W. Labriola
Comment approcher le Bouddhisme ?

Pour les Chrétiens c’est un mot précis, le « je » qui compte ses sacrifices et ses prières, et les offre en échange d’une belle place au ciel. En Extrême-Orient, la religion est moins intéressée. Le moi n’existe pas. Seules existent les apparences du moi. Nous sommes reliés à tout l’univers. Rien n’est continu, tout est transitoire. Nous faisons donc partie d’un tout, lorsque nous le découvrons, nous sommes délivrés de l’illusion et sommes heureux.

(Revue Être Libre. No 231. Avril-Juin 1967)

A propos du livre d’Arnaud Desjardins « Le message des Tibétains ».

C’est tellement simple et personne n’y pense en Occident. Il suffit d’être disponible, de laisser passer le flot trépidant de l’extérieur. Le silence et la Vérité sont au fond de nous. L’état de Bouddha, la perfection de Bouddha est à la portée de tous. Et au-delà de tout effort. En un certain sens il n’y a rien à faire, car tout est là.

La médecine bouddhiste

La médecine est de tout premier ordre. Il faut des diplômes pour la pratiquer. La médecine est un syncrétisme d’acuponcture chinoise, de pratique tibétaine et de spécialité ayurvédique hindoue.

Les soins sont à base d’empirisme et les préparations pharmaceutiques se font à partir de mille espèces botaniques, dont les plantes se découvrent en Inde, au Tibet, dans l’Himalaya et en Chine.

Le diagnostic comprend un examen long et minutieux de l’œil, la prise de la pulsation et l’observation du regard, des gestes, ainsi que des analyses. Le médecin pratique aussi la mensuration pour préciser les symétries et asymétries du corps du patient par rapport à un corps idéal. Il termine par une conversation avec le malade.

Bref, le médecin d’Extrême-Orient soigne bien plus l’être humain dans son ensemble que le désordre organique. Il découvre que les maladies ont souvent une origine psychique.

Qu’est-ce que le Nirvana?

Mes professeurs de religion détestaient ce mot et le définissaient antihumanisme, nihilisme désespéré.

Depuis mon long séjour en Extrême-Orient, j’ai revu mes différents professeurs et je les ai convaincus de l’erreur de leurs définitions.

Comment l’idéal de millions d’hommes depuis vingt-cinq siècles serait-il la recherche du néant ? Le refus de toute espérance.

Le Nirvana au contraire est ce qu’il y a de plus noble dans cette philosophie. Le Nirvana est anéantissement de l’illusion. Cette illusion est la cause de toutes nos souffrances.

J’ai vu le parc des Gazelles à Bénarès où Bouddha a dit « J’ai découvert le chemin qui mène à la paix, à la vraie connaissance, à l’Illumination. Au Nirvana, ce merveilleux Nirvana. » A la suite de cette découverte, il a réuni ses disciples et a prêché sur le « chemin à huit branches », comme le Christ a prêché sur les « huit béatitudes ». Les huit béatitudes comme les huit branches sont les huit vérités pour obtenir l’éveil, c’est-à-dire la vue de la vraie Lumière, par l’extinction des fausses valeurs et des souffrances.

Le Nirvana ou vide, d’après les Chrétiens n’est donc pas un néant mais une plénitude. Le Bouddhisme est la science qui conduit à l’éveil de cette Plénitude.

Qu’est-ce que le moi?

Pour les Chrétiens c’est un mot précis, le « je » qui compte ses sacrifices et ses prières, et les offre en échange d’une belle place au ciel. En Extrême-Orient, la religion est moins intéressée. Le moi n’existe pas. Seules existent les apparences du moi. Nous sommes reliés à tout l’univers. Rien n’est continu, tout est transitoire. Nous faisons donc partie d’un tout, lorsque nous le découvrons, nous sommes délivrés de l’illusion et sommes heureux.

Madame David Neel parle de l’éveil dans ses livres. Et de façon claire. Elle n’est plus prisonnière de son moi égoïste, c’est pour cette raison qu’elle demeure jeune et active malgré ses cent ans.

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Expliquons en deux mots le Tantrisme.

C’est l’enseignement des livres appelés Tantras ou œuvres ésotériques, incompréhensibles pour les non-initiés. De la théologie, de la métaphysique, de la technique de l’ascèse. Il y a aussi les symboles, les divinités. Le but est la maîtrise des lois naturelles.

Une page dit ceci : « Eveillez-vous à la réalité. Vous n’êtes rien, et n’étant rien vous faites partie du tout. » C’est la sagesse.

A bord du paquebot qui me conduisait à Hong-Kong, un voisin m’a confié avec simplicité : « L’Extrême-Orient produit des sages, comme nous en Amérique produisons des savants ».

Eux aussi comme les Chrétiens cherchent le royaume de Dieu et le trouvent.

Un des aspects du Tantrisme est le Yoga.

Il y a deux disciplines différentes dans le Yoga : celui des Indes nous montre des postures lentes, conservées quelquefois une heure, le Yoga tibétain a des mouvements violents.

Exemple : Le Yoga que l’on nous enseigne en Europe est simple; d’abord la relaxation, c’est-à-dire la transformation de son corps en un corps qui a l’aspect d’un mort, complètement détendu. Des postures avec la tête en bas et les pieds en l’air ont pour but l’irrigation des cellules cérébrales. On y reste vingt minutes sans bouger. Le Yoga indien est basé sur la respiration et la relaxation. Le Yoga tibétain enseigne la position debout avec de multiples gestes des bras, ensuite on lève les deux jambes, on les croise dans la posture du Bouddha et l’on tombe brutalement sur le sol dans la position de méditation.

Pour la respiration qui est la base du Yoga de part et d’autre, il y a aussi une différence. En Europe on nous enseigne les trois respirations d’ensemble se terminant par le gonflement de l’abdomen. L’Orient enseigne le pranayama. Dans ce cas, il y a deux respirations : celle de la narine droite, celle de la narine gauche qui sont séparées. Les deux respirations se font selon certains-rythmes.

Les deux formes de Yoga ont le même but : assouplir le corps, libérer de l’inconscient qui mine le corps, et accéder à la liberté de la conscience illuminée.

Pour connaître le Yoga indien, il suffit de lire les livres très nombreux publiés à son sujet. Pour le second Yoga, il faut connaître des spécialistes en la matière qui vivent en Extrême-Orient, car aucun livre n’a paru encore en Europe sur le Yoga tibétain. (La relaxation est à la portée de tous, c’est l’essentiel, car en trois minutes on peut effacer la fatigue de dix heures de travail manuel.)

Parlons méditation.

Les prêtres français m’ont appris à méditer. C’était un effort, une corvée de tous les matins. Je m’y résignais, car c’était d’après eux la meilleure manière de gagner le ciel. Mais en Extrême-Orient, j’ai vu la vraie façon de méditer. Quelle différence. En Europe on lit un passage de la vie du Christ, on vous impose toujours sa passion, ses tortures.

Si d’autres pensées vous viennent à l’esprit vous êtes grondé.

En Inde, au Tibet, il est conseillé d’accepter les distractions, de les laisser entrer et sortir librement, mais il est recommandé d’être bien attentifs aux tentatives de distractions. Il est important de démasquer les énergies qui font apparaître la pensée.

Comment définir la méditation?

C’est la conquête de la peur, la connaissance de soi. On ne gronde donc pas les débutants, on les encourage. Peur de quoi, dit-on ? De la mort, de la misère ?

On apprend à voir la mort avec calme, recul, à se familiariser avec elle. Après tout, la terre n’est peuplée que de futurs cadavres.

Et ainsi tout se fait dans le calme en Extrême-Orient; l’agitation n’est arrivée qu’avec les Occidentaux. Mais ils lui rendront sa paix…

De quoi provenait cette paix?

Peut-être du climat, de l’ambiance, d’un certain fatalisme et aussi du fait qu’il y a deux morts pour eux : la mort du corps, la terreur de l’ego et la mort de l’ego qui est la promesse de la résurrection.

Cherchons la Voie, la Vérité et la Vie, a dit Bouddha, non pas en arrachant chaque feuille de l’arbre du moi, mais en coupant l’arbre de l’ego jusqu’aux racines.

Pour cela il convient de méditer, de bien méditer, c’est-à-dire de voir tout sans juger et sans comparer.

Petit à petit, on atteint le calme, dans ce calme il y a l’éveil et l’amour.

Tous les Sages méditent à chaque instant de la vie quotidienne. Pour eux, il n’y a plus de distinction entre l’action et la méditation.

La notion du bien et du mal.

La religion catholique donne à ses prêtres le pouvoir de décréter ceci est bien, ceci est mal.

L’attitude du bouddhisme est différente. Le maître ne prend pas cette responsabilité de défendre parce que chacun à des motivations mystérieuses, un inconscient peu objectif.

D’ailleurs un acte ou une chose ne sont jamais un bien et un mal. En outre les lois et les devoirs sont différents pour tous.

Exemple : un homme quitte femme et enfants pour aller méditer au cœur de l’Himalaya. C’est un scandale pour l’entourage.

Est-ce mal ? Le prêtre a-t-il le droit de défendre, ou un maître de l’y pousser ?

Qu’est-ce que le Bouddhisme?

Il vient du terme « Bouddha », qui signifie « Eveillé ». C’est la solution de tous les problèmes. Il nous enseigne comment cesser d’être malheureux. C’est donc la science d’un éveil qui rend heureux.

Un Sage a dit que la vie est un mauvais rêve bâti sur l’égoïsme. Le Bouddhisme délivre de ce cauchemar et nous révèle la Vérité. N’oublions pas que c’est une recherche personnelle par l’humilité, l’ascèse et l’action.

Cette philosophie ne demande pas une foi aveugle comme les religions occidentales. Elle fait appel à une prise de conscience qui dépasse toutes les croyances.

Il n’y a qu’un péché dans le Bouddhisme : l’ignorance. On l’évite en découvrant qu’il n’y a pas d’entité, d’ego, d’âme individuelle. Seule existe une réalité indicible qui est au-delà de la Vie et de la Mort.