Jacques de Marquette
L'harmonie physique

Quelques chercheurs du 20e siècle, chacun à sa façon et selon son vécu, ont proposé des approches globales (intégrales ou holistiques) du développement humain et cosmique. Ces approches incluaient toutes les dimensions de l’existence: matérielle, psychologique et spirituelle. Citons par exemple Rudolph Steiner & Sri Aurobindo. Fort de son expérience dans le scoutisme, dans le […]

Quelques chercheurs du 20e siècle, chacun à sa façon et selon son vécu, ont proposé des approches globales (intégrales ou holistiques) du développement humain et cosmique. Ces approches incluaient toutes les dimensions de l’existence: matérielle, psychologique et spirituelle. Citons par exemple Rudolph Steiner & Sri Aurobindo. Fort de son expérience dans le scoutisme, dans le végétarisme, ainsi que de ses connaissances des différentes sciences, philosophies et mystiques et surtout d’une riche expérience intérieure, Jacques de Marquette a aussi proposé une telle approche qu’il a appelé PANHARMONIE. Aujourd’hui nous retrouvons l’approche intégrale chez plusieurs auteurs contemporains, citant notamment Ken Wilber qui ne cesse de remanier son approche pour la rendre la plus ouverte et la plus inclusive. Ici Jacques de Marquette donne quelques détails des conditions d’une bonne santé physique, propre a propulser l’être humain dans des sphères supérieures de conscience… 

(Extrait de Panharmonie par  Jacques De Marquette. Édition Panharmonie. 1959)

En gros, l’harmonisation de la vie matérielle dans laquelle le corps joue un rôle capital peut se diviser en trois rubriques principales, l’alimentation, l’activité physique et l’organisation générale de la vie.

On a publié une telle quantité d’ouvrages sur l’hygiène alimentaire, qu’il est inutile de revenir sur des détails bien connus du public averti. Indiquons seulement que le régime végétarien, imposé par l’Hindouisme et le Bouddhisme aux aspirants aux apothéoses intérieures, pratiqué également par la majorité des Pères de l’Église et par nombre de membres de la primitive Église, par les grands ordres contemplatifs catholiques, dans des cercles de l’élite mystique protestante comme les Quakers, ainsi du reste que par de nombreux intellectuels contemporains, de Rousseau et Bernardin de St Pierre à Reclus, Shaw, Maeterlinck et le Gal Galliéni ; et qui a été qualifié par Tolstoï de « Premier Pas » vers une civilisation meilleure, est digne de retenir l’attention de tous les candidats à une vie harmonieuse et créatrice de valeurs supérieures.

Il y a dans le monde actuel des centaines de millions de végétariens par tradition ou par nécessité. L’exemple fameux des Hounzas et d’autres peuples naturels, montre que lorsqu’ils ont une alimentation suffisante, leur santé, leurs forces et souvent leur longévité sont très supérieures à celles des carnivores occidentaux et, en particulier, qu’ils sont à peu prés indemnes des fléaux de notre civilisation, cancer, tuberculose et rhumatismes [1]. Au contraire un auteur Américain [2] a patiemment étudié les conséquences funestes pour les peuples naturels en Amérique du Nord ou du Sud, en Afrique, en Océanie ou en Asie, de l’abandon des aliments naturels pour nos aliments raffinés, pain blanc, sucre, confiture, viande frigorifiée ou de conserve et fritures. Partout ils ont été décimés par la tuberculose, le cancer et les maladies de cœur. Toutes les fois qu’ils ont pu revenir à leurs mœurs primitives, la dégénérescence a régressé et ils ont retrouvé la santé des ancêtres. Ces faits bien connus des spécialistes, n’ont évidemment pas encore pénétré dans la Médecine Officielle.

De même des voyageurs irréfléchis condamnent le régime végétarien à la vue des paysans Indiens, émaciés, sans savoir qu’ils ne mangent jamais à leur faim. Ceci pour les régions pauvres, car dans les plaines fertiles on voit parmi les paysans Indiens beaucoup de magnifiques athlètes qui ne retiennent pas l’attention des reporters.

L’endurance exceptionnelle des végétariens est bien connue des milieux sportifs où on ne compte plus les entraîneurs Olympiques qui mettent leurs athlètes au régime sans alcool et sans viande, avec force fruits et salades, régime dont la valeur vient d’être démontrée par les victoires sensationnelles de jeunes athlètes d’Australie qui ont établi de nouveaux records du monde. A l’encontre des mœurs courantes en Australie qui est, avec l’Argentine, le pays où la consommation de viande est le plus élevée, ces jeunes champions sont strictement végétariens, en particulier John Conrad et sa sœur Elsa également championne du monde qui, enfants de végétariens, n’ont jamais mangé de viande de leur vie. Et depuis trois ans coureurs et nageurs végétariens d’Australie remportent des championnats du monde et, qui plus est, améliorent périodiquement des records du monde comme celui du mille qu’Herbert Elliot a abaissé récemment à 3 minutes 54 secondes et demi ; la vitesse la plus grande atteinte sur la distance par un organisme humain. Nous n’insisterons pas…

Cependant, ce n’est pas dans le but intéressé et matérialiste d’améliorer leur santé et d’allonger leur vie que les aspirants à la vie supérieure doivent tendre au végétarisme ; mais pour cesser de faire souffrir. Nous avons déjà indiqué en 1925 dans un ouvrage intitulé « Libération » quelles conséquences sociales miraculeuses aurait la généralisation du végétarisme, et de sa conséquence, la sobriété. Comme pendant les restrictions d’alcool et de viande sous l’occupation, les asiles d’aliénés et les Sanatoriums perdront la majorité de leurs patients. Avec le développement du goût pour la culture générale les centaines de milliards gaspillés actuellement en boissons alcooliques pourvoyeuses des hôpitaux, asiles et prisons, se détourneraient vers des formes plus nobles de recherche du bonheur, depuis le sport, pour les âmes jeunes, aux arts, aux lettres et aux sciences pour les intelligences adultes. Ce sera un véritable âge d’or pour les peintres, les poètes, les musiciens qui, au lieu de compter leur public par milliers, en auront des millions lorsque les cerveaux des Français Moyens cesseront d’être traversés chaque année par un immonde et immense fleuve d’alcool. Alors sera possible la réalisation de l’idéal que nous avions proposé il y a plus de 35 ans, l’utilisation des loisirs pour développer l’éducation musicale, artistique, littéraire et scientifique jusqu’au point où chaque canton aura son opéra avec orchestre, chœurs, ballets et solistes tous amateurs, ses ateliers de peinture, sculpture, d’arts artisanaux, ses académies littéraires, philosophiques ou scientifiques. Cet idéal n’est pas chimérique. Il a déjà été réalisé à l’âge d’or de la civilisation Indienne du VIe au VIIIe siècle et nous en avons admiré à deux reprises la persistance saisissante dans l’île de Bali, où règne encore la vieille civilisation Indo-Bouddhique. Dans cette île enchanteresse, chaque cultivateur peut quitter la charrue pour aller sculpter la statue d’un Dieu au temple voisin, déclamer plastiquement un passage du Ramayana à travers le symbolisme si descriptif et si rigoureusement canonisé de la danse du Wayang et enfin tenir sa partie dans l’orchestre du Gamelang Indonésien, le seul peuple d’Asie où l’art musical ait échappé à la monodie pour s’élever à la polyphonie.

Immédiatement après l’harmonisation du régime alimentaire vient celle de nos activités corporelles. Ce domaine appelle aussi d’énergiques mesures de redressement et de normalisation.

En effet, en moins d’un demi-siècle, la nécessité du dur labeur physique auquel étaient soumis les trois-quarts des humains, ouvriers et paysans, a presque complètement disparu. Les laboureurs marchant à longueur de journée derrière la charrue qu’ils retournaient à chaque fin de sillon, sont remplacés par des conducteurs de tracteurs assis toute la journée sur leur siège. Le terrassier ne manie plus la pioche avec acharnement, mais se borne à s’appuyer sur une foreuse automatique, tandis que sa corporation toute entière tend à disparaître devant l’immense bulldozer, également dirigé par un homme assis. Les files de manœuvres qui, chargés de briques sur l’épaule, montaient toute la journée jusqu’au haut des échafaudages, sont remplacés par d’énormes grues ; le débardeur a cessé de porter des sacs de ciment de la péniche à la terre, pour s’asseoir aux commandes d’une grue ; les porteurs de pain, laitiers, facteurs sont motorisés, etc.

Si bien que les diverses catégories de la classe ouvrière ont perdu l’avantage hygiénique des efforts musculaires prolongés auxquels elles étaient astreintes. En vertu du préjugé voulant que le seul travail intellectuel soit noble et digne de l’homme, tandis que l’effort musculaire est tout au plus bon pour les animaux certains s’en réjouiront et même considèrent avec les producteurs de machines robots, que sa disparition dans les métiers ouvriers constitue un autre aspect des magnifiques progrès dont notre époque s’enorgueillit. Du point de vue de la production matérielle, ils ont probablement raison.

Mais pour nous qui pensons que les effets du travail sur les valeurs humaines des travailleurs sont aussi d’une extrême importance, la quasi suppression des efforts musculaires est grosse de dangers redoutables pour la santé de l’espèce humaine.

En effet, toutes les découvertes archéologiques récentes font remonter l’origine de l’homme à des dates de plus en plus reculées. Le temps n’est plus où l’on croyait avoir atteint le véritable début de la présence de nos ancêtres sur la terre en la faisant remonter à une centaine de milliers d’années. C’est maintenant à des dizaines de millions d’années qu’on nous propose de la reporter. Nous avons indiqué l’ouvrage d’un groupe d’archéologues et de palébotanistes Américains « The recovery of culture » [3] qui évaluent à 60 millions d’années l’ère pendant laquelle les hominidiens, déjà différents des singes, ont mené une vie arboricole dans l’humidité de gigantesques forêts au climat équatorial. C’est au cours de ces âges immenses pendant lesquels nos ancêtres vivaient de la cueillette de noix et de baies sauvages que leur tube digestif et ses annexes prirent les formes de ceux des animaux frugivores. C’est aussi durant des millions d’années d’une vie athlétique partagée entre le grimper sur les arbres et la course sur la terre pour échapper aux dangers, que le squelette humain se développa avec les muscles auxquels il sert de support.

Les organes de défense et d’équilibre biologiques de notre organisme, les reins, le foie, la rate, les glandes à sécrétion interne, la moelle des os, etc., ont été développés par ces milliers de siècles de puissante activité musculaire. Ils sont d’une importance capitale pour la conservation de la santé. Grâce à eux l’organisme se défend contre les poisons résultant soit d’infections extérieures ou de l’ingestion de substances toxiques comme l’alcool ou les ptomaïnes des viandes, soit contre les poisons produits au sein des tissus humains par la perturbation des cycles normaux des échanges métaboliques.

Une fois de plus, les progrès de la connaissance nous rappellent que les six ou sept mille années de l’histoire connue ou soupçonnée de l’humanité, sont infiniment moins importantes par rapport à notre formidable substrat historique inconnu que la cuticule de notre épiderme par rapport à notre organisme. L’incroyable ignorance de ceux qu’Aristote appelait « le grand nombre », jointe à leur non moins incroyable manque d’imagination, fait qu’ils s’imaginent que les coutumes actuelles ont toujours plus ou moins existé. Par exemple beaucoup de Français ignorant que la consommation d’alcool a presque décuplé depuis cent ans, s’imaginent que « nos ancêtres » ont toujours bu comme on le fait aujourd’hui, tandis que les Australiens et les Argentins prennent pour normales les énormes quantités de viande que ces jeunes peuples d’éleveurs ingurgitent. N’empêche que l’Australie est de tous les États du Commonwealth celui où les septuagénaires sont les moins nombreux.

En réalité s’il est possible qu’après des dizaines de millions d’années de frugivorisme, les humains aient commencé à manger de la chair après la dernière période glacière, il est vraisemblable que la consommation de la viande n’a cessé d’être sporadique au hasard des chasses, ne devenant régulière, pour une petite partie de l’humanité du reste, qu’avec les débuts de l’élevage, il y a probablement 7 à 8.000 ans, c’est-à-dire hier, ou plutôt ce matin-même, par rapport à la Préhistoire. N’oublions pas qu’Henry IV avec sa poule-au-pot hebdomadaire passa pour un visionnaire et que c’est seulement sous le Second Empire qu’avec les chemins de fer, les boucheries apparurent dans les bourgs qui avaient alors l’aspect des villages sans magasins de l’Espagne actuelle.

Mais si les humains sont capables d’improviser des jugements erronés, les organismes engendrés au cours d’immenses âges géologiques par l’adaptation à certains milieux naturels, mettent beaucoup de temps à modifier leurs structures internes et les adapter à de nouveaux modes de fonctionnement. Ceci s’applique éminemment aux besoins d’exercice du corps humain. La carence fonctionnelle engendrée par l’automation industrielle et la motorisation des déplacements individuels constitue pour la santé des humains un danger qui, à longue échéance peut devenir aussi dangereux que les résidus atomiques. La santé n’est qu’un équilibre satisfaisant entre les différentes fonctions d’assimilation et de désassimilation au sein des cellules des divers organes du corps humain. Or depuis des millions d’années les échanges constituant les cycles des activités biologiques de nos organismes étaient provoqués et régis par les puissantes activités musculaires entraînant de très importants échanges gazeux au sein des muscles. Ceux-ci constituent les plus importants tissus de l’organisme, après le sang, dont ils renferment du reste la plus grande partie. Vienne à manquer cette activité musculaire, multipliant avec l’ampleur des mouvements respiratoires, celle de l’hématose et des combustions internes réduisant les excrétus cellulaires en corps facilement éliminables, dont l’excrétion rapide est la condition la plus importante du maintien de la santé ; et toute l’harmonie des échanges, c’est-à-dire de la vie organique est compromise et lésée.

Les effets nocifs de la carence d’exercices physiques ne se manifestent pas seulement par les maladies de la nutrition. L’espèce de divorce entre la vie du corps et les activités musculaires si indispensables à son maintien en bonne santé, entraîne aussi des répercussions lamentables sur l’équilibre mental. Lorsqu’on est en proie à des « humeurs noires » détruisant l’harmonie intérieure, une bonne marche rapide d’une vingtaine de kilomètres constitue le plus salutaire tonique de l’esprit, l’emportant encore sur les vertus curatives d’une bonne nuit qui « porte conseil », dans la remise au point de l’importance réelle des soucis en égard des seules valeurs réelles, celles qui peuvent contribuer à l’élévation de la conscience au « Point de vue de l’Éternité » de Spinoza.

Inversement il est certain, qu’avec d’autres facteurs importants, le fait que les Américains ont à peu près complètement banni la marche de leur existence est une des raisons majeures de la pullulation des psychanalystes, aussi nombreux à New-York que les estaminets dans le Nord de la France.

De même que sans un régime alimentaire apportant exactement en qualité et quantité, tous les aliments nécessaires à l’entretien de la bonne santé de l’organisme, celui-ci perd sa vitalité ; la santé est bientôt détruite dans ses bases fondamentales par une activité musculaire exagérée ou insuffisante. Il est donc d’une importance capitale d’assurer au corps tout l’exercice dont il a besoin, en quantité et en qualité non seulement pour maintenir notre système musculaire en bon état, mais aussi pour que chaque jour les contractions intenses des grandes masses musculaires des jambes et du dos, entraînées par la marche, ce roi des exercices puisqu’il permet de favoriser la pensée, apportent au sang une véritable marée d’oxygène, dont la combustion au sein des tissus, nettoie puissamment le sang et l’organisme de toutes les impuretés qui s’y déposeraient dans une vie sédentaire propice aux stagnations humorales.

Pour ne pas nous arrêter trop longtemps sur ce sujet, fondamental, mais néanmoins élémentaire, rappelons que l’organisation de l’hygiène du mouvement peut se proposer de réaliser trois sortes d’effets avantageux : structuraux, hygiéniques et éducatifs.

Les mauvaises attitudes prolongées, quelles que soient leurs causes, entraînent des déformations locales. Par des exercices appropriés il est facile de remédier à celles-ci qui, à la longue, entraînent de graves troubles d’abord dans le fonctionnement des organes et des régions déformées et bientôt dans la santé générale. Le premier souci du candidat à la vie sage sera donc de vérifier sa tenue et de s’astreindre à des exercices correctifs remettant en forme les régions déformées et développant complètement celles qui le sont insuffisamment. Ceci afin de réaliser l’harmonie de l’être physique. On a beaucoup épilogué sur le canon idéal du corps humain. Sans participer aux polémiques entre spécialistes, indiquons une règle qui, empruntée au Mars du Louvre, passe pour la réalisation de la perfection masculine. Prenant le tour du poignet comme unité, elle veut que bras, mollet et cou soient égaux, mesurant chacun deux fois le tour du poignet, que la ceinture soit deux fois plus grande, soit quatre tours de poignet, et la poitrine trois plus ample, soit six fois le poignet. D’autre part le dos et la nuque doivent être aussi droits que possible, le ventre plat et la poitrine profonde et bombée, les épaules légèrement rejetées en arrière pour que leur poids et celui des bras ne gênent pas l’amplitude des mouvements respiratoires.

Pour retirer de l’exercice tous ses avantages hygiéniques, il est absolument indispensable qu’on en fasse suffisamment. Il ne faut pas se laisser prendre aux sornettes des marchands d’orviétan annonçant qu’en 5 ou 10 minutes par jour, leur « système » prodigieux assurera la santé. Pas plus que la ration alimentaire en pilule, il n’existe de geste ou de posture capable de remplacer l’oxygénation abondante du sang que seul un exercice prolongé peut procurer. Pour conserver la santé, un organisme normal adulte a besoin d’au moins une heure et demie à deux d’exercice quotidien en plein air. Il doit être suffisamment intense pour entraîner une accélération et une augmentation d’amplitude de la respiration. Une promenade de trois kilomètres à l’heure qui pourrait constituer un exercice suffisant pour un nonagénaire, ne serait guère qu’un passe-temps hygiénique pour un cinquantenaire robuste qui ne peut trouver de profit hygiénique dans la marche que lorsqu’elle atteint ou dépasse cinq kilomètres à l’heure ou six pour un homme de trente ans. La marche est l’exercice le meilleur, à la fois le moins dispendieux et le mieux adaptable aux besoins particuliers de chacun. On en augmente beaucoup la valeur hygiénique en rectifiant les postures affectées par la sédentarité, tenant le dos droit ainsi que la nuque, rejetant les épaules en arrière et respirant « à pleins poumons » en réalisant l’ampliation totale dans les trois dimensions du poumon, verticale, latérale et antéropostérieure. Il faut naturellement relâcher les vêtements qui empêchent de respirer à fond. Les sports plus actifs comme le tennis, la paume, la balle à la volée, au panier, etc., sont également excellents surtout pour les moins de quarante ans, mais ils ont l’inconvénient de demander un terrain ad hoc, la présence de partenaires assez nombreux et de risquer de conduire sous l’influence de l’émulation à dépasser les limites au-delà desquelles l’exercice cesse d’être hygiénique en épuisant la vitalité.

Mais si les sports plus violents et fatiguants ne sauraient constituer le régime quotidien du sujet d’âge moyen, ils peuvent être pratiqués impunément à dose raisonnable par les adolescents et les moins de trente ans. D’autre part jusqu’à un âge relativement avancé, allant selon les sujets de 50 à 80 ans, il est bon de faire de temps en temps, une fois par mois par exemple, un léger abus d’exercice, en faisant de la marche jusqu’à une fatigue réelle ; même si elle est suivie de courbature. Ceci, conformément au principe de l’école de Salerne pour entretenir une certaine élasticité d’ensemble de l’organisme.

Au point de vue éducatif, on peut distinguer deux degrés dans l’utilisation de l’exercice pour contribuer au développement des facultés psychologiques. L’apprentissage de chaque sport entraîne le développement de l’habilité musculaire dans l’accomplissement de certains mouvements. Par l’exercice, ceux-ci gagnent en adresse, en vitesse et en force. Plus l’individu pratiquera de sports et d’exercices variés et plus il pourra faire face avec facilité et autorité aux circonstances difficiles. C’est ce qui avait amené notre regretté ami, le baron Pierre de Coubertin à organiser des années avant la naissance du scoutisme, son « diplôme des débrouillards », décerné aux jeunes athlètes pratiquant une dizaine de sports dans des conditions naturelles, course, marche et nage habillé, boxe à poings nus, cyclisme avec démontage et remontage du pédalier en cours de route, etc.

La valeur éducative des exercices augmente avec la difficulté et la variété des mouvements requis, la rapidité des décisions à prendre et la nécessité de combiner les mouvements en fonction d’un ou de plusieurs adversaires et partenaires. Les exercices de simple propulsion, course, marche, nage, sauts, sont les moins éducatifs. Le tennis ou l’escrime pratiqués des deux bras sont plus éducatifs que si l’on n’use que d’un seul membre. La boxe Française est plus variée, donc plus enrichissante que l’Anglaise, la lutte libre que l’ancienne Gréco-romaine. Ces sports individuels sont moins éducatifs que les jeux d’équipe nécessitant la coordination des mouvements avec ceux d’autres joueurs. Ces derniers ont d’autant plus de valeur psychologique qu’ils emploient plus de gestes différents, multipliant ainsi le nombre des situations auxquelles on a à faire face et des possibilités de choix dans les réactions. Ceci fait que le football association est moins éducatif que le rugby à treize et celui-ci que le rugby traditionnel à quinze.

Mais on arrive à épuiser la valeur éducative de tous ces exercices. Après l’apprentissage des réactions variées requises par les différentes phases du jeu, on ne peut plus développer que la vitesse et la précision des réactions. On n’effectuera plus que des variations sur le même thème et la valeur créatrice du mouvement sombre dans l’automatisation. Cependant l’effet hygiénique persiste, contrebalancé il est vrai dans les sports violents par le danger de dépasser les limites au-delà desquelles ils risquent d’entraîner de graves lésions, parfois définitives.

Mais on peut reculer presque indéfiniment l’influence éducative du mouvement en le faisant porter sur des travaux exigeants des gestes de plus en plus délicats et adroits. C’est le cas pour tous les arts, ou les artisanats artistiques, où l’accès à la perfection stérilisante des mouvements requis pour leurs techniques est repoussé presque à l’infini. L’accomplissement d’un mouvement quelconque nécessite une série de perceptions des circonstances et objets sur lesquels il porte, puis la comparaison des solutions possibles, le choix de l’une d’elles et l’exécution du mouvement correspondant. Le tout est réalisé grâce à des associations traversant à la vitesse de l’éclair, des circuits d’autant plus variés de cellules nerveuses, que les éléments du problème auquel l’action répond, sont plus nombreux. Plus les mouvements à exécuter nécessitent la perception de nuances subtiles, tant dans le choix des diverses valeurs entrant dans la composition d’une teinte cherchée sur la palette d’un peintre que dans la sélection des amplitudes sonores permettant de donner à un trait musical, l’atmosphère, la valeur, la chaleur recherchées et plus le choix du mouvement adéquat aux exigences de l’œuvre continue à développer les facultés d’expression, et plus l’arrivée à l’automatisation stérilisante, recule. Le peintre, le sculpteur, le violoniste, le chirurgien, l’orfèvre, peuvent développer « leur main » ou leur doigté presque jusqu’à l’infini, enrichissant toujours la valeur des circuits nerveux gouvernant leurs mouvements.

La pratique des techniques artistiques ou artisanales peut donc développer quasi infiniment la qualité des centres nerveux employés. L’apprentissage de plusieurs techniques de haute richesse éducative et créatrice pour les centres nerveux intéressés, permet encore d’étendre la valeur éducative du travail manuel. C’est pourquoi nous avons recommandé dès 1925 [4] l’apprentissage du plus grand nombre possible de techniques artisanales pour les enfants peu doués intellectuellement. Mais tout en contribuant puissamment au développement de centres nerveux de valeur, ces travaux artisanaux quasi intellectualisés, n’ont plus qu’une influence hygiénique des plus restreinte.

Cependant il est un art qui conserve une large valeur hygiénique tout en évitant l’automatisation de ses mouvements. Cet art associant d’une façon permanente la valeur éducative et les effets hygiéniques du mouvement, est la danse. Le Judo associé au Zen a le même avantage en plus viril.

Il ne s’agit pas des danses dites de salon, ni des trémoussements spasmodiques des danses exotiques allant de la bamboula au Bougui-vougui qui loin d’être des danses naturelles de primitifs, ne sont que des élucubrations désaxées de dégénérés tropicaux dont les effets relevant des hypnoses collectives sont exactement contraires au développement de la faculté d’apprécier les valeurs. Nous avons en vue la chorégraphie sous ses formes les plus expressives telles qu’elles ont été développées à partir du ballet classique Français par les grands chorégraphes modernes, des ballets Russes à Rudolph Steiner, aux Sakharoffs et à Jeanine Solane. En particulier il s’agit des géniales méthodes d’éducation rythmique de Jacques Dalcroze, et d’analyse expressive de sentiments de Del Sarte dont font usage les chorégraphes avisés, en particulier l’école Jeanine Solane.

Il serait difficile de surestimer la valeur éducative de la chorégraphie qui fait d’elle la reine des exercices physiques. Tandis que la variété illimitée des rythmes permet de reculer indéfiniment l’automatisation de leur exécution, la nécessité de concilier les mouvements de l’individu avec ceux des autres danseurs compense en partie l’absence de la spontanéité des corrélations constamment renouvelées des actions d’un joueur avec ses coéquipiers dans les sports de compétition. Ce que le danseur perd en spontanéité des réactions, il le gagne dans la variété quasi infinie des combinaisons de sentiments à exprimer et de leurs degrés d’intensité. Comme d’autre part il est possible de choisir les mouvements les plus variés pour accompagner l’expression des sentiments, et ce dans des intensités allant depuis les bonds les plus athlétiques jusqu’aux petits dandinements imperceptibles, et depuis le portage de partenaires pesant jusqu’aux gestes à main libre les plus gracieusement délicats, on peut adapter les expressions plastiques du danseur à l’obtention de tous les effets hygiéniques et correctifs nécessaires.

Avec un peu d’imagination et un tourne-disque, on pourra combiner soi-même des suites plastiques et expressives qui rendent la gymnastique matinale aussi agréable et éducative qu’hygiénique. Cependant, pour l’utiliser au mieux il sera nécessaire d’étudier les éléments de la danse classique avec un maître compétent et surtout de s’initier à la méthode Dalcroze dans un institut qualifié et à celle de Del Sarte auprès de son dernier représentant en France.

Lorsqu’on a le bonheur d’habiter la campagne, le jardinage sans avoir la variété des avantages de la danse, a celui de mettre en rapport direct avec la vie créatrice à l’œuvre au sein des végétaux, ce qui constitue un appel puissant à l’éveil des facultés intuitives latentes au plus profond de la conscience. Le contact avec les fleurs et les arbres, qui restent si fidèlement conformes aux normes permanentes de la vie végétale, tout en entraînant un doux exercice en plein air, exerce une influence magnifiquement équilibrante et harmonisante sur les profondeurs de la conscience et du subconscient du bon jardinier recherchant variété et qualité.

Cependant même les jardiniers de profession auraient encore avantage à pratiquer aussi différents exercices de plastique expressive pour éviter les automatisations de la spécialisation. Sur tous les plans de l’être humain, physique, sentimental, mental, rationnel, intuitif, communiel, vivre c’est grandir et en créant de nouvelles organisations psychosomatiques, rester ouvert à des perceptions de plus en plus subtiles et universelles. Passer de la spontanéité à l’habitude et à ses automatismes, c’est passer de la liberté à la servitude ; de l’expérience illimitée à la claustration, de la vie à la mort psychologique. Hélas beaucoup d’humains jeunes encore sont déjà des sarcophages ambulants dans lesquels seul l’animal physique avec ses petites ruses et ses petits appétits est encore vivant. Or la possibilité de développer les centres nerveux par l’exercice varié est un des moyens les plus accessibles aux sujets moyens. C’est pourquoi il est important de tout mettre en œuvre pour tirer le meilleur parti éducatif de l’indispensable exercice quotidien.

Avec l’harmonisation de l’alimentation et de l’exercice vient celle réalisée par ce qu’on pourrait nommer le naturisme, tendance à suivre les lois naturelles dans la conduite de la vie. En lutte contre les habitudes vestimentaires régnantes aussi artificielles qu’inesthétiques, un important mouvement mène sous le nom de Naturisme une vive campagne en faveur de la vie menée dans le plus simple appareil au sein d’un cadre naturel.

Le succès remporté dans de nombreux pays civilisés par les divers aspects du gymnisme (du grec gumnos = nu), montre qu’il répond à un besoin profond chez beaucoup de sujets et nous pensons que, s’il peut donner lieu à des abus, il peut aussi produire les effets les plus heureux dans de nombreux cas. La présence d’ecclésiastiques de confessions variées dans les camps de gymnisme en est un garant. Cependant le fait d’attribuer le nom de Naturisme au Nudisme pourrait avoir un grave inconvénient si les adeptes de celui-ci arrivaient à penser qu’en exposant leur épiderme aux rayons du soleil, ils ont réalisé l’harmonisation de leur existence avec les normes si variées de la vie naturelle. Un bain de soleil hebdomadaire, même s’il est total, ne remplace en rien l’élimination de la consommation quotidienne des aliments poisons, viande, alcool, tabac, etc. Il est indispensable de compléter la gymnité non seulement par l’abstention de tous éléments artificiels, mais aussi par toutes les autres règles de la Panharmonie.

C’est à bon droit qu’on traite souvent les grandes villes du nom peu élégant de pourrissoirs. Certes avec leurs magnifiques musées, leurs opéras, leurs bons théâtres, leurs sociétés savantes, artistiques et littéraires, leurs innombrables écoles spéciales, ce sont des foyers de culture d’une valeur inestimable. Mais elles font payer cher leurs prestiges à ceux qui y résident. Pendant longtemps on a cru que leur air pollué de poussières et de gaz variés par les usines, les chauffages des maisons, par les moteurs d’auto et même simplement par une énorme accumulation d’humains respirant tous une vingtaine de fois par minute, était le facteur le plus nocif des grandes agglomérations.

Maintenant que les désastreux inconvénients des bruits innombrables et constants sur la santé mentale sont mieux connus, beaucoup de psychiatres pensent que l’effroyable tintamarre des grandes villes est, avec les alcools variés et l’instabilité croissante de la vie, une source fondamentale du développement inquiétant des diverses formes de la folie. A ces trois fléaux principaux sévissant sur les malheureux citadins, air pollué, bruit constant et instabilité généralisée, il faut encore ajouter un autre facteur très dangereux : la présence d’une tourbe de dégénérés criminels des deux sexes menant dans les bas-fonds des vies atroces dont les immondes mercantis du plaisir de bas étage exploitant les plus vils instincts des foules, font remonter les miasmes empoisonnés jusque sur les écrans des cinémas et les éventaires des kiosques de journaux où ils inspirent la pullulation cryptogamique de petits livres dont les héros sont des chevaliers ou chevalières du crime et de la débauche.

Ces quatre fléaux des villes (il y en a bien d’autres) en font des lieux impropres au développement normal des enfants. Avec la fragilité de leurs organismes, en particulier leur très vive réceptivité psychique gravant profondément dans leur subconscient les impressions premières, la nocivité des milieux urbains est décuplée chez eux. Sous l’avalanche des contacts douteux, multipliés et intensifiés par la tendance d’une certaine presse, les mercantis de l’écran, et hélas même la programmation des réseaux de Télévision, les jeunes ont vite l’impression qu’ils vivent dans un milieu social faisandé aux mœurs plus que douteuses où fleurissent tous les vices contre nature et toutes les tares et où en dehors des terrains de sports, les gens honnêtes et normaux sont relégués dans une espèce de terra incognita à laquelle personne ne semble s’intéresser.

Comment s’étonner de la diffusion chez les jeunes d’un scepticisme dont la critique gouailleuse de toutes les valeurs élevées masque mal le pessimisme plus ou moins désespéré ? Dans les familles cultivées on s’efforce de donner aux petits enfants des chambres où leurs regards ne portent que sur des spectacles purs et harmonieux. En vertu du fameux principe pédagogique des Romains « Maxima reverentia puero debetur », le respect de l’enfant doit être souverain ; on s’efforce de reculer le plus possible le moment où l’enfant s’apercevra que le hôme familial n’est pas une image fidèle du monde humain, mais un petit oasis où fleurissent des fleurs et des fruits exquis qui, trop fragiles pour les miasmes délétères du monde extérieur en proie à l’égoïsme brutal et à la « démesure », n’en sont pas moins les fleurons les plus précieux de la vie qui, sans eux, ne vaudrait pas la peine d’être vécue.

Le véritable problème social consiste à élargir l’ambiance pure, précieuse et choisie du sanctuaire familial, à des cercles toujours plus élevés et amicaux de voisins, de compagnons de route à travers l’existence. Hélas les grands courants de notre vie moderne tendent au contraire à saborder les parois morales et matérielles qui protègent les homes familiaux pour y faire pénétrer les immondices des ruisseaux, de la rue et de leur triste faune à face humaine. Comme l’avaient déjà senti les vieux Romains, la véritable démocratie conduit à aimer les enfants, tous les enfants, d’un tel amour que tous soient assurés de la protection et des soins dont jouissent ceux qui ont eu le bonheur de naître chez des parents conscients de leurs hauts devoirs et capables de les remplir sur le plan des valeurs les plus élevées.

Ces considérations amèneront les parents conscients de leurs responsabilités à s’efforcer de quitter les grandes villes pour que leurs enfants échappent le plus possible aux influences désastreuses des cités tentaculaires avec leurs promiscuités dégradantes. En ce sens les « banlieues-dortoirs » sont un pas dans la bonne direction. Tandis que les chefs de famille se rendent chaque matin à leur gagne-pain, leurs enfants jouissent d’un air plus pur, d’un calme relatif et échappent aux contacts par trop nuisibles… à condition que la radio et la télévision ne réintroduisent pas au sein de la famille, l’atmosphère des coulisses de théâtre et des boites de nuit, avec leurs « étoiles » masculines, féminines ou mixtes, assaisonnée des coups de feu des tueurs des Westerns ou du « Milieu » dont on a voulu les préserver.

Et naturellement, l’influence normalisatrice de cet essaimement banlieusard sera triplé par l’adjonction au logement familial, de quelques mètres carrés de jardin où les enfants prendront contact avec les lois intemporelles de la vie, à travers les magies des ineffables délices éprouvées en déterrant tous les trois jours leurs plans de carottes ou de radis pour voir s’ils poussent.

Nous ne pouvons nous étendre davantage sur les conditions de l’harmonisation de la vie matérielle. Cependant il nous faut encore indiquer un domaine où un gros effort est à réaliser pour rapprocher les existences des victimes de la société artificielle d’une vie vraiment harmonieuse. Il s’agit de la répartition normale des heures d’activité et de repos dans le cadre de la journée. Autrefois les journées des humains étaient réglées par le cours du soleil. Comme les plantes et la plupart des animaux, ils se couchaient avec le jour et s’éveillaient à l’activité aux premières lueurs de l’aube. Seuls les grands de la terre, pouvaient se payer le luxe de « souper aux chandelles » et de recevoir leurs amis à leur lumière. Les paysans groupés autour de l’âtre écoutaient les vieilles histoires à la lueur des dernières braises achevant de se consumer avant d’aller chercher la chaleur dans leurs lits collectifs. Les petits bourgeois des villes y allaient encore plus tôt. Bien avant huit heures la plupart des « bonnes gens » dormaient paisiblement, les rues n’étaient plus traversées que par des passants attardés, les rondes du guet ou les ombres furtives des tire laines. Par contre, levés avant l’aube, avant l’angélus du matin, paysans, artisans, bourgeois étaient, sauf au cœur de l’été, déjà au travail lorsque l’astre du jour ranimait toute la terre. Tour à tour l’invention des chandelles, puis celle des « quinquets », les lampes à mèche mobile, puis celle du gaz, enfin celle des lampes électriques variées, ont été saluées comme des découvertes libérant l’humanité de l’« asservissement aux ténèbres des âges d’obscurantisme » !

Là encore il est difficile de trouver la note juste. Il est bien évident qu’il serait fâcheux pendant cinq ou six mois de l’hiver, que les humains soient obligés de continuer à se coucher avant six heures faute de lumière. Mais il est au moins aussi regrettable que par suite de l’éclairage « a giorno » dont les plus humbles sont maintenant dotés, l’immense majorité des contemporains soient privés de la jouissance des heures les plus belles, les plus nobles de la journée, les plus propices aux envolées les plus radieuses, aux sentiments les plus glorieusement héroïques, aux communions les plus transportantes avec l’essence de l’Univers.

Certes, il serait anormal d’utiliser l’éclairage artificiel pour se lever à minuit et vaquer à diverses occupations avant le lever du soleil, sous prétexte de prolonger la journée. Mais, en dépit des habitudes régnantes, il est également anormal de prolonger la soirée bien au-delà de minuit, de sorte que cette heure qui, selon l’étymologie marque le milieu de la nuit, n’est plus pour beaucoup de désaxés, et ils sont légions, que le début de la deuxième partie de la soirée. L’idéal serait que tout en prolongeant de plusieurs heures la vie active en fin de journée, on se couche également assez tôt pour se lever avec l’aube afin de pouvoir jouir des valeurs irremplaçables des enchantements du matin. Si, nos ancêtres disaient que « minuit est l’heure du crime », les heures de la nuit sont celles des « belles de nuit » des trottoirs, de leurs souteneurs, des louches combines dans les arrière-boutiques des « beuglants » et des tricheurs de tripots ; les heures de la matinée ont un charme au moins égal à celles du crépuscule. En y renonçant on se prive de valeurs irremplaçables et il serait juste d’affirmer « Une journée sans son aube est une vie sans jeunesse ».

Un des plus tristes effets du naufrage des valeurs naturelles et éternelles contrariées en Occident par « l’artificialisation de la vie », est la perte du sens de la valeur spécifique des diverses parties de la journée. Pour l’Occidental moyen, « une heure est une heure », quelque soit l’endroit du cadran où sont situées ses soixante minutes. Il n’en est pas ainsi dans les antiques civilisations traditionnelles où sont encore nombreux ceux qui ont gardé le sens des communions intimes avec l’essence des choses. En Inde en particulier, on a un sens aigu de la nécessité d’accommoder les différentes sortes d’activités aux heures qui leur sont les plus favorables ; comme il faut tenir compte des phases de la lune pour effectuer certains travaux agricoles ou s’en abstenir. Il y a des musiques et des prières qui ne conviennent qu’au matin, et d’autres à la soirée seulement. A la suite d’une expérience multimillénaire tous les religieux, d’Occident et d’Orient, qui aspirent aux délices surhumains de la contemplation spirituelle, savent que les heures précédant le réveil sur la terre des activités engendrées par les rayons du soleil levant, sont les plus propices à l’élévation de l’Âme vers sa Source. C’est avant l’aube que la cloche des monastères Chrétiens convient leurs moines aux matines. C’est à quatre heures moins le quart du matin que Gandhi m’invita à participer à sa prière matinale avant de faire sa connaissance. Dans l’ombre chaude des jungles tropicales entourant les Viharas (temples) Bouddhistes, c’est bien avant que l’aube commence à faire pâlir l’horizon que la prodigieuse et grande richesse musicale des grands gongs appelle les bikkhous à venir se recueillir avec leurs frères sur « la plénitude du vide » sur laquelle l’univers déroule la trame chatoyante de ses illusions. Partout où les flèches d’or d’Apollon commencent à frôler horizontalement la surface de la terre, elles sont accueillies par la foule des croyants, les « gens de la prière » qui, « fidèles » au rendez-vous, saluent l’aurore d’un nouveau jour en élevant dans la paix radieuse du matin des actions de grâces à son Auteur.

De nombreux artistes et intellectuels contemporains trouvent un stimulant dans l’atmosphère enfumée des brasseries, mais le nombre des grands penseurs et des grands artistes qui ont préféré œuvrer au début du jour est bien plus considérable. Victor Hugo nous a laissé sa fameuse recette : « Lever à 6, déjeuner à 10, dîner à 6, coucher à 10, fait vivre dix fois dix. » Les hygiénistes proclament que les meilleures heures de sommeil, les plus favorables au repos et à la réparation du système nerveux, sont celles qui précèdent minuit, alors qu’après la cessation des activités diurnes, toute la nature s’enfonce dans le repos nocturne.

La sagesse consiste donc, non pas à renoncer aux concerts, théâtres ou autres œuvres de la civilisation, mais à aller de préférence aux « matinées » et, le soir, de « trainer » le moins possible après les beaux spectacles qui valent la peine qu’on donne un accroc à la vie sage. Du reste, grâce probablement à l’augmentation de la présence d’enfants dans un nombre toujours plus grand des familles, un grand changement s’opère en ce moment et la plupart des familles ont des heures beaucoup plus normales que pendant la lamentable époque de l’entre deux guerres. Que les noctambules ne nous accusent pas de vouloir infantiliser l’humanité. Être viril, ce n’est pas boire de plus en plus d’alcool à des heures tardives dans l’atmosphère empuantie des brasseries. C’est étendre sa culture toujours plus loin et plus haut et remporter des victoires toujours plus durables sur les instincts égoïstes et grossiers, tout en cultivant l’Art Suprême, celui qui, selon Ruskin, « met sur les joues de l’homme le rose de la santé et de l’innocence » ; cet Ahimsa auquel Gandhi attachait tant d’importance.

Chacun des trois grands aspects de l’harmonisation avec le milieu naturel et économique, alimentation, activités physiques et organisation de la vie, appellerait encore de longs développements. En particulier il faudrait indiquer l’incidence de la réforme des mœurs préconisée par Panharmonie sur la transformation nécessaire des institutions sociales et politiques. A l’époque où nous organisions une chaîne de coopératives de production et de consommation en 1924, nous en avons déjà indiqué une partie dans notre ouvrage « Libération », dont le titre et les grandes lignes ont été repris par d’autres auteurs. Nous consacrerons prochainement une brochure aux formes actuelles de cette question. Pour l’instant nous devons nous contenter d’indiquer les bases sur lesquelles la recherche des normes sociales nouvelles devraient s’édifier.

Passons maintenant aux phases de l’harmonisation qui nous paraissent plus importantes parce que plus intimes, c’est-à-dire plus humaines, puisque l’homme réel est la partie centrale de ses activités psychologiques, celle du haut de laquelle sa conscience organise et juge ses expériences extérieures et internes.

Il est temps de réveiller les champions de la démocratie de leur hypnotisation sur l’égalité du droit de suffrage, et de la participation au bien-être matériel, à la manière de la poule dont on place le bec sur une raie tracée sur le sol. Ce ne sont là que les bagatelles de la porte. Il n’y aura pas de démocratie réelle tant que tous les adultes normaux n’auront pas reçu une instruction équivalente au moins au baccalauréat et n’auront pas été guidés dans l’utilisation de leurs loisirs à pratiquer la musique et les beaux-arts pour le développement complet de toutes leurs facultés et talents latents.

L’emploi généralisé des loisirs du prolétariat au développement de la fréquentation des bistrots, est une immonde faillite de la démocratie. Leur utilisation exclusive au profit de la multiplication des sportifs, avec l’obnubilation de l’intérêt pour les arts et les œuvres de pensées entraînée par la prolongation de l’intérêt exclusif pour le sport dans des milieux ayant dépassé l’adolescence, n’en serait qu’une futile et puérile caricature. La véritable démocratie ne sera réalisée que par un effort suprême pour faire que toutes les consciences humaines reçoivent de la société toutes les conditions nécessaires à l’épanouissement complet de leurs facultés les plus élevées. La fraternité est à réaliser sur les cimes …

Nous sommes encore loin de compte. Malgré un indéniable progrès matériel et social, c’est à peine si nous commençons à nous rendre compte de la véritable nature du problème démocratique. L’erreur des politiciens a été de croire que le progrès social pouvait être réalisé par la législation, alors que, de même que la coquille de l’œuf n’est brisée que lorsque le poussin est déjà entièrement organisé et vivant, ce n’est que lorsque le nombre des citoyens assez instruits, éduqués, et développés pour faire vivre des formes sociales meilleures sera suffisant, que la société nouvelle pourra éclore. Beaucoup des désordres actuels viennent de ce que les apprentis-sorciers de la haute politique cassent les coquilles avant que leurs poussins nationaux soient prêts à vivre. C’est pourquoi notre association s’adresse aux idéalistes clairvoyants pour qu’ils s’unissent pour provoquer l’éclosion du grand mouvement d’autodidactisme esthétique, culturel et spirituel qui, parallèlement à l’extension de la solidarité, donnera aux institutions nouvelles les citoyens cultivés qui en assureront le bon fonctionnement tout en réalisant en eux-mêmes les apothéoses conscientielles qui leur permettront de réaliser l’objectif de leur passage sur la terre, en même temps qu’ils contribueront à l’élévation des humains jusqu’à l’humanité.

Si Montesquieu a pu dire que de toutes les formes de gouvernement la République est celle qui exige le plus de vertu des citoyens, on peut affirmer que le véritable progrès humain, but supérieur de toutes les institutions politiques, ne peut résulter que de l’effort héroïque et permanent de tous les citoyens pour se dépasser constamment dans tous les domaines du Vrai, du Beau et du Bien.

Au sujet de cette action corrective constante que tout homme digne de ce nom doit mener en lui et autour de lui, signalons un champ d’action très important ouvert aux amis des animaux. Une fois de plus, il s’agit de la supériorité de l’action préventive sur les efforts de correction. Tous les gens de cœur ouverts au problème de l’immense souffrance animale, s’efforcent d’y remédier. Mais beaucoup trop s’imaginent avoir rempli tout leur devoir, en adhérant à une Association Protectrice. En réalité ce n’est qu’un premier pas, et un petit. Au contraire l’adoption du Végétarisme est un acte préventif d’une portée considérable qui s’impose à tout protecteur conséquent. C’est au point que le Mahatma Gandhi avec qui je discutais de la responsabilité morale résultant pour l’individu du fait de la contribution de sa façon de vivre à l’entretien des causes de guerre et de souffrances, me prit le bras et dit avec une grande énergie : « Ceux qui prétendent être des pacifistes et des amis des animaux et qui mangent de la viande, ne sont que des farceurs ». Trop d’idéalistes sont toujours prêts à demander aux autres de faire des progrès moraux sans se réformer eux-mêmes. Et naturellement, si l’on veut vraiment contribuer à la création d’un monde meilleur, l’abstention de nourriture animale doit être complétée par celle du port des fourrures, de la chasse et de tous les spectacles violents, combats de coqs, de chiens, de criquets, de taureaux, d’hommes, etc., etc.

Mais cela n’est qu’un commencement. Il faut passer de la protection des animaux à leur promotion. De nombreuses expériences d’éducation d’animaux ont prouvé que tous les animaux possèdent de très réelles possibilités de développement de leurs diverses facultés psychologiques. On a vu des cas répétés d’animaux dits féroces manifester beaucoup d’affection pour des animaux généralement considérés comme leurs proies naturelles, et même devenir végétariens comme le magnifique lion domestique de Mme Luciani dans son asile pour les bêtes sauvages d’Abéché, Tchad. De nombreux animaux ont appris à compter et effectuer toutes les opérations arithmétiques, depuis l’addition jusqu’à l’extraction de racines carrées. On en a même vu qui, grâce à l’étude des lettres de l’alphabet, ont été capables de former des mots et des phrases et de révéler ainsi une intelligence et une compréhension de la vie absolument insoupçonnées.

Dans l’état actuel, les animaux domestiques sont comme des enfants que l’on se bornerait à nourrir sans faire le moindre effort pour leur apprendre même à parler. Si l’on en usait de même avec les petits des hommes, un grand nombre d’entre eux ne dépasseraient pas beaucoup les petits des bêtes. On a dressé et éduqué toutes sortes d’animaux, chiens, chats, éléphants, phoques, rats et souris, et même des perroquets et des oies. Il y a là un champ illimité pour l’action éducative, et cette possibilité d’éducation de nos compagnons muets et conscients pose un immense problème moral aux esprits clairvoyants. Il y aussi des péchés par omission.

Il serait très heureux de voir les cours de psychologie des lycées complétés par un chapitre de notions succinctes sur L’éducation des animaux. Il n’a fallu qu’environ trois mois, à raison d’une heure d’enseignement par jour, à Madame Carita Bordérieux pour apprendre l’arithmétique à son chien Zou et à Madame Desvigne pour son chien Kabylo. Que de possibilités d’utilisation créatrice des loisirs forcés des enfants malades, et des vieillards isolés, qui trouveront dans l’instruction de leurs chères bêtes non seulement un objet pour leur affection, mais un vif stimulant de leur intérêt pour tous les problèmes de la psychologie et de l’enseignement, ce qui redonnerait une haute valeur à leur vie.

D’autre part un nouveau chapitre des rapports de l’humanité avec la nature s’ouvrirait. Il a déjà commencé avec le reboisement, ce premier pas des sociétés humaines pour cesser d’abuser sans mesure, des richesses de la vie organisée sur notre planète. Puis, l’établissement de parcs naturels ou nationaux a réalisé l’« arrêt du bras du bûcheron » demandé par Charles d’Orléans. Sur de tout petits espaces de notre planète l’homme a ainsi cessé d’être le grand ravageur et saboteur, l’ennemi N° 1 de la création. L’heure est venue de faire un pas de plus en étendant aux facultés psychologiques des animaux les soins intelligents apportés par les éleveurs de bétail et les horticulteurs à l’amélioration physique des espèces dont ils s’occupent. Comme il serait beau de voir l’amour de nos compagnons muets s’épanouir en une action éducative et créatrice d’une nouvelle gerbe de qualités psychologiques chez les animaux et de valeurs morales et spirituelles chez leurs amis vraiment dignes alors du nom d’humain dans ce qu’il implique de ressemblance au Créateur.

Sans aller jusqu’à prévoir la participation des chœurs d’oiseaux savants aux concerts de l’avenir, il est certain que les services rendus par les chiens qui vont chercher le lait, le pain ou les journaux pourraient être considérablement étendus, et il n’est pas chimérique de prévoir des circuits de livraison assurés par des chiens ou des chevaux bien dressés. Mais beaucoup plus important que ces vignettes d’Épinal, serait le fait que l’homme, cessant d’être l’exploiteur féroce de la nature, s’élèverait à une collaboration aux œuvres du Créateur en créant de nouvelles harmonies intellectuelles dans la vie intérieure de créatures délaissées et qui seraient appelées à un autre chapitre de leur ascension vers la lumière. Certains auteurs occultes ont prétendu que la recherche scientifique était entravée par le sabotage généralisé des lois du développement normal des règnes de la nature par la cupidité furieuse et aveugle des humains. Ceci entraînerait une sorte de repli, de défense de la part des énergies cosmiques qui, autant que possible, s’efforceraient de se fermer à la curiosité de l’homme. Qu’y a-t-il de vrai dans cette idée ? En tous cas il est certain que le développement de l’intérêt désintéressé et affectueux pour tous les règnes de la nature et en particulier pour les animaux qui nous entourent, marquera une nouvelle ère dans le développement moral et spirituel des humains. Ils vivraient dans un monde infiniment plus ouvert aux grands courants de symbiose, de compénétration et d’harmonisation que l’ère actuelle dans laquelle continue à sévir sous le signe de l’utilisation des progrès scientifiques à des fins égoïstes, ce que les Stoïciens stigmatisaient déjà sous le nom de « Bella Omnia Contra Omnes », la guerre de tous contre tous.

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1 Dr. WRENCH : « The cycle of Health » ; BIRCHER-BENNER : « Les Hounzas », traduit de l’allemand ; Jacques de MARQUETTE : « Des Hounzas aux Yoguis » contient une discussion étendue des précédents ouvrages.

2 Dr W.A. PRICE : « Nutrition and physical degeneration », New-York, 1939.

3 Voir et « Des Hounzas aux Yogis ».

4 « Libération » la quadruple racine de l’exploitation et ses remèdes. Édition du Trait d’Union.