Robert Linssen
Les mythes qui font dévier l'amour

Dans sa phase actuelle d’évolution psychologique l’homme moyen se connait fort peu. Il ignore tout des mobiles profonds et réels de ses pensées, de ses désirs et de ses actes. Cette absence de connaissance de soi est l’une des causes essentielles des conflits qui se présentent fréquemment, entre chaque être humain et son propre inconscient. Cette ignorance de soi est aussi et surtout génératrice de conflits, de malentendus, de méprises douloureuses dans les rapports humains et plus spécialement dans les relations entre l’homme et la femme.

(Revue Être Libre, Numéro 239, Avril-Juin 1969)

Dans sa phase actuelle d’évolution psychologique l’homme moyen se connait fort peu. Il ignore tout des mobiles profonds et réels de ses pensées, de ses désirs et de ses actes. Cette absence de connaissance de soi est l’une des causes essentielles des conflits qui se présentent fréquemment, entre chaque être humain et son propre inconscient. Cette ignorance de soi est aussi et surtout génératrice de conflits, de malentendus, de méprises douloureuses dans les rapports humains et plus spécialement dans les relations entre l’homme et la femme.

Nous parlerons ici surtout des méprises apparaissant au niveau psychologique et non des problèmes sexuels, quoique la plupart d’entre eux ait une origine psychologique.

Les êtres humains ne se connaissant pas pleinement se trouvent inévitablement dans un état de confusion intérieure, dans un état de conflit entre leur comportement extérieur et les couches profondes de leur inconscient. De ce fait, les rapports humains deviennent difficiles. Chacun porte un masque et tente de donner à ce masque la forme et les apparences qu’il suppose être agréable à son entourage ou à son partenaire. Dans l’état d’ignorance actuelle, les rapports humains ne sont souvent qu’une suite d’ajustements pénibles, de compromis où l’un et l’autre s’efforcent de prendre des attitudes. La vie de beaucoup d’êtres superficiels se schématise en une constellation d’habitudes mortes et de gestes grimaçants.

Un tel climat se trouve surtout dans certains milieux sociaux considérés à tort comme raffinés ou évolués. Les attitudes de la vie quotidienne sont conditionnées par un ensemble d’impératifs rigides, de conventions souvent absurdes que l’on considère comme le critère de l’aristocratie. Nous connaissons ce genre de comédie : « bonjour cher Monsieur, bonjour chère Madame, quelle joie de vous voir parmi nous, restez un peu je vous en prie… » Voilà ce qui s’énonce au niveau verbal, tandis qu’intérieurement les mêmes sujets pensent « quels casse-pieds… puissent-ils s’en aller le plus vite possible »…

Lorsque de telles attitudes de vie débordent du cadre des relations collectives pour atteindre celles d’un couple elles aboutissent inévitablement à la corruption sinon à l’extinction de l’amour. L’amour véritable a besoin de spontanéité, de fraîcheur, d’authenticité.

Ainsi que le démontre l’éminent psychologue américain Carl Rogers, les tensions psychiques résultant d’attitudes artificielles et empruntées aboutissent inévitablement à la névrose.

Chaque partenaire du couple, finalement excédé par le jeu de rôles qui ne correspondent pas à sa nature profonde recherche une compensation imaginaire. Déçu par son partenaire — et ne voyant pas qu’en fait il est aussi déçu de lui-même — il se construit de toutes pièces le personnage rêvé qui pourrait combler tous ses désirs sur tous les plans.

Ainsi se crée le mythe de l’âme sœur idéale ; l’homme ou la femme idéalement beaux, doux, tendres et cultivés. Cette recherche de compensation, logiquement explicable et très fréquente, doit être considérée comme l’ennemi le plus perfide de l’amour.

Il est évident que les chances de trouver l’âme sœur idéale correspondant parfaitement au cliché mental que l’on s’est construit, sont très rares. La persistance d’une telle recherche peut aboutir à une totale inadaptabilité sociale et risque d’entraîner la schizophrénie.

En amour, il faut prendre et accepter les êtres tels qu’ils sont et non tels que nous souhaiterions qu’ils deviennent ou tels que nous nous les imaginions. De telles exigences nous sont la plupart du temps suggérées par le mental, cet éternel « fabricant de problèmes » comme le disait Krishnamurti.

Robert LINSSEN.