Robert Linssen
A quoi servent les réunions spirituelles?

Aucune tradition, aucune autorité spirituelle, aucune soi-disant révélation ne peut nous aider à mieux nous connaître. Nous connaître est essentiel. […] Pour nous connaître, il suffit de lire le livre vivant que le destin étale devant nous en toute simplicité, d’instant en instant. Page après page, de moment en moment, le livre se déroule mais nous ne voulons pas le lire. Nous préférons nous intoxiquer sous l’action des innombrables narcotiques spirituels que nous offrent les religions, les théologies. Le livre de la vie ne peut être lu qu’en acte, au cours d’une lucidité attentive à nos réactions lors de nos rapports avec autrui.

La multiplication des éveillés, des guides, des très nombreux séminaires et rencontres dits spirituels nous incite à publier cette mise au point de  R. Linssen (1911-2004) qui durant une soixantaine d’années anima ce genre de rencontres dans de nombreux pays et était bien au fait des nombreuses illusions et manipulations qui les accompagnent… (le titre est de 3e Millénaire)

(Revue Être Libre. No 104-107. Mai-Août 1954)

[…] Cette réflexion nous conduit à rappeler aux lecteurs les buts fondamentaux et l’objet des réunions internationales de 1954 :

1) libérer l’esprit humain des conditionnements imposés par la tradition;

2) nous révéler pleinement à nous-mêmes au cours de discussions amicales.

Aucune tradition, aucune autorité spirituelle, aucune soi-disant révélation ne peut nous aider à mieux nous connaître. Nous connaître est essentiel. Ainsi que l’exprimait Carlo Suarès dans « Krishnamurti et l’Unité Humaine » (p. 23) :

« Un quelconque tâcheron manipulant un outil ou un instrument qu’il n’aurait pas pris la peine de connaître se sentirait  responsable de son échec. Mais par une sorte d’aberration nous agissons dans le monde au moyen de l’instrument le plus puissant  qui soit, et le plus proche de notre observation — nous-mêmes — en admettant a priori qu’il est impossible de le connaître. »

Pour nous connaître, il suffit de lire le livre vivant que le destin étale devant nous en toute simplicité, d’instant en instant. Page après page, de moment en moment, le livre se déroule mais nous ne voulons pas le lire. Nous préférons nous intoxiquer sous l’action des innombrables narcotiques spirituels que nous offrent les religions, les théologies.

Le livre de la vie ne peut être lu qu’en acte, au cours d’une lucidité attentive à nos réactions lors de nos rapports avec autrui.

Ces réactions sont les caractères qu’en lettres de feu nous gravons en nous-mêmes d’instant en instant. Nous seuls pouvons les regarder, les lire.

Les contacts qui s’établissent entre les participants de nos discussions étant orientés vers ce processus de totale auto-révélation, il est inévitable que d’authentiques enrichissements en résultent.

Il n’y a pas de « choses statiques » comme nous connaissons les choses, et qu’il n’y a pas « d’entités figées » comme nous connaissons les entités ou comme nous croyons nous percevoir.

Sur le plan de la matière comme sur celui de l’esprit il ne reste qu’un processus en acte, seule réalité éternelle, se renouvelant d’instant en instant.

Nous devons nous rendre compte qu’il n’existe pas de « penseur entité » mais qu’à la place de cette « pseudo-entité » il n’y a qu’un flux de pensées.

La seule réalité de l’Univers, ou processus en acte, ne peut être saisie que lorsque cesse l’identification illusoire avec l’entité que nous croyons être. Dès lors, toute notre attention doit être dirigée vers le processus de la pensée, sur chacun de nos mouvements mentaux. Ainsi que l’exprime Krishnamurti en d’autres termes, s’il n’y a plus de « penseur-entité », toutes nos disciplines, tous les conseils de nos religions traditionnelles tombent.

La découverte de l’instinct de conservation profond qui fait apparaître chaque pensée ne peut être faite que par chacun de nous, en lui-même, par lui-même, en se libérant de tous les « a priori », de toutes les croyances, les dogmes, les autorités spirituelles des religions.

Les religions, les croyances, les dogmes entraînent imperceptiblement l’esprit humain dans un processus d’imitation, de conformisme.

Les cristallisations religieuses ou spirituelles constituent les pires conditionnements de l’esprit.

La réalité suprême est Liberté. Ce n’est que lorsque nous libérons l’esprit des conditionnements imposés par l’autorité religieuse ou spirituelle, par les croyances, par les dogmes, par les rites que nous réalisons la transparence intérieure, la liberté, le non-conditionnement indispensables à l’établissement de la Religion véritable.

Les religions particulières existant actuellement, se réclamant ou non d’une prétendue révélation, mais se basant sur le prestige de l’autorité spirituelle ne sont que d’authentiques narcotiques spirituels dont nous dénoncerons de plus en plus énergiquement l’action négative.

Ainsi que l’exprimait Lénine, elles sont véritablement l’opium des peuples et constituent la négation même de la Religion véritable.

Jamais un Sage authentique n’est d’ailleurs venu pour « fonder une religion ». Ni le Bouddha ni Jésus n’ont fondé de religion en dépit de toutes les affirmations des autorités actuelles. Jamais ils n’ont même eu cette intention, car un Sage digne de ce nom n’oserait prendre la responsabilité de fonder une institution, qui, non seulement pendant une génération, mais pendant des siècles ou des millénaires, asservirait l’esprit de millions ou de centaines de millions d’êtres humains sincères en leur fermant irrévocablement et systématiquement toute possibilité de Religion véritable.

La Religion véritable est un processus d’auto-révélation vivant, naturel, simple, que chacun ne peut réaliser qu’en soi-même et par soi-même, sans intermédiaire aucun. Les intermédiaires sont des imposteurs. Il n’y a pas d’intermédiaire entre l’homme et sa réalité profonde, entre l’homme et l’Univers.

Ainsi que l’exprime Krishnamurti, les prêtres qui se disent les ministres de Dieu sont des imposteurs. Le fait qu’ils peuvent être sincères ou non, conscients ou inconscients ne change rien à la lourde responsabilité de leur rôle de corrupteur de la vie spirituelle authentique des naïfs qu’ils prétendent « diriger ».

Ces vérités essentielles ne sont pas assez dites et répétées, car la plupart des penseurs et des écrivains n’osent pas prendre la responsabilité de les énoncer.

Aussi longtemps que nous n’avons pas anéanti dans notre esprit et dans notre cœur le prestige des anciennes valeurs basées sur l’autorité spirituelle, sur les prétendues révélations surnaturelles, il nous est impossible de réaliser l’état de transparence et de simplicité fondamentales nous permettant la découverte du Réel.

Si certains persistent à rêvasser dans les autohypnoses résultant des multiples conformismes aux dogmes, aux disciplines, aux prétendues révélations, qu’ils y restent. C’est leur droit. Nous n’imposons pas notre façon de comprendre la liberté et le non conditionnement de l’esprit.

Mais nous pensons que l’immense chaos du monde avec ses guerres, ses misères, ses drames connus et inconnus, résulte de l’ignorance et de l’égoïsme de l’homme. Dans cette perspective, toute attitude d’ignorance individuelle est réellement complice du chaos mondial.

Pour ces raisons nous pensons que des réunions auto-révélatrices au cours desquelles chacun s’efforce de libérer son esprit des fausses valeurs qui l’emprisonnent, aident puissamment cette « connaissance de soi » sans laquelle ne peuvent exister ni responsabilité, ni harmonie, ni intelligence, ni amour véritables.

R. LINSSEN