Patrick Paul
Approche de la médecine initiatique

(Extrait du journal Aurores no 36 Sept-Oct 1983) Le docteur Patrick Paul est l’auteur d’un ouvrage important « Le chant sacré des énergies » paru aux éditions Présence. Il y consigne le fruit de ses recherches sur la musique, l’acupuncture et les nombres selon la tradition. L’orientation de ses travaux en relation avec sa pratique quotidienne de la […]

(Extrait du journal Aurores no 36 Sept-Oct 1983)

Le docteur Patrick Paul est l’auteur d’un ouvrage important « Le chant sacré des énergies » paru aux éditions Présence. Il y consigne le fruit de ses recherches sur la musique, l’acupuncture et les nombres selon la tradition.

L’orientation de ses travaux en relation avec sa pratique quotidienne de la médecine le désignait tout naturellement à nous livrer cette « approche de la médecine initiatique » qui vise à une transformation de l’être.

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LA science moderne, malgré ses progrès, conduit progressivement la médecine, à une lente désagrégation. Les hommes, déracinés d’eux-mêmes, coupés de leur source authentique, exercent des techniques et des arts sans fondement, « à leur image »… Le miroir s’est inversé ! Ce fait, aigu actuellement, ne date pas de l’époque moderne. C’est ainsi que, de tous temps, se sont opposées et complétées deux médecines :

— La médecine commune, que nous appellerions aujourd’hui scientifique ou rationnelle. Elle s’exprime en référence aux concepts d’une époque. Cette vision, dite objective, considère le malade précisément comme son objet. Ses preuves expérimentales en font un outil non négligeable, en particulier dans les cas graves. Cependant, la grande tentation est de considérer la maladie, et non le malade qui en est porteur. Celui-ci peut devenir très vite un simple numéro de dossier. au mieux un « cas intéressant », ou bien se voir redéfini dans un interminable bilan d’analyses, souvent systématiques et onéreuses. La porte est ouverte à la déshumanisation, qui se ressent malheureusement tous les jours davantage dans une société de quantité et non de qualité.

— La médecine traditionnelle, c’est-à-dire initiatique, considère les faits matériels (les symptômes), non pas isolément, mais reliés, au travers et au-delà de la subjectivité de l’observateur, à l’unité cosmique. Elle ouvre les portes de l’inconnu en pénétrant les profondeurs humaines. Dans ce monde où la science rationaliste est à l’avant-garde de notre société, une étude sincère de la science traditionnelle démontre que l’observation de la nature, l’intuition, peuvent mener à obtenir des résultats supérieurs à ceux de la recherche contemporaine. Le développement excessif et unilatéral de la science rationaliste a creusé un fossé en l’homme entre son âme et les sphères de sa vie quotidienne.

La vie matérielle, en privilégiant l’éphémère face à l’éternel, accentue le divorce interne entre la réalité divine de l’individu et sa condition terrestre, cette déchirure s’exprimant par l’angoisse, la dépression, les divorces même, et tout ce « mal-être », ce « mal à vivre » de notre société.

Pour retrouver l’unité perdue, nous avons besoin de reconstituer l’union avec la nature, certes, mais, plus véritablement, avec l’Univers. Nous avons besoin de re-tisser ce fil invisible qui nous relie à notre origine, d’éprouver la signification de l’Univers, sa source, son but, et, par cette connaissance, nous découvrir. Rechercher en soi l’unité conduit à la recherche de l’unité en toute chose. Et, pour guider harmonieusement notre existence, il nous est nécessaire de saisir la loi d’harmonie qui régit toute chose, la loi unique sur laquelle repose tout l’Univers.

« TOUT EST ARRANGÉ
PAR LE NOMBRE »
(Pythagore)

La loi du Nombre préside à toute manifestation : Elle est cette loi unique qui, par son mouvement énergétique, structure le Cosmos, comme elle structure l’univers des sons et des couleurs, le corps humain, les règnes minéral, végétal ou animal.

Le nombre est une énergie vivante. Sa compréhension permet de conceptualiser le monde énergétique dont l’acupuncture chinoise n’est que l’un des aspects. Il s’agit cependant de différencier le Nombre vivant, ou Nombre Divin, Nombre – Idée (Verbe – Logos) du nombre « scientifique ». Le premier appartient à l’Arithmologie, Mystique du Nombre pur et créateur. Le second relève de l’Arithmétique. Expression de la Loi — comme celle-ci est l’expression de l’Harmonie Universelle — il règle la destinée des Hommes (Yi-king) et les phénomènes naturels lui obéissent.

La Langue du Nombre est langue de la Connaissance. Elle ouvre à la compréhension des lois naturelles, cependant que son pouvoir symbolique, esthétique et religieux, introduit au monde invisible et engage à la recherche de l’essence même du monde.

« ET DIEU CRÉA LE MONDE »

Dans les traditions, tant orientales qu’occidentales, la création débute par un chaos, un mélange de souffles, c’est-à-dire d’énergies, avant toute séparation. C’est un état « catastrophique » à la condition de méditer sur le double sens de catastrophe, celui de chaos, de désorganisation, d’indifférenciation, que nous employons couramment, et celui qu’il a en acceptation musicale, à savoir le retour au point de repos et à l’équilibre axial d’une corde de lyre après qu’elle eût vibré.

Puis, rapportent les Anciens, par une action séparatrice, les souffles purs et clairs montent et les souffles troubles, denses et impurs, descendent. Ce sont les Inn et le Yang des Orientaux, les Eaux d’en-haut et les Eaux d’en-bas de la Genèse occidentale. Cette action séparatrice (Chronos-Saturne dans la mythologie helléniste) va instaurer le Cosmos (la racine de ce dernier signifiant monde ordonné et harmonieux).

Ce processus est engendré dans la Bible par la Parole de Dieu « au commencement Dieu créa le monde » que rapporte aussi Saint-Jean : « Au commencement était le Verbe… » Le Verbe est la matérialisation de la Pensée créatrice donnant naissance à la vie. Dieu tire la Nature du Néant par la vertu de Son Verbe, la manifestation se structurant par le Nombre vivant.

Tout est issu du chaos, tout y retourne le septième jour (repos de la corde de lyre) au travers de la propagation d’une vibration créatrice harmonique : le Verbe créateur se transforme lui-même en une vibration primordiale de la nature d’un son, disent les traditions. La manifestation du verbe s’exprime par le Nombre :

« Dieu a créé le monde avec mesure, nombre et poids » (livre de la Genèse XI – 21), ou « Tout est arrangé par le Nombre » (discours sacré de Pythagore cité par Jamblique).

C’est ainsi que le Nombre permet d’appréhender l’action du Verbe et qu’il offre sa structure à l’octave. Cette même loi du Nombre Vivant unissant le Verbe à l’octave met en évidence un processus analogique entre la genèse de l’univers et la genèse musicale.

« LA LOI D’HARMONIE UNIVERSELLE »

La double spirale apparaît comme le modèle le plus adéquat pour exprimer et comprendre la loi d’harmonie universelle. Elle permet de réunir et de positionner, dans un système unitaire, les différentes énergies des Nombres, qui définissent des espaces ou qualités d’énergies appartenant aux mouvements d’involution (chute) et d’évolution, centrés par le renversement énergétique de la manifestation.

Le pôle lunaire est relié au monde des phénomènes, des effets, des conséquences. Il correspond à l’Arbre de la Connaissance du Bien et du Mal. La Lune préside à la manifestation, qu’il s’agisse de l’avènement d’un individu à la vie (sexualité) ou de l’établissement d’une personnalité (psychisme). L’un et l’autre sont effet d’un mouvement séparateur et engendrent la dualité : la naissance sépare l’enfant de sa mère, comme l’intégration du « Moi » située au niveau de la personnalité, se base sur la différentiation entre moi et l’autre.

Le pôle solaire est relié au monde nouménal des causes. Il symbolise le retour à l’unité après l’expérience et l’intégration de la multiplicité, de la différentiation, lors du passage dans la manifestation. Entre les deux pôles, le développement harmonique positionne cinq mouvements, sept étapes et douze lieux.

L’Homme, enfant du Ciel et de la Terre, constitue le Temple microcosmique, à l’image du microcosme. Son destin est de réunir ces deux mouvements apparemment contradictoires, d’établir l’équilibre entre Soleil et Lune, dans la manifestation, l’espace-temps.

« LA MUSIQUE
EST UN NOMBRE
QUI CHANTE »
(Dom Neroman)

Leibniz disait du Nombre qu’il est muet, mais son inverse donne une fréquence qui chante. La musique apparaît ainsi comme l’envers des Nombres et constitue une mathématique occulte.

Sa loi étant par essence harmonique, (sans quoi ce serait le chaos), la musique apparaît comme le modèle même de l’harmonie universelle et de la mise en ordre du Cosmos : tout corps, toute fréquence est musique. La vibration est fréquence, et la fréquence est « musique ». Tout le monde manifesté n’est qu’un immense mouvement spirale de successions d’octaves, le son audible n’en représentant qu’une infime partie. La musique devient dès lors le modèle même de la manifestation. Elle exprime l’harmonie universelle et explique la loi d’analogie existant entre les différents niveaux de la création. Elle établit la relation entre le Ciel et la Terre : de même que l’Eau (d’en-bas) sans Esprit (Eau d’en-haut) serait sans forme, et l’Esprit sans Eau serait sans action, l’instrument sans vibration n’aurait pas plus de fonction qu’une vibration sans instrument pour la faire résonner et se manifester.

Tout système est basé sur la loi de l’octave. Le monde manifesté couvre 81 octaves dont peu sont perceptibles à nos sens. La multiplication des fréquences provoque les changements d’octave, le souffle des Nombres générant les sons, les couleurs, aussi bien que les rayons X, les ultraviolets, et même les vibrations nucléaires. Tout se joue à l’intérieur de l’octave. La manière dont elle va se structurer est à l’image de la genèse, c’est-à-dire création par séparation. Le principe de la discontinuité des vibrations s’y applique (c’est même le modèle musical qui le rend le plus évident, puisque le ralentissement dans la propagation de l’énergie provoque deux demi-tons dans la gamme). Bien sûr, le Nombre s’y exprimera par l’Unité, la dualité, le ternaire, le quaternaire…

La loi d’inversion entre Ciel et Terre, ou encore entre non-manifesté et manifesté, y trouve également application : une corde, caractérisée par une longueur, représentant l’aspect Terre, manifesté, s’exprimera en une fréquence inversement proportionnelle à cette longueur. La longueur est en relation avec la matière. La fréquence en est l’expression « énergétique ».

Construite selon la succession des phases de la Genèse, la gamme est Parole de Dieu, c’est-à-dire témoin de l’acte créateur. Il est évident que le son fait partie de l’expérience quotidienne de chacun. Tout être baigne dans un environnement sonore, le plus souvent composé de bruits, dont il a plus ou moins conscience. Structuré et organisé, le son devient musique et peu y sont insensibles : elle suscite des émotions, soulage ou vitalise, calme ou endort. Beaucoup subissent ces états, ignorant son pouvoir, à la fois constructif et modelant, ou à l’inverse destructif et déstabilisateur. Elle est une énergie active jusqu’au plus profond de l’être, ouvrant l’accès au monde invisible. Modèle vibratoire le plus simplement perceptible, elle introduit à la connaissance des différentes manifestations de la vibration universelle, à la condition de l’entendre dans son langage initiatique et sacré. Bien que perceptible par l’oreille humaine la Musique appartient au monde de l’impalpable, de l’Éternel Présent ; Ambassadrice des Dieux dans les mythologies, médiatrice de l’harmonie cosmique, elle établit le pont entre le Ciel et la Terre, par identité de résonance, et introduit à la compréhension du microcosme humain. L’Homme, intermédiaire entre Ciel et Terre, se doit, pour atteindre sa juste réalisation, de participer aux deux mondes et la Musique lui est offerte à cet effet.

Avant que l’Homme ne s’en empare pour l’asservir à l’expression de ses propres sentiments, la Musique n’avait pas pour but de susciter des émotions, mais de toucher l’être sur un plan spirituel. Elle n’était point faite pour être entendue par l’oreille, mais pour être reconnue par le cœur, pour la satisfaction de l’esprit. C’est ainsi que nous entendrons par Musique, la Musique sacrée, et non la musique profane contemporaine : l’Art est par essence, médiation.

La Musique unit tous les êtres, les mettant au même diapason. Cette fusion dépasse les différences de la vie existentielle, les sexes, les hiérarchies, touchant le cœur même de l’homme.

Elle rassemble le monde horizontal en son centre cardiaque manifesté, et ouvre aux portes invisibles du vertical. Ce contact, ces retrouvailles du Paradis perdu, ne peuvent que générer la joie, qui, d’ailleurs, s’associe au cœur dans toutes les traditions.

C’est ainsi que musique et acupuncture reposent sur le même modèle numérique, le corps humain pouvant être comparé à un instrument de musique dans lequel les cordes – méridiens sont en vibration et en résonance avec la musique du ciel (les saisons) ; les points d’acupuncture sont alors les notes de musique sur ces cordes, lieux de résonance privilégiés reliés aux organes profonds.

MÉDECINES
INITIATIQUES

Il est possible de constater une nouvelle fois que la Tradition est la base de tout acte thérapeutique réel. Elle distingue en effet ce que l’on pourrait appeler l’« Arbre de Vie » occidental (modèle du Ho T’ou ou Ciel Antérieur chez les chinois) et l’« Arbre de la Connaissance » (modèle du Lo chou ou Ciel Postérieur en Chine).

L’Arbre de Vie expose un modèle numérique, et donc énergétique, équilibré. Il traduit l’expression harmonieuse de l’Unité, permettant la rencontre avec l’éternité de la vie, au delà des apparences existentielles.

L’Arbre de la Connaissance exprime un modèle numérique déséquilibré et dynamique. Il énonce la « chute », la dualité, l’illusion, la maladie et la mort.

Ainsi, toute thérapeutique traditionnelle, sacrée ou initiatique, devra-t-elle reposer sur le premier modèle et permettre par une réharmonisation de ce qui s’était séparé le retour à l’Unité, présence existentielle du Maître intérieur (Similia similibus curantur). A l’inverse les thérapies reposant sur la loi des contraires (Contraria contrarius curantur) telles allopathie, phytothérapie… ne peuvent en aucune façon guérir. Elles peuvent, ce qui n’est pas négligeable calmer des symptômes, enlever l’organe malade, mais elles ne répondent pas à la cause de la maladie, elles ne guérissent pas au sens sacré du terme.

La guérison ne peut fondamentalement que s’envisager comme un acte rédempteur. Or, la pratique médicale actuelle, incluant les médecines douces, trop souvent hélas pratiquées dans un esprit allopathique, est le plus souvent symptomatique. Pourtant magnétisme, homéopathie, acupuncture, musicothérapie, spagyrie… ont une possibilité d’expression sacrée à la condition de les utiliser dans ce qu’il y a de semblable, d’analogique (similinum, signatures de Paracelse, son régénérateur…)

En fait, la clé se trouve dans l’esprit avec lequel le praticien exerce son métier : ou il acquiert une technique et la thérapie devient une science froide et mécanique, ou il exerce un art, découvre la voie du cœur, et la thérapie devient un chemin initiatique..

L’exercice quotidien engage dans une voie de transformation de l’être. Plus la rencontre intérieure est profonde, plus la rencontre extérieure est authentique. Il devient dès lors possible d’accompagner l’autre de plus en plus vers la cause réelle de sa maladie, au delà de la multitude des symptômes apparents.

L’acte thérapeutique qui en découle est soutenu par le même esprit. Il s’agit d’aller à l’essentiel : piquer le moins possible, donner peu de médicaments. Le choix, l’indication thérapeutique s’appuient sur la résonance analogique, reliant le déséquilibre au moyen thérapeutique. Il en est de même dans les pratiques corporelles ou le son régénérateur : la prise de conscience de l’impact sonore s’effectue dans l’espace intérieur comme dans l’espace extérieur. Elle engage l’individu à reconnaître sa totalité d’être, chaque « son-voyelle » ou chaque « son-consonne » en spécifiant une partie. Utilisé ainsi, le son possède un pouvoir régénérateur structurant et réharmonisateur, en référence au monde de la résonance et de l’analogie.

Au sortir du profane, l’espace et le temps épousent une autre réalité. La conduite thérapeutique et les interventions doivent conduire à ce qui est le « bien » de chacun. Il ne s’agit pas d’imposer une idée, un traitement, mais d’accompagner, de proposer avec amour une direction juste. A chacun ensuite, par son propre cheminement, de tendre vers ce juste (geste juste, pensée juste, parole juste).

Le corps est le Temple et le lieu de combat des antagonismes apparents du plan existentiel et essentiel. Il devient — pour qui sait le lire — une véritable carte routière donnant les indications nécessaires au diagnostic et au cheminement thérapeutique. L’accomplissement du geste juste, exprimant la Présence intérieure, est également outil de réharmonisation.

La thérapeutique initiatique peut s’appeler acupuncture, homéopathie, musique ou tout autre moyen, à la condition de reposer sur le modèle de l’Arbre de Vie. Cela ne veut pas pour autant dire régresser au temps d’Hippocrate ou de l’Empereur Jaune. La forme peut changer, l’Esprit demeure. La médecine initiatique, adaptée à chaque époque, est, surtout et avant tout, quel que soit le moyen thérapeutique utilisé, une lente et progressive transformation de l’être, en relation avec le karma. Elle conduit à la libération finale existentielle, par la Mort-Résurection-Ascension faisant entrer l’individu, par le mystère de l’Hypostase, dans le monde paradisiaque de l’Éternel Présent.

Patrick Paul