André Dumas
Ils parlent des langues qu'ils n'ont pas apprises

Il s’agit du parler ou de l’écriture (xérographie), par un médium qui ne l’a pas apprise, d’une langue étrangère existante. Existante, le mot « xénoglossie » est destiné à souligner cette distinction, par opposition à d’autres faits de même apparence qui, avec les précédents jusqu’à Richet, ont été désignés sous le terme général de glossolalie. Celle-ci se présente sous deux formes : d’une part, un jargon incompréhensible et vide de sens, d’autre part, un langage fictif, mais intelligible, possédant une structure grammaticale et un vocabulaire constant : c’est une invention « subliminale », une création d’une zone subconsciente de l’esprit du sujet.

(Revue Psi International. No 4. Mars-Avril 1978)

Les mystères de la xénoglossie

Comment certains hommes peuvent-ils s’exprimer dans des langues qu’ils n’ont jamais apprises ? Fait plus étonnant encore, comment peuvent-ils parler des langues mortes et connues seulement de rares spécialistes ?

Pourtant ce phénomène, appelé xénoglossie, existe, et depuis longtemps. Il se produit actuellement, tous les jours, en France, parmi nous. Chacun peut le constater s’il le désire. Certains cas ont été étudiés. Il n’appartient pas au passé, mais se manifeste encore à nous. Il est in-con-tes-ta-ble et scien-ti-fi-que-ment établi.

 Parmi les faits sollicitant l’attention des chercheurs dans le domaine « PSI », il en est qui ont été classés par le Professeur Charles Richet sous le nom de « xénoglossie ». Il s’agit du parler ou de l’écriture (xérographie), par un médium qui ne l’a pas apprise, d’une langue étrangère existante. Existante, le mot « xénoglossie » est destiné à souligner cette distinction, par opposition à d’autres faits de même apparence qui, avec les précédents jusqu’à Richet, ont été désignés sous le terme général de glossolalie. Celle-ci se présente sous deux formes : d’une part, un jargon incompréhensible et vide de sens, d’autre part, un langage fictif, mais intelligible, possédant une structure grammaticale et un vocabulaire constant : c’est une invention « subliminale », une création d’une zone subconsciente de l’esprit du sujet. Le professeur de psychologie Théodore Flournoy, de l’Université de Genève a fait au début du siècle une étude approfondie du « langage martien » élaboré subconsciemment par Mlle Hélène Smith et a montré sa parfaite conformité avec la structure de la langue française (Des Indes à la planète Mars).

La glossolalie et la xénoglossie ont joué un rôle important dans l’histoire des religions. Le récit des Actes des Apôtres (2, 1-13) relatif aux événements de la Pentecôte décrit manifestement un phénomène de xénoglossie. Par contre, saint Paul déclarait dans son épître aux Corinthiens (I Cor. 14) préférer la prophétie « à ce qui n’est pas intelligible ».

Des phénomènes de xénoglossie se sont également manifestés après la Révocation de l’Édit de Nantes parmi les protestants des Cévennes, du Dauphiné et du Vivarais, au cours de la guerre des Camisards. Des enfants illettrés exhortaient en excellent français leur entourage qui ne s’exprimait qu’en patois ; des paysans incultes parlaient parfois en latin, en grec ou en hébreu.

Dans le « mouvement de Pentecôte », secte protestante née en Californie en 1906 et existant actuellement en Europe, il semble bien que la xénoglossie authentique coexiste quelquefois, avec la glossolalie inintelligible. D’autre part, des ecclésiastiques qualifiés m’ont affirmé que, dans des églises catholiques américaines, des fidèles se mettent soudain à prophétiser dans les langues de pays dans lesquels l’Église est persécutée.

Enfin, pour terminer ce bref aperçu des rapports de la xénoglossie avec l’histoire des religions, rappelons que Thérèse Neumann, la célèbre stigmatisée de Koenersreuth en Bavière, lorsqu’elle revivait la Passion, parlait en araméen, langue morte maintenant, qui était celle de Jésus, fait constaté par tous les orientalistes qui l’ont écoutée.

Le Dr Ian Stevenson, professeur de psychiatrie et Directeur de la Division de Parapsychologie à l’École de Médecine de l’Université de Virginie, a proposé de distinguer la xénoglossie « récitative » et la xénoglossie « responsive ». En fait cette dernière seulement répond à la définition de Richet. Car la « xénoglossie récitative » n’est qu’une modalité de la cryptomnésie. C’est-à-dire une résurgence d’éléments enregistrés dans la mémoire subconsiente.

Ainsi, Coleridge a rapporté le cas d’une jeune femme de 35 ans qui parlait latin, grec et hébreu pendant une crise de délire. Une enquête montra qu’elle avait eu connaissance des mots de cette langue de nombreuses années auparavant. Son père nourricier, un savant pasteur, déclamait en sa présence des passages de ses livres favoris, écrits dans ces langues, et on a pu identifier certaines paroles prononcées par cette femme avec des passages de livres se trouvant dans la bibliothèque du pasteur, alors décédé.

Le Dr Abercrombie a cité le cas d’un homme plongé dans un état de stupeur par suite d’un coup reçu sur la tête, qui se mit à parler le langage du pays de Galles, qu’il avait connu trente ans auparavant, mais totalement oublié depuis. Lorsqu’il fut rétabli, il parla de nouveau en anglais et ne connaissait plus un seul mot de l’idiome gallois.

Ribot, dans son ouvrage sur les Maladies de la Mémoire, mentionne le cas d’un forestier polonais qui, tout enfant, quitta la Pologne pour vivre en Allemagne où il oublia sa langue maternelle. Pendant une anesthésie à laquelle il fut soumis, 40 ans après, il parla en polonais pendant deux heures.

Goethe a mentionné le cas d’un vieillard qui, à l’article de la mort, se mit d’une manière tout à fait inattendue, à réciter des sentences en grec. Cela fut considéré comme une merveille jusqu’à ce qu’on découvrît qu’on avait obligé dans son jeune âge le mourant à apprendre par cœur toute une série de phrases grecques dans l’espoir que l’exemple stimulerait l’effort d’un autre garçon appartenant à une famille aristocratique. Il avait appris ces phrases des classiques grecs d’une manière complètement mécanique et sans les comprendre. Ces matériaux revenaient à la surface cinquante ans plus tard.

Dans les cas de « cryptomnésie récitative », aucun dialogue n’est possible. Au contraire, la xénoglossie responsive est caractérisée par des réponses adéquates aux questions posées, par des allusions à des faits actuels, par des remarques immédiates sur un incident imprévu. Les théoriciens du spiritisme, comme Gabriel Delanne et Ernest Bozzano, la considèrent comme très importante pour la thèse de la survivance humaine après la mort. Mais les cas sont très rares et, comme le souligne le Professeur Ian Stevenson dans son livre Xenoglossy, ils sont plus rarement encore documentés d’une manière satisfaisante.

Le cas de xénoglossie considéré comme le plus frappant par Charles Richet dans son Traité de Métapsychique, et souvent cité dans les ouvrages de recherche psychique depuis le siècle dernier, est celui de Laura Edmunds, la fille du juge Edmunds, qui fut président du Sénat des États-Unis et membre de la Cour de Justice Suprême de New York. Laura Edmunds ne parlait que l’anglais et n’avait appris que quelques mots de français à l’école.

Un soir de 1859, M. Edmunds reçut la visite de M. Evangelides, de nationalité grecque, qu’il ne connaissait pas et qui lui fut présenté le soir même. Le visiteur eut une conversation en grec moderne avec Laura Edmunds, en présence de plusieurs personnes. La fille du juge « incarnait » la personnalité d’un ami intime de M. Evangelides, mort en Grèce, M. Botzaris, frère du chef patriote grec Marcos Botzaris, héros de la guerre d’indépendance hellénique contre les Turcs. Ladite personnalité médiumnique informa M. Evangelides de la mort en Grèce de son propre fils, ce qui fut ultérieurement reconnu exact.

En d’autres circonstances, Laura soutint des conversations en français, grec, latin, italien, portugais, polonais, hongrois et en plusieurs dialectes indiens.

Des cas détaillés ont été rassemblés par Ernest Bozzano dans son ouvrage La médiumnité polyglotte, parmi lesquels ceux dont le violoniste Florizel Von Reuter a donné la relation. Au cours d’expériences avec un appareil à aiguille mobile sur un cadran alphabétique — variante de la planchette dite « oui-ja » — et sa mère servant de médium, les yeux bandés, il reçut des messages en hongrois, russe, polonais, lithuanien , turc, persan et arabe, bien que ni lui ni sa mère ne connussent d’autres langues que l’anglais, l’allemand, le français, l’espagnol et le latin.

Lors d’une séance où se manifestait jusqu’alors en langue allemande un célèbre violoniste hongrois, une phrase en langue inconnue, et dans laquelle se trouvait le mot « magyar », fut soudain dictée sur le cadran. « Écrivez-vous donc en hongrois ? » demanda von Reuter. Il fut répondu affirmativement en allemand, avec un commentaire sur le but démonstratif de cette tentative. Les expérimentateurs firent alors traduire le texte qui disait : « Je me rends compte qu’aucun de vous ne connaît le magyar, mais peu importe, je suis quand même très heureux de me trouver avec vous ».

D’autres expériences du plus grand intérêt sont celles qui ont été effectuées avec le médium anglais Rosemary, par le docteur en musique Frédéric Wood et l’égyptologue Howard Hulme, qui ont exposé le résultat de leurs travaux dans deux importants volumes : After Thirty Centuries (Après 30 siècles) par F. Wood, et Ancient Egypt Speaks (l’Ancienne Égypte parle), par Howard Hulme et F. Wood. Bozzano en a donné un important résumé dans la Médiumnité polyglotte. Rosemary avait d’abord reçu par clairvoyance et écriture automatique des messages et des descriptions relatives au règne du pharaon Amenhotep III, de la 18e  dynastie. Les messages prétendaient émaner de la princesse Telika, épouse du souverain. Les descriptions étaient remarquablement conformes aux documents égyptologiques et telles que l’article publié par le Dr Wood à ce propos attira l’attention de l’égyptologue Howard Hulme, auteur d’un dictionnaire des hiéroglyphes égyptiens les plus antiques. Il demanda si Rosemary avait décrit ou prononcé des mots en langue égyptienne, à quoi le Dr Wood répondit négativement. Mais quelques mois plus tard, en 1931, Rosemary entendit quelques syllabes qu’elle répéta et que le Dr Wood transcrivit phonétiquement. Cette transcription phonétique fut envoyée à l’égyptologue, à 300 km de là : il s’agissait d’une phrase de salut en pur égyptien ancien.

Alors commença une série d’expériences s’étendant sur plusieurs années. A chaque séance, quelques phrases étaient captées auditivement, notées phonétiquement par le Dr Wood et expédiées par la poste à Howard Hulme, pour traduction. L’égyptologue n’a été présent aux séances que trois fois en cinq ans. En son absence, un discours de l’entité égyptienne fut enregistré à Londres. A cette occasion, le discours fut émaillé de réflexions et de commentaires sur des difficultés imprévues qui se présentèrent au moment de l’expérience, ce qui élimine l’hypothèse de la « cryptesthésie récitative ». D’autres incidents, en particulier une confusion due à l’emploi d’un mot à double sens, ont permis d’éliminer les explications basées sur la télépathie ou sur la clairvoyance à distance dans la pensée de l’égyptologue.

La valeur exceptionnelle de ce cas (800 phrases enregistrées) est malheureusement affaiblie par le fait que l’égyptologue ne put décider aucun de ses collègues à s’intéresser à cette question. Cependant, ces expériences ont permis à Howard Hulme de réaliser une véritable reconstitution de la langue parlée de l’Égypte ancienne. Car on ignorait jusqu’alors en quoi consistaient les voyelles de cette langue, omise dans le langage écrit des scribes. Évidemment la prononciation de ces voyelles est invérifiable, mais elle a été employée par l’entité Télika d’une manière constante en même temps que les consonnes et les constructions grammaticales déjà connues ; dans certains cas, un mot employé en 1932 ne s’est plus représenté qu’en 1936, dans un contexte différent, mais avec la même prononciation et le même usage grammatical.

Le professeur Ian Stevenson a étudié en détail le cas de la personnalité Jensen, s’exprimant par la bouche d’un médium américain comme un paysan suédois du XVIIe siècle. La moitié de son ouvrage Xenoglossy est consacrée à cette étude. Le médium est une femme de trente sept ans, de Philadelphie, qui n’a jamais appris le suédois. Sept linguistes parlant le suédois témoignent qu’il s’agit bien de « xénoglossie responsive ».

L’étude minutieuse des procès-verbaux des dialogues et les tests d’aptitude aux langues étrangères appliqués au médium conduisent le Dr Stevenson à considérer ce cas comme s’expliquant mieux par la réelle survivance, après la mort, d’un paysan suédois nommé Jensen, que par toute autre considération.

On voit l’importance de la xénoglossie. On dira que ces faits sont trop rares pour qu’on ait le droit d’en tirer des conclusions d’une telle ampleur.

Ils sont rares en effet. Mais peut-être le seraient-ils moins si la devise de Charles Richet « rigueur dans l’expérience et hardiesse dans l’hypothèse » était bien appliquée ; si les partisans du Spiritisme adoptaient tous résolument la méthode scientifique, si les parapsychologues avaient moins peur d’envisager franchement la survivance humaine comme hypothèse de travail, la collaboration des uns et des autres permettrait à la recherche parapsychologique de dépasser le stade de la divination avec les jeux de cartes de Zener et d’ouvrir de nouvelles voies vers une plus profonde connaissance de l’être humain.