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Répétitions

Comment connaître ce qui, comme le message de l’exemple analogique précédent, n’est ni matière, ni énergie ? Tant qu’on reste dans le domaine intellectuel ou affectif, on ne peut procéder que par distinction donc par séparation. Le monde de l’intellect humain par sa nature ne peut être que dualiste. Lorsqu’on se trouve placé dans la dimension essentielle il est impossible d’en rendre compte au moyen de l’intellect et du langage. Telle est la situation paradoxale dans laquelle on se trouve. D’un côté rien ne peut vous aider et de l’autre rien ne peut être dit. Pourtant il n’existe qu’une seule réalité inséparable. Comme pour une pièce de monnaie on ne peut demander à quelqu’un de vous donner seulement soit le côté pile, soit le côté face à l’exclusion du reste…

(Revue Être. No 1. 1986. 14ème  année)

Depuis les débuts de l’écriture nous avons le témoignage de la préoccupation de l’homme en face de ce qu’il éprouve comme le besoin, la faim d’une unité fondamentale, absolue, de quelque chose qui, croit-il, transcenderait ce qu’il connaît de lui-même à l’aide de son intellect, de son affectivité et de sa mémoire.

Mais que dire ou faire en face de l’inconnu imperceptible, insaisissable, « inatteignable » et par voie de conséquence indicible. Le discours meurt au seuil de cette transcendance.

En-deçà de l’expérience qui permettrait de connaître ce qui demeure encore inconnu plusieurs attitudes restent possibles. Ou bien on établit un système de représentation de l’invisible au moyen d’une mythologie, d’une symbolique, d’un dogme, d’une morale et d’un rituel c’est-à-dire d’une religion destinée pour un temps à orienter les fidèles vers ce qui ne sera connu qu’au-delà de la mort.

A l’origine, les grands fondateurs et orienteurs de chaque religion avaient au préalable fait l’expérience de la totalité. Une religion ne se fonde pas durablement sur la simple décision d’un conseil d’administration qui nomme son président-directeur général spirituel.

Mais il en est des religions comme de toutes les institutions humaines, quant à leurs formes. Elles grandissent, s’imposent, se divisent, déclinent et meurent. Elles sont pérennes quant à ce qui les fonde, mais leur expression correspond à un certain stade d’évolution des mentalités qu’elles ont elles-mêmes contribué à forger. Lorsque ces mentalités changent, les anciennes expressions ne trouvent plus d’échos et vient le moment où de nouvelles expressions les remplacent. C’est bien ce qui semble se produire actuellement en Occident. Savoir ce qui adviendra ne nous préoccupe guère, que ce soit le règne de l’esprit selon Joachim de Flore ou tout autre règne.

Ou bien on déclare non pas que la transcendance est inexistante mais qu’elle demeure inconnaissable, quelle que soit sa forme de représentation, étant inaccessible à l’esprit humain. Il faut alors s’en remettre à la raison et cultiver sagement son jardin. Là se trouve la position des agnostiques. Quand on ne peut expliquer une chose au moyen des connaissances acquises, le mieux consiste à l’ignorer.

Ou bien on déclare l’inexistence de toute transcendance et du besoin d’unité et d’absolu. Il s’agit d’une maladie de l’esprit humain. Il faut œuvrer dans le sens d’un maximum de bonheur terrestre pour chacun et en même temps pour l’ensemble de l’humanité. C’est la position de l’athéisme qu’il soit matérialiste ou pas comme le marxisme d’un côté et le freudisme et ses dérivés de l’autre, par exemple.

Ou bien on confond l’accès à la transcendance avec les exploits des héros qu’incarnent les chevaliers du Graal, etc.

On en arrive au mythe du surhomme pour finir maintenant avec les héros de bandes dessinées en passant par les prouesses des samouraïs, d’Hercule à James Bond. Il y a là une constante de la nature humaine qui réside dans la recherche d’une transcendance supposée grâce à l’effort, pour obtenir à travers l’âme et le corps, le moyen de surpasser la condition humaine, par l’acquisition de pouvoirs, c’est-à-dire l’actualisation de capacités naturelles restées jusqu’ici à l’état latent parce que n’ayant pas la nécessité d’être employées. La dégradation extrême de ce courant se trouve dans l’obtention de pouvoirs que vendent, en Occident, sans garantie de succès, des escrocs à une spiritualité d’importation. Egalement dans le culte du héros tel que l’avait établi le nazisme.

Ou bien on va s’efforcer de connaître avec les moyens humains du savoir, c’est-à-dire de l’intellect, qui s’accompagnent aussi d’une ascèse dans la plupart des cas — ora et labora — quels sont les secrets et les desseins divins en ce qui concerne l’ordre du monde, son fondement, son passé et son avenir, ou plus simplement de l’humanité, d’un peuple, d’un groupe ou d’un individu.

Cela va de la vision d’un Teilhard de Chardin, qu’un esprit caustique a condensé dans cette expression : « ça monte et ça s’enroule », aux arts divinatoires en passant par le Yi-King, la Kabbale, l’alchimie, la numérologie, la structure absolue d’Abelio pour en arriver à l’abaissement que l’on trouve dans l’astrologie de presse.

Cette recherche repose sur le postulat de l’analogie du microcosme et du macrocosme, sur la similitude voire l’identité qui existe entre ce qui est en haut et ce qui est en bas selon l’hermétisme. Cette tendance à supposer la possibilité de connaître le tout avec les moyens de ce qui est limité, d’une « finitude », peut être désignée par le nom de gnose.

On la trouve non seulement dans les œuvres, en nombre indéfinissable, appelées abusivement traditionnelles, les sciences occultes, l’orientalisme, etc., mais également chez maints scientifiques préoccupés par la connaissance du secret ultime de la matière et qui n’hésitent pas à affirmer péremptoirement que ce qui existe dans leur tête, existe identiquement hors de celle-ci. On assiste en ce temps au phénomène de la science devenue religion avec ses hiérarques, ses dogmes et ses croyances.

Il faut distinguer nettement, bien qu’ils ne puissent être séparés au niveau ultime, ce qu’on peut appeler le message et le support du message. Prenons la transmission de texte par téléscripteur. Un message est frappé sur une machine à écrire qui va perforer une bande de papier à partir de laquelle sur une machine identique d’un correspondant va s’imprimer le texte émis à partir de la première machine.

Jamais on ne parviendra à connaître la teneur du message, l’information transmise, en étudiant son appareil de transmission. On pense connaître maintenant le code génétique humain et son unité constitutive : le codon. Mais la connaissance de ce code ne donnera jamais celle du message, de l’information qui feront que telle cellule va devenir l’élément de tel organe et telle autre celui d’un autre organe. On connaîtra le comment pas le pourquoi.

Ce n’est pas en étudiant la nature du papier d’une lettre, celle de l’encre qui y est fixée, de l’enveloppe, du timbre qui y est collé, des tampons d’expédition postale, l’étude graphologique de l’auteur de la lettre, ou celle de la physionomie du facteur qui l’a apportée qu’on connaîtra le message d’amour qui a été transmis, ni l’émotion qu’il a provoquée chez la personne qui l’a reçu. Il y a là en ce qui concerne le message, quelque chose qui n’est ni de la matière, ni de l’énergie. Comme nous l’avons déjà écrit, ce n’est pas en étudiant la composition des larmes de sa femme qu’un chimiste connaîtra ce qui les a provoquées. Ce n’est pas en étudiant la forme des textes qu’on dit sacrés, pour en établir l’origine, l’authenticité, la date, en particulier au moyen de la linguistique, qu’on connaîtra le sens porté par ces textes. La preuve en est qu’il existe des interprétations différentes de ces messages qui varient avec les écoles et les époques. En ces temps où domine une mentalité de boutiquiers, l’importance ne tient pas à l’émotion esthétique que peut provoquer la vue d’un objet, elle réside dans la valeur marchande de l’objet en fonction de sa rareté, de son ancienneté et surtout de la notoriété de celui à qui la création ou la possession a été attribuée.

Croyance, agnosticisme, athéisme, surhumanité et gnose ne sont que des attitudes humaines en face de l’inconnu. Elles ne font pas s’évanouir le pouvoir magique d’enchantement qui nous maintient dans un univers de séparations, de divisions en soi et hors de soi avec la nostalgie d’une réintégration dans un monde imaginé comme étant celui d’une paix, d’une béatitude sans fin, d’après ce qu’on a entendu dire, en un mot d’un paradis qu’on pourrait vivre en ce monde dès maintenant. Seul, dans les rengaines amour rime avec toujours. S’il y a réintégration unitive possible, il ne peut y avoir ensuite qu’unité et plus de petit personnage isolé pour se réjouir, se délecter et venir ensuite le raconter aux autres au moyen de son appareil cérébral. Celui-ci ne sait que séparer, isoler, trier et mettre en boîtes portant des étiquettes où sont marqués des noms de concepts : être, non-être, l’être-là, étant, en soi, pour soi etc. Ceci permettra ensuite de construire des théories aux combinaisons multiples, comme on construit des maisons avec des briques : à cette différence près qu’on peut juger de la valeur de la construction d’une maison tandis que le jugement porté sur les constructions de l’esprit étant établi par l’esprit lui-même, ne signifie rien ni quant à la valeur de ce qui est jugé, ni quant à celle du jugement qui est formulé.

Il est aisé du sommet d’une haute montagne de regarder au loin. Rien ne vient limiter la portée du regard. Par contre dans la vallée la vision se trouve arrêtée par les haies, les arbres, les maisons, les flancs des montagnes, etc.

Devant une feuille blanche, ou un microphone rien ne vient interrompre le cours de l’écrit ou du discours par lesquels tout peut être avancé si cela reste compréhensible. Dans la vie il en va tout autrement. On se heurte à des sens interdits ou obligatoires, à des priorités, des déviations des impasses, des propriétés privées, etc.

Il ne faut pas penser que la réintégration dans l’unité va changer quoi que ce soit pour qui en est l’objet. La sorcière qui devient une princesse belle autant qu’on peut l’imaginer et le crapaud qui se transforme en prince charmant, ne se trouvent que dans les contes de fées. Malheureusement, il existe quantité de gens pour penser que cela peut se réaliser dans la vie ordinaire. Le besoin de merveilleux habite le cœur de l’homme, c’est la raison du succès de tous les faussaires de la politique et de la spiritualité qui promettent le bonheur et la délivrance mais toujours pour demain.

Mais alors pourquoi tant d’efforts, tant d’entreprises avortées pour parvenir à la rencontre avec la source de soi-même s’il n’y a rien à gagner. Gautama, le Bouddha, d’après la tradition, aurait dit qu’il n’avait rien obtenu dans l’illumination insurpassable. Dès lors à quoi bon perdre son temps, si on n’obtient pas quelque chose dont on pourra jouir, comme les houris promises aux croyants dans le paradis d’Allah par exemple. Or c’est bien cela qu’imagine la plupart au sujet de la réalisation spirituelle, à la suite de tout ce qu’ils ont pu en lire ou en entendre dire par des « affabulateurs » totalement ignorants de ce dont il s’agit, leurs écrits et leurs discours en fournissant la preuve. Qu’on songe à tout ce qui a pu être dit au sujet du nirvâna par exemple, généralement traduit par l’anéantissement suprême. Le terme nirvâna veut dire extinction. Mais de quelle extinction s’agit-il ? Celle de l’être vivant qui deviendrait une sorte de zombie, certes pas ! Il s’agit de l’extinction de toutes les images que nous avons fabriquées au sujet de ce qui ne peut avoir d’image, du primat que nous avons donné à l’accessoire, de l’importance démesurée que nous avons accordée en premier lieu à nous-mêmes, à nos chères petites idées et opinions et qui deviennent soudain dérisoires. Toutes ces constructions mentales et affectives touchant le ciel, la transcendance, Dieu etc. se sont éteintes naturellement tout simplement parce qu’elles n’ont plus de raison d’être, apparaissant désormais pour ce qu’elles ont toujours été, à savoir des constructions mentales pour servir de substitut à notre ignorance. On comprend fort bien que Gautama le Bouddha, toujours selon la tradition, ait refusé de répondre à toute question métaphysique, ne voulant pas accroître la masse de l’erreur en parlant de ce qui ne peut être connu que par expérience directe. Evidemment nos doctes occidentaux pour qui rien ne saurait valoir s’il n’est d’abord cautionné par des déclarations dogmatiques reconnues orthodoxes, ont conclu que puisque le bouddhisme ne faisait référence à aucune divinité, il ne pouvait être qu’athée alors qu’il apparaît, du moins à l’origine, tout simplement comme dépourvu de bavardage sur Dieu, à la différence des traditions occidentales.

Par voie d’extinction naturelle aussi s’évanouissent comme brume au soleil, les sûretés et les garanties dont on s’était entouré pour se prémunir, se rassurer, se mettre à l’abri d’on ne sait quoi, et cela parce que c’en est fini de l’identification limitative avec l’individu qui jusqu’alors s’était considéré comme isolé, séparé des autres, du monde et d’une entité surnaturelle. A la place existe désormais une totalité indivisible.

La question qui se pose est de savoir si ce que nous sommes en tant que support peut avoir connaissance de ce dont il est l’instrument d’accomplissement. Voilà le véritable problème.

En ce qui concerne le support, c’est-à-dire l’être humain représenté par les assyriens sous les traits d’un taureau ailé à tête humaine, la composante pulsionnelle qui pousse l’individu à se nourrir, à attaquer ou à fuir s’il se croit menacé, à se reproduire, et à dominer, cette composante animale n’a pas changé depuis les origines, non plus que les dressages socio-éducatifs pour permettre, par la soumission l’autorité, une vie en commun.

Si les pires tendances de l’homme ne se manifestent pas en permanence, cela ne veut pas dire qu’elles ont disparu. Que les circonstances le permettent et elles réapparaîtront au grand jour avec la même volonté perverse de nuire et de détruire. Seules changent les étiquettes au nom desquelles s’exercent les atrocités et les exterminations.

Si l’intelligence n’a pas changé depuis les Grecs, par contre le développement de l’outil mathématique et de la technique ont radicalement modifié les conditions de vie et les mentalités dans les pays industrialisés. Cela a contribué à faire douter des institutions qui, jusqu’alors, avaient présenté les maux frappant les êtres humains comme de justes punitions divines en raison des fautes commises par ceux qui en étaient les victimes directes ou par leurs ancêtres et cela à partir du moment où les progrès de la médecine ont fait par exemple quasiment disparaître les grandes épidémies de la planète.

Les croyances ont régressé au fur et à mesure que les preuves apportées par les connaissances scientifiques les ont fait apparaître erronées suivant un processus qu’un scientifique a appelé la FONCTION DOCTRINALE GALILÉE [1].

Quant à la spiritualité d’expérience par opposition à celle de référence qui ne peut offrir que des tranquillisants spirituels pour attendre un autre monde, voilà longtemps qu’on n’en parle plus dans la tradition chrétienne en dehors peut-être du monde fermé des monastères. C’est un sujet tabou parce qu’hélas il y a fort peu de séculiers qui savent de quoi il s’agit. Il y a toujours eu de la part des clercs de l’appareil ecclésial une sorte de condescendance pour ne pas dire plus vis-à-vis des laïcs et qui remonte au Moyen-Age sans doute lorsque le clerc savait lire et écrire en face d’une masse inculte à qui l’on demandait seulement de croire et de faire simplement ce que le clergé lui disait. C’était bien suffisant pour elle. Voilà sans doute pourquoi la spiritualité d’expérience a vécu en marge, d’une manière plus ou moins cachée en milieu laïc, surtout au moment de l’Inquisition. Mais ceci n’est pas notre problème.

Comment connaître ce qui, comme le message de l’exemple analogique précédent, n’est ni matière, ni énergie ? Tant qu’on reste dans le domaine intellectuel ou affectif, on ne peut procéder que par distinction donc par séparation. Le monde de l’intellect humain par sa nature ne peut être que dualiste. Lorsqu’on se trouve placé dans la dimension essentielle il est impossible d’en rendre compte au moyen de l’intellect et du langage. Telle est la situation paradoxale dans laquelle on se trouve. D’un côté rien ne peut vous aider et de l’autre rien ne peut être dit. Pourtant il n’existe qu’une seule réalité inséparable. Comme pour une pièce de monnaie on ne peut demander à quelqu’un de vous donner seulement soit le côté pile, soit le côté face à l’exclusion du reste. On ne peut donner que la pièce entière, comme il demeure impossible de voir en même temps les deux faces de la pièce. On voit soit l’une, soit l’autre, pas les deux ensembles. Que l’on prenne ce qu’ont pu dire au cours d’entretiens des spirituels d’expérience pour voir l’extrême difficulté dans laquelle ils se sont trouvés pour essayer de définir, dans un but didactique, l’indéfinissable. Ils disent : c’est un état qui n’est pas un état, une conscience qui n’est pas la conscience ordinaire de quelque chose. Cette conscience qui est appelée souvent suprême, serait sans objet, mais elle se connaîtrait elle-même, par elle-même, pour elle-même. Tout ceci ne fera jamais connaître ce dont il s’agit, pas plus que la philosophie de Heidegger ne fera connaître l’Etre. Autant essayer d’expliquer à une vierge, seulement avec des mots, ce que sont les transports de l’amour. Ce ne sera que par l’expérience directe qu’elle connaîtra ce dont on lui parle.

La seule attitude possible, en ces temps de confusion et de récupération, consiste dans une totale négation de tout ce qui peut être dit, « ça n’est pas », mais également dans une totale affirmation, quant à la réalité de ce qui demeure inexprimable au moyen du langage mais accessible à l’être humain selon un mode d’expérience direct, qui n’est ni du domaine intellectuel, ni du domaine physique, ni du domaine affectif, mais qui les contient tous sans distinction possible et par là, les dépasse.

A chacun de s’empoigner, quand le moment venu, naît la certitude que plus rien désormais ni en soi, ni hors de soi, ne peut constituer une aide pour sonder sans cesse, ce qui semble insondable, jusqu’à ce que soudain on se trouve installé là où il n’y a plus rien à chercher.

Ce qui vient d’être écrit ne saurait prétendre exprimer une vérité et encore moins la Vérité. Il s’agit d’indiquer l’existence d’une expérience effective à la suite de laquelle tout ce qui pouvait agiter l’esprit et inquiéter l’âme a disparu pour faire place à l’intégration de qui en est l’objet dans une autre dimension à partir de laquelle naît une tout autre perspective et vision de soi, des autres et du monde où plus aucune séparation n’est possible, ni être, ni non-être, ni dualité, ni non-dualité. Tout ceci reste du domaine du langage et des mots à partir desquels ceux qui appartiennent au seul monde intellectuel se croient compétents en tout et en imposent à moins habiles qu’eux. On ne dira jamais assez le mal que les professionnels du verbe ont fait en Occident, dans le domaine spirituel visant avant tout à accaparer le plus grand nombre, après s’être approprié Dieu [2] exclusivement, du moins se l’imaginent-ils.

Il ne saurait être question non plus de vanter ici une perspective à l’exclusion de toutes les autres comme le font la plupart des promoteurs spirituels dont le produit lave l’âme plus blanc que tous les autres, assurent-ils. Ce serait criminel, quand on n’a rien à offrir de ce qui peut être prédit à coup sûr — parce que parfaitement maîtrisé, et par là prouvé de longue date — d’ôter quoi que ce soit, de ce qui, pour certains, constitue leur raison de vivre et leur apporte réconfort et consolation.

Il s’agit seulement d’une perspective dont il convient d’indiquer l’existence et cela peut-être parce que les temps sont venus pour que ce soit fait après qu’elle ait été mise sous le boisseau par tous les systèmes d’embrigadement politiques, religieux et autres, en raison de l’entière liberté et de l’indépendance qu’elle donne une fois réalisée concrètement ; ce qu’aucun système du royaume de César ne saurait reconnaître officiellement. La vrai liberté intérieure se suffit à elle-même, sans inféodation possible à qui ou quoi que ce soit et en premier lieu à soi-même. Ceci n’a rien à voir avec une attitude anarchiste ou nihiliste mais résulte, dans ses conséquences, d’une transformation intérieure qui ne s’affiche en aucune manière extérieurement.

Et puis, en dehors de ce que l’homme maîtrise, dans la nature y a-t-il autre chose que des perspectives, des points de vue. Une perspective change-t-elle de nature parce qu’elle se trouve partagée par des millions et des millions de personnes ?

Ici, il appartient à chacun de se prendre en charge à partir d’un certain stade au-delà duquel rien ne peut plus servir d’aide, surtout pas les mots.

Dans le parc tombent les feuilles

Sur la feuille tombent les mots

Morts.


[1] 1. La génération G affirme N propositions vraies et indiscutables.

2. A la génération G + a, un événement X rend insoutenable une proposition i parmi les N propositions affirmées par la génération G.

3. La génération G + a + b décide alors d’abandonner la proposition i.

4. La génération G + a + b affirme alors N-1 propositions vraies et indiscutables, dont l’une d’entre elles énonce : « nos pères de la génération G étaient dans l’erreur, mais nous ne le sommes plus maintenant ».

Remarque :

Faire Ga = G + a + b et retourner à la case départ. Cela dure jusqu’au moment où N = O.

On change alors de système et on affirme P propositions nouvelles vraies et indiscutables et tout recommence pour quelques siècles ou quelques millénaires.

[2] Durant la dernière guerre la devise de l’Armée allemande était « Dieu avec nous », et celle de la 2e  Division d’infanterie marocaine : « Tous ensemble avec Dieu ». Cela ne les empêcha pas de se combattre durement.