Jean Biès
Questions à Arnaud Desjardins

Il est très vrai que nombreux en Occident sont ceux qui n’envisagent la Voie que comme un effort pour avoir l’Être, tout en sauvegardant leur ego. Le soi, l’âtman, ne se conquiert pas, il se révèle comme leur nature ultime à ceux qui se donnent à lui. Combien sont ceux pour qui le yoga, « science sacrée », est la fin de tous les désirs et de toutes les ambitions, le grand sacrifice, l’œuvre de toute une vie, et qui, au lieu de vouloir avoir un maître, veulent être des disciples ? Combien sont ceux qui, au lieu de lire des livres de spiritualité, aspirent à vivre réellement, à mettre en pratique ce qu’ils lisent et se sentent intimement concernés par « l’ignorance » et « l’illusion » dont leur parlent ces livres ?

(Revue Question De. No 10. Janvier-Février 1976)

On sait l’intérêt qu’ont éveillé dans certains milieux les documentaires, les ouvrages et les conférences que, depuis une quinzaine d’années, Arnaud Desjardins a consacrés aux spiritualités orientales. Ces témoignages, uniques en leur genre, sont le résultat de nombreux voyages et de séjours auprès de maîtres afghans, tibétains, japonais et indiens, relevant de la plus pure orthodoxie traditionnelle.

Partie de la lecture des œuvres de R. Guénon et de J. Herbert, la recherche d’Arnaud Desjardins porte principalement sur la compréhension et une saine vulgarisation du soufisme, de l’advaïta-vêdanta, du tantrâyana et du zen, ainsi que sur la mise en pratique de certaines techniques d’ascèse. Conscient du devenir d’un Occident en péril, soucieux de sauver d’un Orient menacé les trésors spirituels qu’il détient encore, l’auteur des « Chemins de la sagesse » estime, par-delà toute « conversion » à l’hindouisme ou au bouddhisme, tout syncrétisme subjectif et commode, que notre seul soin, désormais, doit être de retourner à la rigueur doctrinale — Arnaud Desjardins n’a jamais oublié dans son approche de l’Orient la « mise au point » précise du cinéaste qu’il a été. Il dirige, dans le centre de la France, un centre de méditation.

Être ou avoir : toute la question

Jean Biès : A la lecture de vos ouvrages, il apparaît que la différence majeure entre l’Orient traditionnel et l’Occident moderne réside dans une distinction de priorités : celle de l’être et celle de l’avoir.

Arnaud Desjardins : La racine de tous nos maux vient de l’étouffement de l’être par l’avoir. La masse des Occidentaux est aujourd’hui plongée dans la servitude de l’avoir ; chacun agit pour avoir toujours plus de savoir, plus d’argent, et même plus de connaissances ésotériques : autant de compensations à nos manques inconscients. Pour l’Occident moderne, il n’est de réalité que dans l’avoir, alors que, pour l’Orient traditionnel, l’existence véritable se situe au-delà du plan sensible et coïncide avec la « Réalité suprême ». La voie de la Connaissance est une voie de l’être ; et l’on est ce que l’on connaît.

J.B. : Mais qu’est-ce qu’être ?

A.D. : C’est être libre de l’avoir sous toutes ses formes, se suffire à soi-même, se montrer détaché, disponible, exempt de peurs et de désirs, sans ego. Toute vie d’être est en cours de chemin une vie de relation avec les autres et l’univers : mais on peut dire qu’aujourd’hui il n’y a pas de « relation » parce qu’il n’y en a pas d’« autre ». Il y a tout au plus « identification », « absorption par l’objet » ; cependant qu’au bout du chemin, dans la non-dualité, il n’y a plus relation mais unité. Une vie d’où se trouvent exclues toutes les possessions matérielles ou intellectuelles inutiles, toutes les émotions, pensées ou sensations qui renforcent le moi. Un ordre juste repose sur la satisfaction consciente des besoins réels, c’est-à-dire sur leur diminution ; une société fausse est fondée sur l’accroissement inconsidéré des besoins suscités grâce à d’incessantes suggestions. Il peut être bon de rappeler que, dans une société traditionnelle, l’homme le plus haut placé n’est pas le riche ou le puissant, mais le sannyâsin, celui qui est le plus.

J.B. : En d’autres termes, plus l’homme possède et moins il est… La véritable raison de « la crise du monde moderne » est bien d’ordre psychologique et spirituel.

A.D. : Les problèmes politiques, économiques, sociaux ne font que masquer la vraie question, laquelle est bien de l’ordre que vous indiquez. Tant que la vision même de l’homme ne changera pas, et celle du sens de sa vie, tout problème résolu engendrera de nouveaux problèmes ; le déséquilibre ne fera qu’augmenter. Le seul remède est dans la redécouverte de la véritable nature de l’homme.

J.B. : Quelle est cette véritable nature ?

A.D. : Tous les enseignements initiatiques la considèrent comme infinie et illimitée, et estiment l’homme comme capable de réaliser ici-bas l’Absolu. La nature de l’homme s’appelle l’Atma ; sa condition présente, limitée et mortelle, identifiée au « nom » et à la « forme », appartient au monde des apparences (maya).

Le salut hors de l’Église

J.B. : Pour redécouvrir et redevenir ce que nous sommes, il existe des clés. Mais celles-ci sont oubliées ou perdues en Occident. Les Églises chrétiennes (à l’exclusion de l’orthodoxie) se sont même mises allégrement en tête de la subversion…

A.D. : Protestantisme puis catholicisme se sont peu à peu solidarisés avec le monde profane. Or, tout l’Évangile est un manuel de vie intérieure, une mise en garde contre l’avoir, un enseignement de l’être. L’Occident dit chrétien moissonne ce qu’il a semé : athéisme, matérialisme, jouissance, esprit de conquête. Au lieu de donner la lumière au monde, l’Église en est venue à la lui demander, en faisant, pour un oui pour un non, appel à des « spécialistes » profanes, à des « conseillers » de toutes sortes. Après s’être longtemps compromise dans des affaires temporelles qui n’ont jamais été de son domaine, elle applaudit aux succès techniques, témoignages de la voie antispirituelle. Les théologiens et les prêtres, même lorsqu’ils parlent encore d’Amour, de Joie, de Dieu, le font sans avoir réalisé ce dont ils parlent, et l’enseignement qu’ils propagent n’a pas été confirmé par leur propre expérience. Du point de vue de la tradition orientale, leur foi, leurs opinions ne sont encore qu’un produit du mental.

J.B. : Et voilà pourquoi une part croissante de la jeunesse se tourne vers des maîtres orientaux, lesquels sont douteux ou insuffisants, à l’exception de quelques grands sommets… Mais ces jeunes Occidentaux ne sont-ils pas animés eux-mêmes du désir d’avoir des expériences et ne peut-on pas dire que même une certaine recherche de l’être peut être conditionnée et détériorée par une certaine mentalité de l’avoir ?

A.D. : Il est très vrai que nombreux en Occident sont ceux qui n’envisagent la Voie que comme un effort pour avoir l’Être, tout en sauvegardant leur ego. Le soi, l’âtman, ne se conquiert pas, il se révèle comme leur nature ultime à ceux qui se donnent à lui. Combien sont ceux pour qui le yoga, « science sacrée », est la fin de tous les désirs et de toutes les ambitions, le grand sacrifice, l’œuvre de toute une vie, et qui, au lieu de vouloir avoir un maître, veulent être des disciples ? Combien sont ceux qui, au lieu de lire des livres de spiritualité, aspirent à vivre réellement, à mettre en pratique ce qu’ils lisent et se sentent intimement concernés par « l’ignorance » et « l’illusion » dont leur parlent ces livres ?

La liberté commence par l’étude de la prison

J.B. : Beaucoup, néanmoins, témoignent d’une belle inquiétude, soupçonnent qu’il y a autre chose et sont finalement en quête d’un but, même s’ils ne savent pas consciemment que ce but n’est autre que la libération… Mais quelles sont les étapes du chemin à suivre ?

A.D.: Si le but est effectivement de perdre complètement la conscience d’être autre que le Divin et de vivre le tat twam asi védantique — « Tu es Cela » —, si tel est bien le sens de toute l’existence humaine, la première étape est, avant de vouloir monter vers le Suprême en se prenant pour un grand yogi, d’avoir le courage de descendre, d’entreprendre d’abord « le récurage de la mare », comme dit Mà Ananda Mayî, d’affronter ses démons intérieurs, de se regarder en face, d’échapper à sa subjectivité. Se délivrer de toutes les dualités, de tous les attachements, de ses peurs et de ses désirs — autant d’illusions suscitées par le mental… J’ai écrit que « le chemin de la liberté commence » par « l’étude de la prison ».

Avant de s’évader de la prison, il faut en étudier le plan dans ses moindres détails : étudier son « sommeil » et son aveuglement ; remettre en question ses opinions, ses valeurs tranquillisantes, ses imaginations ; perdre ses illusions sur soi-même. On peut dire qu’en un certain sens, et durant cette première période, le renforcement de l’ego peut être provisoirement nécessaire. En Occident, la morale bourgeoise, la sclérose cléricale, le rationalisme scientiste ont refoulé, refusé l’énergie qui est en nous. Mais, si de la chenille naît le papillon, ce n’est pas en écrasant l’une que naîtra l’autre. Le Moi a été brimé et méconnu ; ce n’est pas pour autant qu’il s’est transformé en âtman. L’ampleur de l’appel d’en-haut est en relation avec l’unification, l’intégration de tous nos éléments.

Un maître n’est pas un psychothérapeute

J.B. : Est-ce à dire que la sâdhanà est la version hindoue de la psychanalyse ou de la psychologie ?

A.D. Nullement. La sâdhanâ, comme la psychologie, comporte une étude extrêmement poussée du « mental » (manas) en tant qu’ensemble des émotions et des pensées, des peurs et des désirs acceptés ou refoulés, des « latences psychiques » — les vasana et les samskara —, ce que nous appelons l’inconscient. Nous pouvons être reconnaissants aux psychologues occidentaux d’avoir redécouvert une partie de ces domaines. Mais les voies orientales prétendent conduire bien plus loin qu’à une simple « guérison ». L’inconscient connu des enseignements ésotériques est infiniment plus vaste que celui des psychologues modernes. Ces enseignements envisagent les plans de l’inconscient, mais aussi du supra-conscient, tels que les ont révélés le yoga et la méditation à ceux qui les pratiquent depuis des millénaires. Aucun psychologue ou psychanalyste n’envisage la « libération » de son patient sous la forme de la dissolution du mental et de l’ego, et pour cause !… D’autre part, il y a un abîme entre un « maître » et un « psychothérapeute » : le gourou est un avec le disciple ; il ne peut être ici question de « contre-transfert »…

Le mental et le karma

J.B. : Vous avez plusieurs fois déjà fait allusion au mental. Que faut-il en penser ?

A.D. : Comme son étymologie l’indique, le mental nous ment ; il est celui qui crée la division et la contradiction entre les hommes et en chacun d’eux. Il a la propriété de faire de chaque chose autre chose que ce qu’elle est ; il crée des craintes inutiles, accuse les autres de ses propres torts, nous fait devenir autres que ce que nous sommes. C’est encore lui qui donne aux faits une coloration subjective de bien ou de mal, de beau ou de laid. L’homme qui commence à s’éveiller constate, au contraire, que tout bonheur comporte une part négative, qu’une souffrance apparente comporte une part d’enseignement. « Satan », le « Mal », le « Malin » sont des synonymes du « mental », que toutes les traditions dénoncent comme le principal obstacle au progrès spirituel. Aujourd’hui, l’hypertrophie de l’intellect européen conscient que ce qui nous flatte ou nous plaît et empêche des aspects fondamentaux de notre inconscient de passer, de se manifester dans leur vérité : répression fondée sur des préjugés, des attachements, des refoulements remontant à la petite enfance. C’est là une attitude intrépide, objective et quasi scientifique, sans laquelle on passera son temps à se leurrer — Ne pas faire retomber la faute sur les autres (ce qui est un comportement infantile). C’est en soi qu’il convient de chercher la cause. Le mental résiste, dresse des écrans ; mais c’est parce qu’il y a ceci ou cela au fond de nous que telle émotion s’est levée, que tel événement s’est fait que nous savons tout ce qui se passe dans le monde entier et que nous ne savons plus rien de ce qui se passe au fond de nous-mêmes ni dans le cœur de notre prochain. Cette hypertrophie du mental n’est plus qu’une compensation inconsciente de l’atrophie de l’être.

J.B. : Il n’y a pas que le mental qui est cause de nos malheurs et de nos échecs ; il y a aussi le karma individuel et collectif ?…

A.D. : Ce que nous sommes aujourd’hui est le résultat de tout ce que nous avons été, avons éprouvé, pensé et fait depuis l’origine, de tout ce dont nous nous sommes nourris : aliments, images, idées, vibrations, impressions, événements… Tous ces apports constituent notre être présent et déterminent en même temps ce que nous serons demain. En fonction de ce que nous sommes, nous attirons ce qui nous arrive : par nos désirs conscients ou cachés, par nos craintes… Nous sommes les auteurs de notre destin. Ce monde n’est que la somme des circonstances attirées ou projetées par notre être même… Tout ce qui vient, agréable ou pénible, me correspond. La place que j’ai en ce moment est exactement celle à laquelle j’ai droit en ce moment. Tout ce qui nous arrive est la résultante des forces divergentes ou contraires, des vibrations qui nous animent. Et ce qui ne s’est pas produit avait des raisons de ne pas se produire.

De la pratique à la libération

J.B. : Quels conseils pratiques d’ordre général pourriez-vous donner à ceux qui aspirent à s’engager dans une voie ?…

A.D. : Savoir que l’autre est différent et l’accepter tel qu’il est, non tel qu’on voudrait ou qu’on a besoin qu’il soit. Lui accorder la permission, le droit d’être lui-même, autre que ma projection : avec ses grandeurs et ses faiblesses, ses manies, ses besoins, ses opinions à lui; et ne pas le juger. Nous ne voyons généralement les autres qu’à travers nos fixations inconscientes et nos préjugés. Or, seul celui qui est libre du désir et de l’attente a la disponibilité et le temps nécessaires pour s’intéresser aux autres et les voir comme ils sont. — S’habituer à son vrai visage, en détruisant cette répression qui ne laisse passer dans le champ du conscient que ce qui nous flatte ou nous plaît et empêche des aspects fondamentaux de notre inconscient de passer, de se manifester dans leur vérité : répression fondée sur des préjugés, des attachements, des refoulements remontant à la petite enfance. C’est là une attitude intrépide, objective et quasi scientifique, sans laquelle on passera son temps à se leurrer — Ne pas faire retomber la faute sur les autres (ce qui est un comportement infantile). C’est en soi qu’il convient de chercher la cause. Le mental résiste, dresse des écrans ; mais c’est parce qu’il y a ceci ou cela au fond de nous que telle émotion s’est levée, que tel événement s’est déclenché. Être présent à soi-même, attentif, conscient. La « vigilance » est ce qui nous permet de sortir du sommeil en ritualisant toute notre vie. Cela suppose que nous commencions par être tout entiers dans nos moindres gestes : manger, marcher, respirer, ouvrir une porte consciemment ; vivre consciemment ses émotions. — Vivre ici et maintenant : se libérer du passé (lequel remonte bien au-delà de cette existence), c’est aussi se libérer du futur et donc être libre du temps, libre de la cause et de l’effet, libre de la multiplicité. — Dire oui à tout ce qui se présente : tout ce qui nous arrive nous ressemble. Dire pleinement oui à l’émotion, c’est devenir cette émotion ; c’est du même coup la faire disparaître, c’est supprimer le conflit, la dualité. OUI est le vrai sens de l’OM, forme sanskrite de l’AMIN… On est libre de ce à quoi l’on dit oui, et l’on est prisonnier de ce à quoi l’on dit NON.

J.B. : N’est-ce pas se résigner devant le sort, s’avouer perpétuellement vaincu ?

A.D. : Accepter n’est pas se résigner. Il faut tout faire pour éviter d’être malade ou malheureux ; mais quand le fait inévitable est là, évident, indéniable, il n’y a plus qu’à dire « It is » et adhérer à ce qui est, avec un tranquille détachement — qui n’est pas de l’indifférence, laquelle est toujours une émotion négative, une tension du moi… Aucun détail de notre comportement n’est insignifiant : toute action, toute pensée, si minime soit-elle, a une répercussion aux plans subtil et spirituel. On ne peut prétendre être un sage avant d’être passé par ce travail de préparation et de purification intérieures, qui dure normalement des années, voire toute une vie.

J.B. : J’entends d’ici la protestation : « C’est de l’égoïsme ! »

A.D. : Alors que c’en est le contraire… On ne s’occupe ici de son ego que pour supprimer l’égoïsme, dépasser les désirs personnels et mesquins, réduire les écrans pour mieux comprendre les autres, s’affranchir de ses peurs et acquérir ainsi une personnalité ouverte, compréhensive, aimante. D’ordinaire, on veut aider les autres avant de s’être aidé soi-même ; c’est tellement plus agréable et facile de voir ce qui ne va pas chez le voisin !… C’est rester enchaîné à son action, prisonnier de son altruisme. Celui qui a échappé aux dualités, qui n’oppose plus ce qu’il aime et ce qu’il n’aime pas, qui répond à tout événement par l’OM ou l’AMIN de complet assentiment, libre de tout avoir, libéré de toute peur et de tout désir, celui-là a réalisé l’Absolu, est redevenu ce qu’il n’avait jamais cessé d’être, et c’est alors seulement qu’il peut prétendre aider les autres. Le sage est un homme qui a résolu tous ses problèmes personnels, a cessé de se heurter à lui-même et aux autres. Il est un avec tout et avec tous. Parce que son ego n’est plus, il peut aimer l’autre pour l’autre, non pour lui-même. Il comprend le langage de tous et parle le langage de chacun.

J.B. : Tout cela paraît si difficile pour l’homme ordinaire que c’en est désespérant, pour peu qu’il pense au verset de la Gîtà : « Sur mille, un seul Me cherche, et sur mille qui Me cherchent, un seul Me trouve. »

A.D. : Ce qui serait désespérant, c’est si l’homme, ayant réalisé le soi, se trouvait toujours dans le même monde de conflits et de souffrances. Alors, quelle solution lui resterait-il ?… Au contraire, les moyens lui sont donnés de s’en tirer, qui consistent à étudier son ignorance (avîdya) ; une carte de sa prison et des voies possibles d’évasion lui sont offertes : les refusera-t-il ? Pourquoi croire toujours la libération réservée aux autres ? Selon le verset que vous venez de citer, sur six cents millions d’Indiens, six cents individus pourraient légitimement prétendre aujourd’hui à la libération.

J.B.: Ce serait certes une aubaine que de pouvoir compter en France, selon le même calcul, cinquante djivan-mukta ! …

A.D. : Tous ceux qui sont engagés dans une Voie — si celle-ci est bonne — avancent, vite ou lentement, quels que soient des reculs temporaires ou nécessaires. Même s’ils n’atteignent pas le but ultime (sauf peut-être au moment de leur mort), ils n’auront pas perdu leur existence ; ils auront évolué sur l’échelle des niveaux d’être et se seront rapprochés du centre. Mais toute vie qui n’est pas cheminement sur la Voie est une vie gâchée, et c’est autant de perdu pour les existences ultérieures. C’est déjà un commencement inappréciable que d’apprendre à nous voir tels que nous sommes dans nos limites et nos petitesses, d’affronter nos peurs, d’être plus malins que le « Malin », de comprendre nos mécanismes, de savoir faire silence et rester quelques instants, chaque jour, immobiles. Déjà, chaque geste posé, mesuré, chaque son de voix neutre, paisible exprime une première unification. La simple découverte de l’existence des chemins, le besoin d’une extrême rigueur, la rencontre d’un vrai maître constituent déjà des signes que la réalisation nous appelle.

J.B. : Il est devenu facile de découvrir l’existence des spiritualités, et — signe ultime du Kali-yuga — nous assistons à un véritable « dévoilement », à une apocalypsis de l’ésotérisme. Mais, et ce sera ma dernière question, les vrais maîtres sont extrêmement rares même en Orient , ils sont pourtant indispensables… ?

A.D. : Celui pour qui l’enseignement d’un cheikh, d’un rimpoché, d’un gourou, d’un roshi est aussi vital que l’oxygène de l’air trouvera toujours son maître au moment opportun.

J. Biès