Sharifa Goodenough
Le progrès

(Revue La Pensée Soufie. No 1. 1964) Le progrès est si naturel dans notre vie, qu’une vie sans progrès ne nous semblerait pas une vie normale. A tout le moins nous paraîtrait-elle peu désirable. Tout notre espoir se porte sur le progrès et quand l’espoir s’en va, que reste-t-il à vivre? La vie dans l’individu […]

(Revue La Pensée Soufie. No 1. 1964)

Le progrès est si naturel dans notre vie, qu’une vie sans progrès ne nous semblerait pas une vie normale. A tout le moins nous paraîtrait-elle peu désirable. Tout notre espoir se porte sur le progrès et quand l’espoir s’en va, que reste-t-il à vivre? La vie dans l’individu s’éteint alors et cet individu décline. Mais bien souvent l’on confond progrès et gain. Avoir progressé, pense-t-on, c’est avoir gagné. En réalité ce sont deux objets distincts. Le progrès n’est pas d’acquérir un bien matériel ni même moral. Certains, quand ils songent au voyage de l’âme dans son retour vers son but, sa source, se demandent si cette fin est un dépouillement ou si l’âme a gagnée quelque chose. Si elle n’a rien gagné, cela leur semble triste, et le voyage, inutile. Ce sont ceux-la qui désirent s’attarder à la contemplation de cet état où l’âme, enrichie de tout ce qu’elle aurait acquis sur terre, en jouirait.

Mais ce n’est qu’une phase, comme pour un homme ayant obtenu les fruit de ses efforts qui jouit de ces fruits; il jouit de la richesse ou de la renommée, de la situation agréable ou du savoir accumulé qu’il s’est gagne. Il en jouit un certain nombre d’années, mais vient un moment où une partie de son être n’en est plus satisfaite. Peut-être une autre part de lui-même s’en satisfait-elle encore, mais son âme en est lasse et n’en veut plus. C’est la raison pour laquelle son âme quitte ces richesses du banquet de la vie; elle va dans une autre pièce ou son existence est différente.

Progresser veut dire passer d’une expérience à une autre meilleure ; de cette dernière à une meilleure encore; de celle qui atteint à un certain degré de beauté à une beauté plus grande, d’un savoir limité à une connaissance plus vaste, du degré de liberté ts mesuré dont nous jouissons d’habitude à une liberté plus grande; l’âme progresse à partir du moment où elle part pour arriver à ce qu’elle est ici, et pour retourner à son but. Toute sa vie est progrès. Elle ne peut reculer ni s’amoindrir. Pendant ce voyage, l’âme acquiert des possessions qui sont des qualités, des attributs, des biens matériels; et puis, peu a peu, elle s’en dépouille, ou tout cela l’abandonne; tout ce qui est matériel d’abord, ensuite les qualités et facultés. Pourtant elle n’a rien perdu, elle a rejeté un fardeau, elle a continué à progresser parce que sa conscience se développe davantage; elle profite de ses expériences et elle connaît un bonheur très grand sur tout le chemin de sa vie. Ce voyage était nécessaire pour réaliser un bonheur et une conscience plus vastes.

La condition essentielle du progrès est le désir qu’on en a. Si l’on n’a pas envie d’avancer, on n’avancera pas. Ensuite l’espoir est nécessaire. Sans espoir il est très difficile de progresser. Mais l’espoir aidant, on vaincra toute situation contraire. L’espoir nous élève au-dessus des conditions étroites de l’existence terrestre ou dans un autre plan. En troisième lieu il faut une bonne orientation; en regardant à droite et à gauche, nous irons à droite et à gauche, mais si nous regardons droit devant, vers l’objet désiré, nous avancerons vers lui.

Ne tombe-t-on pas sur la route? N’y a-t-il pas des échecs, des égarements? c’est inévitable. Avec chaque lumière, il y a des ombres, et l’être humain n’est pas ainsi fait que toujours il avance. Tantôt il s’arrête, tantôt semble reculer, parfois fait un faux pas; mais s’il a espoir et confiance, il continuera à progresser. Les conditions du progrès sont les mêmes sur tous les sentiers de la vie : elles demandent orientation juste, persévérance dans l’effort, espérance; c’est cela qui mène au but.

Une bonne orientation exige d’abord de savoir ce qu’on veut, dans quel sens on veut progresser; ensuite de concentrer sa volonté pour se maintenir dans le même sens. Dans le sentier spirituel les conditions du succès sont les mêmes. Mais surtout l’espoir est nécessaire car il n’y a pas d’objet que nous puissions voir avec nos yeux; nous allons dans les ténèbres vers ce qui attire notre âme : les yeux de notre corps ne le voient pas. Quand les yeux de l’âme le voient clairement, on est arrive au but. Tout au long de ce chemin, il semble à l’homme que son âme est attirée dans une certaine direction comme par un aimant, mais il ne voit rien. Son esprit pourrait dire : « Je ne sais ce qui m’attire, c’est quelque chose en dedans de moi, mais je ne saurais exprimer ce que c’est. » Il marche dans la brume, mais comme il avance il commence à percevoir; l’ère du bonheur vient vers lui, il entend la voix de cette sphère qui l’appelle; alors il sent qu’il a quitté le lieu actuel de sa demeure; il est dans une sphère de bonheur et de liberté; il sent qu’il approche d’un but. Mais quand tout n’est encore que ténèbres, pour marcher vers ce but, il faut une grande confiance, de la volonté et une orientation du coté ou l’on sent un appui.

C’est un grand bienfait d’être aidé par une influence spirituelle ou de voyager avec quelqu’un qui suit le même chemin. Quand nous verrons la voie de nos yeux, nous, pourrons aller seuls, mais vouloir marcher seul au début est très difficile. La difficulté est centuplée pour le voyageur solitaire, alors que les ténèbres paraissent très denses, et l’on risque de s’égarer.

Y a-t-il un point dans la vie de ce monde ou dans la vie spirituelle ou le progrès s’arrête? Il ne peut en réalité jamais s’arrêter, bien qu’il paraisse parfois le faire dans cette vie. Mais dans la vie spirituelle il ne s’arrête jamais, car l’âme qui a touché la profondeur de la vie commence à s’épanouir, à embrasser ce qui est dans la vie manifestée et dans la vie latente; l’âme qui a touché la profondeur de la vie touche l’Illimité.