J’espère qu’un jour, vous direz : « Vimala, nous n’avons pas besoin d’échanges verbaux, nous venons ici pour être ensemble avec vous dans la plénitude du silence ».
Nous disions hier que la Vie sans forme et vide a envie de s’exprimer ou de se manifester elle-même. L’unicité de la vie se manifeste dans la multitude. Cela ne devient pas multiple, cela se manifeste dans le multiple, qui semble être le contenu de l’unicité.
Nous allons aborder les mots « spontanéité », « envie », « sacré », et « innocence » ce matin.
Spontanéité implique, n’est-ce pas, qu’il n’y a pas de cause, ni de motivation derrière le mouvement ? Il n’y a pas d’effort derrière le mouvement. Une des erreurs fondamentales de la race humaine a été d’étendre l’activité intellectuelle au registre du divin. La race humaine a fait une vaine tentative pour capturer le divin, le Tout organique, la mystérieuse interrelation de ce qui se manifeste, dans la structure de la logique humaine, par la pensée, la loi de causalité etc. Le limité ne peut pas percevoir l’illimité, le conditionné n’a pas la sensibilité de sentir l’inconditionné et l’inconditionnable. Le mécanisme de la pensée structurée ne peut avoir l’intelligence de percevoir l’essence de la vie, libre des structures et des modèles.
Lorsque nous disons que le rien, le personne, qui est le contenu de l’espace ou du vide, semble avoir l’envie de se manifester lui-même, « l’envie » n’est pas une motivation. S’il vous plaît, voyez bien cela. La structure de la pensée par laquelle nous fonctionnons, demande des pulsions et des instincts qui sont dans la structure biologique pour mobiliser les organes des sens et les conduire vers leurs objets respectifs. Mais la divinité de la vie ne connaît pas de motivation. Elle n’a pas d’esprit conditionné, structuré, qui impliquerait une motivation et un effort, une direction, un calcul, une relation de cause à effet. Tout cela ne peut pas atteindre ni entrer dans le vide sacré ou le rien de l’essence de la vie. « L’envie » n’est pas une motivation, l’envie n’est pas la cause. Vous ne pouvez pas analyser le mouvement du Tout ou le disséquer et le diviser en cause et effet.
La « spontanéité » est un mouvement libre de toute motivation, c’est un mouvement libre de tout effort. La spontanéité n’a pas de contenu de pensée, donc vous pouvez l’appelez innocence. L’innocence n’a pas de contenu de pensée et donc pas de motivation.
Nous appelons la vie « divine » parce qu’il n’y a pas de contenu de pensée en elle. Nous appelons la vie et son mouvement divins parce qu’il n’y a pas d’effort en eux, pas de structure en eux, et donc pas de mouvement répétitif mécanique en eux.
La spontanéité, le mouvement de l’envie spontanée de se manifester est au-delà de la fragmentation de votre logique et des lois de la structure de la pensée. C’est un mouvement d’intelligence qui n’a pas de contenu de pensée du tout. C’est le mouvement de l’intelligence qui n’a ni passé ni futur. Si quelqu’un dit : « Pourquoi la vie se manifeste dans le multiple ? » En toute humilité, je dirai : « C’est une mauvaise question. Cela est sans intérêt pour le royaume qui est au-delà du temps et de l’espace, qui est au-delà de la verbalisation ». Le mot est né du son, le son est né du silence. Vous pouvez remonter à la source du son qu’est le silence, mais aucun mot ne peut décrire ce qu’est le silence. Voyez-vous mon point de vue ?
Vous ne pouvez décrire la source de votre être. Vous ne pouvez décrire la qualité de la lumière (nous ne faisons pas référence ici au soleil ni à la lumière de la bougie) mais la lumière se crée elle-même, et se maintient elle-même. La lumière qui rayonne du vide, dans le vide. La lumière de l’intelligence, la lumière de la conscience. Vous ne pouvez la décrire. Aucune similitude, aucune analogie n’est appropriée. Pouvez-vous décrire ou définir ce qu’est l’amour ? L’amour est le parfum de l’intelligence. L’amour est le parfum de la spontanéité. L’amour rayonne du Tout de votre Être. Lorsque vous vivez dans le Tout de votre être, l’amour est le rayonnement de ce Tout. Il n’existe pas en dehors du Tout, de l’intelligence. Comme la beauté est la lumière de l’innocence, l’amour est la lumière de l’intelligence. Vous ne pouvez le décrire.
Il n’y a pas de processus de devenir tant qu’il s’agit de la vie cosmique. « Pourquoi les manifestations émergent et pourquoi elles s’immergent ? » C’est une question à laquelle il n’a jamais été répondu et à laquelle il ne sera probablement jamais répondu. C’est une question qui est appropriée dans le monde des pensées mais pas au-delà.
Les anciens rishis et sages de l’Inde étaient conscients de cela et alors ils ont utilisé des mots charmants pour faire plaisir à ce qu’on appelle la recherche intellectuelle des érudits. Ils disent c’est la « Leela du divin ». Leela est un jeu. Un enfant joue spontanément sans que vous lui appreniez, sans motivation, sans vouloir y gagner quelque chose, comme vous-même vous fredonnez ou chantez, c’est une détente (un déroulement) de votre être, vous exprimez la musique à l’intérieur de vous. « Leela » est un mouvement sans cause, un mouvement libre de motivation. Les mots jouer, jouant, jeux, n’ont pas la profondeur pour exprimer les nuances variées et les connotations du mot « Leela ».
Chaque personne a un organisme biologique, elle vit dedans et elle vit avec. L’organisme biologique n’est pas une totalité mécanique comme un robot ou un ordinateur construit par le cerveau humain, ce n’est pas une machine. Ce n’est pas statique. C’est une créativité condensée, c’est une miniature de la vie cosmique, aussi mystérieuse que le cosmos. Les rishis ont deux beaux mots pour décrire cela : microcosme et macrocosme. L’organisme humain était appelé « pinde » ou microcosme, et « brahamande » ou macrocosme. Le corps est appelé « Pinde ». Pinde signifie un organisme, une miniature du cosmos. « Pinde thatha Brahmande, Brahmande thatha pinde ». Brahmande est le cosmos ; le Brahma qui grandit toujours, qui se manifeste toujours. « Anda » est un œuf, un œuf entier, non éclos.
Chacun doit vivre dans ce mystérieux organisme biologique où l’interrelation des énergies cosmiques est évidente. Nous devons vivre dans cette interrelation mystérieuse d’un organisme qui est vêtu de chair et décoré de muscles et de tissus, des artères et des nerfs et a des organes comme le cœur, les poumons, le foie, les reins. C’est merveilleux comment ils sont tous inter reliés et comment, avec efficacité et compétence, cet organisme biologique analyse la nourriture que vous mangez et la convertit en de nombreux éléments, minéraux, vitamines et les convertit en plasma, eau, chair. Celui qui s’observe lui-même et se comprend lui-même, comprend le cosmos. La compréhension de soi-même est la clé principale pour comprendre le mystère de la vie cosmique.
Nous devons vivre dans et avec cet organisme biologique. C’est une merveilleuse demeure mais nous greffons la structure de la pensée, la structure conceptuelle sur l’organisme biologique. Le biologique est un organisme mais la pensée est une structure assemblée par les efforts humains. Une structure psychologique qui se compose de l’inconscient, du subconscient, individuel, collectif avec des variations de race, de religion, de desseins et de modèles culturels. Dans cette structure il n’y a pas d’interrelation. C’est interconnecté comme vous connectez les fils électriques quand vous construisez un moteur de voiture. Le monde fabriqué par les humains a des connections dans les structures et elles ont une sorte de finalité entre elles.
A l’intérieur de la structure biologique, organique, la race humaine a construit une structure psychologique ou structure de pensées. Avec l’aide du langage, des gestes, des codes de conduite, des modèles comportementaux, un monde merveilleux compliqué, complexe a été créé. Vous devez y vivre.
L’organisme biologique a ses propres impulsions, instincts et tendances, similaires à ceux du cosmos, qui ne sont pas originairement fabriqués par l’homme. Mais la structure psychologique ne peut exister par elle-même alors la race humaine a conditionné le système nerveux, le système chimique, le système sensoriel, le système glandulaire, c’est ce que vous appelez la culture et la civilisation. Les émotions sont conditionnées pour s’enflammer, être maîtrisées, rendre dépressif, rendre excités. Si vous n’interférer pas sur l’organisme biologique, il y a un appétit qui imprègne le corps entier. Ce n’est pas un instinct conditionné. Mais ceux qui ne connaissent pas l’organisme biologique, qui n’ont ni amour ni respect pour lui, ils imposent leurs émotions, étouffent l’appétit et disent ne pas ressentir la faim. Je ne vais pas manger parce que quelqu’un m’a insulté, parce que mon ego est blessé. Je ne me soumets pas à l’imposition. Je me soumets à la beauté et à l’extase de l’organisme biologique. Prenez le sommeil, vous ne créez pas le sommeil, mais vous perturbez la miniature cosmique dans laquelle vous vivez, l’organisme biologique, en restant éveillé tard dans la nuit parce qu’il y a un programme TV à regarder. La merveilleuse obscurité qui descend sur la terre, que vous appelez nuit, n’est pas respectée. C’est fait pour le repos, mais vous brûlez des lumières et rester éveillés. Vous violez, vous perturbez le rythme du sommeil, ce sont des choses différentes, mais le sommeil, la pulsion sexuelle, l’instinct en lui-même est quelque chose de très sacré. Il a une envie de se manifester, de s’exprimer, comme la vie cosmique, mais nous n’avons pas permis au sacré de la vie de subsister, même dans notre organisme biologique.
Le sacré de notre organisme biologique est violé, les rythmes sont perturbés et alors il y a souffrance. Il n’y a ni misère, ni souffrance dans la vie telle qu’elle est mais il n’y a rien d’autre que misère et souffrance dans le monde créé par l’homme, individuellement ou collectivement. Nous ne savons pas comment nous relier à l’organisme biologique, comment le respecter.
Douleur et plaisir sont naturels. S’il fait un temps extrêmement froid, il y aura une sensation de douleur dans le corps, mais l’esprit humain crée la souffrance indépendamment de la douleur. La douleur vient et s’en va, le plaisir vient et diminue. Mais indépendamment du plaisir, vous créez l’attachement, voulez le répéter. En dehors de la douleur, vous créez la peur. Douleur et plaisir sont inévitables, ils sont des réactions de l’organisme à la chaleur, au froid, à la poussière, à la pluie etc.… La douleur n’a pas besoin de déboucher sur la souffrance. La douleur est dans le corps, mais le « je », le « moi », « l’ego », s’identifie avec la douleur et le plaisir et dit « j’ai du plaisir, j’ai mal ». C’est l’identification qui crée la souffrance.
Il y a la structure psychologique et nous devons vivre dedans. Dans cette structure psychologique, il y a des mouvements comme la pensée, les sentiments, les réactions, l’imagination etc. Il y a toutes ces facultés développées à travers des siècles par la race humaine et elles demandent une motivation. Une raison pour agir, une raison pour parler. La relation de cause et d’effet est un conditionnement que nous avons créé. Nous avons créé l’idée d’un temps psychologique, et alors l’idée de continuité. Ce sont toutes des parties de la structure créée par l’homme. Il y a une totalité de la structure mais il n’y a pas d’entièreté dedans. Ce qui est mis ensemble, ce qui a des parties, ce qui peut être analysé est une totalité. Ce qui ne peut être analysé, synthétisé ou mis ensemble, ce qui ne peut être partagé, est entièreté. Dans la totalité de la structure de la pensée, il n’y a pas de pureté ni d’innocence, ni de sacré. Chaque mouvement de l’esprit ou du cerveau est un mouvement d’effort. S’il a besoin d’un motif, la structure mentale n’a pas de spontanéité.
L’esprit ne peut pas dire j’ai une « envie ». Les envies sont au-delà des pensées. L’esprit a un désir, un sentiment, une sensation, un espoir, une ambition pour lesquels l’esprit ou le cerveau opère et il y a un effort, il n’y a pas de mouvement du mental sans un motif ou un effort. Le mouvement est conditionné par la motivation et votre système psychophysique est conditionné par les conséquences de votre action. Il y a conditionnement au commencement et il y a conditionnement à la fin dans notre façon de vivre, dans le monde des pensées et dans le monde sensuel.
Je voudrais revenir au point où nous avons commencé cela : quand une personne vivant dans l’organisme biologique, utilisant la structure psychologique, se demande ce qu’est l’esprit, ce qu’est la pensée, se familiarise avec les facultés actuelles, lorsqu’elle les observe et voit les limitations, les répétitions, la structure mécanique et artificielle de tout cela, tout le champ limité dans lequel elle a fonctionné, est-ce qu’elle va quitter cette super structure par la non-action ? Cela peut paraître contradictoire, mais c’est la non-continuité du mouvement du mental, la non-action de la structure de la pensée qui aboutit à abandonner tout cela. Ce n’est pas l’action qui le provoque, c’est la non-action qui le provoque. L’orbite entière de la pensée structurée artificiellement est abandonnée. Alors on entre dans le silence. Tout en étant avec le biologique, vous devez vivre au niveau psychologique parce que vous êtes nés dans une société cultivée et civilisée mais maintenant, il y a une transcendance de la structure psychologique. Les motivations, les efforts, les directions, les fruits, les récompenses, tout cela est abandonné.
Quand cela est abandonné, l’intelligence contenue dans le vide de la conscience est éveillée par la poussée de la non-action, alors l’Intelligence perçoit le mystère du rien se manifestant en chaque chose. Avec cette perception, l’identification avec le mécanisme de la pensée structurée artificiellement se termine. La misère et la souffrance prennent fin. La religion est la fin de la misère et de la souffrance.
Si une personne a laissé tout cela derrière à travers la non action, le non mouvement et le silence, alors il y a une rencontre intime avec la vie cosmique contenue intérieurement et par laquelle nous sommes entourés. Il y a une perception intime, une rencontre intime et l’identification tombe instantanément comme les feuilles d’automne quittent les arbres et tombent sans effort, en silence, sans douleur sur le sol. Toutes les identifications s’en sont allées.
Cet événement est appelé fusion de la conscience avec le cosmos. Le « je » le « moi », le sens de l’ego, tout cela s’évapore. La structure est là, comme le corps est là mais l’identification s’en est allée. Le corps est là, l’appétit, l’instinct pour dormir est là mais il n’y a plus l’illusion de séparation avec laquelle il y avait une identification, c’était le résultat du conditionnement des siècles. Ce qu’on appelle la conscience individuelle fusionne dans la conscience cosmique. La goutte est retournée dans l’océan. Le rayon est retourné au soleil. La poussière est retournée à la poussière. N’est-ce pas ce qui nous arrive quand nous mourrons et que notre corps est brûlé ? Sous la forme des cendres nous retournons à la terre.
La fusion de la conscience n’a pas besoin d’aboutir à la disparition du corps. La conscience n’a pas de forme, de teneur, dès qu’elle se trouve baignée dans les eaux du silence, vous l’appelez fusion parce qu’elle n’a pas de forme ni de teneur, mais le corps, le corps biologique a sa matière, il a ces cinq éléments manifestés en lui. Pourquoi le corps devrait-il disparaître quand la conscience fusionne ? Il n’en a pas besoin. Il est conditionné, limité par le visible, le tangible. Comme un arbre a un potentiel de vie, l’organisme biologique a une potentialité. Il peut vivre, il peut disparaître. Il n’y a pas de relation de cause à effet entre la fusion de la conscience et la disparition du corps, parce que fusionner n’est pas mourir. Cette fusion est un enrichissement. Alors, le corps n’est pas conservé par la personne réalisée ou illuminée intentionnellement. Ils n’ont ni renoncé au corps intentionnellement, ni ne l’ont retenu. Ils vivent dedans parce qu’il est là, aussi longtemps qu’il est là. L’intelligence étant l’énergie à travers laquelle ils opèrent, ils prennent soin du corps. Pas d’attachement, pas de complaisance, pas de refoulement. C’est une merveilleuse relation esthétique.
Comme vous prenez soin d’un enfant, la personne réalisée ou illuminée prend soin de son corps, le nourrit, l’habille. Parce qu’il n’y a pas d’identification avec le corps, il n’y a pas d’attachement au corps. La prise en main du corps par une personne illuminée c’est comme pour un artiste jouer de la sitar ou de la veena. Ils connaissent tout le fonctionnement du sitar, où le prendre, quelle pression, quelle corde toucher, quelle tension donner aux cordes. Ils ne permettent pas aux cordes de se desserrer, ni à l’artiste de tendre trop les cordes, alors seulement il y aura harmonie.
Le corps n’est pas maintenu par la personne illuminée pour faire quelque chose pour le monde par compassion. Les gens attribuent la motivation de compassion à des personnes comme Socrate, Jésus ou Bouddha. Ils disent que par compassion, ils retiennent le corps et ils travaillent avec les gens. Si vous vivez dans un organisme biologique, vous vivez dans la société où vous êtes nés : ce n’est pas une question de choix ou de sélection. Vous êtes nés là, au milieu des gens. Il n’y a pas de motivation, pas de mouvement conscient. Ce n’est que jeu (leela) de la spontanéité dans la vie d’une personne illuminée. C’est l’intelligence cosmique, la suprême intelligence opérant à travers l’individu mais ce n’est pas une mission. Si la personne dit : « c’est ma mission » ou si elle le fait par compassion, alors je pense que l’illumination n’était qu’une idée d’elle-même. Pas de motivation, pas de mission. Il y a seulement le sacré de la spontanéité, du sans effort, ’élégance et la beauté de l’innocence. Pas de contenu de pensée dans le mouvement de la personne. La pensée comme un instrument peut être utilisée mais ce n’est pas la teneur du mouvement.
Vous savez, quelque soit mes tentatives de communiquer, c’est une futile tentative, parce que le Divin de la vie, la spontanéité de la vie, la majesté de l’innocence, défie toute description, toute verbalisation. Tant d’effort ont été fait aujourd’hui et à travers énormément de siècles par les sages, les yogis, les rishis, mais ils nous ont seulement montré ce qui n’est pas. Le mot n’est pas la chose et quelques soient les descriptions, elles ne sont pas ce qui est décrit. Nous devons peler les mots comme nous pelons les fruits, assimiler leurs sens et jeter les mots.
LA LIBERTÉ À LA PREMIÈRE ÉTAPE
La transformation ou la transmutation n’est pas le résultat d’une manipulation d’états psychophysiques. Les anciens Indiens, les Tibétains, les Chinois, et les Japonais ont développés à travers les siècles un nombre de techniques pour manipuler les états psychophysiques et l’adoption fidèle de ces techniques a apporté un certain changement sur la périphérie des comportements psychophysiques. Des changements comme le développement de nouvelles terminologies au niveau verbal, des changements dans les comportements physiques, affectant la qualité de l’organisme biologique de façon importante, mais au cœur de l’être, la race humaine est restée la même : barbare, violente, avide, autoritaire.
La manipulation d’états psychophysiques peut provoquer des changements à la périphérie sans du tout toucher le centre mais ce qui nous intéresse après tout c’est le centre, la source, l’êtreté de la vie.
Ceux d’entre vous qui ont été ici depuis le début de ces rencontres, doivent se souvenir que nous avons observé très attentivement que dans la vie cosmique le Tout et son dynamisme émergent comme multiples. L’Un se manifeste lui-même multiple sans devenir plusieurs, le mouvement de la manifestation ne trahit pas l’Un, l’entièreté organique de la vie elle-même. Nous sommes concernés et intéressés pour savoir si dans la vie des êtres humains, c’est possible de répondre au besoin de manifester de nombreux rôles fonctionnels, sans affecter, mutiler, endommager l’êtreté de la Vie.
Alors que l’Unicité de la vie cosmique se manifeste elle-même comme multitude sans causer de séparation, est-ce possible que le Tout organique de notre être se manifeste en une variété de rôles fonctionnels sans mutiler la majesté de l’intégralité? Nous avons observé, si vous vous rappelez avec moi, que les manifestations ont une majestueuse interrelation. Est-ce possible que l’interrelation dans l’espèce humaine puisse avoir la même qualité d’harmonie, de réciprocité, laquelle est le souffle de la paix et de la non-violence ? C’est seulement quand la mutualité ou la réciprocité est violée, pour quelque raison que ce soit, que la violence se produit et nous avons vu que les manipulations (intellectuelles, émotionnelles, psychophysiques) n’ont pas abouti. L’espèce humaine est loin de l’harmonie qui manifesterait la dignité de l’interrelation et la grandeur de l’êtreté et du tout. C’est là le challenge.
Nous allons explorer si la méditation peut aider l’humanité à sortir de cet échec, de cet échec psychique, de cette impasse psychique dans laquelle nous sommes coincés. Malgré toute notre civilisation, notre culture, notre technologie, nos religions, les enseignants, les maîtres ou qui que ce soit, nous sommes coincés.
Notre psychisme, individuel et collectif, empeste l’autoritarisme, l’agressivité, et la violence. Nous sommes loin de la réciprocité et de la mutualité qui sont l’essence de l’interrelation. Nous avons peut-être développé l’interdépendance de l’individu et des groupes que l’on appelle des nations, mais l’interdépendance est radicalement et qualitativement différente de l’interrelation. Dans l’interrelation, la liberté n’est pas du tout affectée et alors aucune exploitation n’est possible. Mais avec l’interdépendance que nous avons crée au travers d’innombrables structures et modèles codifiés de comportements, nous nous sommes retrouvés dans des systèmes d’exploitation autorisé au nom des politiques, des économies, des religions et des spiritualités, nous avons fait de la vie un commerce très confus. Nous explorons s’il y a un chemin pour sortir de ce désordre.
Si on ne veut pas de manipulation d’états psychophysiques, il semble vitalement nécessaire que cette structure de pensées ne bouge pas. Son mouvement est un mouvement fait de conditionnements collectifs qui ont été inculqués à l’humain. La structure humaine dans laquelle nous vivons est très complexe, mais vous ne pouvez pas séparer le biologique du psychique, le mouvement physique du mouvement psychique, c’est une structure complexe merveilleuse. Le mouvement de la structure de la pensée semble être absolument inadapté pour la méditation ou une nouvelle exploration. La notre est une approche non autoritaire, nous ne sommes pas intéressés du tout par les théories au sujet de la méditation, les techniques de méditation qui ont dû être ou sont encore généralement acceptées, standardisées et organisées. Nous ne sommes pas du tout intéressés par ces comportements structurés.
La méditation n’a rien à voir avec le mouvement du mental, avec le mouvement des pensées : cette première étape est perçue par l’espèce humaine comme le plus grand obstacle. « Comment peut-il y avoir une exploration sans le mouvement du mental, sans la manipulation de l’ego, du moi, sans technique ? » La race humaine voit intellectuellement très clairement et logiquement que la méditation n’a rien à faire du tout avec le mouvement du mental mais il y a, à l’intérieur, une insistance émotionnelle pour que l’exploration ait lieu à travers le mouvement du mental. « Si le mouvement du mental ou des pensées peut inventer la science, la technologie, construire les langues, les philosophies, les théologies, s’il peut créer des structures merveilleuses, économiques et politiques, pourquoi le même mouvement ne peut-il pas nous aider dans l’exploration du Divin ? Il le devrait ! »
Si le mouvement du mental conditionné par la religion chrétienne ne nous aide pas, nous nous tournons vers l’hindouisme, le conditionnement hindou du mental, si cela ne m’aide pas, je me tourne vers le bouddhisme, mais le mouvement du mental devra percer le secret, le secret du Divin. C’est l’insistance intérieure, l’insistance non verbalisée de l’homme moderne.
Y a t-il encore la possibilité d’accepter, à titre d’essai, le besoin urgent de laisser aller dans la non action le moi, le soi, l’ego, le contrôleur de la structure de la pensée. Dépendant du mouvement du savoir et de l’expérience, des mesures et des évaluations, des jugements, accumulant des théories, des idées et les répétant, accroché à tout cela, il n’y a plus cette souplesse pour voir et expérimenter, à titre d’essai, l’inconditionnel, le non mouvement, la non action de la structure de la pensée. Si la première marche n’est pas correcte, alors la direction entière de la recherche pourrait nous mener dans la mauvaise direction tous ensembles. C’est la première étape qui est la plus importante.
Voyez-vous, avec votre amie Vimala, que la méditation n’a rien à faire avec le mouvement du mental ou la manipulation d’états de conscience grâce au mantra yoga, au yoga tantrique, au yoga de la dévotion et ainsi de suite ? Tant que la sensibilité n’est pas libérée des griffes de ces inhibitions construites intérieurement, nous ne pouvons pas continuer. Alors, nous écoutons des prophètes comme Krishnamurti et dans le privé nous retournons à nos techniques favorites. « Laissez le dire que ce n’est peut-être pas nécessaire pour lui, mais c’est nécessaire pour nous ! »
Les pensées mesurent la vie. Le mouvement des pensées est un mouvement d’évaluation selon les références traditionnelles, conventionnelles, historiques, standardisées par la race humaine. La pensée est là pour mesurer la vie, la seule façon qu’elle connaît pour se relier à la vie cosmique c’est en la mesurant. Elle mesure la vie en temps, en espace, en la divisant entre le « moi » et le « non moi ». Elle mesure la vie en bien et mal, péché et vertu. Si vous observez le mouvement des pensées dans votre vie quotidienne vous pourrez remarquer, comme l’oratrice l’a fait, que le mouvement des pensées est celui des mesures, des comparaisons, des jugements.
Comment pouvons-nous mesurer le Tout, le Tout organique de la vie dans lequel nous vivons ? Nous ne sommes pas séparés du Tout de la vie. Nous ne sommes pas à l’extérieur de lui, nous ne sommes pas extérieurs pour pouvoir nous distancer du cosmos et le mesurer. Nous sommes dedans. Tout le mouvement de la vie est à l’intérieur du Tout. C’est le mouvement du tout à l’intérieur du tout. La danse cosmique de l’émergence dans le multiple et de la fusion retour dans l’unicité, dans la matrice de ce Tout. L’espèce humaine a l’audace d’imaginer qu’elle est à côté, indépendante du Tout ! Elle a l’audace de se voir elle-même indépendante du Tout, de regarder le Tout et de le mesurer pour le qualifier, pour le modifier, pour le juger, pour lui imposer des conditions et je n’exagère pas, n’imposez-vous pas des conditions à Dieu ? Vos dieux et déesses doivent être justes pour vous et si vous avez chanté leurs noms ils doivent vous fournir certaines choses. Vous imposez des conditions à Dieu, vous le regardez comme votre régisseur. Vous voulez qu’il satisfasse vos besoins psychologiques et vos désirs. Il doit être un père, une mère ou un enfant pour vous. Cela n’a t-il pas été un jeu puéril durant ces vingt derniers siècles ?
Nous sommes nés du Tout dans le Tout, nous vivons dans le Tout comme le poisson est né de l’eau, il vit et bouge dans l’eau. Nous sommes dans cette unicité organique, toujours dynamique et ce tout de la vie. Nous faisons partis de la danse cosmique de l’émergence et de la fusion retour.
L’émergence est ce que vous appelez la naissance et la fusion retour est ce que vous appelez la mort. Mais nous ne pouvons voir le Tout, l’Un, l’unicité, le Divin, le sacré, parce que nous sommes tout le temps occupés à fabriquer des enclos au nom de la sécurité et nous nous isolons nous-mêmes. Nous nous efforçons de nous isoler du Tout. Nous imaginons être une entité séparée comme le moi, l’ego, le soi, et nous voulons la perpétuer. La perpétuer tant que vous êtes vivants, et la perpétuer quand vous mourez au travers de vos enfants. C’est la perpétuation de cette entité du moi, mon nom, le nom de famille, l’honneur et la dignité de la famille. Donc, nous voulons perpétuer la continuité, l’identité. N’est-ce pas la perpétuation de l’isolement ?
C’est une discussion intense, c’est un partage sacré avec des chercheurs sérieux et la vérité est impitoyable. Comme la lumière perce l’obscurité, la vérité perce tous les mensonges que nous avons construits, bien qu’ils soient très plaisants pour nous, et nous nous sommes probablement accrochés à ces mensonges.
Si la pensée est active, elle perpétuera l’isolement au nom de la sécurité, elle protégera les enclos. Le mouvement de l’esprit, le mouvement de la pensée, le mouvement du savoir, c’est le plus grand obstacle dans l’exploration. Le mouvement du savoir, l’activité du savoir, de l’expérience, qui est inévitable et si importante et utile pour fonctionner comme membre de la société, n’a aucune pertinence dans l’exploration du divin, et nous, en tant qu’espèce, avons naïvement maintenu qu’il était utile dans cet aspect de la vie.
Si la pensée est active, elle continue à manipuler, elle continue à mesurer, elle continue à comparer, elle continue à juger, elle a été entraînée à cela. Ce n’est pas de sa faute. Alors, l’exploration demande que nous équipions notre structure psychophysique avec un esprit de liberté. La liberté est inévitable dès la première étape, la liberté inconditionnelle. Pas la liberté à la fin, à la dernière étape comme la culmination de quelque chose que nous allons faire, mais un sens de l’inconditionnelle et absolue liberté, au tout début, est nécessaire pour équiper la structure entière avec cette sensibilité. Tant qu’il n’y a pas de liberté, il ne peut y avoir de sensibilité. Le sens de la liberté a le dynamisme pour déconditionner la conscience parce que les conditionnements existent à un niveau conceptuel. C’est seulement un sens de la liberté qui libérera la psyché de l’esclavage de la structure de la pensée. Sommes-nous disposés à laisser les pensées s’arrêter de bouger pour l’exploration ? Sommes-nous disposés pour s’asseoir avec nous-mêmes et laisser l’esprit s’arrêter ? Regardez son mouvement. Au début, il bougera parce qu’il est entraîné à bouger. Regardez son mouvement sans réaction aucune.
Vous mettre vous mêmes en état d’observation (c’est une attention libre de réaction) est le chemin pour se libérer de toutes les chaînes du passé. Le mouvement des réactions est le lien avec le passé, il porte en lui le passé humain tout entier. Nous pouvons commencer par passer du temps avec nous-mêmes, seuls, regardant ce mouvement, dans le but de grandir dans la dimension de l’observation. Regarder avec le « je » conscient n’est pas un état d’observation. Le « je » peut regarder, le « je » ne peut observer, le « je » étant un condensé du passé humain. Mais dans le but d’apprendre, on passe du temps avec soi-même. Dans le but d’être libéré des chaînes du mouvement du mental, on apprend à s’y accoutumer et regarder est le seul moyen de s’y accoutumer.
Il y a quelques années, l’oratrice utilisait le mot « regarder » et « observer » pour dire la même chose. Mais comme on plonge plus profond dans l’océan de la vie cosmique, on remarque les nuances subtiles entre les deux. L’observation est l’état, la dimension de conscience alors que regarder est le mouvement d’apprentissage.
C’est un nouvel angle à partir duquel, conjointement, nous nous aventurons pour voir le mystère de la vie. Pas seulement une perception non autoritaire mais aussi non structurée, non modélisée. Une approche non construite.
Nous avons parlé d’une approche non autoritaire pour la spiritualité depuis ces quelques dernières années mais le fait que la perception non autoritaire demande une approche non construite (notre perception est le plus souvent construite) n’avait pas été développé autant que cela avait besoin de l’être.
Dans l’objectif de s’accoutumer au mécanisme de l’esprit, nous passons du temps avec nous-mêmes et regardons le mouvement de l’esprit. Nous connaissons le mécanisme mais nous ne sommes pas accoutumés avec le pouvoir de son mouvement. Nous regardons dans le but de bien repérer le mécanisme de la structure de la pensée. Quand, à travers ce regard, l’ignorance est chassée, la rencontre intime avec la structure de la pensée, sans réaction, sans identification, le véritable acte de regarder détruit le voile de cette structure. C’est notre identification avec le mouvement qui fait qu’il continue. Si nous le regardons, nous le verrons sans aucune réaction, sans jugement, sans identification. Alors il n’y a plus de hâte pour le mouvement de la pensée. Faites attention à ce regard, il doit s’étendre sur toute la journée. Quand on est assis pour une heure, c’est l’apprentissage, mais cela doit s’étendre à toute la journée. Quand nous vivons des relations humaines, nous regardons ce mouvement des relations, mon mouvement en tant que mère, femme, mari. Nous le regardons, sans réaction, sans le qualifier de bon ou de mal, sans l’évaluer, mais nous regardons comment nous vivons au travers de ces rôles fonctionnels variés qui sont inévitables pour une vie sociale, pour une vie de famille. La famille est une société en miniature. Donc, nous apprenons à regarder nos mouvements dans les rôles fonctionnels, sans essayer de les changer. Vous n’allez pas y toucher, voyez les pour ce qu’ils sont, votre mesquinerie comme femme ou mari, votre désir de dominer, vos dépendances, vous deviendrez accoutumés avec ce contenu et la non identification, avec ce qui est regardé et vus, c’est le commencement de la libération des chaînes. Il n’y a pas de chaînes physiques, ni de carcan que vous deviez briser avec un instrument, c’est uniquement l’identification qui est la chaîne. La chaîne, l’esclavage a seulement un contenu conceptuel. Cela n’a pas de contenu factuel. C’est pourquoi aucune manipulation ne peut le casser. C’est seulement regarder, voir, comprendre ce que c’est qui débouche sur la non identification et la liberté.
Ce regard, cette vision, cette perception libre de réaction, est la porte de la liberté. La journée toute entière devient un enseignement, le mouvement des relations devient une opportunité pour apprendre, elles deviennent votre professeur et vous apprenez. Votre vécu devient apprentissage. Vivre le mouvement des relations devient le mouvement d’apprentissage. Loin du mouvement d’acquisition du savoir et de l’expérience, vous êtes alertes et vigilants, apprenant, ne perdant pas une seule minute parce que l’opportunité d’apprendre est uniquement aujourd’hui, maintenant, ici. Nous ne parlons pas d’une méthode, ni d’une technique, nous explorons si nous pouvons apprendre. Pourquoi ? Pour équiper le système entier avec une sensibilité et les eaux de la sensibilité laveront tous les conditionnements du système. C’est le seul but de l’apprentissage. Si l’on peut apprendre en un seul instant, eh bien on est libre instantanément, on voit, on apprend et on est libre. Si l’on n’a pas la passion, l’intensité, alors l’apprentissage pourra prendre du temps.
Avec l’acte d’apprendre, il y a la mobilisation de l’intelligence et dans l’acte d’apprendre il y a la libération de cette énergie d’intelligence. Le mouvement de savoir, de l’expérience vous maintient enracinés dans la structure de la pensée mais le mouvement d’apprentissage libère l’énergie d’intelligence la plus profonde. Donc vous voyez un sens de liberté comme la première étape et la libération de l’énergie d’intelligence comme la seconde étape. Si tant est que vous puissiez l’appeler seconde. C’est une communication verbale, alors vous devez utilisez certains mots. Il n’y a pas réellement de première et de seconde.
Si cette première étape est réalisée correctement, il se peut qu’aucune autre étape ne soit nécessaire, la première peut être la dernière.
(Extrait de ÊTRE ET DEVENIR par Vimala Thakar, Dialogues ayant eu lieu à Dalhousie (Inde) durant l’été 1989 Traduits par Véronique Charroux et Patrick Delhumeau). Emprunté au site Français consacré à Vimala et son œuvre