Paul Arnold
Le socialisme illuminé de George Sand

George Sand nous est révélée dans cet article de Paul Arnold comme une illuminée, une mystique. Il nous montre par quel chemin la politique l’a menée à Dieu et à quel Dieu. Et c’est en même temps pour lui l’occasion de restituer pour nous tous les courants spiritualistes qui florissaient aux environs de 1848, de l’occultisme des sociétés secrètes à la franc-maçonnerie.

(Revue Question De. No 12. Mai-Juin 1976)

Dans sa propriété de Nohant, en 1876, mourait George Sand. Loin d’être uniquement la militante féministe ou l’amante inconstante qu’on veut lui faire jouer, George Sand nous est révélée dans cet article de Paul Arnold comme une illuminée, une mystique. Il nous montre par quel chemin la politique l’a menée à Dieu et à quel Dieu. Et c’est en même temps pour lui l’occasion de restituer pour nous tous les courants spiritualistes qui florissaient aux environs de 1848, de l’occultisme des sociétés secrètes à la franc-maçonnerie.

Après les tentatives sans gloire de Strasbourg et de Boulogne, le prince Louis-Napoléon Bonaparte semblait avoir renoncé à ses ambitions politiques pour chercher le moyen de mettre un terme au paupérisme. Il publiait un plan trop séduisant, l’Extinction du paupérisme. Il l’envoya à George Sand qui lui répondit aussitôt, point dupe, sans doute, du stratagème : « Sachez-nous quelque gré de nous défendre des séductions que votre caractère, votre intelligence et votre situation exercent sur nous, pour oser vous dire que jamais nous ne reconnaîtrons d’autre souverain que le peuple. Cette souveraineté nous paraît incompatible avec celle d’un homme ; aucun miracle, aucune personnification du génie populaire dans un seul ne nous prouvera le droit d’un seul […]. Telle est la force des lois providentielles qui poussent la France à son but, que vous n’avez pas mission, vous, homme d’élite, de nous tirer des mains d’un homme vulgaire, pour ne rien dire de plus. » Entendez le roi Louis-Philippe. Après quoi, elle félicita le prince de se préoccuper du « sort des prolétaires » : « Eh bien ! oui, là est votre grandeur ».

George Sand, Pierre Leroux et Louis Viardot fondent « la Revue indépendante »

La lettre reflétait l’opinion que, depuis 1842, défendait bruyamment la Revue indépendante fondée par Pierre Leroux, George Sand et Louis Viardot. Leroux, ancien carbonaro, saint-simonien convaincu, en était le penseur, le politicien ardent, l’économiste impitoyable, le philosophe-théologien. Sand fournissait des romans, Viardot des traductions de classiques espagnols et de contemporains russes. Leroux essayait là ses diatribes antigouvernementales ou métaphysiques dont aucune ne put y paraître intégralement ; et il fallut attendre 1848 et 1849 pour en lire tout le texte. Attaquant la droite par ses appels « Aux philosophes » et « Aux politiques », dénonçant la « ploutocratie », laissant à Jacques Dupuis le soin de démontrer les erreurs du « communisme » matérialiste, Leroux prouvait, en logicien, que le gouvernement n’appartient qu’au peuple tout entier et, par son entremise, à Dieu qui seul peut guider l’homme.

Une nouvelle religion : la synthèse de la connaissance humaine

Aux politiciens et aux notoriétés en place, comme Chateaubriand et Saint-Beuve, qui lui reprochaient l’hostilité au christianisme reflété, Leroux, au nom de son équipe, signifiait : « Nous n’acceptons pas ce reproche  […]. Si on entend par hostilité au christianisme que nous croyons à la nécessité d’une nouvelle synthèse          de toute la connaissance humaine, nous acceptons pleinement la responsabilité de cette opinion ; car c’est notre pensée, notre pensée fondamentale, celle qui embrasse et relie tous nos travaux. » Et il y insiste : « Nous croyons que cette synthèse des connaissances c’est le travail que la société accomplit aujourd’hui par le politique, par la science, par les arts, sans en avoir encore clairement conscience. Et de bâtir sa pyramide sociale et religieuse : Où réside la souveraineté ? Trois voix s’élèvent  qui proclament à la fois la vérité et l’erreur.

La première voix dit : « La société est dans le peuple , le vrai législateur, c’est tous. » SOCIALISME.

La seconde voix dit : « La société est dans la raison , le vrai législateur, c’est chacun. » INDIVIDUALISME.

La troisième voix dit : « La société est en Dieu ; le vrai législateur, c’est quelqu’un ou quelques-uns, ce n’est pas tous, ce n’est pas chacun. » REVELATION. »

Et Leroux rectifie : « Le vrai législateur, c’est chacun par tous au moyen de la science et de l’amour. » Préfiguration de la lettre de Sand au prince Napoléon, mais aussi explication des ardeurs et des désillusions de l’équipe entière en 1848. Tandis que Proudhon — définissait la Revue indépendante : « Dieu et les prunes » — prenait ses distances par rapport au syndicalisme mystique à la Cabet, Leroux courait les clubs pour prêcher la liberté et l’égalité fondées sur la Révélation.

Pour George Sand, l’action politique était une voie d’accès vers la religion

Comme tant d’autres intellectuels, comme Baudelaire brusquement sorti du dandysme pour arborer une cravate rouge (voir mon Esotérisme de Baudelaire), George Sand descend dans la rue. Après avoir, le 9 mars, écrit de Nohant : « La république est conquise, elle est assurée, nous y périrons tous plutôt que de la lâcher », elle participe aux journées d’avril pour tâcher de sauver ce qui peut l’être encore. Elle ne tarde pas à pressentir que la bataille est perdue. Et elle assiste, atterrée, au triomphe de la « réaction » : « J’ai bien peur que l’idée de République a été tuée dans son principe et dans son avenir, du moins dans son prochain avenir. Aujourd’hui, elle a été souillée par des cris de mort. »

Elle rentre à Nohant, déçue, tâche, de loin, d’agir encore et s’interroge : « Je pousse loin le scrupule, quand il s’agit de conseiller et d’agiter le peuple dans la rue […]. Sommes-nous mûrs pour rendre un bon compte à Dieu et aux hommes ? » écrit-elle à Théophile Thoré en fuite. « D’où peut sortir la lumière, au milieu d’un tel conflit d’idées fausses et de formules menteuses ? » demande-t-elle à Mazzini. Car, pour elle, la politique n’est pas une idéologie, mais la souffrance et la pitié en action : « Je souffre, écrit-elle à Barbès détenu au donjon de Vincennes, pour tous les êtres qui souffrent, qui font le mal ou le laissent faire sans le comprendre ; pour ce peuple qui est si malheureux et qui tend le dos aux coups et les bras à la chaîne. » Elle se détournera de l’action politique pour devenir derechef « la bonne Dame de Nohant » toujours prête à secourir celles ou ceux qui, individuellement, s’adresseront à elle. Et pour secouer sa peine et sa tristesse, elle écrit, avec un sourire grinçant, en un style rabelaisien un peu bien forcé, le roman champêtre pas seulement champêtre, on le verra — de la Petite Fadette, sorcière amoureuse.

Car toute cette agitation menée avec une passion de femme n’est pour elle que la voie d’accès d’une religion qui réaliserait le johannisme, christianisme tout amour, épuré, respiritualisé, enrichi par une manière de pythagorisme.

Au départ de tout, bien avant ses maîtres à penser, les Leroux, les Lamennais, les Fourier, la jeune Aurore Dupin-Dudevant, la future George Sand a connu, au couvent, une crise mystique qui faillit la conduire au noviciat. Une des pages les plus sûres de l’Histoire de ma vie, souvent quelque peu arrangée, conte son « ravissement » préparé par une période d’intense dévotion apparue « tout à coup comme une passion qui s’allume dans une âme ignorante de ses propres forces ». Ce n’était pas une méditation sur la théologie, pas non plus l’absorption de la conscience dans la prière en foi pure, les deux avenues qui mènent à la sainteté ou, si l’on préfère, à la connaissance intuitive. Non, c’était une voie bien sandienne déjà, la lecture des légendes et des vies de saints : « La foi, le courage, le stoïcisme des confesseurs et des martyrs m’apparaissaient comme de grandes choses et répondaient à quelque fibre secrète qui commençait à vibrer en moi. » Cet aspect éminemment, chaleureusement humain de la religion vivante aimantait son cœur et allait susciter l’événement : elle était restée seule à l’église, ardemment concentrée : « J’avais tout oublié. Je ne sais ce qui se passait en moi. Je respirais une atmosphère d’une suavité indicible, et je la respirais par l’âme plus encore que par les sens. Tout à coup, je ne sais quel ébranlement se produit dans tout mon être, un vertige passe devant mes yeux comme une lueur blanche dont je me sens enveloppée. Je crois entendre une voix murmurer à mon oreille : « Tolle, 1ege. » Je me retourne, croyant que c’est (sœur) Marie Aldicia qui me parle. J’étais seule. Je ne me fis pas d’orgueilleuse illusion, je ne crus point à un miracle… Seulement, je sentis que la foi s’emparait de moi, comme je l’avais souhaité, par le cœur. Je sentis encore que j’aimais Dieu, que ma pensée embrassait et acceptait pleinement cet idéal de justice, de tendresse et de sainteté que je n’avais jamais révoqué en doute, mais avec lequel je ne m’étais jamais trouvée en communication directe. »

Les mondanités familiales mirent un terme à cette tentation où les religieuses qui l’entouraient voyaient un signe à éprouver. Mais l’aventure de « l’âme » divorçant du corps allait être la préoccupation constante de la jeune romancière, avec déjà les premiers échos dans Lélia. Il faudra pourtant le saint-simonisme élargi et la dialectique fougueuse de Pierre Leroux, à partir de 1832, pour la doter d’un cadre métaphysique suffisamment rigide et en apparence indiscutable, rassurant, où s’adosser et adosser l’imagination romanesque. Leroux s’en prend aux Lavater, aux Fourier et autres philosophes scientistes qui « ne voient pas que, dans tous leurs phénomènes, l’Univers ou Dieu intervient soit comme fait ou totalité, soit comme cause ou attraction, soit comme manifestation présente ou mouvement ».

Cette affirmation de pure foi bridait les curiosités de la romancière qui courait, comme toute l’élite, de la phrénologie à la physiognomonie et au magnétisme par lesquels s’exprimaient alors les rapports de la métaphysique et de la psychologie avec la science d’observation. Car aucune de ces théories ne la convainquait sans reste, et tout au plus croyait-elle aux « influences », sur le système nerveux d’autrui, des personnes sympathiques et des personnes antipathiques, « car, avoue-t-elle, je l’ai éprouvé et suis forcée d’y croire ».

George Sand et l’occultisme : « Il y a une science occulte dont je me pique mais… »

Il devait bien y avoir une connaissance occulte ; son secret même suscitait encore plus sa méfiance et son hostilité — comme exemple d’inégalité et couverture du vice — qu’il n’excitait sa curiosité. Albert, le héros de Consuelo et de la Comtesse de Rudolstadt (parue par tranches dans la Revue indépendante, ne ménage pas Cagliostro qui lui fait horreur et demeure fort réticent pour le comte de Saint-Germain qui, certes, « avait une grâce d’enthousiasme et de folie […] s’il était charlatan et même jésuitique à beaucoup d’égards, il y avait au fond de tout cela une conviction fanatique qui présentait de singuliers contrastes et lui faisait commettre beaucoup d’inconséquences ».

Albert-Sand n’était pas dupe de sa magie et lui prête ce propos lucide : « Il y a […] une science occulte dont je me pique, et dans laquelle je suis aidé par une lumière supérieure. Mais cette science n’a rien de surnaturel, puisque c’est purement et simplement celle du cœur humain ou […] la connaissance approfondie de la vie humaine. »

Quant aux sociétés secrètes, elles pourraient contenir un grand espoir que justifiait le carbonarisme : « Il ne           se commet pas, dans les sociétés humaines, une seule injustice, une seule violation du principe de l’égalité, qu’à l’instant même il n’y ait un germe de société secrète implanté aussi dans le monde, pour réparer cette injustice et punir cette violation de l’égalité. »

Ecrivant Consuelo et préparant la Comtesse de Rudolstadt, George Sand, romancière soucieuse d’allécher son public encore plus que spiritualiste en quête d’un havre — point aidée, ici, par Leroux (initié seulement en 1848, Loge des Artistes Réunis, à Limoges) — étudie avec scrupule l’histoire et l’organisation, l’idéal de la franc-maçonnerie : « Je suis, écrit-elle à Maurice Sand en juin 1843, dans la franc-maçonnerie jusqu’aux oreilles. Je ne sors pas du kadosh et du Rose-Croix et du Sublime écossais. Il en résultera un roman des plus mystérieux. »

Il en résulte aussi une désillusion de plus ; car Albert « reconnut l’erreur, l’ignorance, la vanité, l’imposture, la fraude même qui commençaient alors à se glisser dans ces sanctuaires déjà envahis par la démence et les vices du siècle ». Et, bien sûr, la grande décadence de la franc-maçonnerie à l’époque de Cagliostro justifiait ce jugement sévère. Pourtant George Sand espère encore que, oubliant leurs rivalités et leurs mesquineries, toutes les sociétés secrètes réunies feront naître, un jour, « une seule foi ». La romancière préfigure cet idéal dans l’utopique Loge des Invisibles fondée au château des Rudolstadt.

George Sand et la vie après la mort : Les morts ne quittent pas la tombe, mais ils vivent autour de nous… »

Toutes ces approches de la spiritualité ne satisfaisaient guère sa soif de certitudes immédiatement saisissables.  Elle interrogeait la croyance à la métempsycose, qui, de Saint-Germain à Saint-Simon, de Nerval à Balzac, de Baudelaire à Ménard, passionnait le siècle. Pierre Leroux se faisait l’avocat et le théoricien de ce qu’il appelle « l’éternel hyménée des âmes des morts avec le monde des vivants ». Les morts, soutenait-il, prennent possession d’un corps nouveau et poursuivent leur vie dans la nôtre. Sand n’avait pas attendu Leroux pour rêver, dans Lelia, autour de cette idée : « Il y a des souvenirs qui semblent ceux d’une autre vie, des enfants qui viennent au jour avec des douleurs qu’on dirait contractées dans la tombe, car l’homme quitte peut être le froid du cercueil pour rentrer dans le duvet du berceau. » Elle n’en est pourtant pas convaincue. Consuelo veut chasser du cerveau d’Albert, le prétendu réincarné, ce qu’elle tient pour des phantasmes. Et Spiridion (de 1855, dédié à Pierre Leroux, « Ami et frère par les années, père et maître par la vertu et la science ») n’offre pas une réponse à quelque degré sûre. Ce récit plutôt médiocre, sur le thème du revenant, Spiridion, fondateur de l’ordre, qui cherche à revivre et à poursuivre son œuvre dans le corps d’un jeune moine, enferme-t-il, vraiment la pensée de l’auteur ? George Sand a-t-elle essayé sur le lecteur une croyance métaphysique ? N’a-t-elle pas plus simplement cédé à un goût du public pour les histoires de spectre ? Quelle foi ajouter à ces mots du héros : « Ou mon esprit avait par moments la puissance de ranimer fictivement ce que la mort avait plongé dans le passé, ou ce que la mort a frappé avait la puissance de se ranimer pour se communiquer à moi » ? Plus proche, sans doute, du scepticisme sandien cette confession : « Les morts ne quittent pas le sanctuaire de la tombe pour venir, sous une forme sensible, nous instruire ou nous reprendre, mais ils vivent en nous […] et notre imagination exaltée les ressuscite et les met aux prise avec notre conscience. » Sand restera toujours dans l’incertitude, comme Consuelo après la mort d’Albert : « Certaines facultés restèrent chez lui incompréhensibles pour ses proches, comme elles le sont pour l’historien qui vous les raconte. »

George Sand et l’extase : « Puissance interdite ! faculté à la fois naturelle et divine… »

Une porte lui semblait pourtant ouverte sur l’Au-delà : l’extase. Elle avait sous les yeux un exemple saisissant, son grand ami Mickiewicz qui, au milieu de ses exaltations poétiques, connaissait des états en marge de la conscience, étrangement contagieux. Elle nous parle avec ferveur d’une réunion de Polonais où le poète,  plongea l’assistance dans une sorte de délire : « Il s’est senti tout à coup élevé par l’enthousiasme au-dessus de lui-même », par une sorte « d’`extase ». Elle en discute ardemment avec Pierre Leroux : « Leroux définit l’extase et la classe dans les hautes facultés de l’esprit humain […] ». Dans ce siècle athée, la faculté extatique a pris la forme du magnétisme.

Mais « l’extase est contagieuse. Depuis la sublime descente du Paraclet sur les apôtres jusqu’aux phénomènes d’épilepsie du tombeau de saint Médard, depuis le fakir de l’Orient jusqu’aux passionnistes du siècle dernier, depuis le divin Jésus et le poétique Apollonius de Tyane jusqu’aux misérables sujets des expériences du somnambulisme, depuis les pythonisses de l’Antiquité jusqu’aux religieuses du Loudun, depuis Moïse jusqu’à Swedenborg, on peut suivre les différentes phases de l’extase et voir comme elle se communique spontanément, même à des individus qui n’y semblaient pas prédisposés […]. C’est une faculté à la fois naturelle et divine, susceptible de produire les plus nobles effets, dès qu’une grande cause métaphysique et morale les provoque ».

On voit d’où est sorti ce passage de Consuelo : « Dieu ne veut pas que l’homme abjure ainsi le sentiment et la conscience de sa vie réelle pour s’élever trop souvent à de vagues conceptions d’un monde idéal. La démence et la fureur sont au bout de ces sortes d’ivresses », et c’est tout le thème du roman, comme c’est la clef des frénésies de Laurent (Musset) dans Elle et lui. Et l’on a eu bien raison de dire que Consuclo et la Comtesse de Rudolstadt veulent être « une étude sur les diverses sortes d’extatiques et, par voie de conséquence, sur les rapports entre la démence et la voyance » (L. Cellier) du moins au premier degré de l’œuvre. La gradation y va de Zdenko, l’« innocent », l’inspiré naturel, et de Gottlieb, disciple de Boehme, réalisant, « précieux talisman », la source primordiale de l’amour divin selon saint Jean (toujours le johannisme, clé de l’œuvre sandienne tout entière), à Albert, le héros, le voyant qui aperçoit dans la terre les squelettes enfouis, l’illuminé aux confins de la démence qui sentait la folie l’envahir, mais avait aussi la « faculté de retrouver sa raison » et que son amour pour Consuelo aidait à « vivre de la vie des autres hommes », sans le priver définitivement de cette faculté supérieure, signe de la parfaite incarnation.

PETIT AIDE-MEMOIRE

Etienne Cabet

Partisan de la Charbonnerie, il participa aux insurrections de 1830. Après son retour d’exil, il écrivit en 1839 l’Histoire populaire de la révolution. française de 1789, puis un roman philosophique, Voyage en Icarie, où il prône un communisme pacifiste et utopique. Il essaya vainement d’en appliquer les principes dans des colonies communautaires qu’il fonda en Amérique.

Charles Fourier

Ancien commis voyageur, il fonda, pour diffuser ses idées réformatrices, l’hebdomadaire la Phalanstère. Critiquant la société industrielle bourgeoise, il prôna une organisation de la société fondée sur de petits groupes de travail qui aimanteraient les diverses formes de passions humaines. Projet utopique qui eut cependant de nombreux adeptes, en dépit des sarcasmes de Proudhon.

Pierre Leroux

Né en 1797 Bercy, Pierre Leroux dût renoncer à l’École polytechnique pour des raisons matérielles et travailler comme maçon, puis comme typographe. Collaborateur au journal le Globe, il devint dès 1831 le porte-parole du saint-simonisme. Dans son ouvrage De l’humanité, de son principe et de son avenir, où se trouve exposée sa définition de la religion, il se fait l’apôtre de la solidarité humaine, des idées égalitaires et le défenseur du prolétariat. En 1848, il fut député à l’Assemblée constituante, puis à l’Assemblée législative (1849), mais le coup d’Etat de 1851 le contraignit à s’exiler en Angleterre. De retour en France dix-huit ans plus tard, il cessa toute activité politique.

Mazzini

Révolutionnaire italien réfugié à Paris en 1831 où il fonda le mouvement « Jeune Italie », en vue de l’unification du pays par la République. Rentré en Italie en 1848, il devint l’un des triumvirs de la République romaine avant que les troupes françaises ne rétablissent la puissance papale (1849).

Mickiewicz

Le plus célèbre des poètes et patriotes polonais. Installé à Paris en 1832, il devint le chef spirituel des Polonais émigrés. C’est alors qu’il publia son chef-d’œuvre, Monsieur Thadée, épopée en douze chants exaltant les coutumes lituaniennes.

Louis Viardot

Il fut le directeur du Théâtre italien de Paris. Sa femme était la célèbre contralto Pauline Viardot-Garcia. C’est en 1841 qu’il s’associa à Pierre Leroux et George Sand pour fonder la Revue indépendante.

Ce rôle rédempteur de la femme, qui est tout le mystère de Faust, est une autre idée force de la Revue indépendante et de son métaphysicien. Et c’est l’une des lignes de force de toute l’œuvre sandienne. Pour George Sand, la femme, dans sa fonction véritable, finalement dominante et salvatrice, est la mère, éloignée de tout amour sensuel, protectrice de l’homme et de l’univers. Tous les romans sandiens aboutissent à cela : l’homme, l’amant est en fin de compte un enfant que l’héroïne, l’amante, ramène à cette sujétion, fût-il le mâle impénitent, forcené. Peu nous importe ici la psychanalyse et les justifications que Sand a pu inconsciemment échafauder. Son système de pensée débouche sur ce rôle rédempteur, instinctivement, tout comme elle retombe instinctivement. Et c’est bien ce que lui reproche Baudelaire dans ses notes intimes : « George Sand inférieure à de Sade […]. Elle n’est pas lucide dans le mal. Elle est possédée ».

George Sand et la religion : Tous les êtres vivent par la grâce de l’Etre universel… »

Ainsi se dessine la métaphysique sandienne que nous dévoile quelque peu Albert s’identifiant à Pythagore et simultanément à Hermès Trismégiste (preuve que l’auteur n’ignorait pas que l’hermétisme attribué au Trismégiste est une élaboration tardive du pythagorisme fusionnant avec des traditions égyptiennes : « Recueille pieusement ce qui est resté de Pythagore », recommande à Consuelo le Comte de Rudolstadt. Et plus loin : « Ce nom vénéré de Trismégiste, ne croyez pas, mes amis, que j’eusse osé de moi-même le prendre : ce furent les invisibles qui m’ordonnèrent de le porter. Ces écrits d’Hermès… renferment l’ancienne science égyptienne » où Platon s’est inspiré).

Dans un dialogue sans doute un peu imité des livres d’Hermès, dialogues du divin Trismégiste et de Tat le terrestre, Rudolstadt-Trismégiste enseigne au populaire Spartacus la « formule suprême de la doctrine ». Et afin de lui donner plus de poids il l’attribue —faussement —     à Pythagore : « Tu l’entendras non pas de ma bouche, mais de celle de Pythagore, écho lui-même de tous les sages : O Dieu Tétrade ! Voilà la formule. C’est elle que, sous toutes sortes d’images, de symboles et d’emblèmes, l’Humanité a proclamé par la voix des grandes religions, quand elle n’a pu la saisir d’une façon purement spirituelle, sans incarnation, sans idolâtrie, telle qu’il a été donné aux révélateurs de la révéler à eux-mêmes. » La Tétrade est faite de la Trinité, qu’au dire de l’auteur vénèrent toutes les grandes religions anciennes d’Occident et d’Orient (« Inde, Egypte, Grèce ») et qui, avec l’Unité, forme la fameuse Tétrade. Passons sur le brassage indéfendable de souvenirs d’histoire, de connaissances superficielles, d’erreurs volontaires et de la « métaphysique » de Leroux. Tout comme au plus haut sommet la divinité s’analyse en une Tétrade, l’homme qui est « une émanation de Dieu » est « ternaire ». Supérieur aux animaux — « Dieu, sans doute, fait vivre toute la nature, comme il fait vivre l’homme ; mais il y a de l’ordre dans sa    théodicée. Il y a des distinctions dans sa pensée, et par conséquent dans ses œuvres qui sont sa pensée réalisée ») l’homme « cette trinité s’appelle dans le langage humain : sensation, sentiment, connaissance. Et l’unité de ces trois choses forme la Tétrade humaine ». Voilà donc la clef de l’univers — où reparaît tout l’ésotérisme ternaire de Trithème à Boehme, curieusement couronné par une manière de Tétractys platonicienne. C’est la suite qui est originale : « Le Déluge n’a d’autre cause que la séparation de ces trois facultés de la nature humaine, sensation, sentiment, connaissance, sorties ainsi de l’unité, et par là sans rapport avec la nature divine, où l’intelligence, l’amour et l’activité restent éternellement associés ».

L’œuvre, en fait rédemptrice, de Noé consistait à ressouder sensation-sentiment et connaissance. En quoi il fut « le régénérateur », l’exemple à suivre pour tout organisateur social-politique : « Tout organisateur doit imiter Noé, le régénérateur » ; on trouvera ainsi dans la vérité métaphysique une méthode de certitude pour cultiver dignement la nature humaine dans chaque homme et une lumière pour (l’) éclairer sur la véritable organisation des sociétés ». Nous voilà au bas de l’échelle universelle, prêts à « comprendre comment tous les êtres particuliers vivent par la grâce et l’intervention de l’Etre universel sans être pour cela absorbés en lui ». C’est la théorie et la preuve par neuf de la doctrine politique sur la Souveraineté-Révélation rectifiée par Leroux.

« Sans idolâtrie » mais non « sans incarnation ». Réalisant l’Empire universel grâce à l’unité d’une foi, par un Evangile développé        — selon saint Jean — : « Nous ne commettrons pas le crime d’idolâtrie » lequel, selon Sand, apparaît avec les religions de mystères. Nous « ne croirons plus à la divinité du Christ mais rendrons hommage au Sauveur des hommes […]. Le Christ est un homme divin que nous vénérons, comme le plus grand philosophe et le plus grand saint des temps antiques ». Aujourd’hui, nous voulons l’égalité non seulement devant Dieu, mais parmi les hommes. La vérité se poursuit, religion secrète. vivante loi d’amour formulée par saint Jean —  « l’Esprit souffle où il veut », mais tout est Amour — pour faire triompher l’idéal de Liberté, d’Egalité et de Fraternité. Et c’est cette formule — que la Seconde République intronisera enfin officiellement — qui est « la Parole perdue » des vrais francs-maçons, vestige que Rudolstadt, initiateur de Consuelo, refuse au mythe d’Hiram, le mythe maçonnique par excellence. Voilà définie la mission de la Société secrète idéale, la loge des invisibles fondée au château de Rudolstadt (on a pensé qu’il y avait là une réminiscence ou une allusion à la loge Amalia qui dépendait de celle de Rudolstadt et où fut initié Goethe). Dissipant toute occultation des dogmes, mais aussi rejetant l’action sanglante, curieuse prescience de la retraite qui suivra peu d’années plus tard ce que George Sand considérait comme l’échec de 1848, les « invisibles », maçons parfaits, proclament : « Nous agissons par l’esprit » seul.

Tout est clair, tout est révélé. Toutes choses seront désormais intégrées, incarnées par l’union, dans l’amour transcendant, de Rudolstadt opérant par la Loge et de l’épouse-mère Consuelo, la grande rédemptrice. Et, inspiré, Rudolstadt mourant s’écrie : « Je suis heureux ; gloire à Dieu ! Gloire à Dieu dans le ciel ! […] Je me sens comme les anges, et je chanterai avec eux… Qu’est-il donc arrivé ? Je suis toujours au milieu de vous, mes amis, je suis toujours avec toi, ô mon Eve, ô ma Consuelo ! Voilà mes enfants, les âmes de mon âme ! […]. Les tyrans ont gâté tout cela […]. Plus de maîtres, plus d’esclaves ! Entendez-vous ce cri : « Vive la république ! » Entendez-vous cette foule innombrable qui proclame la liberté, la fraternité, l’égalité ?»

Don prophétique naturel à Zdenko, développé grâce à l’étude par Albert-Rudolstadt, mais inspiré au poète, car le poète est autre chose que le sorcier. Il rêve, à coup sûr, tandis que l’autre invente au hasard ». Et cette réconciliation du littéraire et du mystique où domine la femme rédemptrice est tout le secret de George Sand romancière. Accord fondamental de Consuelo et d’Elle et Lui, dans les gammes élevées, accord fondamental dans les gammes inférieures, par-delà les menues protestations contre les préjugés sociaux tels que les mariages de castes, avec son thème, la Mare au diable, et son anthithème, la Petite Fadette ; toujours la nature, en poète, prépare et dénoue le drame et toujours domine la femme-mère, mais toujours la Providence pose le doigt sur la balance pour protéger l’innocence. Il est vrai, ce lourd bagage social, philosophique et métaphysique se venge quelque peu. L’imagination inépuisable de la romancière est asservie, nouée par l’idéologie, et l’on ressent toujours quelque malaise à une lecture pourtant toujours attachante : l’artifice miroite entre les lignes. Cette défaillance explique-t-elle la désaffection dont souffre aujourd’hui l’œuvre de George Sand ? Explique-t-elle la discrétion du centenaire, cette année, de sa mort que, paradoxalement, le seul spécialiste actuel, un Japonais, le professeur Nagatsuka, ne peut célébrer qu’au Japon ? La frappante analogie de notre temps et du sien, la recherche, pour parler comme Pierre Leroux, d’une nouvelle synthèse de toute la connaissance humaine, ne va-t-elle pas susciter une réhabilitation de la romancière prolifique et de l’écrivain malgré tout estimable, même si des négligences et des facilités nous font parfois sourciller ?

P. A.

Ouvrages à propos de George Sand

P. Maurois : Lélia ou la vie de George Sand (Hachette, 1952)

M. Toesca : Le plus grand amour de George Sand (Albin Michel, 1965)

J. Pommier : George Sand et le rêve monastique (Nizet, 1966)

F. Mallet : George Sand (Grasset, mai 1976)

H. Guillemin : La liaison Musset-Sand (Gallimard, 1972)

Hommage à George Sand (collectif, P.U.F. 1969)

P. Lacassagne : Histoire d’une amitié Pierre Leroux – George Sand (Klinsieck, 1973)

G. Lubin : George Sand ou l’histoire d’une vie (Gallimard, 1973)

Les œuvres autobiographiques de George Sand sont parues dans la collection La Pléiade (Gallimard) ; sa Correspondance aux éditions Garnier.