Maud Cousin
Nos douze sens

Contrairement à l’usage, Steiner reconnaît douze sens et non cinq, à savoir : le toucher, la vie, le mouvement, l’équilibre, l’odorat, le goût, la vue, la chaleur, le son, le sens du langage, de la pensée, du moi d’autrui.

(Revue Panharmonie. No 171. Mars 1978)

Le titre est de 3e Millénaire

Compte rendu de la réunion du 2.12.1977

Contrairement à l’usage, Steiner reconnaît douze sens et non cinq, à savoir : le toucher, la vie, le mouvement, l’équilibre, l’odorat, le goût, la vue, la chaleur, le son, le sens du langage, de la pensée, du moi d’autrui.

Le toucher : localisé en général aux mains — qui sont les plus sensibles — ou aux pieds. En fait, tout l’organisme y contribue, bouche et lèvres comprises, de même que le moindre frottement au niveau de la peau. Le geste de l’enfant qui met tout dans sa bouche fait partie du sens du toucher, de la perception des choses qui est un processus d’incarnation nécessaire, la première relation entre ce que l’on est et ce qui réside à l’extérieur. Tous les contacts sont valables, allant du froid au chaud et à la friction. C’est la raison pour laquelle Steiner considère que les enfants bien langés, tenus, prennent possession de leur corps parce qu’ils le sentent. Tandis que sans ce contact, ils ne savent pas où ils en sont.

Cette manière de voir a été critiquée ; cependant, tout le monde trouve normal que l’enfant essaye de toucher, de sentir, de sucer, même de se gratter ou de se ronger les ongles. C’est la transformation du corps irrité dans le corps de sa propre personnalité. Il y a toujours dans les sens un double mouvement : une perception et une certaine projection.

On peut dire qu’au début l’enfant reçoit beaucoup ; c’est plutôt un sens un peu égoïste, et ensuite vient un sens altruiste de communication. L’éducation doit aider à développer les sens, ne pas les empêcher de se manifester, ce qui au fond est une nécessité de la connaissance.

Le toucher demande un contact, tandis que la vue pénètre intérieurement sans aucun autre concours. La perte de la vue entraîne un développement du toucher. Les aveugles sentent avec leurs doigts et lisent ainsi le Braille. Ils peuvent même sentir les couleurs que certains d’entre eux captent d’après les différentes vibrations. (Voir à ce sujet les recherches d’Yvonne Duplessis.)

Question : La vue n’est-elle pas le toucher à distance ?

Réponse : Si vous voulez ; pourtant, ce ne sont pas les mêmes vibrations que l’on perçoit. La lumière est vibratoire et contient des corpuscules. Ceux-ci peuvent donner une sensation de pesanteur, de chaleur, le rouge est plus chaud que le violet. Si le sens du toucher fait défaut, c’est très grave : on peut se brûler sans s’en rendre compte. La sensation de douleur est une des premières défenses. Si ce sens est trop développé, il conduit à la masturbation, aux sensations agréables de se toucher. C’est une manifestation de plaisir personnel, un peu égoïste qui, poussée à l’excès, peut empêcher la personne de se développer, parce que elle lui fera moins prendre contact avec l’extérieur.

Pour les enfants sanguins, manquant de mémoire, fatigués, il est bon de leur développer le sens du toucher en leur mettant un bandeau sur les yeux et en leur faisant faire des exercices, du tissage par exemple. Les exercices dans l’espace leur donnent le sens de l’équilibre, de la géométrie.

Le sens du toucher doit aboutir au respect de l’autre. Exercer le toucher en manipulant des choses non pour le plaisir personnel, mais pour apprendre ce qu’elles sont, permet de les mieux connaître, de les apprécier pour elles-mêmes et par voie de conséquence de les respecter. De là on passe à la connaissance de l’autre en quelque sorte, donc au respect à tous les niveaux, de ce qui est au-dessous de soi, au même niveau et même, disait-il, au-dessus de soi, au spirituel. Il voyait même des aboutissements de la connaissance du spirituel au moyen des sens physiques qui permettent de sentir quelque chose qui vient de plus loin. Les choses vivantes, comme le bois, la soie, la laine sont très importants pour le développement de l’individu.

Le sens de la vie : consiste, d’après Steiner, en une impression d’aise ou de malaise : se sentir bien vivre ou mal vivre, être bien dans sa peau ou mal dans sa peau. Ce sens profond est en rapport avec la croissance, avec l’état de toute la vie, le mélange des sucs digestifs, glandulaires, de l’oxygène, tous éléments de vie qui permettent à l’organisme de se sentir bien. Le premier signe chez l’enfant est celui de la faim qui l’amène à pleurer pour avoir son biberon et faire passer le malaise. Chez les tout-petits, on voit déjà les tempéraments d’après les moyens employés pour réclamer. Plus tard, la fatigue en classe se traduira également différemment. Au fond, le sens de la vie se manifestera par l’humeur bonne ou mauvaise, et tout l’art plus tard consistera à développer une humeur égale. Pour cela, supprimer les facteurs d’angoisse chez l’enfant est très important car le petit n’a pas la puissance de les combattre. L’histoire du croque-mitaine ou de la correction à venir engendre un facteur de malaise de crainte, d’angoisse qui se manifeste toujours par une fatigue du cœur et de la circulation. C’est un facteur de perturbation du sens de la vie, alors qu’il faut justement aider par l’éducation à trouver cette égalité d’humeur, favorisant le bon sens, le courage intérieur qui permet de vaincre les difficultés.

Question : Ne pourrait-on pas dire que le premier sens, le toucher, est important, car selon que ce toucher vient de l’extérieur vers l’enfant ou va de l’enfant vers l’extérieur, il déterminera le « bon » ou le « mal »-aise ?

Réponse : Certainement ; aussi Steiner le met-il en premier. Or c’est le sens le plus étendu puisqu’il est sur tout le corps.

Le sens du mouvement : il est lié au changement de position du corps qui conduit à l’équilibre. Ces deux sens se développent progressivement. L’enfant répète un mouvement (d’abord s’asseoir, puis se mettre debout) jusqu’à ce qu’il parvienne à l’équilibre, à un automatisme qui le mènera à la marche. Au départ, c’est tout un apprentissage puisque avant de naître, l’enfant flotte un peu dans le ventre maternel. Faire faire une culbute à un enfant permet de voir si, à un certain âge, il a le sens de l’équilibre. Ce sens conduit à celui de la libre volonté : il permet de faire ce qu’on veut, on devient actif. C’est donc un sens très important pour la maturation, la libération de l’homme et la possibilité d’expression de la volonté. Pratiqué à outrance, il rompt l’équilibre. Steiner préconise l’eurythmie en relation avec les vibrations, et les travaux au grand air, le contact avec la nature. Le rythme développe la volonté, la persévérance, l’équilibre et porte moins aux dépressions nerveuses, aux troubles digestifs.

Pour Steiner, la volonté va avec le métabolisme et avec la partie mobile des membres et le mouvement du tube digestif. Dans les perturbations psychologiques, le côlon, les intestins sont les premiers atteints, ce qui diminue la volonté, le courage, l’énergie. Pour y remédier, il faut la persévérance dans l’effort, sans toutefois demander plus que possible. Actuellement, c’est tout le contraire : tout doit être facile. Néanmoins, il ne faut pas demander aux enfants des efforts trop tôt pour se tenir debout, etc. Ces enfants risquent de se déprimer, d’avoir des rhumatismes et de l’arthrite plus tard.

Steiner trouvait que le régime végétarien nécessitant plus d’efforts de l’intestin que l’absorption de la viande, était bon pour favoriser la volonté et conserver la jeunesse à un âge avancé.

L’équilibre : il est essentiellement déterminé par la marche : « Dis-moi comment tu marches, je te dirai qui tu es ! » Ce sens doit se développer, il est en rapport avec le « moi ». On ne peut se redresser que lorsque le « moi » s’est bien imprégné dans la personne et il s’en suit une certaine forme de sérénité. Pour les uns, la volonté domine ; pour les autres, c’est la paix intérieure qui engendre l’équilibre intérieur. On se trouve dans trois dimensions.

Bien des gens éprouvent un malaise en ascenseur, en avion, en bateau, lorsqu’il y a un abîme et que les gens risquent de perdre le sens de l’équilibre, c’est souvent psychologique. Cela serait similaire à un abîme ou un vertige à l’intérieur de l’organisme entre les aliments qui sont dans l’intestin et que celui-ci va prélever, et le milieu intérieur. Parce qu’au fond on passe d’une substance qui n’est pas encore humanisée à une substance qui est humaine. Cela donne des sensations anormales et, par réflexe, l’organisme cherche à les évacuer le plus vite possible. Les nausées et les vomissements seraient donc des défenses de l’organisme. En général, ce travail se fait doucement, inconsciemment ; mais la perception psychologique du travail intestinal entraîne un trouble du sympathique et perturbe tout l’organisme, d’où la création de ces malaises, qui tendent afin à ce que tout cesse au plus vite.

Le déséquilibre intérieur gêne l’équilibre extérieur, vous ne savez plus où vous en êtes. Notre vision alors nous montre que le sol n’est plus à la même place, est anormalement placé et une peur instinctive se manifeste. Nous ne sommes plus sûr de notre équilibre et perdons notre sécurité. Steiner disait que pour améliorer la peur de la vie, il fallait arriver à l’oubli de soi, à l’abnégation. Il attirait l’attention sur l’avantage de développer les qualités de l’âme, de s’intéresser à la vie des saints…

L’odorat : c’est un sens très précoce qui dès la naissance va avec la première respiration. Un grand nez ne va pas de pair avec l’odorat. L’odorat va avec la compassion (exemple : Savonarole avait de la volonté, mais pas de compassion). On perçoit l’autre. Ce sens, peu développé chez l’homme, est très fragile : l’odeur des excréments rebute. Les bonnes odeurs permettent, dit-on, de percevoir l’intimité des choses, de faire connaissance, donc de sympathiser et de compatir, c’est-à-dire de sortir de soi-même. Zola, être très sensitif, décrivant bien les atmosphères, avait osé prendre la défense de Dreyfus… Des saints meurent en sentant bon, ils ne se décomposent pas, ils sont en quelque sorte déjà transfigurés, dématérialisés.

Le goût : il est localisé dans la bouche et nécessite une substance soluble. Le bébé, dit-on, goûte avec tout son corps en buvant son lait, il gigote. L’idéal est de trouver un équilibre entre la faim qui est un besoin et ce que nous allons absorber. Le lait maternel couvre tous les besoins, mais après cela devient tout un art pour trouver ces besoins, leur rythme. Il paraîtrait que le remède aux mauvaises digestions, au mauvais goût, est la courtoisie. Les organes de la digestion doivent s’accorder à la manière d’un orchestre ; ils doivent apprendre à se respecter mutuellement. Steiner trouvait qu’en France où l’on mangeait bien, la politesse était à l’honneur — le goût a créé une cuisine d’une recherche et d’une variété extrêmes, c’est un temple de l’âme — et aboutit à l’amour du prochain en passant par la courtoisie. Donc, le sens du goût bien harmonisé avec ses vrais besoins équilibre, rend plus dispos. Avec de bons repas, on communique mieux et les religions ont presque toujours comme symbole un repas, une communion.

Les mères qui élèvent mal leurs enfants, mais qui les aiment bien et qui répondent à cette demande d’affection, n’ont en général pas d’enfants caractériels. L’angoisse est le manque de lien. C’est peu rattrapable ultérieurement. Je pense que la délinquance est due en grande partie à des enfants n’ayant pas eu de vrai foyer autour d’eux.

Compte rendu de la réunion du 5.1.1978

Il nous reste six sens à envisager. Dans les douze sens énoncés par Steiner, sont contenus les six sens classiques.

La vue : l’œil, globe un peu elliptique, symbole du monde en général, est l’organe le plus parfait comme forme. Il est le reflet le plus parfait de la personnalité qui, a-t-on toujours dit, se manifeste dans le regard. Steiner considère que le « moi » se traduit dans la pupille et que l’iris coloré correspond à l’âme par les couleurs et leurs variations, exprimant les sentiments. Le globe blanc est le symbole de la lumière, il manifeste la sensibilité à la lumière et à l’élément de la vie. Le tempérament peut être perçu dans l’œil.

En ce qui concerne la vision elle-même, le cristallin en forme de lentille biconvexe est en perpétuel mouvement et permet l’accommodation en accord avec la distance, la lumière. Il ne s’agit pas d’enregistrement, mais d’un travail très complexe qui s’effectue non seulement en recevant la lumière, mais surtout en fabriquant la couleur complémentaire et également en redressant l’image. Cela se fait inconsciemment et par l’intermédiaire du système nerveux. Il y a en plus la vision en profondeur grâce aux deux yeux. Le strabisme est une faiblesse du moi, dit Steiner. Chez les enfants, la prise de la personnalité n’est pas très ancrée : des faiblesses, comme la myopie, les pieds plats, le dos voûté, indiquent un manque de tonicité des muscles qui contractent et décontractent.

L’astigmatisme est dû à un défaut de courbure de la cornée. Le docteur préconise la gymnastique oculaire pour éviter ou corriger les méfaits des ans ou des défauts de la vision. Il faut essayer, en cas de lunettes, de prendre des verres un peu moins forts afin que les yeux aient encore un peu à travailler. L’analyse de la perception ne se fait pas dans l’œil, mais dans la région occipitale où les nerfs se croisent. Si une lésion se produit dans cette zone-là, l’œil peut fonctionner, mais en quelque sorte on ne voit pas. Quand le cristallin s’opacifie, la cataracte menace. Des gouttes de cuivre (laboratoire Phillips, 4, rue de la Paix) peuvent être efficaces : en effet, une goutte mise dans le coin de l’œil pique parce que sa concentration diffère du liquide de l’œil et entraîne de la part de ce dernier une réaction d’humidification favorisant la circulation dudit liquide. Le cuivre a une action anti-infectieuse qui fixe les sels minéraux. L’œil est un prolongement du système nerveux avec les cônes et les bâtonnets. La rétine est vraiment une projection nerveuse. En cas de troubles, selon le lieu où ses terminaisons nerveuses se croisent, un œil est pris ou les deux sont plus ou moins touchés. Généralement, il y a un œil directeur ; souvent, par sympathie, le deuxième œil se prend après l’accident survenu au premier. Steiner pense que la perspective n’est possible qu’à partir de la puberté, quand le « moi » est bien imprégné dans la personne. Les dessins d’enfants n’ont pas de perspective, l’ombre, la perception de la lumière ne viennent que plus tard. Pour lui, l’eurythmie, ainsi que le fait de dessiner sont bons pour la vision. Il pense que le sens de la vue et celui de l’équilibre nous rendent maîtres de notre destinée. Ils sont à développer dans le sens de notre complémentarité, à savoir cet équilibre de la vie et la paix de l’âme.

Le sens de la chaleur : il a un rapport avec l’âme. La peau a des quantités de petits points, des corpuscules qui perçoivent la chaleur ou le froid, 250 000 au froid pour 30 000 au chaud. La lutte contre le froid est donc la plus grande, mais nous perdons aussi de la chaleur car nous en dégageons tant par l’air expiré que par notre rayonnement. Steiner n’était pas trop d’accord pour endurcir les enfants au froid. Leur sensibilité s’atténue et ils ne se défendent plus bien. La chaleur physique est importante, elle l’est aussi au moral pour l’équilibre. Il faut chauffer l’âme en même temps que le physique. Le cœur est un organe régulateur de la chaleur, il harmonise et dirige la chaleur de la circulation. Si un enfant a des insuffisances, il faut recourir à la patience et savoir respecter ses rythmes, être patient et chaleureux. L’effet de la chaleur, quelle qu’elle soit, est détruit par l’ambition qui bloque les gens sur eux-mêmes, les rend égoïstes, les sclérose et leur donne des complexes d’infériorité, ce qui ne vaut pas mieux. L’éducateur doit être patient sans trop bloquer l’enfant par l’ambition et par la crainte de l’échec, tout en développant la personnalité.

L’ouïe : sa partie externe, très complexe, est importante. Elle permet la perception des vibrations dans la forme tourbillonnante. Les circuits de l’oreille sont nécessaires dans cette « économie aérienne », puis vient « l’économie liquide » où baigne l’oreille interne. Cette oreille intérieure est au fond le reflet de l’autre. On passe de l’une à l’autre par les osselets, le tympan, grande surface qui aboutit à une toute petite fenêtre où se trouve l’aspérité de l’étrier. Ce qui est remarquable, c’est que cette transmission passe d’une vibration pas très forte ni rapide dans l’air, à une autre vibration (rapport de 778 à 774) beaucoup plus petite et plus rapide dans le liquide, mais qui demeure pratiquement égale grâce à la démultiplication due aux milieux différents. A ce moment, les vibrations sont reprises dans le limaçon qui a deux tours et demi comme le pavillon de l’oreille externe. Mais comme la vibration d’un liquide n’est guère compressible, il y a une autre petite chambre qui vibre de l’autre côté de la fenêtre ovale et que dirige la trompe d’Eustache avant d’aller vers le larynx. Il y a un rapport très étroit entre l’oreille et la parole. Certaines oreilles sont plus exercées que d’autres. Ce fut le cas chez les Bach. En principe, la musique est le royaume de l’âme.

Le sens de 1a parole : il faut commencer par entendre pour pouvoir parler. Le langage ne se fait que quand se développe le mouvement des bras et des jambes. Il semble qu’il y ait un rapport avec la coordination de tous les mouvements. La parole est créatrice. On éduque les sourds-muets en leur faisant sentir les vibrations vers les régions larynx-oreille. Steiner pense que dans l’avenir la parole sera un organe de création de plus en plus important et d’un autre ordre. Elle est en rapport avec la sexualité. L’homme a une voix plus basse et un larynx plus développé.

Dans l’évolution future, dit Steiner, la création on passera du domaine inférieur dans un domaine supérieur. « Le Verbe », dont on parle dans la Bible, c’est cela. L’activité du larynx est inverse des autres sons, c’est la formation du son qui descend dans le champ de la conscience. On commence par entendre le son avant d’en avoir pris conscience, alors qu’on crée la parole. La conscience alors joue en premier lieu, elle sert à faire vibrer, à créer.

Steiner considère que jusqu’à sept ans l’enfant ne doit parler qu’une seule langue. C’est une condition d’équilibre, de stabilité. Tout ce qui est mécanique (radio, télévision) est cause d’agitation et de mécontentement. La parole est liée au courage et à la respiration. Elle s’exprime grâce au souffle. Le lion, qui a le meilleur appareil respiratoire, est un des animaux les plus courageux. Autrefois, la manière dont le cri de guerre, étant prononcé et perçu, pouvait indiquer quel serait le gagnant.

Le sens de la pensée : il permet de percevoir autrui. Il ne se développe pas avant trois ans quand l’enfant a appris à se tenir debout et à marcher : il devient un « moi ». On ne peut comprendre l’autre que quand on se comprend soi-même. C’est la rencontre d’une perception et d’une conception. Il faut donc pouvoir percevoir l’autre avant d’avoir le sens de la pensée et c’est le « moi » qui le permet. La pensée se développe petit à petit et vers neuf ans le concept se dégage progressivement de la foule des images. Steiner conseille de développer le sens de la nature, des choses vivantes pour développer la pensée. La caractéristique de la pensée, c’est que celui qui pense oublie qu’il pense quand il pense. Il sait que la liaison de la fonction de la pensée avec le corps est très faible et pas bien localisée dans le cerveau. Pour développer la pensée, il faut beaucoup développer la réserve silencieuse, savoir faire le silence en soi pour savoir recevoir celui des autres. Savoir se taire : les expériences spirituelles ne peuvent se faire que quand il y a un certain vide. Retrouver sa pensée et celle des autres, c’est se remémorer. Le « moi » doit être actif pour la pensée et un enfant est incapable de se taire volontairement tant que son « moi » n’est pas incarné, aussi ne faut-il pas lui demander de garder un secret. Avant la puberté, on ne peut faire des abstractions, donc des mathématiques pures. La hâte de la vie moderne, son bruit développent la schizophrénie ; on se mure en soi-même, on a perdu la relation.

Le sens d’autrui : c’est percevoir le « moi » des autres et cela prend place après la vingtième année avec un maximum vers trente-cinq ans. La révélation des autres se fait de façon variée. Les « fous », en général, les nains, dont le « moi » a de la peine à s’unir à la personne, demeurent donc très enfants ; ils étaient bien acceptés à la Cour par tous, à cause des vérités qui sortaient de leur bouche. Il faut éviter les masques. L’enfant a besoin de la confiance et de la sympathie, surtout jusqu’à sept ans, pour garder le sens de la communication. De sept à quatorze ans, il doit aimer et sentir un lien avec ses maîtres. Après quatorze ans, il s’ouvre aux questions sociales. L’art dramatique a de bons effets en l’incitant à se mettre dans la peau des personnages. Enfin la magnanimité et l’amour spirituel seront bons et pourront engendrer l’amour christique, l’amour de l’autre pouvant aller jusqu’au sacrifice.