Swami Satyananda Sarasvati
Les vedas

Le terme de Véda signifie littéralement « connaissance révélée ». Il provient de la racine sanskrite Vid : connaître. Dans la tradition védique, la connaissance n’est pas seulement intellectuelle elle vient aussi à travers une expérience vécue. Le Yoga se réfère toujours à une connaissance qui est de deux ordres : connaissance directe, à travers les sens, le mental et les objets; connaissance indirecte qui vient du « dedans ». C’est ce qu’on appelle la connaissance intuitive.

(Revue Énergie Vitale. No 8. Novembre-Décembre 1981)

La Réalité est Une, mais ceux qui le savent en parlent en termes différents.

(Rig-Véda)

Les Védas sont considérées comme les plus anciens livres dans la bibliothèque de l’humanité. Elles auraient, selon de modestes évaluations, plus de 45 000 ans. En effet, certains passages des Védas font référence à une géographie totalement différente de notre géographie moderne. Des grands astronomes se sont penchés sur certains passages des Védas et ont trouvé des références à des conjonctions astrales qui se sont produites effectivement il y a 100000 ans.

De sérieuses études font penser que les hymnes védiques n’ont pas été révélés en un lieu ou en un temps donné, mais qu’ils ont été créés à divers moments, dans des pays et sous des latitudes très différentes.

Nombre de ces hymnes semblent originaires de l’Arctique (naturellement aujourd’hui le pôle Nord). Cette partie du globe maintenant couverte par les glaces et les neiges connut autrefois une civilisation évoluée dotée d’une grande culture et de vastes connaissances. D’autres hymnes viennent de Sibérie, et d’autres encore de l’Afghanistan (cœur de Lahore et Penjab du Nord).

Mais la plupart des Védas font référence aux Himalayas, aux fleuves du Gange et de la Yamuna. Des chercheurs indiens et de grands érudits occidentaux en ont conclu que l’Arctique a dû être la première patrie des Védas. Mais le grand bouleversement géologique qui transforma cette région en zone glaciaire chassa les habitants vers des lieux plus cléments. Ils arrivèrent finalement dans les plaines fertiles et accueillantes du Gange et de la Yamuna.

Les fouilles archéologiques de Mohenjodaro et Harappa (situés dans le Pakistan moderne) ont mis en lumière l’appartenance des Védas au monde arctique et leur migration vers la plaine du Gange.

La tradition védique

Le terme de Véda signifie littéralement « connaissance révélée ». Il provient de la racine sanskrite Vid : connaître.

Dans la tradition védique, la connaissance n’est pas seulement intellectuelle elle vient aussi à travers une expérience vécue. Le Yoga se réfère toujours à une connaissance qui est de deux ordres : connaissance directe, à travers les sens, le mental et les objets; connaissance indirecte qui vient du « dedans ». C’est ce qu’on appelle la connaissance intuitive.

A l’origine on disait que les hymnes védiques étaient d’inspiration divine, révélés par Brahma à des Rishis dans un haut état de conscience. Le rishi est une personne dotée de connaissance intérieure ou intuition. Quand le mental individuel est en harmonie avec le mental cosmique, l’être atteint une nouvelle dimension de conscience où tout ce qui est pensé, ressenti ou aperçu devient réalité. C’est l’état de révélation. C’est par les Rishis ainsi inspirés que furent composés les différents hymnes védiques. Telle cette princesse atteinte de lèpre. Guérie, elle consacra sa vie à la recherche spirituelle et, dans un moment de suprême conscience, composa des chants qui font depuis partie des hymnes védiques.

Autrefois les Védas étaient uniquement transmises de bouche à oreille. Personne ne prenait de notes, et… il n’y avait pas de livres. Cette méthode connue sous le nom de tradition orale développait considérablement les facultés mentales st surtout la mémoire. Il s’avère que si quelqu’un dépend trop de la parole écrite, le mental perd en puissance et en réceptivité tandis que la mémoire s’affaiblit.

Jadis, dans les Gurukul[1], le Rishi ou Guru réunissait un petit groupe de disciples à qui il enseignait ce qu’il percevait dans ses moments d’extase. A la suite de ces révélations les disciples essayaient de mettre en pratique ce qu’ils avaient appris et qui se gravait ainsi en eux pour toujours.

Plus tard ce type d’enseignement fut compilé et connu sous le nom de Shruti — ce qui signifie : ce qui est entendu : le Guru savait, expérimentait et transmettait aux disciples qui entendaient.

Les disciples ayant à leur tour des disciples transmettaient ce qu’ils avaient appris et dont ils avaient le souvenir. Ainsi la connaissance, transmise à l’origine par des Gurus inspirés, fût-elle redonnée par des Gurus intellectuels. Cette forme d’enseignement porta le nom de Smritti : mémoire.

Il existe donc deux types de Védas : Shruti, connaissance obtenue par révélation, et Smritti, connaissance retenue par la mémoire et transmise à travers les âges sous forme de contes, pour que tout un chacun puisse s’en souvenir.

Un autre type de textes que les Védas se développa par la suite : les Sutras. Sutra signifie fil. Cela signifie que les différentes pensées se rapportant à un sujet particulier étaient « enfilées » ensemble. Quand le Guru donnait son enseignement, le disciple prenait juste quelques notes. Ce « fil » ténu devait être interprété et expliqué sous forme de commentaires afin que le profane puisse comprendre. C’est ainsi qu’il existe des Sutras sur le Hatha Yoga, le Karma Yoga, le Bhakti Yoga et le Védanta. Ces petits fascicules étaient un rappel des thèmes principaux que les disciples recueillaient de leur Guru et qu’ils transmettaient à leur tour à leurs disciples. Les textes des Sutras sont très succincts, alors que les commentaires auxquels ils ont donné lieu emplissent une foule de volumes.

Les 4 Védas

Les Védas sont une source incomparable de connaissances. Leur langue est d’une grande exactitude et clarté à tous égards. Elles ne contiennent aucune erreur grammaticale. Les Védas ne sont pas seulement un texte sacré, mais une forme de littérature. De même que dans la science, où il existe tant de sujets, de classifications, les Védas se composent de nombreux chapitres et sujets.

La plus ancienne des Védas est le Rig-Véda. C’est le Rig-Véda qui serait originaire de l’Arctique. Les strophes évoquent les mythes des Dieux Aryens, la description des sacrifices et d’autres rituels.

La seconde Véda est l’Yajurvéda qui présente des formules sacrificielles pour toutes les circonstances de la vie.

La troisième est le Samavéda qui se compose de chants. Elle est à l’origine de la musique. En ce temps-là, il n’existait que trois notes de musique (1ère, 5ème, 7ème, ce qui correspond, dans la gamme occidentale à Do, Sol, Si). Selon la tradition, les hymnes védiques sont toujours modulés — pas récités ou répétés — et la plupart sont chantés sur ces trois notes.

La quatrième Véda est l’Atharvavéda. C’est un recueil de toutes les sciences : Tantra et Yoga aussi bien que médecine, chirurgie, phytothérapie, minéralogie, tir à l’arc, magie, sexonomie et un nombre considérable d’autres sujets. Au début, les Rishis, estimant que seule la connaissance suprême (Brahman) pouvait être révélée, refusaient d’admettre que l’Atharvavéda puisse faire partie des révélations. Mais par la suite, il fut reconnu que toute connaissance (et pas seulement celle de l’Absolu) pouvait être reçue par révélation.

Les quatre Védas abordent des centaines de sujets qui concernent la vie et la vie après la mort. Elles se réfèrent à l’existence sur terre et aussi sur d’autres galaxies. Elles débattent de spiritualité, de philosophie, de politique ou de sociologie, racontent le voyage de l’âme après la mort, évoquent la possibilité de vie sur d’autres systèmes solaires, décrivent la bataille entre les forces divines et démoniaques chez l’homme et dans la société, traitent des géographies, d’histoire aussi bien que de la création dans l’Absolu.

Les quatre divisions

Les sujets abordés par les Védas étaient si nombreux qu’ils furent ultérieurement divisés en quatre parties :

• 1ère partie : Samhitas. C’est un recueil de mantras et de prières. Il s’adresse à ceux qui pratiquaient la dévotion sous une forme rituelle et symbolique, dans toutes les circonstances de la vie. On les utilise dans des cérémonies qui vont de la naissance à la mort en passant par le mariage, la construction d’une maison, l’ouverture d’une boutique, la création d’une entreprise agricole, l’initiation d’un disciple ou toute autre occasion.

• 2ème partie : Brahmanas, code moral destiné aux chefs de famille. Le ton en est très technique et concerne tout ce qui a trait à la famille et à la société. Par exemple, la raison pour laquelle des membres d’une même famille ne doivent pas se marier entre eux, comment un ministre, un roi ou un gardien de la paix doivent se comporter, comment les biens doivent être transmis et les impôts levés — cela, entre autres.

Bien qu’il semble traiter principalement des aspects matériels de la vie, ce code tient compte également de la vie spirituelle.

• 3ème partie : Aranyakas, les écrits de la forêt. Ces textes s’adressent à ceux qui, ayant accompli leur temps de chef de famille, sont prêts à se consacrer à une vie plus spirituelle loin de leur milieu familial. La manière dont ces hommes doivent se comporter en vivant avec leur épouse, tout ce qu’ils doivent faire ou ne pas faire, tel est le contenu de ce troisième code.

• 4ème partie : les Upanishads. Elles traitent de sujets philosophiques tels que le Soi, l’Être Suprême, la Conscience divine, et indiquent comment atteindre, dans la vie, l’état de Félicité.

C’est l’enseignement qui fut révélé aux Sannyasins (ceux qui avaient accompli toutes leurs obligations mondaines, renoncé à leurs attachements, qui n’avaient plus aucun désir de propriété, de puissance et de responsabilité et qui voulaient vivre dans la solitude). Les Upanishads parlent d’une seule chose : Brahman, l’Absolu, l’Unique Réalité.

Ces quatre divisions des Védas influencent les civilisations et les cultures depuis des milliers d’années. Elles postulent que le but de toute vie humaine est d’atteindre la conscience divine. Au-delà des désirs, des passions, des ambitions, l’esprit en chacun est un pèlerin, un voyageur en route vers cette suprême et divine conscience. Tous les êtres — et non seulement les hommes — sont reliés les uns aux autres. Chaque espèce est un maillon de l’immense chaîne et, selon les Védas, l’incarnation humaine est un jalon capital dans l’évolution de l’âme.

L’être humain vient au monde avec une certaine capacité lui permettant de prendre conscience de soi. L’homme n’est pas grand parce qu’il a développé un mental logique capable de raisonnement (de nombreux animaux ont un mental plus organisé et sensible que celui de l’homme) mais l’homme est arrivé à un niveau où il a conscience de lui-même. Il ne fait pas que réagir à une douleur physique ou émotionnelle. S’il souffre il sait qu’il souffre et il sait qu’il sait qu’il souffre.

Aussi les Védas parlent-elles d’un seul sujet : Brahman ou la Conscience Universelle présente en toutes choses, douées ou non de sensibilité. Il ne faut pas confondre avec mental, intellect, sentiment, connaissance ou sensation. La Conscience Universelle transcende toutes ces données.

L’Unité à travers la diversité

Les Védas expriment une tradition : la « libre pensée ». C’est pourquoi ses milliers d’hymnes ne sont ni uniformes ni systématiques.

Prenons un exemple. Quelques personnes discutent de l’origine de la vie et de la réalité de la nature.

— « La vie est un accident » dit l’un,

— « Non, réplique son voisin, Dieu l’a créée »,

— « C’est une volonté cosmique », ajoute le troisième,

— « Mais non, réplique le quatrième, la nature s’est créée elle-même ».

Eh bien, toutes ces conceptions se trouvent dans les Védas (c’est pourquoi la religion hindoue est faite de tant de courants de pensée) : vous croyez en un Dieu personnel, c’est dans les Védas; vous êtes athée et croyez que la création est le résultat d’une réaction biologique entre force masculine et force féminine, c’est dans les Védas; vous pensez que, par accident, la terre s’est détachée du soleil et qu’il s’est créé un environnement favorable à la vie, c’est encore dans les Védas; vous croyez à un Dieu sans nom, sans forme existant au plus profond de chaque être, c’est toujours dans les Védas. Aucune conception, aucune discussion relevant d’une haute forme de pensée n’est rejetée — sur des milliers d’années —. Car l’être humain sur la voie de la spiritualité et de la réalisation doit demeurer en accord avec sa position dans la vie. Si on parle de l’Absolu ou de la Réalité sans forme, personne ne va comprendre. Même dans les temples, il y a des foules de gens qui ne savent pas ce que représentent les Dieux et les Déesses, ni pourquoi ils vont se prosterner. L’important c’est que chaque être se comporte en accord avec ses limites. Doit-il changer de voie et suivre la vôtre ? Quelles preuves avez-vous que votre manière de vivre est correcte et que la sienne est fausse, ou que la sienne est correcte et que la vôtre est fausse?

D’après les Védas, tous les chemins sont bons. Si vous êtes sur la voie spirituelle, peu importe la route que vous prenez, pourvu qu’elle vous convienne et que vous avanciez.

Dans le Rig-Véda se trouve ce mantra : « La Réalité est Une, mais ceux qui le savent en parlent en termes différents ».

La vérité, l’expérience absolue peut être relatée de différentes manières. Aussi les Védas sont-elles considérées comme la source du peuple indien. Il croit que si les voies sont multiples, le but est unique.

Les Puranas

A côté des quatre Védas existent 18 Puranas, recueils traitant des mêmes sujets mais interprétés sous forme de contes. Le processus d’évolution y est expliqué par de petites histoires accessibles à tout un chacun pour que la vérité absolue puisse se graver en mémoire. Telle cette légende des dix avatars ou incarnations de Vichnu qu’on peut raconter ainsi :

Au début, il y eut l’eau, et Vichnu s’incarna sous la forme d’un poisson Matsya avatara. A la seconde incarnation, il devint tortue Kurma avatara. A la troisième, il devint sanglier Varaha avatara. La quatrième fois, il fut mi-homme mi-lion Nrisimha avatara. La cinquième fois, il apparut en nain Vamana. La sixième, en homme violent et coléreux, Parasurama. La septième fois, Dieu s’incarna en Rama, homme discipliné, calme, tranquille, avisé. La huitième incarnation fut Krishna, jeune romantique qui jouait de la flûte, se nourrissait de beurre et de fromage, dansait et jouait avec les demoiselles, mais, en même temps, enseignait le Yoga. Pour la neuvième incarnation, Vichnu devint Buddha, qui nous enseigna la Voie de l’Amour, de la Compassion et de la non violence. Quant à la dixième incarnation, elle est encore à venir… Ce sera Kalki avatara, qui apparaîtra à la fin du Kali Yuga.

Ces incarnations divines sont le thème principal d’un grand nombre d’histoires contées avec poésie dans les Puranas. En Inde, les enfants les apprennent de leur mère et de leur grand-mère. Aussi leur semblent-elles réelles. Et en fait, elles le sont, puisqu’elles décrivent la voie de l’évolution terrestre. La théorie de Darwin énonce pratiquement la même progression : l’eau, le reptile, le mammifère, l’homme des cavernes, le civilisé, le sage.

Souvenez-vous d’une chose : les indiens sont des gens bavards. Ils ont du mal à se mettre d’accord. Ils doutent de la vérité et vous demandent toujours des preuves. Ils ont une manière démocratique de pensée parce qu’ils ont toujours eu la liberté de pensée.

Les recueils des Puranas envisagent toutes les éventualités. Pour certains la création a commencé avec l’eau, le poisson, la tortue. Pour d’autres le monde fut créé par Brahma à partir d’un océan de lait. Alors si vous voulez pénétrer dans cette forme fascinante de discussion philosophique, il vous faudra plonger la tête la première dans tous les textes. Pour ma part, lorsque j’en pris connaissance je restai éberlué par les infinies variétés d’expression qui vont de la poésie à l’énoncé des plus hautes vérités. Tout est illustré par des allégories, et vous y aurez un aperçu merveilleux sur les modes de pensée hindoue qu’on dit être à la base de toutes les philosophies et de toute vie spirituelle.

Traduit de la revue Yoga (Bihar School)


[1] Les enfants étaient autrefois envoyés chez le Guru pour recevoir leur formation. Un Gurukul est donc une école.