Gabor Maté
Les racines psychologiques de l’autoritarisme

Nous avons tous un nazi en nous. Nous devons comprendre les racines psychologiques de l’autoritarisme. Des études de neuro-imagerie ont montré que l’amygdale, la petite structure cérébrale en forme d’amande qui gère la peur, est plus grande chez les personnes ayant des opinions plus à droite. « Toute tentative de comprendre l’attraction qu’exerce le fascisme sur […]

Nous avons tous un nazi en nous. Nous devons comprendre les racines psychologiques de l’autoritarisme.

Des études de neuro-imagerie ont montré que l’amygdale, la petite structure cérébrale en forme d’amande qui gère la peur, est plus grande chez les personnes ayant des opinions plus à droite.

« Toute tentative de comprendre l’attraction qu’exerce le fascisme sur de grandes nations nous oblige à reconnaître le rôle des facteurs psychologiques », affirmait en 1941 le psychosociologue juif allemand Erich Fromm. Ces facteurs ne sont pas spécifiquement allemands ou, disons, italiens, et ne sont pas non plus les manifestations d’une époque historique unique, qui appartient désormais à un passé lointain. Non seulement les climats politiques, économiques et idéologiques malveillants nécessaires à l’épanouissement du fascisme peuvent se développer n’importe où, mais sa dynamique émotionnelle est également présente dans la psyché de la plupart des êtres humains.

« Nous avons tous un nazi en nous », a écrit Edith Eger, survivante d’Auschwitz, ce qui, selon moi, renvoie à une réalité quasi universelle. Beaucoup d’entre nous portent en eux les germes de la haine, de la rage, de la peur, du narcissisme et du mépris des autres qui, dans leurs formes les plus virulentes et les plus extrêmes, sont les courants émotionnels dominants dont la confluence peut alimenter le torrent destructeur que nous appelons fascisme, pour peu qu’on le provoque ou qu’on l’encourage suffisamment.

Raison de plus pour comprendre les sources psychiques de ces tendances, dont le fondement et la nature peuvent être exprimés en un mot : le traumatisme. Dans le cas du fascisme, un traumatisme grave.

Personne ne naît avec une haine enragée, une rage incontrôlée, une peur existentielle ou un mépris froid ancrés en permanence dans son esprit ou son cœur. Ces émotions fulgurantes, lorsqu’elles sont chroniques, sont des réponses à des souffrances insupportables endurées à un moment de grande vulnérabilité, d’impuissance et de menace sans répit, c’est-à-dire dans la petite enfance.

Le nourrisson humain entre dans le monde avec l’attente implicite d’être tenu en toute sécurité, vu, entendu, protégé physiquement et nourri émotionnellement, ses sentiments étant accueillis, reconnus, validés et reflétés. Dans un tel « nid évolué », pour reprendre l’expression pertinente de la psychologue Darcia Narvaez, nous développons et maintenons une forte connexion avec nous-mêmes, une confiance profondément enracinée dans ce que nous sommes, une confiance dans la bonté innée présente dans le monde et une ouverture à l’amour en nous-mêmes, comme à l’extérieur. Le traumatisme représente une rupture avec ces inclinations saines, dans les cas extrêmes, un déni défensif de ces inclinations, jugées trop vulnérables pour être supportées. Et c’est essentiellement ce que le fascisme est sur le plan émotionnel : une fuite désespérée face à la vulnérabilité.

Le développement des circuits cérébraux est influencé de manière décisive par l’environnement émotionnel de l’enfant au cours des premières années de sa vie.

->Si l’on observe l’affreux demi-dieu du fascisme, Adolf Hitler, ou sa caricature actuelle, Donald Trump, qui lui est souvent comparé — y compris, il y a quelques années, par son actuel colistier à la vice-présidence, JD Vance —, nous trouvons de nombreuses similitudes caractéristiques remarquables : mensonge autohypnotique implacable, méfiance frisant la paranoïa, opportunisme sournois, une grande cruauté, une grandiosité sans limites, une impulsivité démesurée, un mépris écrasant pour les plus faibles.

Tous deux ont grandi dans des foyers dirigés par des pères violents, avec des mères impuissantes à défendre leurs enfants. Dans le cas d’Hitler, l’enfant brillant et sensible a subi une violence impitoyable. Donald Trump a été soumis à la dictature émotionnelle impitoyable d’un père, Fred Sr, que Mary, la nièce psychologue de Donald, décrit comme un « sociopathe ». « Donald Trump est un cas d’école de traumatisme », m’a dit l’éminent psychiatre, spécialisé dans les traumatismes, Bessel Van der Kolk.

Dans les deux cas, la rage et la haine représentent des éruptions des émotions interdites et donc réprimées de l’enfance et les compensations d’une psyché réduite à l’insignifiance. À son tour, comme l’écrit le biographe Volker Ullrich : « Hitler… a donné le signal décisif pour que les Allemands donnent libre cours à leur haine et à leurs désirs destructeurs ». Il s’est adressé aux masses de sa nation qui se sentaient elles aussi menacées et insignifiantes et leur a promis de les racheter — de les « rendre à nouveau grandes », pour ainsi dire.

« Ce qu’ils veulent », écrivait-il, « c’est la victoire du plus fort et l’anéantissement ou la capitulation inconditionnelle du plus faible ». Cette volonté fasciste de domination est le rejet inconscient de la vulnérabilité du petit enfant et une identification défensive au pouvoir inattaquable du père violent.

Qu’est-ce qui attire les gens vers de tels leaders ? Sur le plan socio-économique, leur propre sentiment d’exclusion, de dislocation, de griefs, de marginalisation, de perte de place et de sens. Sur le plan émotionnel et psychologique, une absence de confiance en soi induite par un traumatisme et le besoin de se soumettre à la protection d’une personne perçue comme « forte ».

À cela s’ajoute un besoin impérieux de fuir ses responsabilités en rejetant la faute sur un « autre » vulnérable, mais perçu comme une vermine menaçante — un juif, un musulman, un hispanique ou un slave, par exemple — qui sert de cible à son hostilité invétérée, dont les véritables sources se trouvent dans l’inconscient infantile profond.

Le psychologue américain Michael Milburn a étudié les antécédents infantiles de la rigidité idéologique de la droite [1]. Ses recherches confirment que plus l’atmosphère parentale à laquelle les enfants ont été exposés est dure, plus ils sont enclins à soutenir des politiques autoritaires ou agressives, telles que les guerres à l’étranger, les lois punitives et la peine de mort.

« Nous avons utilisé les châtiments physiques subis pendant l’enfance comme indicateur d’un environnement familial dysfonctionnel », a déclaré Milburn. « Nous avons constaté un soutien nettement plus important à la peine capitale, à l’opposition à l’avortement et à l’utilisation de la force militaire, en particulier chez les hommes qui avaient subi des niveaux élevés de châtiment physique, surtout s’ils n’avaient jamais suivi de psychothérapie ». Cette dernière constatation m’a intrigué.

« La psychothérapie », dit Milburn, « parle d’un potentiel d’examen de soi, de réflexion personnelle ». La réflexion personnelle, que la mentalité fasciste ne peut pas supporter, peut adoucir le cœur.

Des études de neuro-imagerie ont montré que l’amygdale, la petite structure cérébrale en forme d’amande qui gère la peur, est plus grande chez les personnes ayant des opinions plus à droite. Elle est plus active chez les personnes qui favorisent une autorité protectrice forte et qui se méfient des étrangers et des personnes différentes. Cette découverte est révélatrice, car nous savons que le développement des circuits cérébraux est influencé de manière décisive par l’environnement émotionnel de l’enfant au cours de ses premières années.

« Le monstre Adolf Hitler, assassin de millions de personnes, maître de la destruction et de la folie organisée, n’est pas venu au monde en tant que monstre », a écrit la psychanalyste Alice Miller. Le fascisme, en ce sens, est un phénomène tout à fait humain, le résultat de nombreuses influences, dont l’une des plus importantes, à l’échelle personnelle, est la souffrance indicible de l’enfant.

Dr Gabor Maté est un médecin et un auteur à succès dont les livres ont été publiés en vingt langues. Il s’intéresse au développement de l’enfant, à l’unité corps-esprit dans la santé et la maladie, et au traitement des addictions.

Publié à l’origine dans The Guardian.

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1 NDT : On peut en dire autant de la gauche, surtout aujourd’hui, où la distinction entre droite et gauche s’efface face à leur convergence vers une tendance mondialiste et contrôlante.