Pascal Ruga
Vieillir, c'est entrer en éternité

Pour la grande majorité des hommes, l’au-delà ne devient qu’un désir de survie, le présent n’est plus qu’une continuelle poursuite des envies les plus pugnatives, et vivre en société en devient coriace d’agitations artificielles où le problème de chacun est de se mettre devant celui qui le précède… Bien heureusement le sourire d’un petit enfant est toujours là pour nous faire voir l’autre face de toutes ces misères. La Beauté existe, et l’Esprit d’où elle est née aussi.

(Revue Être Libre. No 316. Octobre 1988 – Janvier 1999)

Extraits

Pascal Ruga & Yogi Babacar Khan

EN GUISE D’INTRODUCTION

Aux quelques amis et amies qui peuvent encore se soucier du bonhomme qui écrit ces lignes, je dis : Vieillir, c’est peut-être entrer en Eternité. Ceci peut paraître présomptueux, je ne le dirais pas si je ne le sentais avec l’à-propos de mes 80 ans. Cela se manifeste par un détachement plus accentué de ce monde, de ce siècle en fin de parcours, de toutes les poussées médiatiques qui prenaient de plus en plus place dans un débordement de sons, de couleurs, d’images, d’actualisations de toutes sortes.

Pour la grande majorité des hommes, l’au-delà ne devient qu’un désir de survie, le présent n’est plus qu’une continuelle poursuite des envies les plus pugnatives, et vivre en société en devient coriace d’agitations artificielles où le problème de chacun est de se mettre devant celui qui le précède… Bien heureusement le sourire d’un petit enfant est toujours là pour nous faire voir l’autre face de toutes ces misères. La Beauté existe, et l’Esprit d’où elle est née aussi.

Cependant, je m’éloigne de ces dualités, je me conforte très spontanément en une équanime valeur d’être où la réalité continue son aventure existentielle sans que je ne sois trop conditionné par ses multiples aléas. Il ne s’agit pas de nier ces dualités, elles continuent de s’agiter de mille manières sans que je ne m’identifie à elles. Je suis l’inconnu que je suis sans m’attacher, ou être attaché par mon extérieur… Oui, appelons-le donc ainsi. Les mots ne sont qu’un jeu, si je joue encore avec eux, c’est que mon humanitude se déplace au gré de la Nature Propre qui m’habite et m’enlève aux mille dualités dont il est question ci-dessus.

Voilà ce que j’entends par : « peut-être que vieillir c’est entrer en Eternité ». Ne faudrait-il pas alors remettre en question la valeur temps, ne plus nous arrêter à ce « vieillir » si naturel dans son évocation ? Pourtant il y a l’évidence de ce corps grinçant de plus en plus… Nous ne devons pas en tenir compte, il appartient au monde des phénomènes, dont la mort, si inéluctable qu’elle puisse paraître, nous donne un autre exemple. La notion de temps divise cette Unité qui en nous n’a guère besoin de s’affirmer, tant l’illimitée richesse de SA VISION n’est dotée d’aucune frontière. A nous de savoir recevoir CELA sans nous en prévaloir, CELA d’avant la perception… le « non-né » bouddhique, c’est une très très vieille histoire…

VIEILLIR, C’EST ENTRER EN ETERNITE

A première vue nous avons vieilli inexorablement, mais cette MOTIVATION qui survole constamment le mouvement et la forme, Elle, ne peut vieillir, Elle se maintient hors des souffrances de cet univers qui obéit aux nécessités de cette matière dont nous sommes l’une des incarnations. Ne devons-nous pas tenter de moins souffrir dans cette « Vallée du Carnage » comme l’appelait le prophète Jérémie ? Vivre au-dessus, hors des horreurs de notre histoire, ce qui ne veut pas dire indifférence, mais accomplissement d’une complémentarité qui nous unisse à CELA. Vieillir c’est entrer en Eternité. Mais attention, MOTIVATION N’EST PAS DESIR, et hors de tous les âges, nous sommes toujours en mesure de recevoir l’ABSOLU, il suffit de s’y abandonner, d’entrer en cette Eternité qui compose secrètement notre Réalité. Tout à coup nous arrêtons le pendule de nos actions, nous savons que nous allons dans le sens d’une aventure dépassée, il ne s’agit plus d’atteindre ou de ne pas atteindre à une Réalisation… Toute personnalisation a disparu. Nous sommes au cœur d’un silence sacral où règne l’ACTE D’AMOUR. En cet ABSOLU il n’y a ni commencement ni fin, vivre n’est que le déplacement d’une tangente, et c’est en CELA que l’univers est perçu.

JE NE DANSE PLUS LA TERRE

Perdurer n’est que l’effort des faibles, rien n’est à suivre dans le déroulement horaire de ces temps qui se suivent et ne se ressemblent que trop. Au plus intime de l’âme s’ouvrent les corolles éblouissantes de ce qui semblerait n’avoir jamais connu le jour ou la nuit. Une harpe de la nouvelle connaissance attend les doigts d’un ange de l’ailleurs au-dessus des cercueils de l’Inéluctable. Nous n’avons plus à choisir un paysage qui nous convienne, d’autres soleils confirment les surprises de l’Inconnu. Je ne danse plus la terre, du moins elle n’est plus la seule parmi les trillions d’autres mondes dont nous faisons partie. En cet « Ailleurs qui m’appelle et me propose le désintéressement d’un corps parvenu à terme, je me purifie de la suffisance de l’être. VIVRE ENFIN LE SILENCE ET L’IMMOBILE VIRGINITE DE L’ESPRIT.

AIMER EST LE VRAI REPOS DE L’AME

Il semblerait que rien n’est plus marquant que de perdre ses dents, plus altérant que de compter ses ans parvenus à vieillesse, le feu et la bougie voudraient chanter la complainte de la fin, mais nous avons des yeux pour voir que sans cesse les formes s’épuisent et renaissent autour de nous, et ainsi, à longueur de temps l’on s’expose. Il s’agirait de ne pas recommencer à décrire le ballet de cette Réalité qui nous consume comme un vieux cancer, ne plus retomber dans le délit des écritures, ou d’en restreindre la portée, de savoir qu’à l’instant où tout semblerait avoir été dit, l’Esprit est toujours Présent, vierge de toutes choses, qu’au-delà de l’essoufflement de notre corps la ferme transcendance de ce qui EST nous tient en une contemplation que ne ternit aucun désir. AIMER EST LE VRAI REPOS DE L’AME. Aimer les autres surtout, car s’aimer… est une clownerie qui déclenche le rire de tonnerre de tous les dieux et les diables réunis…

PASCAL RUGA

Le poète suisse Pascal Ruga était l’auteur de nombreux essais, tous inspirés d’une fervente communion spirituelle avec la Nature.

Nous signalons ici les titres de ses principaux ouvrages (1988) :

« POEMES ». Avec la collaboration de Jean Hercourt et de Claude Aubert (Ed. de l’Arène, Genève, Suisse, 1943).

« AU TEMPS DES ANGES ». Essai autobiographique sur la prime enfance (Ed. « Etre Libre », Bruxelles, 1964).

« IL Y A TOUJOURS UNE AUBE ». Poèmes (Ed. de la Salamandre, Paris, 1967).

« AUX SOURCES DU PRESENT ». Poèmes, dessin de Jan Abiénistes (Ed. La Grisière, Paris, 1971).

« LE TEMPS D’UN SILENCE ». Poèmes (Ed. « Aux Sources du Présent », Genève, 1973).

« HORS DU TEMPS ». Méditations et poèmes (Ed. « Aux Sources du Présent », Genève, 1975).

« AU TEMPS DES ANGES ». Essai autobiographique sur la prime-enfance. Deuxième édition avec une lettre-préface d’Alfred Perlés (Ed. « Aux Sources du Présent », Genève, 1976).

« MURIR SON ETERNITE ». Poèmes et méditations (Ed. « Aux Sources du Présent », Genève, 1978).

« AUX SOURCES DE L’INVISIBLE ». Récits issus d’une autobiographie de l’esprit. Préface de Maurice Schneuwly (Ed. « Aux Sources du Présent », Genève, 1979).

« OFFRANDE DE LA SOLITUDE ». Contes, méditations et poèmes (Ed. « Aux Sources du Présent », Genève, 1983). Prix de la ville de Velvet, Académie des Arts et des Lettres du Périgord, 1984.

« LES DIEUX SE CACHENT ». Témoignage d’un enfant. Genève-Lyon, 1913-1918 (Ed. « Aux Sources du Présent », Genève, 1984). Préface de Michel H. Favre.

« MOURIR A SON ENFANCE ». Témoignage d’un écolier de Genève, 1918-1924 (Ed. « Aux Sources du Présent », Genève, 1985).

« O ETERNITE ! ». Méditations et poèmes (Ed. Aquarius, Genève, 1987).