(Revue 3e Millénaire ancienne série. No 10. 1983)
Apprendre, c’est bien. Retenir, c’est encore mieux. Existe-t-il un moyen de développer sa mémoire, de se fourrer dans la tête des faits, des noms, des dates ? Oui, une méthode existe. Elle n’est pas utilisée à l’école, là où elle serait la plus utile. M. H. Gobert l’enseigne, lors de stages spéciaux, depuis une trentaine d’années. Lisez, essayez, persévérez, vous serez stupéfait du résultat et, dès que vous posséderez bien le système, vous aurez sans mal acquis une mémoire d’éléphant !
DANS la vie quotidienne, dans la vie professionnelle et sur le plan intellectuel pur, la Mémoire, sous toutes ses formes, n’est pas simplement souhaitable, elle est absolument indispensable et l’élément premier de toute réussite. Dès le plus jeune âge, l’individu doit, sous peine d’exclusion de la vie sociale, s’adapter aux coutumes de son milieu, les faire siennes, les assimiler, réagir suivant un véritable code qui le classe comme être social, membre d’une société déterminée. Nous verrons que sans Mémoire il n’est pas d’habitude, ou, si l’on préfère, que l’habitude n’est qu’une sorte de Mémoire.
Au stade le plus évolué d’élève et d’étudiant, la Mémoire est reine, elle est la clé des premières places, la clé des examens, portes étroites des brillantes situations. Cette mémoire d’études c’est, à la fois, la mémoire du « Par cœur » et la Mémoire associative des Idées particulières et générales qui se groupent, s’allient, se complètent et se fertilisent pour former l’esprit bien garni de l’individu « Instruit ».
Le Chercheur intellectuel ne peut pas se concevoir sans Mémoire et le professeur, plus que tout autre, en a besoin pour pouvoir posséder clairement et sans défaillances un sujet qu’il désire exposer sans lacunes et dans l’ordre qu’il s’est fixé.
Cicéron ne concevait pas un avocat ou un orateur sans Mnémotechnie, c’est-à-dire sans une Technique de la Mémoire. Un médecin doit se souvenir parfaitement des symptômes caractérisant les maladies pour pouvoir établir son diagnostic. Il lui faut retenir les noms et l’action de milliers de médicaments, qui deviennent plus nombreux chaque année. Dans le monde des affaires, chacun sait à quel point une bonne Mémoire est un atout majeur : Retenir les noms des clients avec leurs particularités, les circonstances principales des relations, retenir aisément ses rendez-vous, numéros téléphoniques, prix et tarifs, etc. N’est-ce pas là l’idéal poursuivi et rarement atteint par une élite de commerçants et d’industriels ?
Bref, à tout moment de l’existence, de la naissance à la mort, la Mémoire est présente et conditionne la Vie Intellectuelle de l’enfant, de l’élève, de l’apprenti, de l’employé comme du patron, du manuel comme de l’intellectuel.
En effet : Rêver, c’est se trouver emporté dans un courant de souvenirs désordonnés.
Penser, c’est associer des souvenirs en les comparant, les combinant, les faisant agir dans un but défini.
Ne pas avoir de Mémoire, c’est la mort intellectuelle totale, c’est l’amnésie qui vous fait oublier jusqu’à votre propre personnalité.
Il est à remarquer que si, durant le dernier demi-siècle, ont été travaillées l’étude du mouvement, l’amélioration des conditions physiques du Travail, les méthodes d’administration des affaires, par contre, les possibilités d’enregistrement, d’acquisition du cerveau humain sont restées sensiblement égales à elles-mêmes. Les esprits encyclopédiques sont même plutôt en régression, cédant la place à la spécialisation.
Il y a pourtant vingt-six siècles que la Mnémotechnie est née : Simonide, Pythagore, Metrodore, Platon, Quintilien, Pline l’Ancien en ont fait usage, mais quel meilleur guide choisir que Cicéron ? Dans le De Oratore il expose quelques principes de topologie qui lui ont servi à faire de ses discours des modèles de précision et d’éloquence.
Qu’est-ce que la Mémoire ?
Qu’est-ce que la Mnémotechnie ?
Il n’existe pas, à notre connaissance, de définition satisfaisante de la Mémoire. Lorsque le Larousse indique : « Faculté de conserver les idées antérieurement acquises » ou bien « Faculté de conserver et d’éprouver à nouveau des états de conscience passés en les reconnaissant comme passés », il est bien évident que l’on se trouve vraiment à l’étroit pour expliquer les phénomènes extrêmement complexes qui font, à tel signal, réapparaître tel souvenir plutôt que tel autre, tandis qu’une réaction émotionnelle, par exemple, arrête tout retour du même souvenir malgré le même signal initial.
Les psychologues éprouvent, au sujet de cette définition de la mémoire, maintes difficultés : Pradines (Traité de Psychologie générale, 1943-46, P.U.F.) écrit : « Nulle fonction mentale n’est plus complexe, nulle ne nous présente autant de formes d’un développement aussi long et aussi varié… »
Ellenberger (Le Mystère de la Mémoire, 1947, Mont-Blanc, Genève.) : « L’une des difficultés de l’étude de la Mémoire, et non des moindres, est dans la limitation du sujet. »
Dès le début d’une classification des faits de Mémoire, deux groupes s’affrontent cherchant, l’un (Ribot – Van Biervliet – Pieron – Dumas…) à inclure l’habitude, l’autre (Guillaume – J.-C. Filloux – Delacroix…) à l’éliminer. Par contre ils admettent une collaboration de ces faits sous forme de « Mémoire-Habitude », notamment le « Par Cœur » qui fait appel au mécanique et au représentatif.
Doit-on uniquement accepter comme Mémoire ce qui provient des avoirs intellectuels, de forme conceptuelle et rationnelle ? Tout en parlant d’images et d’imagination, doit-on abandonner les distinctions entre mémoire visuelle, auditive, olfactive, etc. ?
Nous ne voulons pas, ici, refaire ni même résumer les remarquables ouvrages que les cinquante dernières années ont vu paraître sur la Mémoire. Disons tout simplement avec J.-C. Filloux (La Mémoire, 1952, P.U.F.) : « On dit qu’un individu a bonne Mémoire lorsque les souvenirs dont il a besoin apparaissent à point nommé avec une grande précision. »
Donc, sur le plan PRATIQUE, une seule chose compte : FIXER LES SOUVENIRS AVEC UNE PRECISION TELLE QUE LEUR RAPPEL SOIT INSTANTANE DÈS QUE LE BESOIN S’EN FAIT SENTIR.
La Mnémotchnie est l’art de cultiver la Mémoire. Or cette culture est restée pratiquement nulle jusqu’à ce jour.
Une TECHNIQUE DE LA MEMOIRE apparaît donc comme indispensable, car l’organisation que l’on souhaite dans toutes les branches de l’activité humaine doit obligatoirement avoir son correspondant dans la fixation des souvenirs et, par conséquent, dans l’utilisation rationnelle de la Mémoire, source de la Pensée.
Les moyens mnémotechniques courants
De tout temps, on a cherché à faciliter le retour du souvenir par des moyens artificiels et nous verrons plus loin que la Psychologie, par son étude des tendances de l’esprit humain, nous ouvre plus largement le chemin d’une technique raisonnée de la Mémoire.
Tout le monde a remarqué combien il est plus facile de retenir des vers que de la prose, donc combien le rythme a d’influence sur la rétention. Écoutez un enfant réciter sa table de multiplication ; non seulement vous entendez la régularité du rythme qu’il imprime à son débit, mais vous remarquez qu’il y ajoute encore une variante sonore musicale qui en fait une mélopée obsédante, digne des danses sacrées d’Afrique noire. On danserait une table de multiplication comme on danse un tango ou une valse, mais avec le caractère primitif d’un tam-tam.
L’enfant comprend tellement bien l’utilité du rythme qu’il cherche à l’introduire dans la récitation de ses leçons en prose et il psalmodie des suites de mots qui ne sont souvent pour lui que des sons dont il n’a pas cherché toujours à pénétrer la signification. Il répéterait de la même manière une chansonnette sans paroles apprise à la récréation.
La Rime vient encore ajouter un élément de facilité : sons semblables qui se répètent, appellent et rappellent les mots qui les unissent.
C’est pour qu’ils s’impriment plus nettement dans l’esprit des fidèles que les dix commandements sont en vers. En vers les Proverbes, résumés de la sagesse populaire.
On pourrait dire que rythme, rime et musique, qui sont des aides vraiment efficaces pour la Mémoire, sont des procédés à peine conscients. Ils le sont devenus, pourtant, lorsque des professeurs ou, plus souvent, des instituteurs de classes enfantines ont décidé, pour la facilité des élèves, de mettre en vers l’Histoire Mondiale ou les Départements français.
L’anatomie fut versifiée en 1664 par Cl. Binet, en 1685 par Abeille, en 1846 par Artance.
Il est une autre Méthode, que l’on pourrait appeler Méthode de contraction, nécessitant un travail de préparation plus important. C’est, pour l’étudiant en médecine, par exemple, la phrase dont les lettres initiales de chaque mot correspondent aux lettres initiales des douze paires de nerfs crâniens : Olfactif, Optique, Moteur oculaire commun, Pathétique, etc., et cela se traduit par : « Oh Oui Mon Paletot, Tu M’as Fait Assez Grelotter Pendant Six Grands Hivers. » Ou bien par cette autre phrase rappelant les mêmes nerfs crâniens : « Oh Oscar, Ma Petite Théière M’a Fait A Grand-Peine Six Grogs. »
Autre Méthode avec travail préparatoire, celle qui consiste à former une suite de syllabes incohérentes mais scandées donnant un ensemble de mots ou d’idées sous un volume plus réduit. Par exemple : « Betaugé, Canlivi, Bascorsa, Caverpois » résume et contracte dans leur ordre les douze signes du Zodiaque : Bélier, Taureau, Gémeaux, Cancer, Lion, Vierge, Balance, Scorpion, Sagittaire, Capricorne, Verseau, Poissons. C’est le gain de temps que l’on peut obtenir avec tout résumé, mais il est toujours indispensable, pour retenir cette suite de syllabes sans signification apparente, de la ressasser un grand nombre de fois pour arriver à la posséder d’une manière suffisante.
Mais si nous demandons à l’étudiant en médecine qui a retenu convenablement les nerfs crâniens, grâce à la « Petite Théière » ou au « Vieux Paletot » de nous les répéter dans un ordre différent, il lui faudra, aussi bien que pour les signes du Zodiaque, trois fois plus de temps que dans le sens direct et il lui arrivera certainement d’en répéter ou d’en oublier. Il est en cela comme le docteur Leyden, dont la Mémoire extraordinaire retenait mot à mot toute une séance du Parlement anglais, mais qui se trouvait dans l’obligation de la réciter depuis le début pour en retrouver tel ou tel passage qui lui était demandé.
Il est un procédé beaucoup plus efficace, qui consiste à lier les uns aux autres les mots que l’on désire retenir, en composant une histoire, un petit roman. Supposons que nous désirions retenir dans l’ordre les mots en « OU » dont le pluriel prend un « X ». Soit Bijou, Caillou, Chou, Genou, Hibou, Joujou, Pou. Il n’y en a que 7 et pourtant, la similitude de son trouble rapidement l’enfant qui doit les répéter et, à peu près régulièrement, il en oublie un au cours de sa récitation et, comme il vérifie en comptant sur ses doigts, il a tendance à répéter deux fois l’un d’entre eux pour obtenir les 7 mots que l’on attend de lui.
Si un fil conducteur relie ces mots, l’oubli et la répétition deviennent peu probables. Ainsi, on peut proposer à l’enfant l’histoire suivante : « Maman te donne une jolie bague, c’est un Bijou, sur lequel brille un Caillou vert. C’est très beau et tu le regardes si souvent que tu ne vois pas sur ton chemin une feuille de Chou, tu glisses dessus et tombes sur le Genou. En te relevant, tu vois sur un arbre un Hibou qui te regarde, tu dis alors : Oh ! Maman, cela me ferait un joli Joujou, mais Maman te répond : Tu n’y songes pas, il est laid comme un Pou. »
La succession logique des mots en « OU » dans cette histoire courte, à la portée d’un enfant de 7 ans, permet donc de lui faire retenir avec, au maximum, deux répétitions, cette petite série de mots, sans oubli et sans interversions. Quand l’historiette est courte, comme c’est le cas dans cet exemple, il est même possible d’obtenir une récitation du dernier au premier mot.
Nous voyons donc, en passant en revue les différents moyens couramment employés, que l’on peut parfois soutenir la Mémoire par le rythme, la rime, la Musique, des similitudes de lettres initiales, et, enfin, par un raisonnement permettant une association.
Le dernier des procédés indiqués, dit d’« association en chaîne », est sans contredit le plus efficace des moyens Mnémotechniques courants. Voyons maintenant ceux que vous propose la TECHNIQUE DE LA MÉMOIRE.
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Voici le premier exercice que nous vous proposons de faire :
Demandez à un ami de vous dire 20 mots, aussi divers que possible, que lui-même écrira en les numérotant de 1 à 20. Qu’il vous les dise lentement et que votre attention soit soutenue. Essayez ensuite de les répéter dans l’ordre, ou même de les redire tous comme ils vous viennent à l’esprit. Cette petite expérience vous montrera combien votre mémoire est peu fidèle. Vous pourrez même vous noter facilement sur 20, vous donnant à vous-même une note sur le nombre de mots retenus, une note pour les mots classés exactement, c’est-à-dire une note de rétention et une note d’exactitude.
Vous pouvez, également, faire cet exercice seul en prenant 20 mots au hasard, dans un livre, à des pages différentes, et en faisant une liste de 1 à 20 que vous ne relisez pas.
Étant, ainsi, exactement renseigné sur vos possibilités et même, si vous pouvez faire cet exercice à plusieurs personnes, sur les possibilités de mémoire instantanée de vos proches, vous pourrez juger de l’efficacité de « la Technique de la mémoire » et de l’incroyable rapidité des résultats que l’on obtient en suivant scrupuleusement ses directives.
Les symboles visuels
Examinez attentivement le premier tableau reproduit ci-dessus : vous y voyez 10 figures numérotées de 1 à 10, dont les formes rappellent aisément celles des chiffres auxquels elles correspondent. Ainsi, la Tour Eiffel est un grand 1, le très grand 1 qui domine tout Paris. Si l’on dessine un 2, on peut le compléter facilement pour lui donner la figure d’un cygne. Le serpent représenté en 3 peut évidemment prendre la position du dessin, etc. Nous avons donc, en suivant : 1. Tour Eiffel, 2. Cygne, 3. Serpent, 4. Voilier, 5. Oiseau, 6. Cornemuse, 7. Parapluie, 8. Pelote de laine, 9. Sabre, 10. Bilboquet.
Nous allons, maintenant, faire agir ensemble deux types de mémoire : la mémoire visuelle et la mémoire rationnelle (basée sur un raisonnement logique).
Par expérience, nous savons qu’il est toujours possible d’associer par une courte histoire deux mots ou deux idées. La petite explication simple, retenue par un enfant de 7 ans pour les mots en « OU » est un exemple d’associations successives. On pourrait prendre un autre cas, celui des artistes de music-hall qui font une « chanson-express » sur les rimes variées et plaisantes qui leur sont données par le public. Quelques mots intermédiaires permettent de lier logiquement les idées qui paraissent au premier abord totalement étrangères l’une à l’autre. Prenons des exemples : Nous voulons retenir, grâce à ce tableau, les 10 mots suivants : 1. Cheval, 2. Pain, 3. Albert, 4. Souper, 5. Chapeau, 6. Cheminée, 7. Prairie, 8. Chemin, 9. Poulet, 10. Clocher.
Suivant le principe indiqué plus haut, formons des petits scénarios courts et typiques. J’emploie avec intention le mot scénario, courant dans le vocabulaire du cinéma, car il est essentiel que l’association soit aussi visuelle que possible. Imaginons donc, formons des images aussi précises et même aussi détaillées que nous le pourrons, le détail ne venant pas surcharger, quoi qu’on en pense, mais seulement préciser.
Donc, à la Tour Eiffel, symbole du 1, nous associons le mot Cheval : Un cheval savant, avec son plumet, gravit allègrement, sous l’œil stupéfait de la foule, les escaliers menant à la première plate-forme.
Au Cygne, symbole du 2, associons le mot Pain : Au bord d’un lac tranquille, un enfant blond jette du Pain au Cygne.
Au Serpent, symbole 3, associons le mot Albert en disant : Albert est, un enfant craintif, en promenade, il a toujours peur de rencontrer un Serpent.
Pour associer le symbole du 4, Voilier, avec le mot Souper, il est simple de rappeler la recommandation de la mère de famille : « Partez avec le Voilier, mais soyez de retour à l’heure du Souper.
L’Oiseau, symbole du 5, se trouvera relié au mot Chapeau si l’on évoque les vastes Chapeaux d’époque 1900, couronnés d’oiseaux multicolores.
La Cornemuse, symbole du 6, est facile à voir accrochée à côté de la Cheminée d’une ferme bretonne.
Le Parapluie, symbole du 7, peut très bien être resté dans la Prairie.
La Pelote de laine, symbole du 8, sera très aisément reliée au mot Chemin, si l’on veut compléter le conte de Perrault et voir le Petit Poucet dévidant une pelote de laine pour retrouver son Chemin.
Le symbole du 9, Sabre, doit nous faire souvenir du mot Poulet : le Poulet nous échappe et nous le poursuivons avec un Sabre.
Enfin, le mot Clocher et le symbole du 10, Bilboquet, peuvent se comparer, si l’on revoit par la pensée ces pittoresques clochers bulbeux qui dominent de nombreux villages suisses.
Nous venons de vous donner 10 exemples d’associations possibles entre beaucoup d’autres qui ne dépendent que de votre imagination.
Essayez à nouveau, maintenant que vous avez ces premières notions, de retenir en les associant aux mêmes symboles des chiffres, 10 mots divers pris au hasard dans un livre. Vous remarquez que vous les avez tous retenus, mais, de plus, qu’ils sont retenus dans un ordre parfait qui vous permet de les réciter à votre guise et de n’importe quelle manière.
Principes d’association
Il est bon de savoir quelles sont les lois qui président aux associations, car, les connaissant, on arrivera à des résultats beaucoup plus rapides dans le petit travail de rétention mnémonique.
Lorsque deux mots ou deux idées doivent être mis en contact par un raisonnement, cherchons quelles seront les plus productives des associations :
Similitude = Idées semblables.
Opposition = Idées contraires, opposées.
Contiguïté = Idées proches ou points communs qui les relient.
Si nous essayons de trouver différentes combinaisons pour relier Tour Eiffel et Cheval, par exemple, nous pourrons dire par Similitude : La Tour Eiffel pose sur quatre pieds, le Cheval sur quatre pattes.
Contiguïté : Le Cheval savant monte à la Tour Eiffel, ou bien, le Cheval de fiacre attend près de la Tour Eiffel.
Opposition : Le Cheval est un être animé, la Tour Eiffel est un objet inanimé.
Se souvenir sans association est impossible et les psychologues l’ont bien compris. Citons, entre autres, cette phrase de Pradines dans son Traité de psychologie générale : « Sous toutes les formes où il peut reparaître, le passé est normalement rappelé par une Médiation. Le rapport du passé à son médiateur est ce que nous appelons association d’idées… »
L. Dugas, au début de son remarquable ouvrage La Mémoire et l’Oubli, considère que l’état primaire simplement répété, se reproduisant sans changement aucun, sans altérations ni lacunes, telle serait la mémoire à la fois élémentaire et parfaite, celle que Bergson appelle la mémoire pure. En réalité une telle mémoire est rare, exceptionnelle et j’ose dire, anormale. »
Si Dugas s’était intéressé davantage aux mnémotechnies anciennes, notamment au principe des localisations que nous étudierons plus loin (4e leçon), il aurait constaté qu’il était possible de retrouver presque intact cet état primaire et d’évoquer, grâce au choix judicieux d’un médiateur (ici, par exemple, les symboles des chiffres) des idées simples ou complexes, exactement comme elles ont été énoncées et dans l’ordre rigoureux de leur énonciation.
Le principe à observer est le Classement impeccable des éléments de médiation. Nous verrons qu’il est facile pour un élève de « la Technique de la mémoire » de dire, sans erreur, quelle est sa 473e notion d’histoire ou sa 128e notion de littérature et que l’effort fourni pour retrouver sans erreur ces notions n’est guère plus important que celui demandé à une dactylo pour extraire une fiche déterminée d’un classeur ou d’un volumineux dossier.
Si l’on veut se donner la peine, minime d’ailleurs, de faire des associations entre des mots quelconques et le second tableau de 10 symboles figurés ci-dessus, on se rendra compte qu’il est facile d’exécuter l’exercice proposé comme test de mémoire instantanée. Vous pourrez donc répéter les 20 mots dans l’ordre de leur énonciation et même, sans difficulté supplémentaire, répondre aux questions : quel est le 5e, le 12e, le 14e, le 6e mot, etc. Répéter les mots du 15e au 7e, les pairs, les impairs, etc. Le classement ne permet pas la confusion et l’on ne pourrait, en aucun cas, évoquer la cheminée à la place du poulet, ce qui empêche également toute interversion.
Si l’on compare les deux tableaux de dessins symboles ou Médiateurs, on constate que le premier est entièrement basé sur la forme des chiffres, imitée dans la forme de l’objet, et que le second est basé, par contre, sur la quantité : Un phare (symbole de la solitude), les Deux lorgnettes des jumelles, le trépied stabilisé par ses Trois branches, la Boussole donnant les Quatre points cardinaux, les Cinq doigt de la main, l’Étoile à Six pointes, les Sept vaches grasses (ou maigres) des Écritures, les Huit carreaux d’une fenêtre à l’ancienne, les Neuf planètes principales du système solaire, enfin la Dizaine de chapelet.
Il est donc impossible de confondre les deux tableaux et l’on peut convenir que le 1 du 2e tableau, le Phare, donc, sera le 11, le 2, Jumelles, sera le 12, etc.
ATTENTION :
Il est souhaitable que vous fassiez quelques exercices en utilisant les vingt DESSINS-CHIFFRES, que nous venons de vous donner. Mais si vous prenez des mots quelconques, tels que CHEVAL, PAIN, ALBERT, etc. vous vous apercevrez rapidement que ces mots se mélangent après quelques exercices.
Choisissez donc des mots ayant trait à une même matière, et la confusion n’existera plus.
Voici, par exemple, vingt mots tirés de l’ameublement ; associez-les, comme nous vous l’avons appris, aux images en faisant vous-même des associations très visuelles :
1 TABLE 6 COMMODE 11 COFFRE-FORT 16 COUVERTURE
2 ARMOIRE A 7 CACHE-POT 12 SECRETAIRE 17 PANIER
GLACE 8 LUSTRE 13 BUREAU 18 BIBLIOTHEQUE
3 TAPIS 9 FAUTEUIL 14 GUERIDON 19 SOUCOUPE
4 BANC 10 LIT 15 TABLEAU 20 VERRE
5 PUPITRE
Puis 20 mots tirés de l'habillement :
1 MOUCHOIR 6 JUPE 11 GANT 16 GILET
2 COL 7 MANTEAU 12 EPINGLE 17 IMPERMEABLE
3 MANCHE 8 PANTALON 13 CAPE 18 GAINE
4 PULL-OVER 9 RUBAN 14 CHEMISE 19 BAS
5 CHAPEAU 10 CANNE 15 SOULIER 20 BRACELET
Si vous avez fait, pendant cinq jours, une liste par jour d’une origine chaque fois différente des précédentes, vous constaterez le cinquième jour que si l’on vous demande le n° 3, en pensant au SERPENT, vous retrouverez aisément non seulement ALBERT, qui fait partie des mots quelconques, mais aussi TAPIS, de l’ameublement, MANCHE, de l’habillement, etc.
Ces cinq images vous permettent donc déjà une classification sérieuse de vingt notions « par matière ».
Nous verrons que nous arriverons à 5000 notions classées « par matière » à la fin de notre quatrième leçon.
Nous tenons encore à répéter que toute association de l’idée à retenir avec le symbole dessiné, pour être vraiment valable et rester longtemps dans la mémoire, doit être aussi nette et aussi visuelle que possible, avoir un sens logique et comporter le maximum d’originalité.
BIBLIOGRAPHIE
Bergson : Matière et Mémoire, 1896, PUF.
Ribot : Les Maladies de la mémoire, 1881, PUF.
Dugas : Les Maladies de la mémoire et de l’imagination, 1932, Librairie philosophique.
Dugas : La Mémoire et l’Oubli, 1917, Flammarion.
Halbwachs : Les Cadres sociaux de la mémoire, 1925, PUF.
Ellenberger : Le Mystère de la mémoire, 1947, Mont-Blanc, Genève.
J. Delay : Les Maladies de la mémoire, 1942, PUF.
J. Delay : Les Dissolutions de la mémoire, 1942, PUF.
Paulhan : La Fonction de la mémoire et le Souvenir affectif, 1924, Alcan.
Freud : Psychopathologie de la vie quotidienne, 1953, Payot.
Bernheim : De la suggestion et de ses applications à la thérapeutique, 1886, Doin.
Ciceron : Livre III de La Rhétorique ; ad Herennium.
Quintilien : Institutions oratoires.