Claude Tresmontant
Les sciences et la théologie

(La Voix du Nord, 17 août 1977) C’est un vieux conflit, dont il est beaucoup question dans les écoles, mais qui n’existe en réalité que dans les manuels d’instruction antireligieuse répandus derrière le Rideau de Fer, et dans les publications de l’Union rationaliste. C’est un conflit fictif, qui repose toujours sur une absence d’analyse ou […]

(La Voix du Nord, 17 août 1977)

C’est un vieux conflit, dont il est beaucoup question dans les écoles, mais qui n’existe en réalité que dans les manuels d’instruction antireligieuse répandus derrière le Rideau de Fer, et dans les publications de l’Union rationaliste. C’est un conflit fictif, qui repose toujours sur une absence d’analyse ou une analyse insuffisante. Prenons l’exemple célèbre entre tous de l’affaire Galilée. Copernic et Galilée établissent que la Terre tourne autour du Soleil. Que voulez-vous que cela fasse au monothéisme juif et chrétien ? Rien du tout. Que la Terre tourne autour du Soleil ou que le Soleil tourne autour de la Terre, cela est absolument indifférent au monothéisme. C’est une question libre, qui relève exclusivement des sciences expérimentales. C’est une question de fait. Vous me direz : Mais il y a eu des théologiens qui ont trouvé une incompatibilité entre le dogme et la découverte de Copernic et de Galilée ! Parfaitement, et c’est ici que réside l’insuffisance de l’analyse.

Certains théologiens, mais non pas tous, au temps de Galilée, ont pensé, à tort, que le monothéisme chrétien était concerné par cette découverte, tout simplement parce qu’ils confondaient le Dogme et certaines représentations ; ils identifiaient certaines représentations cosmologiques, les leurs, celles auxquelles ils étaient habitués ; ils identifiaient une certaine vision du monde avec le dogme. C’était là l’erreur. En réalité le dogme, c’est-à-dire la pensée de l’Église, pensée qui est d’ailleurs en développement, n’avait rien à faire dans cette histoire.

L’astrophysique étudie la genèse, la formation, la structure de notre système solaire, de notre Galaxie, des étoiles qui la constituent, de l’ensemble des Galaxies, et finalement de l’Univers entier. Tel est l’objet de l’astrophysique : nous faire connaître ce qu’est l’Univers, et quelle est son histoire, car l’Univers, comme toute chose, a une histoire. La théologie monothéiste enseigne que cet Univers, que l’astrophysique nous découvre progressivement, est créé, c’est-à-dire qu’il n’est pas seul, qu’il n’est pas la totalité de l’être, qu’il n’est pas l’être premier. Et si la théologie enseigne cela, c’est qu’elle a des raisons de le penser, des raisons qui sont communicables, des raisons philosophiques. L’astrophysique, en tant que telle, ne répond ni par oui ni par non à la question de savoir si l’Univers est créé ou incréé. Elle nous dit, elle nous fait savoir ce qu’est l’Univers, depuis qu’il existe. Mais elle n’a pas compétence, en tant que telle, pour nous dire si l’Univers est seul ou non. Cela n’est pas de son ressort, cela ne relève pas de sa compétence. Un astrophysicien peut parfaitement avoir une opinion sur cette question, et beaucoup d’astrophysiciens ont des idées là- dessus, mais alors, lorsqu’ils s’engagent sur ce terrain, ils font de la philosophie, ce qui est parfaitement leur droit. Ils ne sont plus physiciens, mais métaphysiciens, et leurs titres en physique, aussi prestigieux soient-ils, ne leur confèrent aucune autorité particulière pour traiter un problème technique qui relève de l’analyse métaphysique : l’Univers est-il le seul être, la totalité de l’être, ou non ?

Mais, me direz-vous, si l’astrophysique établissait d’une manière certaine et définitive que l’Univers est éternel, est-ce qu’il n’y aurait pas alors conflit entre la science et le dogme, entre la science et la théologie ? La question s’est posée depuis longtemps, depuis les tout premiers siècles de l’ère chrétienne, puisque les philosophes grecs, Platon et Aristote, professaient l’éternité de l’Univers. Et les penseurs chrétiens ont répondu à cette question : Non, ce ne serait pas décisif, car si même l’Univers est éternel, il n’en résulte pas pour autant qu’il soit incréé, car il pourrait être éternel et créé, c’est-à-dire créé éternellement, et il n’y a aucun inconvénient à cela, du point de vue théologique. S’il était établi que l’Univers est éternel, cela n’entraînerait nullement la destruction du monothéisme. Les difficultés, à cet égard, ne viennent pas du côté de la théologie, mais du côté de la physique, car, depuis le début de ce siècle, nous savons que notre Soleil est une étoile qui transforme progressivement et d’une manière irréversible son stock d’hydrogène en hélium, en sorte que, si le Soleil était éternel, il aurait transformé son stock d’hydrogène en hélium depuis une éternité, et depuis une éternité il n’y aurait plus de Soleil ! C’est dire que, physiquement parlant, ou pour des raisons physiques, parler de l’éternité du Soleil est une proposition dépourvue de sens. Le même raisonnement s’applique aux cent milliards d’étoiles qui constituent notre Galaxie : si notre Galaxie était éternelle, elle aurait transformé, depuis une éternité, son stock d’hydrogène en hélium et depuis une éternité il n’y aurait plus de galaxie. Parler d’une galaxie éternelle a aussi peu de sens que de parler d’une rose éternelle : les galaxies, comme les roses, s’usent et se fanent. Et le même raisonnement s’applique à l’ensemble des galaxies, c’est-à-dire à l’Univers lui-même. On ne peut parvenir aujourd’hui à penser l’éternité de l’Univers que si l’on admet, comme l’avaient proposé il y a quelque vingt-cinq ans trois théoriciens anglais, Hoyle, Gold et Bondy, une création continuée de matière nouvelle ou d’énergie fraîche. On ne peut penser l’éternité de l’Univers que si l’on admet une création continuée : la théologie monothéiste ne voit aucun inconvénient à cette hypothèse, au contraire.

Les sciences expérimentales, en général, étudient et nous font connaître ce que sont les choses et les êtres. La théologie nous dit quelle est leur origine première et leur finalité ultime, leur destination dernière. Il n’y a pas, et il ne saurait y avoir, aucun conflit entre les sciences expérimentales et la théologie. Les conflits ne sont possibles que dans des têtes qui ont brouillé les problèmes et fait des nœuds là où il ne fallait pas.

Les théologiens, dans leur domaine, sont presque aussi dangereux que les médecins, lorsqu’ils sortent de leur compétence…

Il n’existe pas de conflit, d’antinomies réelles entre les sciences expérimentales et la théologie, mais il existe des conflits entre les théologiens qui n’ont pas assez étudié les sciences expérimentales et les savants qui ne connaissent pas la théologie. Les conflits ou pseudo conflits surgissent à la frontière entre les deux ordres, lorsque l’analyse philosophique n’a pas été suffisamment poussée.

Dans l’histoire des sciences, il a existé d’autres conflits célèbres, par exemple lorsqu’on a commencé à découvrir, au XIXe siècle, l’ancienneté de la vie sur la terre et le fait de l’évolution biologique, c’est-à-dire les processus de transformation progressive qui ont conduit la vie depuis les organismes les plus simples jusqu’à l’Homme, ou encore lorsqu’on a commencé à appliquer à l’Ancien Testament comme au Nouveau Testament les méthodes d’analyse critique et scientifique, utilisées déjà pour les autres littératures. Pour l’essentiel et pour le fond, parmi les chercheurs en ces domaines, la difficulté est maintenant résolue et dépassée. Mais dans le grand public il existe encore des doutes à cet égard, et certaines difficultés subsistent. C’est la raison pour laquelle nous consacrerons nos prochaines chroniques à ces deux questions.