Madeleine Langevin
Notre première rencontre avec Sri Anandamayi Ma juillet 1963

Toute de blanc vêtue celle-ci est assise aux pieds de son lit. Elle s’y installera plus tard. Ses traits sont harmonieux et beaux. Ses yeux sont très enfoncés dans leurs orbites, on a du mal à les distinguer, quoiqu’ils brillent d’un éclat très doux. Le regard n’est pas dirigé vers le monde extérieur, il a quelque chose de douloureux. Mais elle est souriante, simple, même amicale. Tout en la voyant là, parmi nous, j’ai l’impression qu’en réalité elle n’y est guère. Elle parle, mais elle n’est pas entièrement dans ce qu’elle dit.

(Revue Panharmonie. No 193. Janvier 1983)

Un soir, à la tombée de la nuit un taxi nous emmène en dehors de Delhi à l’Ashram de Sri Anandamayi Ma. Lorsque nous arrivons à destination, nous entendons des chants et des prières accompagnés des sons d’un harmonium et de crotales, sortes de petites cymbales. C’est le « badjan », destiné à créer une atmosphère propice à la ferveur. Nous montons au premier étage et pénétrons dans une pièce rectangulaire dans laquelle se trouve un lit indien aux draps immaculés. Déjà plusieurs personnes sont assises par terre, d’autres nous rejoignent, d’autres encore viennent se prosterner aux pieds de la Yoguin et s’en vont ensuite.

Toute de blanc vêtue celle-ci est assise aux pieds de son lit. Elle s’y installera plus tard. Ses traits sont harmonieux et beaux. Ses yeux sont très enfoncés dans leurs orbites, on a du mal à les distinguer, quoiqu’ils brillent d’un éclat très doux. Le regard n’est pas dirigé vers le monde extérieur, il a quelque chose de douloureux. Mais elle est souriante, simple, même amicale. Tout en la voyant là, parmi nous, j’ai l’impression qu’en réalité elle n’y est guère. Elle parle, mais elle n’est pas entièrement dans ce qu’elle dit.

Raihana [1] lui présente Jacques de Marquette, mais elle ne s’y attarde pas, elle voit au-delà, elle est dans l’essentiel [2]. Et ceci, je le sens physiquement. Assise en face d’elle je reçois avec force les vibrations qui émanent d’Elle. Elles sont si puissantes qu’elles me transportent dans une ambiance de calme profond et de paix, voisine de la communion. J’ai envie de pleurer, tant je suis émue. Je suis comme terrassée par quelque chose de sublime. Avec une puissance sans cesse accrue descend en moi la certitude, évidente, définitive, indiscutable, que rien n’existe que CELA et que tout le reste est sans importance. Raihana demande : « Avez-vous une question à poser ? » Non, je n’en ai pas. Tout ce que je désire c’est de rester là, assise en face d’Elle. Mes problèmes se sont évanouis, ils sont résolus !

Jacques de Marquette, trouvant toujours qu’il est au-dessous de sa tâche, lui qui depuis sa prime jeunesse a mis sa vie au service des autres, pose la question : « Est-ce que je remplis mon devoir ? » Elle n’est pas qualifiée pour y répondre : « Chacun doit trouver lui-même sa voie, sa vérité, et alors il faut qu’il la suive jusqu’au bout. Ce sont nos tendances, nos aspirations, qui nous guident ». Puis, un peu plus tard : « Il faut vaincre son ego, alors tout n’est plus qu’UN. Lorsqu’on est dépouillé de son individualité, on n’agit plus par soi-même, mais l’action se fait à travers nous ».

Tout cela nous l’avons entendu bien des fois, mais lorsque c’est Elle qui le dit, cela devient une réalité vivante et cesse d’être une théorie. Ce qu’Elle dit prend vie en nous.

Un « silence » est demandé et s’annonce au son d’une cloche. La lumière s’éteint. Que représente pour moi cette méditation ? Je me sens me dématérialiser et un flot d’amour se déverse sur moi et en moi.

Qui est-Elle, qui est-Elle ? Ce sont les questions que l’on se pose et qui bien souvent Lui sont posées. Mais qu’importe ; Raihana dit : « Pour moi Elle est l’incarnation de l’Amour universel ». Et, en effet, c’est bien ce que j’ai ressenti. Étant tout Amour, il émane d’Elle, se répand autour de nous, nous entoure. Nous baignons en lui, nous en sommes submergés. Elle est pour nous le point reliant ciel et terre.

Je sais à présent ce que c’est qu’un « darshan », la contemplation d’un être supérieur. Avant que nous La quittions, Elle nous fait distribuer des fruits. C’est le « prasad », le don de nourriture bénie par le Guru à ses disciples.

M.L.


[1] Raihana : Musulmane, fille adoptive de Kakasahbkalelkar, qui fonda une université avec Gandhi et qui est le conservateur du mémorandum Raihana est considéré comme un Guru et a des liens privilégiés avec Sri Anandamayi Ma.

[2] Plus tard, lorsque nous reverrons la Yoguin à Vrindavan, celle-ci nommera Jacques de Marquette : « Le Rishi français » !