Hans Selye
Prière d'un homme de science

(Revue Question De. No 2. 1e trimestre 1974) Le docteur Hans Selye (1907-1982) est mondialement célèbre pour avoir introduit dans les sciences de la vie la notion de stress. Le stress, selon sa propre définition, est « le taux d’usure de la machine humaine qui accompagne toute activité vitale et qui, en quelque sorte, est […]

(Revue Question De. No 2. 1e trimestre 1974)

Le docteur Hans Selye (1907-1982) est mondialement célèbre pour avoir introduit dans les sciences de la vie la notion de stress. Le stress, selon sa propre définition, est « le taux d’usure de la machine humaine qui accompagne toute activité vitale et qui, en quelque sorte, est parallèle à l’intensité de la vie. Il augmente en fonction des tensions nerveuses, des traumatismes, des infections, de l’effort musculaire ou de toute autre activité fatigante ».

En 1936, le concept de stress, neuf et révolutionnaire, ouvrait des possibilités nouvelles de traitement des maladies dégénératives non endocrines, telles que la thrombose coronaire, le durcissement des artères, l’hémorragie cérébrale, certains types de haute pression sanguine, l’arthrite, les ulcères gastriques, et même le cancer.

Le docteur Selye fit l’exposé de sa théorie dans un livre, le Stress de la vie, paru en 1956. Ce livre fut publié partout dans le monde avec un succès considérable. Né à Vienne en 1907, le Dr Selye était directeur de l’Institut de médecine et de chirurgie expérimentales de l’université de Montréal (Canada).

Au seuil d’une nouvelle découverte

Plus tardivement dans sa vie le Dr Selye s’est consacré à un nouveau champ original de recherches : la « calciphylaxie ». Il s’agit de l’étude des phénomènes suivants : la déminéralisation du squelette, qui se produit normalement dans la vieillesse, provoque une fragilité des os et un transfert du calcium dans les tissus mous qui durcissent et perdent leur élasticité (artériosclérose, cataracte, etc.). Le transfert du calcium se produit aussi chez les gens qui souffrent d’une destruction osseuse due au cancer, La « calciphylaxie » débouche sur des découvertes propres à retarder le vieillissement. Associée à la notion de stress, elle introduit de nouvelles connaissances sur l’équilibre général de la machine humaine, lié au comportement physique et mental.

Dans son livre Du rêve à la découverte, Hans Selye note qu’il fut en proie à un débat intérieur grave quand il s’engagea dans ses travaux sur le « calciphylaxie ». Il était « l’homme du stress », honoré comme tel. Au sommet de sa carrière, devait-il s’aventurer sur un terrain nouveau ?

Il écrivit pour lui-même le poème-prière, très émouvant par sa simplicité et la profondeur de son inspiration faustienne, que nous reproduisons pages suivantes.

Pour le Dr Selye, trois des qualités fondamentales du savant doivent être : la résistance à l’échec, la résistance au succès et la foi.

Il présente lui-même le seul poème qu’il écrivit ; laissons-lui la parole : « Nous nous sommes habitués à penser que, si les religions sont édifiées sur la foi et la poésie sur le rêve, le tout premier préalable à la recherche, c’est l’intelligence pure. Il faut pourtant que le chercheur fondamental soit capable de rêve, et de foi en son propre rêve. Pour qu’un grand rêve puisse se réaliser, encore faut-il avoir la capacité de le rêver, et l’obstination de garder foi en son rêve. L’intelligence pure est surtout une qualité de l’esprit moyen. Le plus petit voyou comme le plus grand créateur, dans n’importe quel domaine de l’effort humain, sont poussés par des instincts impondérables et spécialement par une soif irraisonnée de réussite, par la foi dans le succès. La recherche scientifique — l’effort créateur le plus purement intellectuel dont l’homme soit capable — ne fait pas exception à cette règle. L’impulsion initiale et la force de persévérer prennent leur substance dans le sentiment ; l’intelligence est l’arme puissante dont se sert la foi pour atteindre son but.

Le poème qui suit — à moins que ce ne soit une prière, je ne sais, peut-être les deux, peut-être ni l’un ni l’autre — a été écrit à l’époque où l’auteur se trouvait au carrefour de deux routes dont l’une représentait la réussite mais aussi la banalité, et l’autre l’aventure, avec l’attrait de la nouveauté. Il avait à choisir entre la continuation d’un travail de recherche classique sur le stress — pour lequel son institut était équipé et financé — et le passage au domaine nouveau et totalement inexploré de la calciphylaxie. Décision ardue : elle impliquait une orientation entièrement nouvelle pour un important institut (cent dix-huit collaborateurs et plusieurs centaines de milliers de dollars étaient en jeu) et ce choix devait être fait en fonction de quelques observations accidentelles dont la seule fascination résidait dans le fait qu’elles ne semblaient cadrer avec rien de connu jusqu’ici ».

Élan tout-puissant qui, à travers les âges,

A contraint l’homme à maîtriser la Nature par l’entendement,

Donne-moi la Foi car c’est d’elle que j’ai le plus besoin.

Me voici en un rare et solennel moment de ma vie.

J’ai trébuché sur ce qui me parait

Un nouveau chemin ouvert sur l’inconnu,

Un chemin qui me promet de t’approcher :

Loi qui se cache derrière l’inconnu.

Je crois posséder l’intuition

Et patiemment, au long des ans, j’ai acquis cette connaissance

Qu’il faut pour explorer tes lois.

Mais ma foi s’est émoussée dans cet apprentissage,

Elle ne peut désormais me diriger vers mon but

Car j’en suis venu à me défier de la foi et à surestimer la preuve.

Donc, que le respect pour l’infaillible puissance de toutes tes lois connues

Soit la source de ma foi en la découverte d’un nouveau commandement.

Parfois je me sens seul, incertain de ma nouvelle voie

Car où je vais personne n’est encore allé

Et je n’ai personne avec qui partager ce que je vois ou crois voir.

Pourtant j’en dois convaincre d’autres afin qu’ils me suivent et m’aident ;

Car leur confiance en moi renforce la mienne propre

Qui ne repose maintenant que sur si peu de preuves,

Puisque tout commence.

Une longue et pénible course s’étend entre moi et mon but,

Comment voyager seul ?

Comment percer cette brume de demi-entendement

Qui obscurcit mon sens de l’orientation

L’autre rive n’est pas en vue hélas, peut-être n’existe-t-elle pas.

Pourtant, comme tous ceux qui, avant moi,

Ont succombé à la tentation du vaste inconnu,

Je dois prendre ce risque en échange

De toute occasion que j’ai d’éprouver le frisson de la découverte.

Et j’ai besoin de ce frisson, ou mon esprit périrait,

Car, grâce à Toi, il n’est pas fait

Pour la morne sécurité des eaux territoriales.

Je ne sais si tu écoutes,

Mais je sais, moi, que je dois prier.

Élan tout-puissant qui, à travers les âges,

A contraint l’homme à maîtriser la Nature par l’entendement,

Donne-moi la Foi : car c’est d’elle que j’ai le plus besoin.