le maximum de densité et de vitesse, les corps ne sont que des agglomérats variés de modifications de l’énergie universelle laquelle échappe à toute figuration autre que symbolique.

Cependant, en restant dans les généralités superficielles, ces sept plans sont comme nous l’avons vu divisés en deux groupes ou mondes, l’un supérieur ou monde sans forme, et. l’autre inférieur, ou monde des formes. Chacun de ces deux mondes comprend trois plans et demi, car le quatrième plan est partagé entre les deux mondes entre lesquels il fournit une transition.

Nous allons donner une description sommaire de ces sept plans [1] mais nous devons rappeler encore une fois que nos descriptions sont nécessairement inadéquates puisqu’elles empruntent le vocabulaire des langues formées par l’expé­rience sensorielle de la race, tandis que les plans de l’uni­vers, bien qu’étant à l’origine des émissions qui engendrent les perceptions, sont essentiellement des phases ou des mo­dalités particulières de la pensée créatrice divine, dont nous ne pouvons avoir aucune connaissance.

Sans prétendre expliciter l’ineffable, on peut comprendre que pour la conscience infinie de la Création en acte, les objets particuliers sont perçus non pas de l’extérieur, dans le contexte de leurs milieux variés, mais à l’intérieur du mouvement non spatial caractérisant leur essence ontogéné­tique au sein de l’unité homogène de leur plan d’origine, et que d’autre part cette perception, ou plutôt cette conscience de l’essence à la fois inhérente et antérieure à la création des êtres, ne se rapporte pas à un centre localisé. Ceci la rendrait encore parente de la nôtre, bien que sur un plan in­finiment supérieur. Elle est diffuse en une omnilocation qui fait qu’elle diffère de notre conscience non point en degré, mais en nature, de même que l’éternité n’est pas l’écoulement infini du temps mais est transcendante à celui-ci ce qui expli­que que les philosophes préfèrent lui donner le nom « d’in­temporalité » et à l’Éternel, celui « d’Intemporel ».

Après cette réserve voyons, quels sont les caractères de ces sept plans de l’Univers à la nature desquels l’homme total participe intimement, comme du reste toutes les créatures.

Les trois plans inférieurs du monde de la forme avec la moitié du quatrième plan, ont pour caractéristique fonda­mentale d’appartenir au monde de l’espace-temps c’est-à-dire aux quatre dimensions du monde de notre système solaire particulier. C’est cette participation au monde de l’Espace qui leur permet d’occuper un lieu délimité dans l’Univers, au sein de notre œuf de Brahma. De même, leur participation au temps les « actualise » à une époque particulière du deve­nir universel, celle de la durée de notre petit univers solaire particulier.

Le monde sans forme, de la moitié supérieure du 4e plan ou plan médian, jusqu’au 7e plan ou 7e ciel des mystiques, est complètement indépendant de l’espace et purement cons­titué par le déroulement dans le temps des variétés des diffé­rentes potentialités créatrices en marche vers l’actualisation sur les plans temporo-spatiaux. C’est à travers ce monde subtil et fluide que les opérations créatrices de la projection efficiente de Saguna Brahman, Ishvara, promoteur des trois personnes de la Trimourti, atteignent les plans du monde de la forme. Sur ces plans supérieurs, ou plutôt puisqu’ils ne sont pas spatialisés, durant le passage de l’énergie créatrice à travers eux, les créatures ne sont pas encore préfigurées par les schémas de leurs formes comme elles le seront sur le 3e plan du monde de la forme immédiatement adjacent à la partie inférieure du 4e plan de l’univers. Leurs formes à venir ne sont encore que des rapports de qualités caractéris­tiques en voie de réaliser ce qu’Aristote appelait leurs Enté­léchies. Leurs caractères spécifiques sont exprimables par des chiffres ou des nombres ainsi que Pythagore et les loin­tains ancêtres des Kabbalistes, l’enseignaient.

Les sept plans de chaque univers sont le théâtre d’une dou­ble action. D’une part, ayant été constitués par les hypostases consécutives des opérations créatrices du Brahma de la Trimourti qui les a projetées dans l’être, non pas à la manière d’un télescope dont les divers segments déjà tout faits se développent successivement, mais comme un puisatier cons­truisant progressivement les divers étages de son puits, ils continuent à servir de lieu de passage pour la continuation du flux descendant d’énergie créatrice maintenant dans l’exis­tence les diverses créatures sur les plans inférieurs.

Cette première phase de la vie du système solaire similaire à la procession cosmique de Plotin, est complétée par un courant remontant en sens contraire engendré par les activités des créatures. Après qu’elles ont créé leurs véhicules animés sur le plan le plus bas, leurs actions sont d’abord très élémentaires, consistant à peu près exclusivement en échanges nutritifs. Puis la recherche d’aliments engendre des facultés de perception qui sont à l’origine des tropismes et des organes rudimentaires de mouvements comme les cils vibratiles et les pseudopodes.

Progressivement, l’activité crée des organes qui ne sont que des accumulations d’habitudes de réagir d’une manière parti­culière à certaines conditions extérieures selon l’aphorisme « la fonction crée l’organe ». Pour les Hindous, les organes des corps physiques ne sont réellement que des accumula­tions des nombreuses quantités d’énergie qu’ils s’approprient. Leurs aspects extérieurs révélés par nos cinq sens ne sont que des illusions créées par ceux-ci. Le développement des organes physiques des créatures sur le plan inférieur réalise sur celui-ci la pensée créatrice du créateur que Platon nom­mait « L’Artiste Divin » puisqu’il portait en sa conscience les formes des corps qu’il allait appeler à la vie. La réalisation progressive de la pensée créatrice dans le déroulement tem­poro-spatial entraîne la foule des créatures, comme un courant universel, vers le but sublime de la vie dans ce que les Stoïciens nommaient déjà « le grand chœur (ballet) de l’Uni­vers » et que notre regretté Lecomte de Nouy a décrit avec un magnifique talent dans ce qu’il a nommé le Téléfinalisme.

Cette évolution des formes dans ce qui est l’empire de Brahman est accompagnée par une évolution parallèle des modes de conscience, constituant le domaine d’Atman. Toutes les matières des sept plans de l’univers sur l’arc descendant de l’involution étaient déjà de nature purement psychologi­que, constituées par la temporalisation de la pensée créatrice intemporelle, et soumise dans leur qualité propre à l’ubilo­cation et à la simultanéité méta temporelle de l’Unique émer­geant de Sa transcendance. Au contraire, les modes de conscience provoqués par les interactions des créatures sont si­tués dans le déroulement du devenir et localisés au lieu de leur émergence qu’ils érigent peu à peu en foyer de conscience, en centre de « durée intérieure » particularisé par une traînée, une succession d’expériences. Alors l’évolution élève son champ d’action sur le 2e plan cosmique, celui des modes sentimentaux et affectifs de l’activité psychologique. Les consciences des organismes attirés vers les objets néces­saires à leur conservation, éprouvent peu à peu des senti­ments de plus en plus précis et variés. Dans ce processus un peu comparable à celui décrit, à la suite du P. Teilhard de Chardin par le Professeur Leroy dans le passage de la « Bio­sphère » à la « Noosphère », un vaste plan esthésique se cons­titue peu à peu au-dessus du plan inférieur de l’émergence des créatures distinctes.

Encore une fois, rappelons « qu’au-dessus » doit être pris, non dans un sens spatial, mais qualitativement. Ce monde des sentiments s’actualise peu à peu au sein des couches de potentialités créées par l’involution. Les émotions y devien­nent de plus en plus riches et de plus en plus nuancées, s’a­daptant de mieux en mieux aux nécessités des relations en­tre les sujets conscients et les objets qui les provoquent.

Bientôt, ces modifications des sentiments adaptés aux caractères des êtres vers lesquels ils sont dirigés, amènent la perception des différences entre ces caractères. Ces différences entraînent leur perception en tant qu’objets distincts des émotions qu’ils suscitent. C’est le commencement des « repré­sentations mentales » qui émergent sur le troisième plan cos­mique, celui des activités intellectuelles.

Après avoir « découpé » dans la substance amorphe de leur plan, des « images » d’objets variés, cette activité mentale perçoit en ceux-ci des propriétés, des caractères, des valeurs. C’est le plan de la pensée qui s’actualise peu à peu par l’évolution progressive des activités de conscience.

Sur le plan le plus bas, celui de la « nature naturée » les modalités élémentaires de la conscience s’étendent à tous les êtres, sous forme d’affinités chimiques chez les minéraux, de tropismes variés pour les végétaux et des sentiments coénes­thésiques chez les animaux dans ce que nous serions tentés d’appeler à l’instar du vocabulaire de Leroy « l’Esthésio­sphère » intermédiaire entre la Biosphère et la Noosphère.

Sur le plan des émotions, on ne décèle guère la présence de supports de conscience minéraux, cependant les émotions élémentaires du règne végétal sont encore présentes au tréfond des sentiments organiques sous la forme de la coénes­thésie. Notre grand ami, Sir Jagadish Bose, Prix Nobel, a même prouvé que les végétaux supérieurs présentaient non seulement des sensations mais aussi de véritables sentiments, assurément très élémentaires, constituant les rudiments de l’activité psychologique végétale. Les animaux y atteignent des processus très variés de sentiments et les hommes y sont les supports d’une vie sentimentale très riche.

Sur le plan mental, on relève déjà une certaine manifes­tation d’intelligence animale, notamment chez les singes, les solipèdes et chez les animaux dressés qui arrivent souvent à satisfaire aux tests mentaux d’enfants normaux de 6 ans. Mais ces cas exceptionnels n’ont qu’une valeur d’indication, et l’humanité est en gros, l’agent exclusif de l’activité men­tale sur notre terre. Encore faut-il indiquer que seules les consciences d’élite sont capables de se dégager suffisamment de l’emprise des sentiments pour formuler clairement et li­brement leurs jugements. La vie mentale de l’immense majo­rité des contemporains n’atteint à la pleine conscience sur le troisième plan cosmique de l’intelligence concrète qu’à de rares moments de lucidité correspondant à l’assoupissement passagers des sentiments.

Le quatrième plan cosmique, intermédiaire entre le monde de la forme et le monde sans forme, est celui de l’intelli­gence rationnelle. Sa moitié inférieure sert de cadre aux pensées abstraites et générales engendrées consciemment par des consciences individuelles observant les objets con­crets et leurs relations entre eux. Elles constituent donc comme la sublimation des expériences mentales sur les plans concrets et formels. La moitié supérieure du quatrième plan est constituée par ce qu’on pourrait appeler la localisation des lois universelles de l’Univers progressant vers l’actuali­sation dans des consciences individuelles. Elles ont reçu leur dynamisme et leur caractère sur les plans supérieurs et c’est sur les sous plans [2] les plus élevés du plan intermédiaire qu’elles acquièrent la faculté d’atteindre les être manifes­tés et d’exercer leur action particulière. Ces sous plans sont aussi ceux de l’intuition scientifique ou rationnelle sur les­quels la conscience qui est assez déliée et subtile pour s’y éle­ver, entre en contact avec les directives dynamiques et orga­nisatrices, imposées par ces lois aux devenirs des êtres. Les lois générales de la vie revêtent sur ce plan à la fois la puis­sance, la caractérisation et la direction précisant leurs appli­cations à des conditions particulières.

Au-dessus de ce plan, on atteint le cinquième sur lequel s’exerce l’Intuition spirituelle. Les forces organisatrices de la création n’y ont pas encore atteint la faculté de former, de pénétrer et de diriger les individus. C’est ici que la vie Créatrice dans sa procession descendante vers l’incarnation, revêt les rapports entre les éléments des formes archétypiques, qui vont engendrer les formes des créatures lorsque les rayons émanant de ces archétypes auront passé par le plan inter­médiaire. Cette antichambre du monde de la forme joue pour les émanations des plans archétypiques le rôle d’une lentille de photographe collectant des rayons divers pour en former une image précise. Donc, sur ce plan de l’intuition spirituelle, les élans créateurs en voie de réalisation ont déjà reçu les qualités qu’ils imprimeront aux créatures, mais ces qualités sont encore de pures essences consistant en rapports de puis­sances susceptibles de les engendrer et elles n’ont pas encore été collectées en formes précises par le passage à travers « la filière » du plan intermédiaire entre le monde sans forme et celui de la forme. Nous sommes donc ici au plan où l’in­tuition spirituelle peut s’élever dans ses efforts pour commu­nier avec les « idées » Platoniciennes normatrices des choses à venir, à condition d’employer le mot idée, non dans le sens d’idole, d’image, mais de principe créateur de caractéristi­ques. Ce pourrait être le plan d’où émanent les intuitions des peintres non figuratifs s’efforçant d’exprimer ce qui n’existe pas encore, mais qui est la source des objets à venir. Naturellement un véritable peintre abstrait ne pourrait ja­mais être satisfait de ses œuvres, car s’il est réellement ins­piré par l’expérience intime informulée du contact ou plutôt de la proximité des courants de la vie créatrice, comme ceux-ci sont encore sur le plan sans forme, aucune forme, aucune ligne, aucune figure, géométrique ou non, ne pourrait reproduire ou exprimer ce qui n’est encore qu’un mouvement énergétique, une étape de l’ontogenèse.

Le 6e plan, immédiatement supérieur, celui des archétypes en puissance, est celui de ce qu’on pourrait appeler la spé­cialisation ou la qualification (c’est-à-dire la communication des qualités) des énergies qui émergent de la transcendance homogène du Dynamisme créateur cosmique originel arrivé à l’actualisation et qui est prêt à aller vivifier sur le plan de l’intuition spirituelle, les archétypes des germes de qualité et propriétés particulières qui vont donner leurs caractères aux espèces diverses des créatures.

Au-dessus de ce 6e plan où l’énergie créatrice perd son homogénéité primordiale pour devenir capable d’énergétiser les diverses qualités particularisantes engendrées sur le 5e plan, nous atteignons le 7e plan auquel les Hindous donnent le nom de Satya, Vérité, ou plutôt Réalité, où l’Énergie Créa­trice Divine est encore à l’état pur, au moment solennel où la volonté Créatrice sortant de l’Être pur, immobile et sans caractère, passe à l’acte pour entrer dans les déroulements du devenir [3].

Voici donc en gros comment les Hindous conçoivent les sept plans de la Vie. Leur description est à peu près semblable à celles données vers la fin du 3e millénaire avant J. C. dans les autres religions antiques et qui semblent avoir été inspi­rées par l’Hindouisme ou par une source commune antérieure.

Sans vouloir entrer dans des développements hors de pro­pos, nous signalons qu’il ne faut pas chercher un parallèle entre ces théories septénaires de l’univers et celles très postérieures de la Kabbale sur la hiérarchie des Séphiroth. En effet, ceux-ci ne sont pas des aspects hypostatiques des phases de la création, mais des sortes de particularisations qualitatives au sein même du Créateur, avant la création. Si l’on voulait comparer les deux théories, il faudrait faire un parallèle entre les Séphiroth et les étapes par lesquelles ParaBrahman, le pur transcendant, passe à l’état de Nirguna Brahman, Brahman sans qualité puis à celui de Saguna Brahman enfin à celui d’Ishvara, l’acte créateur. Les deux lieux ou règnes préalables à la création des Œufs de Brah­ma les Goloka et Vaikuntaloka étant antérieurs à la création de la Trimourti, on peut se demander si l’acte d’Ishvara créant la Trimourti, ne correspond pas à l’action du Rouach Hakadosh, le Saint Esprit, qui dans certaines théories Kabba­listiques est l’agent opératoire de la Grande Shékina, celle qui reste intérieure au Créateur et dont la projection dans l’Univers, la « Petite Shékina » n’est qu’une sorte de concré­tisation au-dessous de l’Unité Absolue essentielle de l’Ineffable au sein duquel les Séphiroth ne constituent que des sortes de courants. Retenons seulement de tout ceci que, lorsque les théologiens se mettent à vouloir analyser le passage de l’Unité Absolue du Créateur à la multiplicité des créatures, dès qu’ils sont arrivés à concevoir que cette division se dou­ble de ce qu’on pourrait appeler une détérioration qualitative progressive, ils sont amenés à multiplier les états intermé­diaires, tant la distance qualitative séparant le Créateur des Créatures leur paraît immense et quasi infranchissable.

L’intérêt pratique de la nomenclature septénaire des éta­ges de l’Univers que nous venons de décrire sommairement, est qu’elle aide à comprendre les idées que les théologies traditionnelles se font de la nature de l’homme, généralement considéré comme un microcosme reflétant les lois du Macro­cosme. En même temps, elles signalent la possibilité pour la conscience d’avoir avec la Réalité Cosmique des relations beaucoup plus variées qu’on ne le pense d’habitude et surtout elle souligne la nécessité d’un effort incessant pour élever le niveau de la conscience sur des plans toujours plus élevés.

À la lumière de notre sommaire incursion dans la théolo­gie, nous allons esquisser une espèce de tableau composite des conceptions de la destinée humaine.

La plus élémentaire de ces conceptions est celle qui a amené les primitifs à attribuer à l’homme une nature invi­sible doublant le corps qu’on voyait, d’un principe de vie et de conscience, l’âme, qu’on ne voyait pas mais dont on dé­duisait l’existence de l’expérience de la vie. À l’origine, cette âme était assimilée au sang dont l’écoulement hors du corps entraînait la mort. Cette conception s’était conservée en Grèce dans les milieux populaires jusqu’à l’époque des guer­res contre les Perses, où les citoyens prudents préférant la sécurité à la gloire militaire, et peu enclins à verser leur sang pour la Patrie, étaient appelés par dérision des « psycho­philes », des « amis de leur âme » c’est-à-dire de leur sang.

Mais la conception simpliste groupant toutes les parties non objectives de l’être humain sous un seul vocable, fut très tôt abandonnée à mesure qu’on devenait conscient de l’existence de tout un monde d’intermédiaires entre le monde visible et la mystérieuse cause suprême de l’Univers. Les hauts clergés d’Orient commençaient déjà à placer un Dieu suprême au-dessus des Panthéons qui avaient été créés pour servir d’ha­bitat d’abord aux personnifications des forces de la nature, puis à celles des diverses qualités ou facultés à l’œuvre dans l’Univers.

De même qu’une analyse plus profonde et plus clairvoyan­te avait amené les théologiens à édifier une hiérarchie parmi les puissances à l’œuvre entre la Création et le Créateur, on décrivit une hiérarchie des diverses facultés conscientes de l’homme, considéré comme un microcosme, un petit univers dans lequel se reflétaient les divers étages du Macroscome au sein duquel il vivait et dont il était le produit. Il était doté d’une série de principes spirituels correspondant aux divers aspects de Dieu décrits dans l’Univers.

Au début de l’ère Chrétienne, une quantité de théories de l’âme avaient cours dans les diverses théologies de l’univers connu des anciens. Certains allaient jusqu’à décrire neuf âmes, beaucoup s’en tenaient à sept. Mais les principales simplifiaient cette nomenclature en groupant les diverses fa­cultés humaines en trois groupes ou âmes : celle qui présidait aux activités de l’homme dans le monde terrestre, celle qui assurait les relations de l’homme avec le monde intermé­diaire entre la nature et le Créateur, et celle par laquelle l’homme pouvait s’élever jusqu’à Dieu ou tout au moins s’a­dresser à Lui directement.

St Paul enseigna cette trichotomie ou conception ternaire de l’homme en disant qu’il était triple : Corps — Âme et Es­prit — Soma — Psyché et Pneuma.

On releva une grande variété dans les détails de ces diffé­rents aspects de l’homme. Les Grecs, les Juifs et les Chrétiens considèrent le corps physique comme doué d’une existence réelle, mais les Hindous ne le considèrent que comme un « véhicule d’illusions » puisant sa réalité directement en­gendrée par le « vouloir vivre » dans un ensemble d’énergies subtiles organisées selon un schéma idéal. Les Hindous né­gligeant le corps illusoire, décrivent dans l’homme deux Koshas ou ensembles de facultés psychologiques, fonction­nant l’un sur les plans du monde des formes, l’autre sur celui du monde sans formes. Au sommet de l’être humain et presque antérieur à lui, un troisième véhicule spirituel est plus une projection de l’infini dans le fini, ou plutôt un point tangentiel entre l’infinité et l’individu, qu’un véhicule psy­chologique individualisé. Ceci dans l’Advaitisme, le haut mo­nisme spirituel de l’Inde.

En Occident la division du psychisme humain qui a retenu l’attention de la plupart des penseurs indépendants jusqu’à l’époque contemporaine est celle des trois âmes des Grecs. Platon et Aristote en ont été les protagonistes. En négligeant les variantes secondaires, elle décrit une hiérarchie à trois étages. En bas, une âme vitale ou physiologique, le Thumos, présidant aux fonctions de la vie organique, nutrition, re­production, locomotion, dont le centre est placé vers le plexus solaire. Puis venait l’Epithumos, centre des passions proprement humaines, c’est-à-dire inspirées par les relations de l’homme avec le milieu social, relations non seulement personnelles et familiales, mais aussi économiques, techniques, politiques, etc… Son centre était placé dans la ré­gion du cœur. Enfin, au sommet du cerveau était le centre du « Nous » de l’intelligence rationnelle, de nature complè­tement différente des deux autres. Tandis que celles-ci nais­saient du commerce de l’individu avec la société et la nature naturée, ou monde accessible aux sens ; le Nous naît non pas de comparaisons d’expériences humaines, mais de l’ir­ruption dans la conscience d’une lumière spirituelle dont les valeurs sortent toutes formées des sphères supérieures de l’Univers, comme Athénée, la sagesse était sortie toute cas­quée et armée du cerveau de Zeus. Platon avait bien marqué la différence de nature entre l’intelligence concrète tournée vers l’activité pratique et « l’intelligence rationnelle qui se tient au gouvernail de l’âme » (Théétète) et qui seule peut percer le voile illusoire des phénomènes pour atteindre la nature réelle des choses, qu’elle peut comprendre car elle participe de l’essence des lois intemporelles du Cosmos.

Nous retrouvons donc ici la différence faite par les Hin­dous entre les facultés de la conscience développées par son activité sur les plans concrets et figurés du monde des formes et les véhicules psychiques établis sur les plans qua­litatifs du monde sans forme. En effet, ils se constituent dans la mesure où la conscience dépasse l’égocentrisme et les pré­occupations concrètes, pour s’épanouir dans l’altérité imper­sonnelle et s’élever au-dessus des cas particuliers des opéra­tions des lois cosmiques pour contempler celles-ci dans leur splendeur universelle et inactuelle.

Depuis la destruction du Temple, le Judaïsme par suite de son absence de hiérarchie ecclésiastique n’a guère d’au­tres dogmes que ceux du Monothéisme et de l’Alliance avec la nécessité de l’observance des diverses prescriptions. Cha­que Juif doit s’efforcer d’atteindre Dieu directement dans ses prières et par sa fidélité. Dans la mesure où il mérite la Shékina, celle-ci lui communique des lumières plus ou moins profondes sur les cinq sens de l’Écriture Sainte. En vertu de cette liberté d’examen, on trouve donc en Israël une extraor­dinaire variété d’opinions sur tous les points de doctrine reli­gieuse, et le Talmud n’est qu’un énorme recueil des interpré­tations des plus sages parmi les Rabbins. Les conceptions sur la nature spirituelle des hommes sont donc aussi nombreuses que variées.

Cependant Maïmonides qui, avec Aquibba et Rashi a été une des plus grandes figures de la pensée religieuse Juive depuis Moïse, a formulé une théorie toute proche de celle de l’Hindouisme et des Platoniciens. Pour la tradition il y a trois âmes. La première, Nephesh, est le siège de toutes les pas­sions plus ou moins bestiales concernant la vie du corps. Elle est présente chez tous les humains, et commence à fonc­tionner dès la naissance. La seconde, Rouach ou souffle, préside aux opérations mentales nécessitées par la vie dans la société humaine et des relations économiques, techniques, politiques, familiales, etc. Tous les hommes en sont doués dès l’enfance et elle atteint au développement normal vers les 13 ans, l’âge le jeune garçon ayant fini l’étude primaire de la Torah est devenu « Bar Mitzwah », « homme de l’obser­vance » ; habilité à participer aux prières et aux discussions de la Synagogue. Par contre pour Maïmonide la troisième âme, ou Neshama, n’existe qu’à l’état de virtualité et doit être développée par les efforts spirituels de chaque individu. C’est une pure lumière rationnelle et c’est en la développant par l’accumulation de pensées et d’aspirations vertueuses, c’est-à-dire purement lumineuses, que l’homme réalise la plénitude de sa ressemblance à Dieu. Le Créateur est une pure lumière et c’est en se forgeant une âme spirituelle, pure et lumineuse par l’observation fidèle des commande­ments et des prescriptions que l’homme, devenant semblable à Dieu, accomplit la haute injonction du Créateur « Soyez purs comme Je Suis Pur » et s’assure ainsi l’accès à la Vie Future, cette version Juive du Salut Éternel.

On relève dans le Judaïsme deux autres aspects ou carac­tères des véhicules spirituels dans l’homme, assurant la réa­lité et l’unicité, ou Yeshida, de l’âme en tant que miroir de l’Univers, mais ils jouent un rôle très secondaire dans les préoccupations des Israélites pieux tandis que Maïmonides affirme nettement que l’homme qui ne développera pas sa Neshama avant sa mort, « sera retranché et périra comme une bête ».

On retrouve la même hiérarchie psychologique dans l’Islam. Au Nephesh correspond le Nafs, siège des passions et des tentations suscitées par Iblis, le démon. Rouach devient Rouh et a sensiblement les mêmes fonctions. Le cœur ou Kalb se rapproche de Yeshida, tandis que le Sirr ou fine pointe de l’âme correspond à Neshama. Les conceptions Bouddhistes sont très similaires, à celles des Hindous. Cependant elles insistent particulièrement sur le caractère provisoire de tous les véhicules usuels de la conscience à la fois dans ses rela­tions avec le monde extérieur et dans la notion qu’elle a de sa réalité individuelle. Pour les grandes écoles Bouddhistes, comme pour la haute pensée Hindoue de l’Advaïtisme, Dieu étant la seule Réalité Éternelle, tous les véhicules de cons­cience humaine n’ont qu’un caractère transitoire et n’attei­gnent pas l’être réel. Nous comparerons dans la 3e partie de cet ouvrage les théories Bouddhistes de l’entrée dans le Nirvana avec celles des Hindous sur Moksha ou Samadhi, l’Union de l’homme spirituel avec Dieu.

Les diverses églises Chrétiennes : Orthodoxes, Catholiques et Protestantes ayant généralement rejeté la Trichotomie de St Paul pour adopter la dichotomie de St Thomas, divisent seulement l’homme en corps et âme, sans faire mention de l’Esprit. Elles retiennent cependant une conception Pauli­nienne. En effet, elles considèrent que de même que la Cir­concision établit pour les Juifs une alliance personnelle avec Dieu, chaque Chrétien reçoit du Baptême un influx de la Grâce du St-Esprit qui, tout en n’étant pas inclus dans l’en­semble psychologique de l’âme humaine à cause de sa trans­cendance et n’étant pas non plus suffisamment « mondanisé » pour être comparé à l’Ange Gardien, ni au Farwashi des Persans, constitue cependant comme une sorte de secteur particularisé de l’Esprit Saint, en relations particulièrement étroites avec l’âme en question.

Mais cette présence du St Esprit chez les baptisés, n’im­plique nullement son inclusion au sein de l’Âme ce qui serait incompatible avec la transcendance absolue du Mono­théisme Chrétien. Cette présence qui se manifeste par les effets de la Grâce, pourrait se comparer à l’action de la fou­dre dans laquelle un potentiel énergétique collecté dans les nuées est précipité sur un objet particulier exerçant sur lui des effets assez variés, mais sans s’y inclure, et retournant instantanément à l’énergie universelle aussitôt après sa manifestation. Cette image vaut aussi pour les conceptions Bouddhistes et Hindoues sur la Transréalité Spirituelle qui est à la fois cause de l’Univers, au sein duquel elle est considérée comme immanente tout en lui restant transcendante surtout si l’on tient compte du fait que le temps est purement relatif, c’est-à-dire illusoire ; tout en étant, beaucoup plus que l’es­pace, élément essentiel de la perception des apparences phénoménales.

Pour terminer cette rapide esquisse, nous soulignerons que, tandis que toutes les religions décrivent en l’homme des facultés psychologiques, c’est-à-dire différentes de celles du corps, elles varient considérablement quant aux caractères des facultés psychiques. Pour les matérialistes, l’activité psy­chologique n’est qu’un sous-produit de l’activité physique qui par l’évolution a doté les vertébrés supérieurs de centres ner­veux susceptibles de secréter des pensées de plus en plus complexes, mais dont la conscience disparaît entièrement avec l’organe physique qui les a créées. Les Spiritualistes dis­tinguent des différences parmi les facultés psychologiques dont certaines seraient engendrées ou développées par les activités terrestres, tandis que d’autres seraient insufflées dans l’homme par un acte créateur mais à l’état de facultés laten­tes à développer par l’usage, ou bien, au contraire, les tien­nent pour créées une fois pour toutes sous leur forme achevée. Certaines conceptions comme celle du dualisme de la Sankhya considère les pouroushas ou âmes spirituelles comme éternelles et ayant existé à l’état individuel de toute éternité, ce qui constitue comme une sorte de panpoly­théisme.

D’autres écoles enseignent que les âmes spirituelles sont créées soit à la conception, soit à la naissance des enfants et vont durer soit jusqu’à la « fin des temps » ou bien au contraire « éternellement » c’est-à-dire persister après la « Consommation des siècles ». D’autres systèmes pensent que les âmes d’origine terrestre sont susceptibles de se prolonger sur les plans hautement spiritualisé de l’Univers par l’élabo­ration de valeurs spirituelles qui peuvent s’accumuler en facultés et organismes spirituels. Enfin, pour les monismes spirituels de l’Hindouisme et du Bouddhisme, la Transréalité Spirituelle dans son Unité indivisible ne participe aux dé­roulements du devenir dans les serres duquel se débattent mondes, races, peuples et individus, que par les projections, temporaires au point d’être instantanées, de son énergie ra­diante, sans être réellement incluse en aucune créature éphémère.

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1 Pour plus de détails voir : « De l’Âme à l’Esprit » et « l’Essence de l’Hindouisme ».

2 Chacun des sept plans de l’Œuf de Brahma est considéré comme sub­divisé en sept sous-plans secondaires.

3 On trouve des détails complémentaires sur les divers plans dans notre ouvrage « De l’Âme à l’Esprit ». Pour plus amples renseignements, voir le livre de A.K. Coomaraswamy « Time and Eternity » (Ars Asiatica Zurich).