Bernardo Kastrup
L’idéalisme actualisé : La fin de la dualité perception-imagination

Traduction libre Selon le paradigme matérialiste dominant, le monde extérieur est fait de particules subatomiques et de champs de force extérieurs et indépendants de la conscience. Ce monde n’aurait pas de qualités intrinsèques — telles que la couleur, la saveur et l’odeur — et se composerait plutôt de quantités et de relations mathématiques purement abstraites. […]

Traduction libre

Selon le paradigme matérialiste dominant, le monde extérieur est fait de particules subatomiques et de champs de force extérieurs et indépendants de la conscience. Ce monde n’aurait pas de qualités intrinsèques — telles que la couleur, la saveur et l’odeur — et se composerait plutôt de quantités et de relations mathématiques purement abstraites. Les qualités de l’expérience, selon ce point de vue, sont créées à l’intérieur de notre crâne par notre cerveau ; les organismes vivants reçoivent des stimuli abstraits du monde extérieur par le biais de leurs organes sensoriels, puis leur cerveau , soi-disant, traduit ces stimuli en expériences qui constituent leur vie.

L’idée que toutes les couleurs, saveurs et odeurs n’existent que dans notre tête — et non dans le monde extérieur — est profondément contre-intuitive. La motivation pour y croire est la nécessité de donner un sens à au moins deux faits : premièrement, il existe de fortes corrélations entre les modèles d’activité cérébrale et l’expérience intérieure, ce qui semble impliquer le cerveau dans la création de l’expérience ; et deuxièmement, nous semblons tous partager le même monde, donc si l’expérience est créée par nos cerveaux individuels, il doit y avoir quelque chose d’extérieur qui n’est pas de nature expérientielle, mais qui module néanmoins les expériences de différentes personnes par le biais de leurs organes sensoriels respectifs. Ce « quelque chose » non expérientiel — c’est-à-dire les particules subatomiques et les champs de force — est apparemment le monde que nous partageons tous.

Le problème est qu’un nombre croissant de preuves semble contredire la notion selon laquelle l’expérience est en quelque sorte créée par des schémas d’activité cérébrale. Si cette notion était correcte, on s’attendrait à ce qu’une expérience plus riche soit toujours en corrélation avec un métabolisme accru dans les corrélats neuronaux de l’expérience. Or, c’est le contraire qui a été observé.

En effet, les transes psychédéliques, qui représentent un enrichissement mystérieux de l’expérience, ne s’accompagnent que de réductions du métabolisme cérébral. De même, il a été observé que l’activité cérébrale des médiums expérimentés est réduite lorsqu’ils écrivent ou enregistrent dans le processus de psychographie. Il a également été observé que les patients, ayant subi des dommages cérébraux à la suite d’une opération chirurgicale, ont un sentiment plus riche d’autotranscendance après l’opération. Les pilotes qui subissent une perte de conscience induite par la G-force font également état de « rêves mémorables », même si le flux sanguin vers leur cerveau est réduit. Les adolescents du monde entier jouent à un jeu dangereux de strangulation partielle, car la réduction du flux sanguin dans leur tête entraîne de riches expériences d’euphorie et d’autotranscendance. La liste est longue, mais le point doit être clair : il existe de nombreux cas où la déficience des fonctions cérébrales est en corrélation avec une conscience enrichie, ce qui semble contredire le paradigme matérialiste dominant.

Pour résoudre ce dilemme, il faut simplement un subtil changement de perspective, une façon différente de voir ce qui se passe. Prenons, par exemple, la foudre. Disons-nous que la foudre provoque une décharge électrique dans l’atmosphère ? Certainement pas ; la foudre est simplement ce à quoi ressemble une décharge électrique atmosphérique. De même, les flammes ne provoquent pas la combustion associée ; elles sont simplement ce à quoi ressemble la combustion. Enfin, un tourbillon dans un flot ne provoque pas la localisation de l’eau dans le flot ; c’est simplement ce à quoi ressemble la localisation de l’eau.

Ces images — éclairs, flammes, tourbillons — disent quelque chose sur le processus dont elles sont une image. Par exemple, nous pouvons déduire beaucoup de choses sur la combustion à partir de la couleur et du comportement des flammes associées. Plus généralement, nous disons qu’il existe des corrélations entre le processus et son image, car cette dernière est une représentation — incomplète, selon le cas — de la première.

Pour revenir à l’exemple du tourbillon, remarquez aussi qu’un tourbillon ne contient rien d’autre que de l’eau. Vous ne pouvez pas sortir un tourbillon de l’eau. Pourtant, le tourbillon est un phénomène concret et identifiable ; on peut le délimiter, le pointer du doigt et dire : « Il y a un tourbillon ! » Les images de processus peuvent, après tout, être très concrètes.

Ainsi, le cerveau — en fait, le corps tout entier — n’est que l’image d’un processus de localisation dans la conscience universelle, une localisation de l’expérience qui, de la perspective de la première personne, constitue notre vie intérieure privée. Le système corps-cerveau est comme un tourbillon dans le courant des expériences universelles.

Le cerveau ne génère pas d’expérience pour la même raison qu’un tourbillon ne génère pas d’eau. Pourtant, l’activité cérébrale est en corrélation avec l’expérience intérieure — le contenu localisé du tourbillon — parce que c’est ce à quoi ce dernier ressemble du point de vue d’une seconde personne, tout comme la foudre est ce à quoi ressemble la décharge électrique atmosphérique de l’extérieur.

Le cerveau n’est pas la cause de l’expérience pour la même raison que la foudre n’est pas la cause de la décharge électrique atmosphérique, et que les flammes ne sont pas la cause de la combustion. Tout comme les flammes ne sont que l’image du processus de combustion, le système corps-cerveau n’est que l’image d’une expérience localisée dans le courant de la conscience universelle.

De la même manière qu’il n’y a rien d’autre que de l’eau dans un tourbillon, il n’y a rien d’autre que la conscience universelle dans un corps vivant. Pourtant, tout comme on peut délimiter les limites d’un tourbillon et dire : « Il y a un tourbillon », on peut délimiter les limites d’un corps vivant et dire : « Il y a un corps ». Cela explique le caractère concret ressenti des organismes vivants dans l’hypothèse où tout ce qu’il y a pour eux est la conscience universelle.

Ce n’est qu’un avant-goût d’une théorie de la réalité beaucoup plus élaborée, développée dans un ensemble de travaux publiés dans les domaines de la philosophie analytique, de la psychiatrie, des neurosciences et des fondements de la physique, que les lecteurs intéressés sont invités à explorer davantage.