(Revue Panharmonie. No 209. Décembre 1986)
Article paru, la première fois, en mars 1964
De leur passage à travers le naturisme sous sa forme objective et corporelle, les amis de Panharmonie gardent le souci de l’harmonisation de toutes nos façons d’être avec les lois éternelles de la vie cosmique, expression éminente de l’Esprit sous ses aspects normateurs.
Dans le domaine religieux ce penchant se traduit par la recherche de la communion avec les essences sacrées des divers plans des mondes successifs sur lesquels il nous est donné de participer à la grande Vie Universelle.
Cette recherche de la communion revêt des formes diverses adaptées aux plans sur lesquels elle se situe. On se souvient du « Banquet » ou « de l’Amour » de Platon et aussi des développements de Plotin sur la hiérarchie des modalités de l’Amour, depuis celles inspirées par les formes matérielles à celles émanant des principes des beautés corporelles, pour aboutir à la ferveur pour la source transcendante de la pure beauté, supérieure à toutes les expressions formelles, kinésiques ou éthiques. Celles-ci sont conditionnées par les diverses modalités des substances à travers lesquelles la pure beauté universelle et infinie se manifeste, tout en restant cependant complètement transcendante à la diversité des formes sous lesquelles les mortels peuvent la percevoir. Le Dr Laforgue a gentiment proposé d’appeler « aimance » cette attraction pour les belles formes humaines. Remarquons en passant que s’il faut louer l’auteur de la « Relativité de la Réalité » d’avoir enjolivé et sublimé ainsi le langage de la libido Freudienne ; en ce qui nous concerne, nous nous sentons tout bonnement appelés dans notre recherche de la « gentillesse » dans les traitements des sujets conventionnellement considérés comme scabreux ; à nous tourner tout simplement vers le langage des anciens Stoïciens qui saluaient dans la Philia, l’Amour universel, le principe neutralisateur et sublimateur du Conflit qu’ils nommaient Polemos, la guerre, autre principe universel de discorde et d’éclatement des formes, correspondant au Shiva de l’Hindouisme destructeur des agrégats dépassés pour permettre leur reconstruction sur des bases meilleures.
Quoiqu’il en soit, nous avons déjà signalé dans « Lueurs psychophysiques sur les religions et l’Esprit », que depuis près de 6000 ans l’Hindouisme enseigne ainsi que le Mazdéisme du reste, que ce ne sont pas deux principes essentiels, Philia et Polémos, mais bien trois, Brahma, Vichnou et Shiva, dont la coopération assure les manifestations de la vie.
Mais ce qui distingue Panharmonie, c’est que nous refusons de dissocier la pratique de la théorie et que nous résistons à l’attirance des luttes d’idées pour ne demander à celles-ci que des moyens de nous élever au-dessus de ce que nous sommes actuellement pour réaliser peu à peu toute la stature virtuelle, essentielle et parfaite de notre être, immuable parce qu’impersonnel, ce par quoi il échappe au devenir.
L’antiquité a proposé aux hommes les divers degrés de ses ascèses dans les Théologies Mystiques de l’Hellénisme, du Judaïsme, du Christianisme et de l’Islam, rejoignant celles de l’Hindouisme et du Bouddhisme. Leur accord constitue une des grandes preuves de l’existence d’une hiérarchie sacrée de phases ontogénétiques entre le grossier monde sensible et la Source Suprême des diverses manifestations de la Vie dans le monde de la Création. Malheureusement à côté de leurs règles mystiques d’ascèse, les théologies diverses se sont efforcées, chacune à sa manière, d’emprisonner les fluidités des ascensions mystiques dans les carcans des schématisations théologiques de leurs révélations particulières. Or celles-ci, loin d’avoir été inspirées par Dieu comme leurs Théologiens le prétendent, s’avèrent dans la plupart des cas comme forgées tout platement par les humains en fonction de l’avancement de leur connaissance du Réel Cosmique, elle-même largement conditionnée par le degré d’avancement des instruments de recherche à leur portée.
Du XVIe au XIXe siècles la connaissance du monde a plus évolué que pendant les quarante siècles s’étendant de la construction des Pyramides jusqu’à la Renaissance et, depuis Einstein, elle a plus progressé que pendant tout le XIXe siècle. Nous sommes encore loin d’une connaissance intégrale et totale, mais les façons de penser basées sur les anciennes révélations, surtout sur celles fondées sur les descriptions anthropomorphiques et géocentriques du Berrechit de la Genèse, sont actuellement complètement périmées selon le Professeur Dauvillier du Collège de France.
Cependant les humains restent toujours aussi sensibles aux exigences centrales de la conscience, toujours aussi sensibles aux impératifs catégoriques des appels du Beau et du Vrai, les deux autres avenues, selon lesquelles Victor Cousin pensait que la conscience humaine était inspirée et informée de l’existence essentielle de la Hiérarchie Cosmique à travers toutes les formes de la Vie. Comme Socrate, l’homme moderne sait bien qu’il ne sait à peu près rien d’essentiel sur sa propre nature, comme sur celle du monde au sein duquel il vit. Mais à l’encontre du Maître de Platon, il est encore bien peu souvent soutenu dans sa traversée hasardeuse de l’existence, par les conseils et les lumières de ce que Socrate appelait son Daemon, la Parwashi (Ange Gardien) des anciens Mazdéens, qui furent les initiateurs de l’antiquité aux Doctrines Secrètes du Passé.
Alors il nous faut bien avoir recours à des béquilles pour diriger le frêle esquif de notre vie intérieure à travers les ouragans de l’existence et de ses tentations que Jésus semble avoir considérées comme inspirées par Dieu Lui-même « et ne nous induit pas en tentations », « et ne nos inducas in tentationem ». Notons que la nouvelle physique cosmique semble reléguer à des distances infinies la Source Sublime de toute intervention transcendante fondamentalement issue des grands courants de la Vie Créatrice d’Univers.
En tout cas nous pourrions puiser des enseignements et peut-être des réconforts, dans l’observation des étapes multiples de l’Élan Vital à travers les agrégats successifs, depuis ceux des molécules des corps chimiques, à ceux des végétaux, des animaux, puis à ceux de sociétés humaines intégrées, à ceux de nos sphères terrestres (litho-, bio- et noosphère de Teilhard de Chardin), à ceux de notre soleil et, de ceux-ci à l’ensemble des innombrables galaxies de notre Métagalaxie, ad infinitus…
De la méditation sur l’immense processus cosmique se dégagent une foule d’impressions multiples touchant les modalités du devenir universel qui fait penser aux divers temps de la fabrication d’un filet. Sur chacun des maillons de l’immense chaîne de l’infini des possibilités de l’Espace-Temps, les éléments de la corde du filet, après s’être rassemblés pour former un matériau défini, prennent une forme circonscrite pour réaliser la maille à partir de laquelle la trame du devenir pourra constituer une nouvelle maille du filet, nouvel ensemble défini où une conscience collective pourra se former, conscience qui pourra être celle d’un molécule, d’un arbre, d’un peuple, d’une planète, d’un soleil, de la galaxie, de la Métagalaxie, etc.
On pourrait aussi comparer le processus de l’ascension de la conscience à travers celle des agrégations organisées sur les divers étages de la vie, à une succession de sublimations par évaporation de liquides sur des plans de plus en plus subtils. Sur chaque niveau les éléments de conscience élaborés sur des niveaux inférieurs d’organisations collectives, tendent à s’élever au-dessus des consciences particulières des éléments individuels, pour atteindre à une nouvelle conscience globale d’un être plus élevé, à la manière dont on passe d’une foule de petits sentiments égoïstes à un sentiment de solidarité collective relevant de l’altruisme et d’une valeur morale supérieure, elle-même préparant à de nouvelles ascensions. Donc chaque foyer de conscience, en particulier dans les consciences humaines, l’ascension s’opère par une lutte entre les anciens automatismes s’épaississant en égoïsme centripète de plus en plus aveugle, et les nouvelles tendances à l’évolution vers des modes de participation centrifuge à des collectivités de vie de plus en plus claires, légères et universelles.
On pourrait dire que la conscience personnelle, ou sentiment d’être une vie particulière, est comme le résultat d’une sorte de transformation dans la vie courante de la tension superficielle qui pousse des particules d’eau à se grouper en gouttelettes. Sous l’action des efforts de croissance intérieure constituant l’ascèse que les Hindous nomment Tapas, l’ardent effort de purification morale, l’égoïsme de la goutte se dilate peu à peu, jusqu’à entraîner sa vaporisation qui lui permet de transcender ses limites actuelles pour se condenser au-dessus de son plan présent en une nouvelle gouttelette d’une qualité supérieure qui va participer aux consciences élémentaires d’une organisation cosmique plus élevée, parce que plus subtile, ce qui, en lui permettant de passer à travers les limites, lui donne accès à des plans plus vastes.
Étant donné les différences internes d’écoulement du temps depuis l’infinité de l’instant punctiforme et celle de la simultanéité infinie de l’Intemporel, on peut pressentir toute une série de problèmes majeurs sur l’ontogenèse de la conscience, attribut de l’Esprit, problèmes dont le plus troublant est peut-être celui-ci : les grandes âmes solaires qui étaient les dieux du Panthéon astronomique des Chaldéens, sont-elles les causes originelles de l’illusoire évolution universelle ou, au contraire, ne sont-elles que les effets périodiques de celle-ci, qui durerait de toute éternité, avec phases d’activité et de repos préparant à de nouvelles activations ?
En tout cas, pour rester sur le terrain de la pratique qui est le nôtre, nous voulons être fidèles à notre principe panharmonien, cousin du Bouddhisme, à savoir que l’expérience ayant prouvé que chaque homme est capable de développer tout un ensemble de facultés trop souvent laissées en friche dans le tréfonds des consciences : au lieu de nous livrer à des stériles discussions sur les problèmes hors de notre portée, déployons tous nos efforts pour pousser toujours plus haut les antennes de notre conscience, tout en observant le maximum de vigilance pour ne pas commettre d’erreurs de comportement qui risqueraient de nous emprisonner dans de nouveaux liens karmiques, reportant aux calandes grecques le moment où il nous serait possible de déployer les ailes de nos âmes, enfin formées, pour nous élever à de nouveaux univers de conscience.
A ce sujet rappelons que toute nouvelle organisation mentale, toute nouvelle synthèse d’idées du haut de laquelle il nous sera possible de porter plus loin notre regard, n’a pas plus tôt terminé son organisation, que celle-ci commence à se figer en habitude mentale qui se transformera très vite en barreaux de nouvelles cages pour l’Esprit en exil dans le monde de la diversité. Après avoir créé de nouvelles synthèses d’intelligence il faut aussitôt s’en servir pour les dépasser. Comme le voulait la maxime du Dr Gustave Le Bon, « l’Éducation est le passage du conscient dans l’inconscient », il nous faut dépasser nos idées nouvelles chèrement acquises et, en les reléguant dans le subconscient, les piétiner, afin de pouvoir en les surmontant, élever notre regard plus haut et plus loin.
En conclusion, toutes les idées, toutes les théories sont utiles au moment où elles sont nouvelles et elles le sont pour tous les êtres qui n’y étaient pas encore arrivés. Mais elles deviennent dangereuses et néfastes Lorsqu’en s’y cramponnant on s’interdit de pousser plus avant dans la marche à la lumière. Ceci s’applique en particulier aux idées religieuses et aux visions de l’Univers qu’elles nous proposent.
L’Hindouisme est à cet égard une prodigieuse école de tolérance. C’est en effet un ensemble consistant en la superposition de trois grands niveaux d’expressions religieuses. D’abord pour les simples le culte des Forces de la nature personnifiées, tel le Védisme primitif. Puis, pour les âmes moyennes les dieux personnels anthropomorphes du Panthéon hindou. Enfin au sommet, le culte de l’Absolu Transcendant pour les métaphysiciens et les penseurs. Dans ce prodigieux ensemble de spiritualité vivante, chacun peut trouver des formes religieuses à sa taille. Il s’en suit que la religion reste pour tous les Hindous chose purement personnelle assortie aux besoins et aux possibilités de chacun. Le sage ne songe pas plus à dédaigner l’humble croyant que celui-ci à le jalouser. Quelle leçon pour nos religions occidentales avec leurs sectes qui méritent réellement leur nom puisqu’elles impliquent une coupure à l’égard des autres formes religieuses, tandis qu’en Inde celles-ci sont considérées avec, au contraire, une bienveillante sympathie et non avec aversion. On sent trop bien que ce n’est pas la forme donnée à Dieu qui importe, mais la ferveur avec laquelle on lutte contre sa nature inférieure. Ce qui importe, ce n’est pas ce à quoi on croit, mais bien la manière dont on vit.
Cette bienveillance est égale à l’égard des formes d’adoration et de sanctification qui toutes sont susceptibles d’offrir à certaines familles d’âme des voies d’accès au culte du Sacré. Cette respectueuse bienveillance doit du reste s’étendre aux anciennes formes religieuses. C’est le cas en Inde où subsistent une quantité de vieux cultes primitifs. Étant donné que psychologiquement certains de nos contemporains appartiennent à des âges psychologiques révolus au point qu’on rencontre souvent des individus qui sortent à peine de l’âge des cavernes ; il est des religions antiques capables de satisfaire aux besoins spirituels de certains de nos concitoyens. Et ceci d’autant plus qu’au point de vue de l’incidence karmique sur les incarnations, il est bien possible que ce besoin spirituel, dirigé vers des formes antiques, corresponde soit à des souvenirs personnels d’incarnations dans le monde grec, persan ou égyptien, soit, dans l’hypothèse bouddhiste, à l’agrégation de dynamismes sentimentaux associés à des représentations religieuses formées dans le passé et destinées à de lointains devenirs.