Jean Couvrin
Alors j’étais libre

J’ai gardé de mon enfance le goût des belles histoires, des « il était une fois… ». Ces contes, fables et légendes sont plus riches d’enseignements qu’il n’y parait à première vue. Ainsi la parabole du roi Chaos (attribuée à Chuang Tzu, 300 avant J.-C.). Je l’ai rencontrée pour la première fois dans un livre de Douglas E. Harding, où elle servait d’illustration à son enseignement. Il me plairait ici de la dégager de ce contexte, de la regarder indépendamment de cette interprétation particulière et peut-être limitative.

(Revue Etre Libre. Numéro 284, Juillet-Septembre 1980)

En guise d’introduction au très intéressant article de Jean Couvrin, je rappellerai le fragment admirable des écrits de Tchouang-Tseu cité d’ailleurs par Fr. Capra dans son livre Tao de la Physique.

« Les hommes de l’ancien temps, avant le Chaos, partageaient la sérénité de l’univers entier. A cette époque, le Yin et le Yang étaient harmonieux et tranquilles; repos et mouvement alternaient sans heurt; les quatre saisons étaient spécifiées; il n’était fait de tort à aucune chose, et aucun être vivant n’était mené à une fin prématurée.

Les hommes, bien que doués de la faculté de connaître, n’avaient point l’occasion de l’exercer, Cela était ce que l’on nomme l’état d’unité totale. En ce temps la, il n’y avait pas d’action de la part de quiconque mais une manifestation constante de la spontanéité ».

Si nous percevons, sans jugement de valeur, les limites de notre égo en nous affranchissant  des tensions crées par l’opposition illusoire de l’observateur et de l’observé, nous pouvons laisser opérer en nous la spontanéité du Tao.

Robert Linssen.

J’ai gardé de mon enfance le goût des belles histoires, des « il était une fois… ». Ces contes, fables et légendes sont plus riches d’enseignements qu’il n’y parait à première vue. Ainsi la parabole du roi Chaos (attribuée à Chuang Tzu, 300 avant J.-C.). Je l’ai rencontrée pour la première fois dans un livre de Douglas E. Harding, où elle servait d’illustration à son enseignement. Il me plairait ici de la dégager de ce contexte, de la regarder indépendamment de cette interprétation particulière et peut-être limitative.

« Un jour, Tatillon, le dieu de l’Océan du Sud, et Agité, le dieu de l’Océan du Nord, se rencontrèrent dans le royaume de Chaos, le souverain du Centre. Chaos les traita fort courtoisement et ils se concertèrent pour savoir comment lui rendre sa politesse. Ils avaient remarqué qu’alors que tout le monde possède sept orifices pour voir, entendre, manger, respirer, etc., Chaos n’en possédait aucun. Aussi décidèrent-ils de tenter une expérience et de lui percer des trous. Chaque jour, ils en perçaient un. Chaos mourut le septième jour » [1].

Où donc se situe le royaume de Chaos, royaume du centre ? ICI est le centre, à l’endroit-même où je suis, en ce foyer de conscience et de présence.

Pour le savoir et le vivre, il suffit de faire le silence, il suffit de vider ce lieu de tous préjugés et de toute imagination.

ICI règne l’Inconnu (plus vaste que le connu). ICI règne l’Inconscient (qui dépasse et enveloppe les données conscientes). ICI est l’Invisible (qui donne au visible tout son éclat). ICI règne l’Illimité (accueillant le monde et ses limites). Ce chaos central crée l’univers qui l’entoure. Cette origine nue est la source de toutes manifestations. Cette spontanéité sait agir selon des règles. ICI, cette solitude sait accueillir la société. La capacité de l’ICI résiste à toute comparaison, échappe à toute mesure. L’ICI est le sujet, royaume unique. ICI est « Dieu », qu’il me plaise ou non d’en prendre conscience.

« Par exemple, un chrétien ordinaire ne sera jamais satisfait tant qu’on ne lui dira pas que Dieu se trouve dans quelques cieux lointains et qu’il ne peut l’atteindre sans aide extérieure, Il pense que seul le Christ connaissait Dieu et que seul le Christ peut nous conduire à Lui. Il suffit donc d’adorer le Christ pour être sauvé. Si on lui expose la simple vérité : « Le Royaume de Dieu est en vous », il n’est pas satisfait et préfère en donner des interprétations compliquées et alambiquées. Seules les personnes dont le mental a atteint une pleine maturité peuvent comprendre la Vérité toute simple, toute nue » . « L’avidya, c’est l’ignorance. Cette ignorance implique un sujet et un objet. Devenez le sujet et il n’y aura plus d’objet » [2].

Dieu ? « Que peut bien signifier aujourd’hui ce petit mot démodé ? Satan, comme chacun sait, est le père du mensonge. Par le mot « Dieu », il faut entendre, sans plus, cette nouvelle manière d’être et de voir qui s’impose à un homme lorsqu’il a cessé de se mentir, de se prendre pour ce qu’il n’est pas, de s’ériger en personnalité soi-disant autonome et distincte. Nous sommes Dieu [2]. « C’est la conscience intérieure débarrassée du mental que l’on ressent comme étant Dieu » [2].

Et qu’est-ce que la religion ? Le meilleur et le pire. Elle peut être un expédient astucieux, car il est étonnamment astucieux de donner un nom (« Dieu »b ou « Seigneur très haut ») à une réalité qui se situe au-delà du langage, et de diriger son attention vers elle, à la manière dont on se tourne vers le visage d’un ami. « L’homme doit purifier de tout préjudice sa faculté de discrimination et rechercher un ami dans la religion, car la religion est la connaissance de l’ami » [3]. A certains moments, l’astuce religieuse peut être opérante et bienfaisante. A condition de ne jamais oublier qu’il s’agit d’un expédient. Car le roi Chaos est sans visage, absolument.

***

Ce royaume du centre, ce royaume unique du sujet, la société s’efforce de le détruire. Parce qu’elle est habitée dans ses viscères, par la peur de la liberté. Aussi, notre dépendance psychologique envers la société est-elle généralement comme une corde nouée autour de notre cou, et qui nous étouffera au septième jour. « Autrefois, la compagnie des hommes me semblait une potion délicieuse dont les effets étaient salutaires; actuellement elle m’apparait comme un mal pour lequel il n’y a pas de remède. Si tu veux y échapper dans ce monde, lis assidûment les bons livres, sans jamais détourner ta pensée du Seigneur très haut » [4].

En fait, nous devons apprendre à vivre simultanément dans le double monde de l’originel et du manifesté, de la solitude et de la société. « De noble conduite et plein de bienveillante tendresse, te conformant à l’extérieur aux conventions, mais à l’intérieur libéré d’elles, agis en te jouant dans le monde, ô Râghava » [5]. La conscience de notre appartenance au double monde du visible et de l’invisible est de nature à lever bien des contradictions apparentes.

Quoi qu’il en soit, l’arrachement au monde précède la réconciliation. Il ne faut s’agripper à rien quand on veut se mouvoir avec aisance dans les deux mondes. D’abord il faut trancher, se défaire de l’instinct de possessivité et de la manière dont il fonctionne dans la vie sociale.

Représentée dans notre parabole par les dieux Agité et Tatillon, la société nous invite au conformisme. La réussite sociale (professionnelle, sexuelle…) dépend de notre aptitude à produire devant les autres le comportement qu’ils aiment et qui confirme le leur.

Un visage, un masque percé de sept trous, ils en avaient un depuis longtemps, nos dieux du Nord et du Sud. Visages et vêtements soignés; une séduction discrète, de bonnes manières, une pointe de narcissisme: ils n’ont jamais ménagé leur peine pour paraitre « comme il faut ». Quant au roi Chaos, qui ne se soucie pas de faire bon visage, à leurs yeux, il se néglige. Qu’importe, sa courtoisie est si grande que nos dieux des antipodes se chargent de mettre bon ordre à sa toilette. Courageux au travail, stakhanovistes de l’inutile, ils s’affairent et se donnent du mal pour sculpter le visage du roi Chaos. Dame, il faut bien qu’il ressemble à quelque chose !

Lorsque nous sommes trop soucieux d’être « bien vu », quand nous attachons trop d’importance au regard que les autres portent sur nous, au lieu de vivre de nos propres ressources, c’est le monde qui vit à travers nous — le monde avec le cortège de ses préjugés, de ses lois et autres conventions suspectes, avec tout un régiment de « il faut ». Exposé à tant de pressions extérieures, comment ne pas devenir agité et tatillon ? « Attention, on me voit Le monde me tient à l’œil ! ». Alors je désarme ses critiques en lui offrant toutes les grimaces de la complaisance.

Pourtant, quelles que soient les erreurs auxquelles la société nous expose, il faut bien y vivre, notamment y travailler. Agité et Tatillon ont des fonctions sociales; ils doivent bien s’en acquitter. Je travaillerai donc. Sans vouloir évaluer mes mérites. « Que la main, gauche ignore ce que donne la droite ». Il est à espérer que mes aptitudes répondront convenablement aux sollicitations des circonstances. De toutes façons, je ne suis vraiment ni le maitre de mes aptitudes, ni le maitre des circonstances. Il suffit d’être présent à ce qui m’est donné à vivre. Pour ce qui est de m’estimer moi-même, de me surestimer ou sous-estimer, cette activité parasitaire ne peut qu’altérer l’efficacité de ma conscience.

Sérieux et humilité au travail ! Il s’agit bien de cela ! Une force puissante nous pousse à « être quelqu’un », une personnalité affirmée et distincte. Coûte que coûte, il importe de « sortir de l’anonymat ». La nature, parait-il, a horreur du vide, et la société a horreur du visage sans traits du roi Chaos, d’un être sans paraître. J’utilise une multitude de masques pour cacher ma détresse, et pour être considéré je gonfle l’importance de mes activités et de mes fonctions. « Tous les désirs, les affections, les tendresses et les inclinations que les gens ont pour le père, la mère, les amis, les cieux, les terres, les jardins, les palais, les sciences, les actions, les aliments, les boissons, ils les croient raisonnables. Or toutes ces choses sont des masques. Quand les gens passent hors de ce monde et voient le Roi sans masque, ils comprennent que toutes ces choses étaient des masques et des voiles. En vérité, leur idéal était cette seule Chose : toutes les difficultés sont résolues par cette mise à nu » [3].

L’homme sociable appelle décence le voile qu’il jette sur son égoïsme effréné. Son charme tient à la souplesse de sa servilité. Ses comparses apprécient le bon goût de sa conversation : elle ne trahit à aucun moment « le-pacte-tacite-du-mensonge-qui-nous-unit ». Il existe beaucoup de vertus sociales, j’en passe et des meilleures. C’est une tâche ardue d’arriver à les pratiquer toutes. Tatillon et Agité sont engagés dans une entreprise éreintante.

Trop souvent, comme Agité et Tatillon, je suis clown humain, clown social. Ma vie est-elle irrémédiablement perdue ? La grâce « Dieu, Grâce et gourou sont synonymes » [2]  — peut agir de manière imprévisible. Une grâce qui, à première vue, ressemble souvent à une catastrophe.

Invariablement porté à critiquer les autres, mon attention peut brusquement se déplacer et me faire voir l’immensité de mes propres insuffisances. Alors les autres humains, avec leur ignorance et leurs faiblesses, se mettent à me ressembler comme des sosies. Je peux sentir qu’il est vain de vouloir enfermer le courant de la vie dans la petite boite de l’intellect et assister à l’effondrement de mes prétentions intellectuelles. Un homme peut devenir écologiste, prendre soin de son environnement comme de son propre corps, découvrir ensuite que son corps n’est autre que l’univers entier, et même qu’il n’est pas dans l’univers mais que l’univers est ICI, en ce lieu de conscience. Epuisés, trop longtemps tyrannisés par les « il faut » que la société leur lance à la tête, il se peut qu’Agiter et Tatillon choisissent un jour de s’établir dans la tranquillité intérieure, qu’ils lâchent le dehors pour le dedans.

L’heure sonne de la catastrophe/bénédiction, de l’effondrement en bourse des pseudo-valeurs. Les richesses fictives font place à la pauvreté. Effacement : au besoin de paraître succède le bonheur de disparaître. Etre un jour vraiment petit et, si possible, ne rien ajouter à l’humaine pollution

***

Douglas Harding, un philosophe anglais contemporain, raconte lui aussi la parabole de Chaos pour illustrer son enseignement. Le terme « enseignement » convient mal, car D. Harding ne s’embarrasse pas d’arguments, il invite tout de suite à l’expérience. Voici ce qu’il pourrait nous dire.

L’histoire de ce Chaos, de cet homme sans yeux, ni oreilles, ni bouche, de cet hurluberlu sans tête, vous parait-elle absurde ? Avez-vous regardé attentivement, sans préjugés, sans mémoire et sans imagination, sérieusement, ici et maintenant ? Voilà pourtant une réalité qui vous touche de près ! En ce moment précis, que reste-t-il du « visage » du lecteur que vous êtes — visage qui disparait si complètement, si parfaitement transparent, pour vous permettre de voir deux mains qui tiennent une page imprimée ? Pour vous moquer du roi Chaos, quelle tête avez-vous donc ?

Après la catastrophe/bénédiction, je n’étais plus rien psychologiquement de ce que je prétendais être. Et maintenant, je me vois invisible. Cette vision aussi m’établit dans l’effacement, la pauvreté; mais en même temps elle m’enveloppe, en quelque sorte, dans une aura de clarté. L’ICI devient clair et léger comme la vision elle-même.

D. T. Suzuki rapporte la même anecdote dans un chapitre où il compare l’Orient et l’Occident. Entre autres différences, l’homme d’Orient entre en contact direct avec la nature, alors que l’occidental s’obstine à interpréter le monde, en accumulant à son propos des analyses fragmentaires. Notre roi Chaos lui fait penser, ni plus ni moins, à l’auteur du merveilleux Tao To King. Lao-Tseu se dépeint lui-même comme un idiot. Il semble ne rien reconnaître et ne rien ressentir. Il est pratiquement sans valeur dans ce monde utilitariste. Il est quasiment dépourvu d’expression (…).

« A l’opposé, l’Occidental possède une paire d’yeux aigus, pénétrants, solidement enchâssés dans leurs orbites, qui surveillent le monde tel un aigle dans les hauteurs du ciel (…). Son nez proéminent, ses lèvres minces, la facture de son visage, tout cela suggère une intellectualité hautement développée, une promptitude à agir comparable à celle du lion. Aigle et lion sont les symboles de l’Occident ».

Pour Suzuki, « l’Orient est Chaos, l’Occident, le groupe de ses amis bien intentionnés mais sans discernement ». Si Lao-Tseu et Chaos montrent un visage si peu expressif, c’est que leur attention est requise par la totalité, l’immensité du réel, visible et invisible, conscient et inconscient. « La Nature paraît chaotique dans le fait qu’elle est le réservoir d’infinies possibilités. La conscience, émergée de ce soi-disant Chaos, n’est qu’une chose superficielle n’effleurant que la frange de la réalité. [6]  Le silence de l’esprit nous permet de retrouver la paix des profondeurs.

***

L’Inconscient qu’appréhende Suzuki — Inconscient non mutilé par les analyses réductrices des sciences humaines — est le sol originel de l’être, dont émerge la totalité de ce qui est, y compris cette manifestation qu’est l’homme « corporel ». Mais quel est le rôle du corps ?

Est-ce mon stylo qui conçoit cet article ? Ou ma main ? Ou mon cerveau ? Ou l’ensemble de mon conditionnement ? Ou bien. est-ce en fin de compte, me traversant, servi ou trahi par ce que j’appelle « moi », un Inconnu créateur, porteur de tout cela et de l’univers entier ? Est-ce la main qui rédige ?

Est-ce l’œil qui voit ? Tant pis pour moi si, comme Agité et Tatillon, je m’identifie à mon joli visage. L’être n’est pas le paraître, et le roi Chaos se trouve bien mieux loti. Il peut dire : « Ma puissance est inconcevable; sans yeux je vois; sans oreilles j’entends » [7]. « Dieu est Celui qui entend et en t’attribuant cette faculté à toi-même, tu deviens sourd. Tu es devenu aveugle parce que tu t’es attribué la vue à toi-même. Lorsqu’il sera ton ouïe et ta vue, alors tu n’entendras et ne verras que Lui »  [8].

Dieu ? Cette conscience, ici, débarrassée de tout camouflage, qui est plus moi que moi, qui n’est plus ni moi ni toi, cette conscience seule est création, vivacité et vision.

***

Comme tout homme sérieux et honnête, le roi Chaos vit sans image de lui-même, donc (et notamment) sans visage. Il s’est établi dans une pratique recommandée par les instructeurs les plus éminents : « Vois, en ce moment précis, à quoi ressemble ton visage — le visage que tu avais avant d’être né » (Hui Neng, patriarche zen). Pour Maitre Eckhart, la lumière divine nous « arrache au temps et à l’espace, ainsi qu’à toute représentation corporelle elle fait de nous « un être humain (…) dégagé de toutes images étrangères, aussi dégagé qu’il l’était alors qu’il n’était pas » [9].

La dissipation du mirage social, la pratique de l’effacement psychologique (comme dans les grandes philosophies religieuses) et de l’effacement corporel (dans ces mêmes philosophies mais d’une façon moins explicite, et d’une manière directe dans « la vision sans tête » de D. Harding) — ces réalisations et pratiques nous ramènent au royaume qui est en nous, qui est ici-même, au chaos originel. Par chaos, entendez, selon l’une des significations du terme, l’ordre originel, antérieur à toutes les naissances, avant la création. La paix intérieure me fait descendre vers « la Déité, abîme sans fond, désert, origine, cause première » [9].

Décidemment, ce commentaire ne nous mène-t-il pas trop loin ? Avant la création ? Que pouvais-je bien être alors ?

Alors ? Alors j’étais libre. De cette liberté que je cherche aujourd’hui, généralement dans une voie de garage, dans une émotion artistique ou au fond d’un verre d’alcool. De cette liberté qu’il m’arrive peut-être d’entrevoir en quelques moments privilégiés.

« Lorsque j’étais dans ma cause première, je n’avais pas de Dieu et j’étais cause de moi-même; alors je ne voulais rien, je ne désirais rien, car j’étais un être libre, je me connaissais moi-même, jouissant de la vérité. Je me voulais moi-même et ne voulais rien d’autre; ce que je voulais, je l’étais et ce que j’étais, je le voulais et là j’étais dépris de Dieu et de toutes choses (…). Que celui qui ne comprend pas ce discours ne s’en afflige pas dans son cœur » [9].

Ce qui était de moi avant ma naissance et avant toute naissance, certains maîtres l’ont appelé le non-né. Bien sûr, la non-né est aussi le non-mortel. Or cette dimension d’être est présente ici maintenant et toujours. Tant bien que mal, le recueillement nous protège contre l’obnubilante fascination du monde phénoménal. Plus ou moins, il nous dégage de l’espace et du temps. Jusqu’au jour où nous sommes appelés à expérimenter concrètement que nous ne sommes jamais sortis de l’éternel.

Prise de conscience de notre identité ultime, l’Eveil (ou Illumination, ou Satori…) est simple, accessible à chacun, d’une marnière vivante et concrète.

Il est simple. Mais il ne s’obtient pas à bon marché. Cette prise de conscience peut se produire aujourd’hui, demain, à n’importe quel moment d’une évolution personnelle. Mais que ce soit avant ou après, en vue de l’Eveil ou pour l’établir en soi de façon permanente, nous aurons à nous dégager complètement du mirage humain.

Jean Couvrin.

[1] D.E. Harding, Vivre sans tète, une contribution au zen en Occident, traduction : Jean Van Harck (dit : J. Couvrin), éd. Le Courrier du Livre, p. 38.
[2] L’enseignement de Ramana Maharshi, éd. Albin Michel, p. 91, 204, 39, 184, 345.
[3] Rumi, Le Livre du Dedans, éd. Sindbad, 33, 62.
[4] Attar, Le mémorial des saints, éd. Seuil, p. 222.
[5] Robert Linssen, Bouddhisme zen et yoga, revue Yoga, mars 1971.
[6] D.T. Suzuki, E. Fromm, R. de Martino, Bouddhisme zen et psychanalyse, Presses universitaires de France, p. 12, 20.
[7] Kaivalya upanishad.
[8] ibn Ashir.
[9] Maitre Eckhart. Sermons, éd. Seuil, tome I, p. 52; T. 2, p. 139, 146.