(Revue Énergie Vitale. No 9. Janvier-Février 1982)
Créé au Japon par Maître Morihei Hueshiba au début du siècle, l’Aïkido, art de défense d’une efficacité remarquable, se présente extérieurement comme un ensemble de mouvements très élaborés, basés sur les lois naturelles du cercle et de la spirale.
L’attaque venant de l’adversaire n’est jamais bloquée ou contrée directement mais toujours aspirée dans un mouvement circulaire pour se terminer par une projection ou une immobilisation permettant de contrôler fermement l’attaquant sans pour autant le blesser. Par la suite, après un long travail sur lui-même, la vigilance et la puissance de l’Aïkidoka lui permettront de prévoir les attaques de l’adversaire avant même qu’elles se produisent…
L’ensemble des mouvements effectués avec le partenaire apprend tout d’abord à l’Aïkidoka à faire connaissance avec son corps, son centre, son « hara », ses hanches. Puis un travail assidu amène le pratiquant à saisir l’essence même de l’Aïkido.
Nous allons tenter de définir cet art, en laissant délibérément de côté l’aspect purement technique qui ne peut s’acquérir que dans un « dojo [1] », sous le contrôle d’un Maître.
Aïkido, terme généralement traduit par « Voie de l’Harmonie » se compose en japonais de trois idéogrammes. Si le premier, aï, qui signifie union ou bien rencontre, a un contenu sémantique relativement pauvre, il n’en va pas de même pour les deux autres dont l’un « ki » est intraduisible, et l’autre « dô », est le mot clé de toute la philosophie extrême-orientale.
Le Ki
Le Ki, si l’on s’en réfère au dictionnaire, peut prendre le sens de âme, esprit, intention, désir, sentiment, caractère, inquiétude, physionomie, aspect, fluide, vapeur, atmosphère, air, énergie.
Une analyse linguistique, même superficielle du vocable ki employé dans des expressions japonaises, ferait ressortir rapidement l’importance de ce concept dans la société nippone. Par exemple le mot « Byoki », formé par le caractère byo (maladie) et le terme ki, signifie malade. Donc être malade, c’est avoir le ki malade.
Par contre le mont « Kibyo », formé des deux mêmes caractères, mais inversés, ne signifie plus avoir le ki malade mais être malade du ki… c’est-à-dire être atteint de mélancolie, de souffrance morale.
Le mot Kimochi, de Ki et Motsa, tenir, soit : le ki que l’on tient, signifie sensation ou encore relation affective avec autrui.
En ce qui concerne le mot Aïkido, le ki c’est l’énergie, le souffle, l’étincelle première, l’essence de toute chose.
A sa naissance, l’homme reçoit le ki, ce souffle de vie qui va donner la vie à son corps physique. Au moment de la mort, le corps perd son ki, et celui-ci retourne dans le Ki universel.
Cette énergie, ce fluide vital qu’est le Ki circule donc dans notre corps tout comme il circule dans l’Univers. L’échange constant et harmonieux entre notre ki et le Ki universel nous assure le bien-être et la santé physique et mentale. L’échange de ki à ki avec autrui détermine nos relations.
De par la vie que nous menons, les agressions quotidiennes et les tourments inhérents à notre nature, nous sommes souvent « bloqués » : rien ne circule, rien ne s’écoule, nous pensons avec nos « épaules »…
L’Aïkido, voie de l’harmonisation du ki ou voie de l’harmonisation avec le ki se propose, par ses mouvements et leur répétition, de permettre la libre circulation de notre ki, sa fusion avec le ki du partenaire, et, par extension, sa fusion avec tout ce qui nous entoure. C’est donc une pratique qui nous ouvre à la sensation du ki et à son écoulement harmonieux dans le corps.
Par tel ou tel détail technique concernant la bonne position des mains, des hanches, ou des coudes, le pratiquant, dans un premier temps, débloquera son corps, ce qui lui permettra, à plus long terme, un affinement de la sensation et de l’utilisation du ki.
Le ki circule certes, mais il s’avère que son écoulement est coordonné au Koryû forme spécifique de respiration qui accompagne chaque mouvement et qui doit partir du centre, lui-même ancré dans le « hara ».
Cette force de respiration, bien plus que le travail des poumons, représente l’échange naturel, l’harmonisation des choses entre elles. C’est la relation qui existe entre la fleur et le soleil, c’est l’ajustement des fonctions : union et séparation, tension et détente, durcissement et assouplissement… C’est aussi passer d’une respiration purement physiologique à une respiration physiologico-spirituelle…
Le Dô
Dans la langue courante, l’idéogramme Dô signifie Voie, chemin, sentier ou route. En religion ou en philosophie, il prendra le sens de doctrine, enseignement spirituel ou bien principe. Le Dô est donc une Voie. L’étude d’une Voie est un effort à long terme vers la maîtrise parfaite d’une technique déterminée et l’acquisition d’un état d’être qui doivent nous conduire à retrouver notre jugement naturel et notre véritable identité.
Le geste pur et naturel, le respect de l’individu et de son environnement, l’observation des lois de la nature, la vigilance, la disponibilité, l’attitude juste au moment juste, la droiture sont les traits essentiels de l’homme du DO, que la pratique de l’Aïkido se propose de former. Car la pratique dans le sens de la Voie s’attache à l’effort dans l’action en vue d’une plus grande technicité pour arriver à la maîtrise complète et au mouvement parfait.
Bibliographie :
Aïkido fondamental; culture et tradition (en 2 volumes) par Christian Tissier (Ed. Sedyrio).
Aïkido, Méthode nationale, par Maître Tamura.
[1] Dojo : lieu où l’homme apprend à se structurer selon la loi du Dô.