Jean-Louis Siémons
Réincarnation - Le pour et le contre

(Extrait de La Réincarnation, Des preuves aux certitudes Éditions Retz 1982)  Chapitre Précédent  Premier Chapitre   Des preuves : pour et contre la réincarnation Étude critique À la recherche des preuves Un jour, un érudit bouddhiste voulut donner une preuve expérimentale de la réincarnation. Au cours d’un débat en présence du roi, il se donna la […]

(Extrait de La Réincarnation, Des preuves aux certitudes Éditions Retz 1982) 

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Des preuves :

pour et contre la réincarnation

Étude critique

À la recherche

des preuves

Un jour, un érudit bouddhiste voulut donner une preuve expérimentale de la réincarnation. Au cours d’un débat en présence du roi, il se donna la mort après avoir pris le souverain comme témoin de sa promesse de renaître. Quelques années plus tard, une proclamation royale invita les fidèles qui s’en sentaient capables à prouver la véracité de la doc­trine des renaissances. Un seul candidat se présenta : un petit garçon de 4 ans qui rappela au roi tous les événements passés, « prouvant d’une manière irréfutable qu’il était bien le savant d’autrefois ». L’his­toire a gardé son nom : Chandragomin. Cet événement, rapporté dans un ouvrage du Dalaï Lama [1], a sûrement convaincu tous ses témoins.

De même, lorsque le Bouddha fit le récit de ses vies passées (si on en croit la tradition), ou que Pythagore reconnut le bouclier qui lui avait servi jadis, les disciples de ces deux maîtres n’ont pas dû manquer de voir dans ces témoignages d’autorités respectées des preuves de la transmigration.

De nos jours, où beaucoup de gens cherchent à démontrer expérimen­talement la réincarnation, on assiste à une avalanche de preuves qui convaincraient les plus grincheux des sceptiques. On voit paraître des ouvrages aux titres fort prometteurs [2]. Certains relèvent simplement de la science-fiction. Mais si le merveilleux dont s’entourent nombre de descriptions allèche une partie du public, il a aussi pour effet d’exas­pérer une autre partie de ce public qui se détourne de l’examen sérieux de la réincarnation, en raison de ces tapages.

Le temps n’est plus où l’on croyait sur parole. Ce qui ne veut pas dire que tout soit à rejeter dans l’ensemble des éléments de preuve dont nous disposons. Au contraire.

Quelles « preuves » attendre?

On n’a pas encore pu prouver l’existence de l’âme, aspect permanent de l’homme, par une démonstration indiscutable. On n’a guère plus de chances de prouver les pérégrinations de l’âme d’un corps à un autre.

L’âme n’est pas une entité objective, pouvant être saisie par les sens d’un observateur. On ne peut (jusqu’à présent) la suivre dans ses évo­lutions, d’une incarnation à l’autre[3]. On ne connaît de l’âme que ses effets. On l’aperçoit en ombres chinoises. De même, on ne connaît de la conscience que des effets : des états de conscience, rendus possibles par le fonctionnement d’un instrument approprié — physique ou subtil. Selon toute probabilité, on ne détectera jamais de la réincarnation que des effets. Et c’est bien là le drame : des causes fort différentes peuvent produire les mêmes effets apparents. Quel que soit le cheminement suivi dans l’apparition d’une preuve, il passe toujours par un être humain — en particulier par les coulisses de son psychisme. Autrement dit, par le laboratoire le plus prodigieux dans ses capacités de production d’images, à partir de matériaux puisés dans son propre fonds, ou dans la sphère psychique collective, et sous l’impulsion des stimulations les plus diverses.

L’histoire de Chandragomin a pu convaincre ses contemporains. Elle n’est plus aujourd’hui qu’un fait, intéressant certes, mais à examiner avec un esprit prudent et objectif. Nous ne cherchons plus à croire mais à comprendre. Dans l’état actuel de nos connaissances, on ne peut trouver que des présomptions de preuve — dont certaines peuvent d’ailleurs paraître éloquentes. Des observations qui suggèrent la réin­carnation, selon le mot de Stevenson. Mais que les partisans de cette cause se rassurent : la tâche est tout aussi ardue pour leurs adversaires, dont les arguments sont loin d’être définitifs et convaincants.

À ce jour, on n’a pas encore prouvé l’inexistence de la réincarnation, comme nous le verrons. Malgré ces incertitudes, nous ne renoncerons pas à l’audition des témoins pour et contre la réincarnation, de façon à éclairer le mieux possible notre Dossier. Et, même si on ne peut conclure, il y a une grande gagnante dans cette investigation : la connais­sance de l’Homme, qui s’enrichit d’éléments qu’on ne soupçonnait pas. Pour cet examen, nous passerons en revue successivement les grandes catégories de « preuves », ou de signes indicateurs (evidences, en anglais) et la gamme des explications possibles dans l’état de notre savoir, pour aborder ensuite une étude critique des principaux témoi­gnages.

Les éléments de preuve [4]

On peut classer ces éléments comme il suit :

  • Anomalies apparentes dans une personnalité, suggérant une expérience ou un apprentissage, un entraînement antérieurs à la naissance, et inexplicables par l’hérédité et le milieu :

talents, aptitudes remarquables précoces — génie

habitudes, tics spécifiques d’une personnalité décédée dont on soupçonne le retour dans l’être observé

différences marquées entre jumeaux homozygotes

phobies ou attractions inexpliquées pour des objets, des aliments, etc.

prédilection pour un pays, une période historique

attraction spontanée (ou répulsion violente) pour des personnes, etc.

Ces signes prennent naturellement une plus grande force s’ils sont associés à des souvenirs précis de vies passées leur donnant un sens intelligible.

  • Informations détaillées sur une incarnation précédente

I. Informations fournies par des tiers au sujet du « réincarné ».

Annonce d’une future naissance avec l’identité de l’âme attendue (sexe et autres caractéristiques du futur enfant). L’avertissement peut être capté par la future mère (en rêve, le plus souvent), ou un médium.

« Lecture de vies antérieures » faite par un sensitif, voyant, etc., au sujet d’une personne vivante, ou du voyant lui-même, comme simple spectateur objectif du passé.

II. Informations fournies par le « réincarné ».

Émergence de souvenirs dans la conscience

a) Souvenirs spontanés.

rêves, cauchemars récurrents

flashes de « supra-conscience » découvrant comme une fresque du passé

conscience éveillée, plus ou moins permanente, des détails d’une existence antérieure, éventuellement avec xénoglossie (cas Stevenson)

b) Souvenirs induits de façon inattendue.

réveil d’images induit par un lieu, un objet (sentiment du « déjà vu »)

réveil d’une connaissance certaine de lieux que l’on visite, avec anticipation des détails du parcours, et découverte correcte des modifications intervenues dans l’aménagement des lieux (sentiment du « connu »)

c) Souvenirs induits ou provoqués à l’aide d’un tiers.

régression de mémoire sous hypnose

anamnèse par techniques parahypnotiques

lying (voir explication plus loin)

Manifestations physiques [5]

marques de naissance (cicatrice suspecte, nævus)

malformations congénitales

Les explications

Quand un individu apporte un témoignage de la réincarnation, il convient en premier lieu de chercher à préciser les conditions dans lesquelles il a été recueilli, et jauger la fiabilité du témoin. Et avant de conclure à la réincarnation, il faut se souvenir qu’il y a bien d’autres explications possibles, à éliminer d’abord par une critique sérieuse. C’est la méthode scientifique suivie par Ian Stevenson dans ses enquêtes. Les modèles d’explications peuvent se classer comme il suit :

  • Explications normales (n’incluant rien d’« occulte »)

  1. Fraude (consciente ou inconsciente) [6].

Il faut toujours y songer. Les motifs de la fraude sont variables. L’indi­vidu cherche, parfois à son insu, à se mettre en valeur, gagner un ascen­dant sur un groupe d’enthousiastes, ou prouver sa théorie. Ou bien il vise la notoriété publique, voire le succès commercial.

  1. Résurgence de souvenirs oubliés.

Par exemple, l’image d’un tableau que l’on a vu un jour puis oublié va se réactiver en présence d’un paysage qui lui ressemble : sentiment de « déjà vu ». Beaucoup de souvenirs de notre vie qui paraissaient dis­parus à jamais ré-émergent avec l’apparence d’expériences nouvelles; avec des éléments d’autre provenance, ils peuvent entrer dans la compo­sition d’« images de vies antérieures ».

  1. Mémoire génétique.

Nous l’avons évoquée parmi les « modèles-sans-âme ». Pure hypo­thèse qui ne jouerait que dans le cas où le réincarné descend hérédi­tairement de son « prédécesseur ». Il est bien vrai que les enfants héritent certains traits de caractère de leurs parents ou grands-parents. De là à revivre consciemment les souvenirs détaillés de la vie de leurs géni­teurs, il y a quand même un long chemin.

  1. Représentations « dramatiques » émergeant de l’inconscient.

Les ressources de la psychologie et de la psychanalyse sont à exploiter avant d’attribuer à la réincarnation les scènes (souvent violentes) vécues par un sujet soumis à l’une des techniques connues de régression dans les « vies antérieures ». L’analyse du contenu et du déroulement de ces scènes est souvent révélatrice de problèmes sous-jacents au fond de la personnalité actuelle. Certains psychiatres assurent d’ailleurs que ces problèmes ont parfois leur racine… dans l’incarnation précédente [7].

  • Explications paranormales (liées à la parapsychologie)

1. Quête d’informations par des voies paranormales.

Les expériences de parapsychologie menées scientifiquement ont confirmé l’existence de pouvoirs tels que télépathie (transmission de pensée entre deux sujets), clairvoyance (perception extra-sensorielle d’informations : objets, images, paysages…), psychométrie (perception d’images, d’événements induite par le contact d’un objet, l’atmosphère d’un lieu, etc.).

L’existence d’une trace permanente des événements, d’une sorte de mémoire de la Nature enregistrée de façon indélébile (dans la Lumière Astrale, la psychosphère de la terre, ou la noosphère nouvellement « découverte » par des Soviétiques) s’accrédite de plus en plus. Les électrons de Jean Charon viennent aussi à la rescousse avec leur mémoire de surdoués.

Résultat : un individu armé de pouvoirs parapsychologiques semble bien se trouver en mesure de pêcher des informations, là où il faut, pour « raconter une vie passée », qu’elle ait été réellement vécue par un autre, ou qu’elle soit forgée d’éléments disparates, en procédant

a. par télépathie, en puisant dans le mental de personnes vivantes des détails « criants de vérité »

b. par clairvoyance, en collectant à distance des images existantes, ou en pui­sant dans un livre ou un registre de mairie des informations précises pour donner du corps à un récit [8]

c. par lecture des archives permanentes de la Nature où est consignée toute l’histoire des hommes.

Bien entendu, le sujet peut exercer ces pouvoirs sans le savoir lui-même. On ne peut jamais écarter cette hypothèse parapsychologique, sur­tout dans les techniques de régression où ces pouvoirs sont sollicités [9].

2. Influence supposée de restes psychiques de défunts.

Un vivant peut être « possédé », transitoirement par ce qui semble la personnalité d’un défunt, comme lorsqu’un médium paraît complète­ment métamorphosé en une autre personne aux yeux des assistants. Il est rare que ceci arrive à l’état normal. Stevenson cite pourtant le cas de Lurancy Vennum dont le corps fut apparemment occupé plu­sieurs mois par la personnalité complète d’une vague connaissance, Mary Roff [10]. Ce cas de possession « autoritaire » est rare. On peut ima­giner des situations où une personnalité vivante serait seulement para­sitée par les restes psychiques d’un défunt : elle conserverait alors son identité, tout en se sentant un peu dans la peau de l’autre personnalité qui la colonise, et en se souvenant ainsi d’une vie passée — qui est peut-être celle d’un inconnu.

Comme on le voit, avant de conclure à la réincarnation, nous avons une longue liste d’hypothèses différentes à écarter.

Notons que ces explications, évoquées par rigueur scientifique, ont l’air parfois plus hypothétiques que la réincarnation elle-même (comme la mémoire génétique) mais on ne peut les rejeter a priori.

Notons aussi que l’existence d’une telle variété d’hypothèses ne suffit pas du tout à rejeter celle de la réincarnation. C’est précisément le mérite du travail de Stevenson d’avoir découvert et étudié scientifique­ment des cas où finalement la réincarnation paraît l’explication la plus plausible. Quand un petit garçon de 4 ans, parfaitement normal, se met à raconter avec conviction des tas d’histoires bizarres sur une autre vie qu’il aurait vécue, avec un autre nom (qu’il précise), dans un autre foyer, et qu’il demande à ses parents actuels de l’y emmener, l’étonne­ment s’empare d’eux. Si, cherchant à en savoir plus, ils apprennent encore une foule de détails, le désir de vérifier peut alors les pousser à conduire l’enfant au village qu’il indique. Si, là, le bambin retrouve le chemin de la maison, reconnaît parents, frères et sœurs au milieu de beaucoup de gens, et si la plus grande partie des détails fournis se vérifie… que penser de tout cela ? Ce n’est pas un cas unique. Stevenson en a rencontré des centaines de par le monde. Et il publie dans des livres très sérieux le résultat de ses enquêtes, où, dans chaque cas, il examine mûrement le poids de toutes les hypothèses, avec sa compétence de psychiatre et de parapsychologue.

« Lectures de vie » en tous genres

Pythagore se souvint, dit-on, de quatre vies antérieures. Modeste per­formance à côté de celles de voyants modernes qui font ce travail… pour les autres.

Les « lectures de vie » (life-readings) d’Edgar Cayce sont célèbres [11]. Se plaçant lui-même dans une sorte d’hypnose, il était capable, selon le cas, de diagnostiquer les maladies de ses patients, en leur prescrivant la thérapeutique ad hoc, ou de leur révéler des épisodes de leurs exis­tences passées. Fait remarquable, ces rétrospectives avaient la vertu de mettre en lumière les causes lointaines des actuels points faibles des sujets : karma. La vérification des précisions données sur le passé était souvent impossible. L’Atlantide, l’Égypte sont inaccessibles.

Au début de notre siècle, d’autres « lecteurs de vie » se sont illustrés dans le domaine de l’Occulte. Rudolf Steiner, père de l’Anthroposo­phie, connaissait les vies antérieures de quelques contemporains connus. Mais le champion dans cette catégorie a été sans conteste C. W. Lead­beater. Assisté d’Annie Besant — leader d’une fraction du monde théo­sophique à l’époque — il put remonter dans le passé jusqu’à l’an 22662 avant J.-C. [12] et décrire ainsi les trente dernières vies d’« Alcyone » (le jeune Krishnamurti) qui avait été annoncé au monde comme le futur Messie [13].

De nos jours, la pratique des lectures de vie est tombée aux mains de vulgaires charlatans. Pour une poignée de dollars, votre histoire cachée éclate au grand jour. Il n’y a pas si longtemps, un homme au bord du désespoir s’apprêtait au suicide. Un life-reading lui avait découvert une existence perverse : sous le nazisme, l’individu avait fait mourir d’innom­brables Juifs. Par bonheur, une autre lecture de vie, faite chez un concurrent, donna un son de cloche tout différent. Il suffisait de frapper à la bonne porte.

Ces exercices de voyance ne sont guère convaincants comme preuves de réincarnation. Comme le remarque judicieusement Stevenson, le personnage de la prétendue vie antérieure peut être :

  1. une figure très connue et, dans ce cas, le voyant a pu apprendre jadis beaucoup de détails sur sa vie et les exhumer de sa mémoire.

  2. un homme historique moins en vue, dont la carrière est peut-être retracée dans quelque livre obscur : le sensitif peut alors exercer son don de voyance pour retrouver ce document et en extraire son récit.

  3. un personnage ignoré : il est extrêmement improbable qu’on en retrouve une trace matérielle. Ici encore la révélation est sans valeur probante.

Autrement dit, chaque fois qu’un récit est vérifiable on peut soupçonner que l’œil intérieur du « lecteur de vie » a été cueillir l’information à la source même où on la vérifiera. Il faut donc rester prudent devant ce genre de voyance extralucide.

Les enfants-qui-se-souviennent

La vérité sort de la bouche des petits enfants. On les sait inventifs, mais pas au point d’imaginer des histoires complètes, avec une foule de détails, mettant au jour une vie antérieure vérifiable. C’est l’intérêt des cas Stevenson. À lire les descriptions qui en sont faites, on a vrai­ment l’impression qu’une ancienne personnalité a « repris du service » dans un corps neuf, à côté d’une nouvelle qui va s’affirmer petit à petit, au point d’oublier l’intruse : les souvenirs de vie passée s’effilochent avec le temps. Souvent d’ailleurs ils n’apparaissent chez l’enfant que sous l’effet d’un choc émotif (chagrin, gronderie, etc.).

Au moins dans les cas très forts [14], la réincarnation semble bien la bonne explication, lorsque des dizaines de points précis se vérifient. Après l’étude générale que nous venons de faire sur différents modèles de réincarnation, il nous paraît intéressant d’analyser les cas décrits par Stevenson en les comparant au modèle théosophique, qui paraît le plus précis dans ses descriptions. Il serait extrêmement instructif pour cet essai de disposer d’un très grand nombre d’exemples pour en faire une analyse statistique. Mais en réunissant quelques-uns des cas typiques décrits, on peut déjà déduire des indications qui donnent à réfléchir (sans pouvoir conclure, bien entendu, sur quelque 33 exemples collectés).

  • Cause du décès antérieur

À une majorité écrasante : mort prématurée. En dehors de 3 cas non précisés, on a en gros, la moitié de morts violentes; le reste : maladies à évolution rapide, suites de blessures, d’accouchement, etc.

Voilà donc des âmes arrachées à la vie trop tôt, parfois violemment (décapitation, suicide). Nous tombons d’emblée dans la catégorie des exceptions, selon le modèle théosophique. C’est-à-dire que l’entité n’a pas épuisé sa vitalité, son « programme de vie » et se trouve, en quelque sorte, sollicitée par deux types de forces : celles qui la rappellent vers l’incarnation et celles qui tendent à l’en écarter. Dans le cas des enfants (ou des idiots), le problème est vite résolu : ils renaissent sans délai, n’ayant aucune expérience à assimiler à leur être profond. Pour les autres — ce sont des cas d’espèces.

  • Age à la date du décès

Sur les exemples examinés près des 2/3 des sujets sont morts à l’âge adulte (en gros, 20 ans et plus). Les enfants morts entre 0 et 10 ans forment une minorité [15]. Le reste des cas se range donc dans la frange incertaine qui balance entre le retour et le départ définitif.

Du point de vue du modèle théosophique, certains cas sont cependant franchement suspects. Comment imaginer qu’un adulte dans la force de l’âge, ou un grand-père de 85 ans, n’ait pas accumulé dans sa vie une somme d’énergies psychiques suffisantes pour l’entraîner finalement « loin de la terre », et lui faire goûter le rêve et le repos du Ciel (le « devachan » des théosophes) [16]?

  • Changement de sexe

Cas peu nombreux, mais attestés : la probabilité n’est pas nulle pour un garçon de renaître fille dans la prochaine vie. Ce qu’affirment tous les réincarnationnistes. Racistes du sexe, l’inversion des rôles vous guette.

  • Intervalle entre deux vies

C’est ici qu’on trouve les choses les plus bizarres. Sur la petite popula­tion de cas étudiée, une bonne majorité (environ 2/3) se réincarne en moins de 10 ans. L’intervalle maximum signalé ne dépasse pas trente ans. Ces âmes arrachées à la vie, souvent prématurément, reviennent donc très vite. Nous sommes loin des 1000 ans de Platon, 3000 ans des Égyptiens (selon Hérodote), ou 1000-1500 ans de Mme Blavatsky. Heureusement dans un sens, sans cela aucune vérification ne serait possible. Cette durée ultra-courte pourrait bien être significative de cas extrêmement particuliers. Si on accepte qu’ils soient représentatifs d’une réelle réincarnation…

Et puis, il y a ces bizarreries [17] :

un homme meurt, neuf mois après il renaît : intervalle nul.

un meurtrier est exécuté (décapité), six mois après le voilà revenu (avec une cicatrice suspecte au cou) [18]. Un autre cas identique est signalé (un père de 7 enfants écrasé par un camion).

Faut-il penser que l’entité a pris la place d’une autre dans le sein de la mère, alors que l’embryon de 3 mois avait atteint déjà quelque 10 cm [19]? Il y a encore plus fort : un enfant meurt de variole à trois ans et demi. Pendant la nuit précédant l’enterrement, il reprend vie, contre toute attente. Mais c’est un autre être qui revit… en tout point identique (dans sa personnalité) à un jeune homme de 22 ans qui venait de décéder. De mort violente, encore une fois.

Se pourrait-il qu’une entité réussisse cette espèce de « transvasement », d’un corps devenu brutalement inutilisable dans un autre, encore très jeune et abandonné par son propriétaire [20]? Thème passionnant pour un auteur de science-fiction. Quelle explication trouver ?

Que conclure de ce rapide examen des cas Stevenson ? Sans diminuer en rien l’intérêt et la force de ces exemples, on est porté — en se fondant sur le modèle théosophique — à penser que nous sommes finalement en présence d’exceptions, parfois très exceptionnelles.

Ce qui ne devrait surprendre personne. La proportion d’enfants-qui­-se-souviennent si spontanément et si clairement de leur « vie passée » est réellement faible. Il se pourrait bien que ces « souvenirs » soient dus à un concours tout à fait particulier de circonstances, réunies dans des jeunes êtres — que l’on sait aussi perméables à beaucoup d’in­fluences [21].

La pêche aux vies antérieures

L’exploration du subconscient pour en faire émerger les personnages que nous avons vécus jadis est devenue à la mode. En France, le colo­nel de Rochas avait été un pionnier de la régression hypnotique. Depuis, Morey Bernstein aux États-Unis a eu son heure de gloire en exhumant l’énigmatique Irlandaise Bridey Murphy du passé d’une jeune femme qui avait servi de cobaye à cet hypnotiseur amateur [22].

Grâce à l’évolution des techniques, on en vient à pratiquer ces retours en arrière, ces « anamnèses », par des moyens plus doux que l’hypnose profonde, apparentés à la sophrologie [23]. La science aidant, certains parlent maintenant de faire passer le cerveau en ondes Thêta (celles du sommeil profond) tout en restant éveillé… Bref, les vies passées sont là, à portée de la main. Il suffit de se baisser, et de fouiller un peu. Une autre technique, signalée à l’attention du public par Denise Desjardins [24] porte le nom de lying, car on la pratique en étant allongé — ce qui est d’ailleurs le cas des autres méthodes. Cependant, elle inter­vient dans le cadre d’une vie dirigée vers une réelle ascèse spirituelle, inspirée de l’Orient.

Malgré l’extraordinaire succès de ces régressions, où l’on arrive à redé­couvrir tout ce qu’on veut, il faut bien s’avouer que toutes ces techniques sont entachées d’un gros défaut qui rend leurs résultats très suspects. Pour résumer les choses : on s’imagine que les souvenirs des vies passées sont là, sous-jacents dans la psyché, et qu’il suffit de l’interroger pour qu’elle réponde. Bien sûr, on choisit des conditions que l’on croit favorables; si ce n’est pas l’hypnose, c’est une bonne relaxation ouvrant à un état subliminal de conscience où la volonté n’agit plus, le mental cesse de ratiociner. On fait monter les impressions des profondeurs, on laisse revivre les émotions. Privée de ses attributs proprement humains — volonté et réflexion — la machine psychique est un animal bien vivant, extrêmement dynamique et sensible. L’opérateur — le dompteur ? — le sollicite pour qu’il s’exprime. Et lui sait qu’il s’agit de vies antérieures à découvrir.

La psyché, invitée à parler, en a des choses à dire…

Ian Stevenson, qui a renoncé à l’hypnose pour poursuivre ses enquêtes [25], exprime son scepticisme : « les personnalités habituellement évoquées au cours de régressions sous hypnose vers une vie antérieure sont… un amalgame de la personnalité courante du sujet, de ce que celui-ci croit qu’on attend de lui, de la vision qu’il se fait de ce qu’aurait dû être sa vie antérieure, et peut-être aussi d’éléments obtenus par voie paranormale ». Cette analyse s’applique bien semble-t-il au cas « Bridey Murphy ». On a retrouvé dans cette histoire échafaudée sous hypnose divers éléments puisés… dans la mémoire oubliée du sujet (qui avait joué une pièce irlandaise dans son enfance, en acquérant l’accent convenable), avec vraisemblablement des ingrédients collectés ici et là, par clairvoyance. Mais pas de Bridey Murphy en Irlande.

C’est un trait remarquable de toutes ces techniques (de l’hypnose au lying) qu’elles stimulent chez le sujet des pouvoirs parapsychologiques (surtout clairvoyance) parfois remarquables qui restent latents habi­tuellement. Pour cette raison même, les récits de vies passées sont aussi peu dignes de foi que les « lectures de vie » faites par un sensitif.

En outre, l’intervention de l’opérateur qui sollicite le sujet pour qu’il parle, en pêchant des réponses, crée un certain climat de contrainte qui engage l’animal psychique à progresser dans la voie des révéla­tions. Dans l’hypnose légère, ou le lying, où l’on cherche à réveiller des impressions profondes, la nature émotionnelle est fortement mise à contribution. L’angoisse est plus souvent l’invitée de ces séances que la béatitude. Les énergies et souvenirs refoulés (de la vie actuelle, bien entendu) s’en donnent à cœur joie. Avec des yeux objectifs, on lit sou­vent à livre ouvert les problèmes dont souffrent les patients depuis leur enfance, ou leur adolescence. Le plus curieux est que ces tragédies, ces histoires structurées au fil des jours par la psyché soumise à la question, sont attribuées à des vies antérieures par les sujets aussi bien que par les spécialistes de ces méthodes. Et même quand on connaît assez bien le passé psychologique d’un individu [26], avec ses traumatismes, ses échecs, ses problèmes avec les parents, etc., on finit toujours, comme par miracle, par en retrouver la racine… dans des drames remontant à une existence passée. Il y a des âmes que la fatalité poursuit.

Mais les sujets qui émergent pantelants de ces descentes en enfer sont finalement délivrés de leurs angoisses. On a envie de parler de catharsis psychanalytique [27].

Rêves, impressions, visions

Il serait peu raisonnable de prétendre que rien ne remonte jamais du passé perdu dans ces lectures de vie, ces récits articulés sous hypnose, en lying, qui paraissent si criants de vérité. Réincarnation ? Les explica­tions de rechange ont souvent un tel poids qu’on hésite beaucoup à se prononcer pour elle. Malgré toute l’envie qu’on en aurait.

On dirait que les vies antérieures se cachent obstinément quand on les appelle, alors que certaines fois elles ont l’air de surgir sans crier gare.

Il y a des rêves, des expériences de « déjà vu » — une certitude de connaître un endroit, une personne — qui s’imposent d’un seul coup dans la vie des individus, comme des retours de vies passées, avec un tel cachet d’authenticité qu’aucune explication savante contraire ne les fera rejeter comme des fantasmes.

Il y a aussi, paraît-il, de ces moments de supra-conscience où un indi­vidu, arraché de façon inattendue à ses occupations, se voit transporté dans des scènes d’une période révolue où il est un autre personnage, tout différent de l’actuel. Frederick Lenz, professeur de philosophie orientale aux États-Unis, a rassemblé un certain nombre de ces témoignages dans un livre passionnant [28], comme tous ceux de cette catégorie. La comparaison des cas cités suggère une sorte de scénario assez constant suivi par le déroulement de cette vision.

Ajoutons ces éléments au Dossier des expériences subjectives, pro­bantes certes pour l’individu qui les vit, mais incapables encore de faire l’unanimité dans notre jugement.

À quand la preuve ?

Nous en sommes encore à chercher… l’introuvable. Si nous avons déjà vécu sur cette terre, la Nature paraît bien mettre une certaine mauvaise volonté à nous laisser accéder à notre passé secret. La Nature ? Les philosophes de l’Orient diraient plutôt : notre nature personnelle dont l’opacité est telle que la route est bouchée.

C’est traditionnellement aux grands yogis indiens, ou aux ascètes boud­dhistes qui ont atteint les degrés supérieurs de la méditation, que s’offre la vision clairement consciente de toutes les existences traver­sées. À cette performance nous pouvons trouver deux raisons.

La première : pour atteindre la mémoire centrale de l’Ego — quelque part du côté du « corps causal » — ne faut-il pas que la conscience se retire progressivement du niveau de l’expérience de veille et s’élève de plan en plan, du monde psychique au monde spirituel — hors du temps et de l’espace ? Et pour cela, ne faut-il pas qu’elle se crée des points d’appui, des instruments permanents dans toute sa sphère intérieure, pour rester éveillée dans son transfert jusqu’au monde causal ?

N’est-ce pas d’ailleurs cette création d’instruments permanents dans les enveloppes de l’âme qui permettra au yogi d’atteindre l’immortalité de la conscience réfléchie, à travers la vie et la mort ? Et comme cette construction ne peut se faire que sur terre, par l’exercice de la volonté et de la pensée, n’est-ce pas là le secret de la nécessité de la réincar­nation ? Comment espérer réaliser ce grand Œuvre après la mort, lorsque nous serons dépouillés de ce qui nous permet ici-bas de choisir et de vouloir [29]?

La deuxième raison : l’ascète ou le mystique a parcouru un chemin qui l’a mené à l’égalité parfaite et au renoncement à toutes vues per­sonnelles. Il est dès lors qualifié pour contempler le passé, comme un spectateur impassible. Ceux qui cherchent à forcer la porte de l’in­conscient ont-ils songé à ce qui se passerait si toutes les scènes éva­nouies depuis des milliers d’années resurgissaient à leurs yeux de mortels… que la moindre contrariété plonge dans l’angoisse ? Ne réveillez pas le chat qui dort. La Nature est bien faite.

Arguments

contre la réincarnation

Un mot d’avertissement

Nous l’avons dit, la réincarnation est un sujet explosif. L’idée, nouvelle en Occident, dérange, menace des théories en vigueur. Certains crain­draient même pour la foi, si on parvenait à découvrir des preuves expé­rimentales de la survivance et de la renaissance. Il ne manque pas de juges expéditifs ayant trouvé des moyens de condamner la réincarnation, à peu de frais. Voici deux bonnes recettes :

Choisir parmi les modèles possibles celui qui paraît le plus faible et le mettre en accusation. En somme, imiter les fauves qui attaquent un troupeau. René Guénon a ainsi consacré un chapitre entier à démolir la réincarnation. Mais c’est sur le modèle spirite qu’il a fait ses griffes — ignorant complètement les autres, puisqu’il leur déniait toute exis­tence.

Profiter du fait qu’il y a deux prévenus dans le box : réincarnation et karma. Prouvez la culpabilité de l’un et vous envoyez les deux aux galères.

Les arguments contre la réincarnation sont d’ordre expérimental, logique, moral et souvent… sentimental. Nous allons les examiner tour à tour.

  • Arguments expérimentaux

Ils sont fondés sur « l’observation ». Une façon économique de condam­ner la doctrine est de rejeter l’existence de l’âme. Pas de conscience possible, dit-on, sans un corps.

1. L’homme n’est autre que son corps. Les scientifiques d’aujourd’hui ont remplacé les Prophètes d’antan. Ce qui n’est que théorie devient bien vite dogme. On lit ainsi de fabuleux récits sur les « origines » de l’homme : de l’Australopithecus à l’Homo sapiens sapiens. L’homme de la rue s’imagine que tout cela est démontré et que l’intelligence a jailli un jour dans la cervelle de ces ancêtres. C’est un abus de confiance, à la limite. L’enthousiasme (?) fait oublier, ici plus qu’ailleurs, la for­mule sacramentelle de tout chercheur : « les choses semblent s’être passées comme si… ». En y regardant bien, on lit dans un coin du livre que les ancêtres directs de l’homme de Cro-Magnon restent mystérieux. Belle invitation à la prudence [30]. On ne sait pas encore d’où vient l’homme — on ne sait même pas ce qu’il est. Et nous attendons toujours qu’on nous explique comment, par le jeu des molécules, des flux de charges électriques et des ondes cérébrales, nous faisons la simple expérience quotidienne d’être conscients, de voir le spectacle du monde, de penser des pensées conscientes. Et, si possible, qu’on ne nous parle pas d’ordinateur, en confondant à plaisir la machine et l’opérateur qui est au pupitre. Rappelons humblement au savant son ignorance, et attendons d’autres arguments.

  1. On ne se souvient pas des vies passées. Le contraire serait étonnant d’après ce que nous avons vu plus haut. Déjà, nous n’avons plus sou­venir de tranches entières de notre vie — le vieillard se plaint de perdre la mémoire. Comment se rappeler avec un cerveau neuf, acquis à la naissance, les faits qui remontent peut-être à des centaines d’années en arrière ? Il y a bien des chances que les bribes de souvenirs qui peuvent filtrer chez l’enfant soient vite oblitérées par les faits de l’actualité, et aussi par l’éducation occidentale, qui n’accueille pas l’idée de réincar­nation.

  1. On ne voit pas le progrès spirituel par l’effet du karma, autrement dit, l’humanité est aussi barbare aujourd’hui qu’il y a 100 ans, ou 1000 ans. Il est bien difficile de juger du progrès global de milliards d’individus, en se fondant sur une tranche de l’Histoire aussi réduite que celle que nous connaissons avec un peu de certitude : quelques millénaires.

Si l’intervalle entre deux vies est de plusieurs siècles, le nombre de nos existences au cours de ces quelques millénaires n’est pas si grand que nous ayons pu chacun faire de spectaculaires progrès — surtout si nous ne nous sommes pas engagés volontairement dans une démarche spiri­tuelle. La réincarnation ne signifie pas progrès automatique pour tout le monde. Une régression est aussi possible si l’individu étouffe en lui-même la voix de l’intuition ou de la conscience.

Pour les hindous, la vie de l’humanité suit des grands cycles. L’âge actuel, le Kali Yuga, est une période d’épreuves et de bouleversements. Difficile de comparer la qualité des âmes dans la tempête actuelle avec ce qu’elles ont été dans le passé.

Dans le mythe d’Er, Platon montre que certaines âmes, qui émergent du ciel toutes pures, choisissent des modèles de vie qui vont les plonger dans les erreurs et le vice : elles n’avaient pas acquis l’expérience de ces choses, étant restées dans la vertu par manque d’occasion de pécher. Mais, dans ces chutes, n’auront-elles pas des chances d’aller plus loin que précédemment sur la voie spirituelle ?

  1. La population du globe croit : cela implique création d’âmes, comme on l’imagine en Occident [31]. Réponse facile : il suffit simplement que le nombre des âmes humaines en évolution soit très largement supérieur à celui des hommes incarnés. Si en l’an 1000 la proportion d’âmes incarnées était par exemple de 5 % du total, elle pourrait quadrupler facilement en l’an 2000, sans épuiser la réserve. Notons aussi une cause immédiate de l’accroissement de la population : l’augmentation de l’espérance de vie. Il n’est pas rare dans nos pays de voir jusqu’à quatre générations réunies — chose peu commune il y a 200 ans.

  • Arguments logiques

Le succès d’une démonstration logique dépend beaucoup du poids que l’on accorde aux prémisses et du cadre dans lequel on entend évoluer. S’il existe un monde « parallèle » au plan physique, toute argumentation excluant ce dernier — au moins comme hypothèse de travail — est vouée à l’échec : raisonner sur un espace à deux dimensions pour décrire l’univers expose le logicien à d’étranges conclusions. C’est surtout à René Guénon que l’on doit la démonstration « logique » de l’impossi­bilité de la réincarnation, exposée magistralement dans l’Erreur Spirite (pp. 212-225).

Le théorème s’articule comme suit :

Postulat : il existe une Possibilité universelle et totale, qui est néces­sairement infinie et ne peut être conçue autrement, car comprenant tout et ne laissant rien en dehors d’elle, elle ne peut être limitée par rien absolument.

Corollaire : supposer une répétition au sein de la Possibilité uni­verselle comme on le fait en admettant qu’il y ait deux possibilités par­ticulières identiques c’est lui supposer une limitation, car l’infinité exclut toute répétition.

1re conclusion : il ne peut y avoir nulle part aucun cycle fermé. Rien ne peut jamais revenir au même point. Jusque-là, si ce langage tend à démontrer l’impossibilité d’un éternel retour, d’une répétition quelconque d’un être, d’un événement, l’habile logicien n’a fait qu’enfoncer une porte ouverte. Nous l’avons déjà souligné : sans cesse tout change, tout évolue. Le bouddhisme a lourdement insisté là-dessus et ce n’est pas la Théosophie qui le contredirait. Mais il y a plus :

2e conclusion : le retour à un même état est une impossibilité.

Qu’est-ce à dire ? Réponse : « dans la Possibilité totale, ces possibi­lités particulières que sont les états d’existence conditionnés sont néces­sairement en multiplicité indéfinie ; nier cela, c’est encore vouloir limiter la Possibilité ». Le lien logique entre l’impossibilité évidente de l’éternel retour, et l’interdiction faite à un être par Guénon de repasser deux fois par le même état est clair si ce même état est défini exactement par le même ensemble de paramètres que le premier. Là encore, tout le monde serait d’accord. Erreur. Ce qu’il faut comprendre c’est ceci : « il suffit qu’un être soit passé par un certain état, ne fût-ce que sous forme embryonnaire, ou même sous forme de simple germe, pour qu’il ne puisse en aucun cas revenir à cet état dont il a ainsi effectué les possibi­lités suivant la mesure que comportait sa propre nature ». L’être a d’in­définies possibilités de développer d’autres modalités du même état. La réincarnation est donc « absolument inutile ». C.Q.F.D. Avec la « Pos­sibilité totale », tout est possible — sauf la réincarnation. Avec le calme olympien que confère la certitude de la vérité, Guénon conclut : « Comme on le voit, cette démonstration est extrêmement simple en elle-même, et si certains éprouvent quelque peine à la comprendre ce ne peut être que parce que les connaissances métaphysiques les plus élémentaires leur font défaut. » Le plus curieux c’est que dans la Gîtâ Krishna part des mêmes prémisses — l’univers a été établi avec une seule fraction de la source infinie et éternelle de tout (chap. X) — et qu’il s’égare ensuite à parler de cycles sans cesse recommencés, et de retour des êtres individuels à la naissance terrestre… Quelqu’un des deux doit se tromper.

Modeste remarque : on dirait bien qu’il existe une économie de la Nature qui construit le nouveau sur la base de l’ancien, et ne craint pas les recyclages, avec les progrès qu’ils comportent.

La vérité est peut-être toute simple : Guénon ne veut pas entendre par­ler d’évolution, de progrès et autres balivernes des socialistes du XIXe siècle qui, à l’en croire, ont inventé le mythe de la réincarnation. Sa logique évolue dans un cadre déformé par ces préjugés.

Sans épouser forcément les thèses guénoniennes, bien des gens s’en rap­prochent d’instinct : à quoi bon la réincarnation, si nous pouvons conti­nuer de progresser après la mort ? Nous ne savons pas ce qui se passe dans l’au-delà, mais qu’importe ? C’est affaire de foi : soyons certains que la Providence divine n’a rien laissé au hasard. Nous avons déjà signalé la réponse faite sur le fond à cette objection. Pour les réincar­nationnistes, c’est sur terre qu’il faut revenir, continuer l’Œuvre inache­vée. Et la poursuivre jusqu’à l’Éveil final.

Arguments moraux

On dénonce ici les effets néfastes des idées de réincarnation et de karma sur leurs partisans. Mais en réalité, dans bien des cas, c’est une compréhension incorrecte de ces idées que l’on accuse. On trouvera sans peine dans les chapitres précédents des réponses à ces objections.

a) contre la réincarnation :

On l’accuse de rendre les gens

orgueilleux : ils se croient la réincarnation de Napoléon plutôt que de son valet de chambre

paresseux : « si nous devons renaître, rien ne presse »

crédules : mis dans le secret de cette doctrine « occulte », on est prêt à croire à toutes les extravagances des « initiés », et avaler toutes leurs couleuvres [32]

irrespectueux envers Dieu : l’homme qui se croit maître de sa destinée n’a plus besoin d’un Sauveur. Orgueil encore.

Les trois premiers arguments ne touchent que les modèles dégénérés de la réincarnation, ou plutôt les gens naïfs qui les adoptent. Quant au dernier, il faut rappeler que, pour Origène aussi, l’homme est maître de sa destinée — contrairement à ce que croyaient certains gnostiques, dénoncés par Plotin et ce théologien.

b) contre karma :

On accuse ses partisans de devenir :

fatalistes : « ce qui m’arrive c’est mon karma! » « C’était écrit! »

passifs : « évitons de créer du karma ».

insensibles, voire cruels : « le malheur des autres c’est leur karma! Il faut les laisser face-à-ce-qu’ils-ont-mérité »!

angoissés : « il faut se faire du bon karma pour la prochaine incarnation »; la hantise du mauvais karma et de ses conséquences, remplace la hantise du péché, qui ne valait pas mieux.

crédules aussi : les faux « gurus » exploitent en virtuoses la croyance à karma, dont ils prétendent connaître les secrets.

En se reportant à notre étude des modèles, on se rendra compte de la faiblesse de ces arguments. Et les faux « gurus » sont sans doute plus ignorants que les autres [33]. Heureusement pour les adversaires de la réincarnation, il existe des « preuves » plus sérieuses.

Pour l’Oriental qui voit dans le samsâra une malédiction, rien n’est plus urgent que de briser la chaîne des réincarnations. Ce faisant, il se concentre sur son salut et ne se préoccupe guère de progrès et de civi­lisation. D’où la négligence de tout ce qui est terrestre. Plus de progrès matériel!

On pourrait objecter ici les paroles mêmes de Jésus : « voyez les oiseaux du ciel, ils ne sèment, ni ne récoltent »… Si les sannyasins (ascètes renon­çant au monde) appliquent cette idée à la lettre, ce n’est pas aux Occi­dentaux à le leur reprocher. L’Histoire passée de l’Inde a pourtant connu des grands rois, tels Ashoka, qui n’ont pas négligé de construire une civilisation. On ne peut que regretter la chute de ces empires. Un pays colonisé pendant deux siècles a pu perdre beaucoup de ses forces morales — et sombrer même dans la superstition. Il n’y a aucune oppo­sition entre croyance à la réincarnation et participation à l’œuvre sociale. La Gïtâ évoque le roi Jânaka qui avait atteint la Sagesse tout en gouvernant. À son exemple, chacun devrait contribuer à l’ordre du monde (chap. III). À chacun son dharma : tous ne sont pas des ascètes. Autre reproche : l’injustice. On souffre ici-bas des erreurs de « son » incarnation précédente. « On paie pour un autre. » (On récolte aussi — sans rechigner — le bonheur que cet inconnu a préparé.)

Notons que, dans les autres systèmes, on est bien obligé d’accepter ces souffrances :

Le matérialiste voit dans la genèse des événements un enchevêtrement de causes qu’il ne contrôle pas. On souffre, on se réjouit, et c’est comme ça.

Le religieux croit à la Providence divine, sans se plaindre.

N’est-ce pas demander l’impossible à la Nature en exigeant de savoir ? Supposons que la réincarnation soit vraie. Faudrait-il que nous sachions bien vite, dès l’enfance, tout notre passé pour que nous comprenions tout ce qui nous arrive ? Comment réagirions-nous ? Enfants, nous serions déjà mûrs, des vieillards de millions d’années. Plus de fraîcheur juvénile, plus d’enthousiasme. Nous serions écrasés sous le poids de cette vision rétrospective. Certains de nous haïraient de plus belle des ennemis de jadis, voudraient reprendre le fil d’amours impossibles. Plus de spontanéité : nous saurions, de même, ce qui nous attend. Semblables à ceux qui consultent les voyantes, nous serions dans l’angoisse du « coup dur » qui s’approche. Encore une fois, la Nature est bien faite. Est-il d’ailleurs vrai que nous n’ayons gardé aucun souvenir ? Si nous n’avons pas le nez collé à l’événement journalier, il y a bien quelque chose en nous qui semble savoir ; qui nous avertit des erreurs à éviter ; une sorte de voix qui parle pour retenir, ou pousser en avant. En examinant le cours de notre existence à vol d’oiseau nous pouvons bien distinguer ses lignes directrices, l’enchaînement des causes et des effets et comprendre les prolongements de chacun de nos choix. Karma. Mais l’ivrogne qui se complaît dans son vice, en se trouvant toujours mille excuses honorables, est tout surpris un jour de se découvrir une cirrhose. Une injustice qui lui est faite ? Karma ne punit pas : il place l’être là où il doit être. Ni vengeance ni sentiment. C’est une loi natu­relle.

Nous ne sommes pas des ivrognes, bien sûr, mais des malvoyants, qui tâtonnent dans leur obscurité [34]. Il faut s’habituer peu à peu à la lumière. Trop vive, elle rend aveugles ceux qui la contemplent brusquement. Recommencer la vie avec la naïveté de l’enfant, comme si nous n’avions jamais vécu, en réveillant petit à petit tout l’acquis d’un passé voilé mais vivant, pour écrire sur une page vierge de notre Grand Livre l’histoire d’une nouvelle tentative humaine, n’est-ce pas beaucoup mieux ainsi ?

  • Arguments sentimentaux

La Nature ne fait pas de sentiment. Et la vérité n’a pas à nous être agréable. Elle est d’ailleurs peut-être moins cruelle qu’elle en a l’air. Citons cependant pour mémoire quelques arguments, avec les remarques qu’ils appellent.

« renaître pour souffrir et mourir. Quelle perspective! C’est le supplice de Sisyphe ». Heureusement, l’enfant naît sans savoir ce qui l’attend ; mais il ne part pas de zéro. À l’inverse de Sisyphe — dont toutes les tentatives sont vouées à l’échec complet.

« ceux qui prônent la réincarnation sont des romantiques, nantis, et à l’abri du malheur : ils sont prêts à recommencer sur les mêmes bases ».

Les philosophes orientaux admettent la transmigration mais n’ont qu’une hâte c’est d’en finir avec elle. Le Bouddha a reconnu partout la souffrance et encou­ragé ses semblables à la déraciner, vie après vie.

« avec la réincarnation, nous perdrons définitivement nos êtres chers : nos retours ne coïncideront pas forcément et nous ne les reconnaîtrons plus ».

Tout d’abord, il n’est pas sûr que nous ne les retrouverons pas. L’amour — et la haine aussi, malheureusement — sont de puissants aimants. Il y a de grandes chances que la vie réunisse des entités qui ont déjà fait route ensemble — pour le meilleur et pour le pire. Ensuite, pourquoi le cercle de notre amour se limiterait-il à ces êtres particu­liers ? N’est-ce pas vouloir que la Nature sauvegarde et répète pour notre petit Moi une tranche de vie personnelle, qui n’est qu’un clin d’œil dans le long déroulement de l’évolution ?

Ne sommes-nous pas appelés à « aimer notre prochain comme nous-mêmes »? Notre prochain, n’est-ce pas tous les êtres ?

Depuis de longs âges, des hommes et des femmes de chair et de sang Ont cru à la réincarnation.

Qui sait s’ils ont bien compris tout ce qu’elle pouvait signifier pour eux ? Et nous-mêmes, informés aujourd’hui des croyances de tous les peuples, Pourrions-nous mieux qu’eux en saisir le sens ?

Il faudrait demander à Platon le secret de ce lieu d’où Er le Pamphylien put embrasser l’univers, Pour découvrir dans ces immensités

En manière de conclusion

Soumises aux cycles cosmiques, sous l’œil de la Nécessité,

Le point minuscule qui nous sert de refuge,

Insignifiante planète, cachant sous son halo bleuté,

Parmi des milliards d’êtres,

Les petits hommes instruits de tout, et ignorants d’eux-mêmes.

De cet observatoire, que signifierait pour nous la réincarnation ?

Platon n’a pas tout dit. Peut-être son secret tiendrait-il un peu dans ces mots :

Acceptez cette planète, et les hommes qu’elle abrite.

Acceptez-vous vous-mêmes, sans rêves futiles,

Et sans angoisse,

Puisque la mort n’est qu’une étape, mainte fois franchie.

Acceptez de rester, attachés à ce globe infime,

Et d’y vivre,

Aimant et travaillant,

Afin de l’aider à enfanter l’Humanité qu’il porte

Et faire lever en vous-mêmes

La moisson d’espérances inouïes dormant au fond de l’être.

En attendant le jour marqué de l’Éveil,

Où tout s’accomplira.

Avec confiance, acceptez le retour

Promesse de Renaissance.

À travers les espaces sans bornes, une voix semble répéter en échos :

« Et s’il n’y avait pas d’autre choix ?… »

Au fond, s’il en était ainsi, notre nature d’hommes ne serait-elle pas toute prête à nous aider si nous savions faire appel aux réserves qu’elle cache ?

Un jour, peut-être, deviendrait clair à nos yeux ce qui paraît encore si mystérieux des lois de notre évolution. On dit que tout arrive à point pour celui qui ne se lasse pas de chercher.

Même s’il faut attendre… une prochaine incarnation.

Paris, 30 janvier 1981.

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1 S. S. le XIV° Dalaï Lama, La Lumière du Dharma, Seghers, Paris, 1977, p. 44.

2 Citons, parmi beaucoup d’autres, Les réincarnations mystérieuses et fantastiques de Hans Holzer (titre original américain : Born again) Marabout, Verviers, 1974. Ce livre apporte des témoignages à verser au dossier des régressions hypnotiques.

3 Même si le clairvoyant assure qu’il perçoit la sortie de l’âme (corps astral, périsprit, etc.) au moment de la mort, est-ce bien elle qui est vue ou bien l’image subjective qui apparaît à l’œil « astral » du voyant, interprétant dans le langage de sa machinerie mentale l’information traduisant la présence de l’âme — laquelle n’est peut-être… qu’un ensemble de paquets d’ondes en vibration. Pure hypothèse, bien entendu.

4 Pour cette partie, voir les études de I. Stevenson déjà citées.

5 Ces signes prennent une grande valeur suggestive en association avec des souvenirs précis expliquant leur genèse. Il est arrivé que I. Stevenson puisse vérifier — procès-verbal d’autopsie en main — que l’individu antérieur était mort avec des blessures situées à l’endroit même des cicatrices suspectes relevées sur le corps de l’enfant « réincarné ».

6 Dans son étude The Evidence for Survival from claimed memories of former incarnations (op. cit.) Ian Stevenson indique : « j’ai connaissance d’un exemple de prétendus souvenirs d’une incarnation antérieure dénoncés comme frauduleux » (T. L. Rampa, The Third Eye, Doubleday and Company, New York, 1957). Un troisième œil qui a fait rêver bien des gens…

7 Voir, Dr D. Kelsey & Joan Grant, Many Lifetimes, traduit en français sous le titre : Nos vies antérieures, « J’ai Lu », 1971.

8 Il faut se garder de minimiser les pouvoirs de la mémoire et de la clairvoyance. Stevenson cite le cas d’un homme sous hypnose se mettant à parler et à écrire un dialecte oublié, du IIIe siècle avant J.-C. : quelque temps avant, dans une bibliothèque ses yeux étaient tombés sur une grammaire de cette langue ouverte sur sa table, alors que son esprit rêvait à autre chose.

9 L’individu sous hypnose et le médium en transe sont très sensibles à l’influence mentale des assistants. On a pu faire décrire par un médium la vie passée d’un prétendu « défunt », inventée de toutes pièces et mémorisée par un expérimentateur. (Voir : Sudre, Traité de Parapsycho­logie, Payot.)

10 I. Stevenson, The Evidence for survival from claimed memories of former incarnations.

11 Voir par exemple : Gina Cerminara, De nombreuses demeures, Éd. Adyar, 1973.

12 Voir, des auteurs cités, Déchirures dans le Voile du Temps, Publications théosophiques, Paris, 1911-1912-1913. Sur toutes ces « années folles » (qui ont excité la hargne de Guénon contre les « théosophistes ») on peut lire le témoignage d’une femme qui les a vécues, Lady Emily Lutyens, Candles in the sun, Rupert Hart Davis, Londres, 1957.

13 Comme cette prophétie (avec d’autres) ne s’est pas réalisée, on hésite à ajouter foi à toutes ces révélations mirifiques.

14 Par exemple, lorsque Stevenson arrive sur les lieux de l’enquête avant que la famille précé­dente du « réincarné » ait été découverte — ce qui permet d’interroger l’enfant à loisir sans soupçonner que des informations lui soient parvenues de son milieu « antérieur ».

15 On constate des cas très éloquents pour la Théosophie : les enfants morts en bas âge (et conservant pour cette raison le même corps psychique) se « réincarnent » parfois dans la même famille, avec une forte ressemblance avec leur prototype antérieur, en réaffirmant leurs petites habitudes, leurs tendances, etc. Il y a des exemples où l’enfant emploie les mêmes expressions et se souvient même nettement d’expériences (voyages, etc.) faites par l’« autre ».

16 On pourrait toujours invoquer chez ces individus une nature grossière, les privant de toute moisson spirituelle. Il n’empêche : dans le cas décrit du vieillard de 85 ans, l’intervalle passé avant la réincarnation est, paraît-il, de 7 ans, ce qui fait de bien courtes vacances pour l’âme. On ne traîne pas au Ciel chez les Tlingit d’Alaska!

17 À propos de bizarreries : les marques de naissance. Dans l’Océan de Théosophie, de W. Q. Judge, il est rappelé que la forme physique du fœtus se développe sur un modèle « astral » (un aspect du « corps subtil ») lequel est « sous l’influence de l’imagination de la mère, par des organes physiques et psychiques. La mère peut former une image puissante sous l’effet de l’horreur, de la peur ou de quelque autre impression et le modèle astral en est affecté de façon similaire ». N’est-ce pas un élément d’explication possible d’un cas cité par Stevenson où un bébé naît avec des marques précises, après que la mère de cet enfant eut été visitée par un parent encore vivant… la choisissant à l’avance pour future mère et exhibant devant elle les cicatrices qu’il portait sur son corps et qui devaient permettre de « le » reconnaître dans le futur rejeton. Assurément la mère a gardé la photographie de cette scène.

18 Le « corps subtil » n’est sûrement pas décapité par une guillotine, mais il pourrait bien retenir l’image de la scène finale, imprimée en une trace indélébile. On en retrouvera peut-être quelque chose si une mère capte inconsciemment cette information pendant sa grossesse, ou si l’entité vient effectivement se réincarner avec le même corps subtil.

19 Le fait que dans ces deux cas l’homme précédent était décédé violemment n’est peut-être pas fortuit. Le criminel exécuté n’est pas vraiment mort, selon la Théosophie : il reste plein du désir de revivre et de retrouver un corps. Gare au médium qui s’ouvre à l’influence d’une pareille entité — ou d’un suicidé!

20 On trouve, dans la littérature théosophique du XIXe siècle, 2 ou 3 exemples un peu similaires où une entité désincarnée vient occuper pour y vivre le corps d’un enfant mourant. Il est vrai que ces cas sont rarissimes. Il s’agit de yogis qui se réincarnent très vite pour poursuivre leur ascèse.

21 Avant « l’âge de raison », l’Ego de l’homme n’a pas pris réellement possession de ses instru­ments physique et psychique. Ces derniers pourraient bien être, dans certains cas, « colonisés » par des forces psychiques étrangères — et progressivement libérés de ces imprégnations à mesure que l’hôte intérieur (l’Ego) s’affirme.

22 Morey Bernstein, A la recherche de Bridey Murphy, « J’ai Lu », 1956.

23 Isola Pisani a décrit des séances de ce genre dans son livre, Mourir n’est pas Mourir, Éd. Robert Laffont (1978). C’est le Dr Kelsey assisté de sa femme, elle-même clairvoyante, qui utilise ces techniques à des fins thérapeutiques, imité en cela par d’autres psychiatres. Il s’agit d’amener au jour les traumatismes de vies passées qui parfois bloquent encore le sujet. Réincarnation ou pas, il y a des guérisons c’est l’essentiel.

24 Denise Desjardins, De naissance en naissance (1977) et La Mémoire des vies antérieures. Ascèse et vies successives (1980), Éd. La Table Ronde.

25 C. Chris, un des organisateurs du Congrès de Montpellier dont nous avons parlé, s’est pro­noncé fermement contre l’utilisation de l’hypnose pour ces anamnèses. Hypnologue de métier (hypnotiseur travaillant en liaison avec un médecin pour des travaux de recherches), il pense que des contacts avec les vies antérieures — en état d’hypnose somnambulique — sont excep­tionnels. De plus il est impossible, à son avis, d’être sûr que le sujet décrit une existence passée.

26 Comme c’est le cas avec les exemples donnés par Denise Desjardins dans son second livre (La Mémoire des vies antérieures).

27 Dans De l’autre côté de la vie (Tchou, 1979) un médecin psychiatre et psychanalyste qui reste anonyme (Dr N.) émet cet avis pessimiste : « une personne ayant adopté les idées réincarnationnistes est amenée à croire qu’elle supporte la faute des erreurs commises dans une vie antérieure, faute liée au karma et dont il faut aujourd’hui payer le prix. La croyance au karma entraîne une conduite d’échec : le sujet s’enferme dans une structure masochiste à laquelle il lui sera très difficile d’échapper ». C’est un risque, il est vrai, analogue à celui qui s’attache à la notion de péché qu’on traîne comme un boulet. Mais karma n’est pas punition, comme nous l’avons répété.

28 F. Lenz, Life-Times, true accounts of reincarnation, Bobbs Merill, New York, 1979.

29 Les doctrines orientales s’opposent ici radicalement à celle de l’Occident (christianisme, spiritisme…) qui envisagent un progrès possible de l’âme après la mort, une série de métamor­phoses l’élevant jusqu’à Dieu.

30 L’expérience montre que la pensée rationnelle peut se fourvoyer pendant des siècles sur de fausses pistes. Que l’on exhume un jour un seul nouveau fossile inattendu, toute la belle théorie peut s’effondrer. Le fait que le chimpanzé ait une hémoglobine très voisine de celle de l’homme ne prouve pas que ce dernier soit le descendant du premier. Et si c’était le contraire, comme même des biologistes l’ont soupçonné ?

31 Si Dieu devait créer une âme pour chaque corps, on devrait un peu redouter le jour de la résurrection des morts, si tous ces milliards de créatures se retrouvaient côte à côte sur la terre. La religion populaire, qui représentait les morts sortant du tombeau à l’appel du Juge­ment, n’avait pas songé à ce problème d’espace vital. Il est vrai qu’on attendait la Parousie pour bientôt.

32 Dans l’Erreur spirite, op. cit., Guénon brosse de ces excès un tableau caustique (voir chap. VII : extravagances réincarnationnistes), sans épuiser probablement le sujet.

33 On n’aurait pas de peine à montrer qu’ils prennent une lourde responsabilité (karmique) en dupant leurs semblables.

34 L’alcoolique n’est pas né tel : avant de le devenir il a reçu sans doute maintes mises en garde. Les traditions qui parlent de l’Age d’Or assurent que l’humanité dans l’enfance n’a pas été privée de guides ni de conseillers. Mais les enfants qui se mettent à voler de leurs propres ailes gardent-ils les sages conseils qu’on leur a prodigués ? Et s’en souviennent-ils au moment des épreuves ? Les hommes ont l’idée de la justice, mais ils ont fini par oublier qu’elle s’applique aussi à tous les prolongements de leur propre comportement. L’incroyable cruauté qui se déchaîne sur le monde peut-elle être gratuite pour ceux qui la pratiquent, même s’ils l’infligent aveuglément ?