(Chapitre 6 du livre L’envers de la raison 1989)
«L’Esprit, comme thème, ou idée, ou conscience, ou projet, est formateur, enveloppant, anticipant les structures de ses supports matériels. La Gnose est essentiellement antimatérialiste. Une réalité matérielle, physique ne peut précéder la conscience. La conscience est à la fois l’endroit et l‘enveloppe constituante de la réalité matérielle.»
«Il est absurde, remarquent les Gnostiques, de considérer le cerveau, et le système nerveux en général, comme un organe à fabriquer de la conscience, à faire qu’un organisme supposé d’abord sans conscience devienne conscient grâce à cet organe. Tout organisme, comme toute forme individualisée, est, à l’endroit, domaine de conscience. Le cerveau est un organe à recueillir les éléments matériels d’information venus du monde extérieur et, en les recevant sur le tissu vivant, à les faire participer à la ’’subjectivité’’ du domaine organique. Il fait donc apparaître, au sein de la conscience que l’organisme a de lui–même et par laquelle il ‘‘voit’’ sa propre forme, une conscience perceptive par laquelle il voit la forme d‘objets extérieurs.»
« … Le cerveau est une aire de la ‘‘surface organique’’ prêtée au traitement des informations externes. »
«Le cerveau fait déborder l’organisation, instinctive et intelligente, déjà à l’œuvre dans l‘organisme, sur le monde extérieur. Il n’invente, en technique externe, que par la même invention organique par laquelle il s‘est formé d‘abord lui-même, et selon la même logique matricielle.»
« ... La conscience cérébrale créatrice ne peut naître dans un organisme qui, lui, dériverait d’un fonctionnement mécanique aveugle et qui, sans le savoir et stupidement, édifierait un organe à inventer.» (R. Ruyer dans la ‘‘Gnose de Princeton’’)
Au regard des pensées misent en avant par des scientifiques participant de la nouvelle gnose, le cerveau n’est pas la conscience, mais seulement le support organique de celle–ci d’où émerge une forme particulière de conscience qui est perception des éléments matériels d’information du monde extérieur. Ces éléments sont imagés subjectivement sur ‘‘tissu vivant’’.
Cette conscience perceptive du monde extérieur est bien entendu dépendante de la structure et des fonctions cérébrales ; mais la conscience créatrice et originelle, à partir de laquelle le cerveau – comme toutes choses d’ailleurs –, s’est informé lui-même est, selon nous, infiniment supérieure, en tant qu’elle est le Principe fondamental de création, à toutes ses manifestations formelles.
Le cerveau n’est-il pas d‘ailleurs, en tant qu‘il est lui-même un principe de création mentale, infiniment supérieur à ses modèles, ses techniques externes, puisqu’il en est, en tant que source inspiratrice, le principe immanent, et en même temps il transcende les créations qu’il a inspirées en ne se laissant pas absorber par les conditions limitées et limitantes de celles–ci. Notons que le cerveau, chez l’être humain, est inséparable de la pensée ; et nous pouvons admettre comme le fait Krishnamurti que la pensée est matérielle car elle procède de l’entité cerveau-pensée, et même cerveau-pensée-perception-sentiment.
Mais revenons quelques instants à cette mystérieuse Source de l’univers, à cette Conscience-Une indifférenciée qui est potentialité infinie et infiniment créatrice. Par sa simple présence elle donne aux multiples domaines manifestés et en interdépendance mutuelle l’inspiration fondamentale et infinie qui s’actualisera, partiellement et particulièrement, selon les possibilités stratégiques, choisies adéquatement, en fonction de l’intégration singulière de chaque domaine de conscience dans le tout de l’univers considéré comme un seul ‘‘grand Vivant’’.
Inspiration originelle, autonomie stratégique des domaines de conscience manifestés et influence du milieu par l’interdépendance des parties intégrées dans l’organisation holistique d’un univers en développement, font que les systèmes, nous y compris, se créent eux–mêmes, non exclusivement selon un plan déterminé à l’avance, mais en conjuguant sans cesse leur participation domaniale personnelle, la conscience qu’ils ont d’eux–mêmes, qu’ils ont de leur potentiel actualisable avec le milieu dans lequel il s’intègre.
Il est contre intuitif non seulement de croire, mais aussi de concevoir que le cerveau et la pensée qui l’habite puissent être le résultat d’une évolution aveugle et hasardeuse d’où serait absente toute Conscience inspiratrice et créatrice. Nous rejoignons la doctoresse Brosse avec son concept dualistique de l’Énergie–Conscience et de la Conscience-Énergie où l’Énergie est la Conscience, elle est même la Conscience-Une qui se formalise particulièrement dans la multiplicité des apparences. Il est inutile d’essayer de se représenter la Conscience-Présence, nous n’aboutirons qu’à des images et des concepts procédant de nos mémoires perceptuelles et intellectuelles calquées exclusivement sur l’aspect superficiel des êtres et des choses.
Dans le cadre de notre hypothèse, les informations énergétiques que nous captons ne sont pas pure énergie, mais les résultantes d’influences mutuelles par l’interpénétrabilité des domaines de conscience. En fait, nous percevons le manteau des apparences. La conscience dépendante des fonctions et structures cérébrales n’est donc pas, selon nous, la conscience, mais seulement domaine de conscience, partie de conscience, dans le sens qu’elle est conscience de quelque chose : c’est la Conscience-Une identifiée temporairement à des particularismes (êtres, choses, évènements). Le cerveau humain, grâce à ses capacités extraordinaires, traduit la conscience simple de quelque chose en conscience de la conscience qui pose le monde, et nous-même aussi, comme objet en face du sujet que la partie consciente pense être.
«On passe d’une seule Conscience à une multitude de consciences, en accolade, dont chacune reçoit et aussi modifie sa mission.»
«L’erreur est de s’imaginer que la sélection naturelle dispense de toute intervention de la conscience.»
«La sélection est certainement très efficace … Mais elle ne vaut, pour construire, que sous couvert d’un thème conscient.» (R. Ruyer)
«Cette mystérieuse source de l’univers et de nous–même (…) n’a pas créé le monde, elle est cette création même, cette éternelle création. Il n’est pas en dehors d’elle, si ce n’est en mode imaginaire.»
«Avec des yeux sans nombre – indestructibles dans leur principe, mais impermanents dans leur manifestation –, elle se regarde elle–même, ou du moins, regarde ce voile d’images dont elle se recouvre, dont elle enveloppe et dissimule sa nudité métaphysique, ontologique. Et elle est au fond de chacun de ces regards, tournés vers l‘extérieur qu’elle a fait surgir.» (R. Fouéré)
Comprendre réellement que nous sommes – nous, le corps-mental ainsi que le monde – littéralement contenus par la Conscience–Énergie-Une en nous détachant psychologiquement de l’identification du monde et de nous–même avec nos constructions mentales, c’est réaliser, dans le vécu de l’existence quotidienne, que l’Être de tous et de toutes choses n’est rien d’autre, en essence, que cette Conscience-Une.
CONSCIENCE JAILLISSANTE ET CONSCIENCE ENVELOPPANTE
Du point de vue de l‘ontogenèse, c’est-à-dire de l’étude du développement de l‘individu, depuis la fécondation jusqu’à l’état adulte, la cellule, l’œuf fécondé est le sommet de la hiérarchie, il est ce que nous appellerons la conscience créatrice JAILLISSANTE. Par contre, du point de vue de la phylogenèse, c’est-à-dire l’évolution des espèces, l’organisme est le sommet de la hiérarchie avec la cellule comme « particule » vivante élémentaire qui s’intègre dans des systèmes holistiques à divers niveaux. En ce cas, l’organisme est ce que nous appellerons la conscience coordinatrice ENVELOPPANTE.
L’embryogenèse nous montre que plus on s’approche de la cellule primitive (œuf fécondé), c’est-à-dire plus on s’éloigne de la différenciation et de la spécialisation, plus alors les potentialités des aires embryonnaires rencontrées ont la possibilité de s’engager dans n’importe quelle direction au sein de la hiérarchie du développement.
Ces multiples possibles manifestent la conscience créatrice jaillissante, prête à prendre la direction adéquate à l’environnement. Mais quel est l’élément qui détermine que telle fraction, plutôt que telle autre, des multipotentialités des cellules, constituant une aire embryonnaire, se manifestent sous forme graduellement différenciée jusqu’à leur spécialisation finale. C’est, pensons–nous, la conscience coordinatrice enveloppante qui détermine l’actualisation de telle portion des multipotentialités des cellules en fonction de leur intégration, de leur position dans le corps embryonnaire en formation.
Nous savons maintenant que toutes les cellules du corps d’un être vivant unique, quelle que soit leur fonction, ont la même conscience créatrice jaillissante prête à s’actualiser, à s’informer dans toutes les directions, c’est la détermination de la cellule à s’affirmer en tant que tout relativement autonome. Mais à mesure que l’embryon évolue, la différenciation et la spécialisation des aires embryonnaires augmentent, tandis que la souplesse des systèmes concernés diminue jusqu’à atteindre un point de non-retour, d’irréversibilité, qui obligera le tissu en développement à s’investir dans une seule direction en mettant en sommeil la plus grande part de son potentiel créateur, c’est la manifestation de la ‘‘tendance participative’’ qui veut que tout système s’intègre dans un ensemble plus vaste et se subordonne à la conscience enveloppante. Conscience créatrice jaillissante, et conscience coordinatrice enveloppante sont les deux faces d’une même médaille.
«Le sort d’une cellule dépend donc finalement de la position de cette cellule dans l’embryon en croissance ... Les cellules qui appartiennent au même champ morphogénétique doivent avoir la même orchestration génétique et se comporter en partie d’unité cohérente; et leur spécialisation ultérieure de « soliste » dépendra encore de leur position à l’intérieur du champ. Chaque bourgeon d’organe est un holon bifronts: par rapport aux premiers stades de son développement, son destin est, dans l’ensemble, irrévocablement déterminé; mais, par rapport à l’avenir, ses parties sont encore ‘‘dociles’’ et vont se différencier en empruntant la voie de développement la mieux adaptée à leur environnement local. ‘‘Détermination’’ et ‘‘docilité’’, potentiel d’affirmation de soi et potentiel d’intégration sont les deux côtés d’une même médaille.» (A. Koestler).
Notons encore la remarque de Ruyer qui nous dit que «le cerveau, chez l’homme, est une aire embryonnaire organique, qui reste indéfiniment à l’état d’ébauche embryonnaire, de manière à pouvoir produire, sans s’engager organiquement, des organes externes outils et machines, alors que les autres ébauches embryonnaires se différencient sur place, irréversiblement, en organes internes.»
«L’unité de direction que nous montre l’évolution biologique n’implique pas nécessairement une intention. Les potentialités infinies de l’essence de la matière agissent par simple présence.» (R. Linssen).
Nous pensons que l’évolution se dessine graduellement par différenciation et spécialisation qui sont des manifestations partielles des multipotentialités infinies de l‘essence de la matière. Celles-ci s’actualisent particulièrement dans le monde formel en fonction de leur position dans la hiérarchie « embryonnaire » d’un univers en création continue. L’énergie jaillissante symbolise l’immanence de la Source cosmique. L’énergie coordinatrice, ou enveloppante symbolise la transcendance de la Source cosmique. Immanence et transcendance sont une fois encore les faces opposées d’une même médaille, Conscience-Une et Totalité cosmique Une sont une seule et même réalité.
Sans la Source inspiratrice originelle l’univers n’existerait pas, car il est, en essence, cette Source même qui est elle–même Création, Connaissance et Substance de tout ce qui est. Mais aussi, le monde créé ne peut être que dans la complémentarité des différences exprimées au sein d’une hiérarchie en développement continu qui actualise singulièrement l’infinité des possibilités de manifestation de la Conscience-Une sous–jacente à l’univers manifesté. L’Essence ultime de l’univers n’est ni existence ni non existence, elle est possibilité infinie indifférenciée. Mais l’existence est faite de différences complémentaires qui se manifestent dans l’expression vivante de la conscience enveloppante : l’unité de structure rappelle l’unité de principe dans l’équilibre complémentaire des opposés.
Note complémentaire: Les centres nerveux supérieurs.
Le cerveau le plus primitif, que MacLean a appelé le ‘‘cerveau reptilien’’, constitue une structure extrêmement ancienne commune à toutes les espèces dotées de centres nerveux supérieurs. Cette structure nerveuse est encore présente chez l’homme: c’est ce qu’on appelle l’hypothalamus et le tronc cérébral. Elle a pour fonction de capter l’état d’équilibre ou de déséquilibre de la société cellulaire organique et d’essayer d’y répondre adéquatement. C’est donc qu’elle contient les mécanismes essentiels des régulations internes, des comportements primitifs déterminés par les instincts ou les réflexes. Elle joue aussi un rôle dans le maintien de la vigilance et dans le sommeil.
Prenons un exemple: la faim est une réaction instinctive déterminée par le déséquilibre du milieu intérieur constituant le signal interne qui, en stimulant les régions adéquates de l’hypothalamus, va déclencher le comportement de recherche de nourriture et, en conjonction avec les organes des sens, amener l’organisme à agir sur le milieu. Grâce donc aux organes des sens, ce cerveau primitif pourra, en plus de la captation des signaux internes, capter des éléments d‘information dans l’environnement. La conjonction dans le cerveau primitif des informations d’origine interne, et d‘autres lui venant du milieu extérieur, va permettre à cette structure nerveuse, par l‘intermédiaire d’autres formations cellulaires (système neuromusculaire), de mettre l’organisme tout entier en mouvement. Le but sera d’agir sur l‘environnement de façon à ce que la survie de l‘ensemble cellulaire soit maintenue. Si l‘action globale parvient à rétablir l‘équilibre du milieu intérieur, l’organisme retrouvera progressivement son apaisement initial. Une région précise de l’hypothalamus commandera alors une sensation et un comportement conforme à l’équilibre retrouvé.
Le mécanisme décrit ci–dessus déterminant le comportement de l’instinct de faim, est applicable à tous les autres comportements qualifiés d‘instinctifs. Ces comportements sont directement embrayés sur le code rigide de la structure même du système nerveux. Ces comportements sont en apparence incapables de tenir compte de l’expérience car le système nerveux dont ils dépendent, qui en permet la manifestation, est doté de ce qu’il est convenu d’appeler une ‘‘mémoire à court terme’’. Ils dépendent donc de la mémoire génétique de l’espèce qui est insensible à l’expérience.
Cependant, chez les mammifères primitifs est apparu, en plus et en ‘‘superposition’’ du ‘‘cerveau reptilien’’, des formations cellulaires nouvelles (rhinencéphale) ; il est convenu d’appeler ce nouvel ensemble le système limbique ou ‘‘ancien cerveau’’ par rapport au néocortex qui fit son apparition seulement chez les mammifères supérieurs. Ce nouvel édifice neuronal joue un rôle essentiel dans l’établissement d’une ‘‘mémoire à long terme’’ et aussi des émotions qui permettront l’expression de l’affectivité, c’est-à–dire la possibilité de reconnaître une situation, déjà éprouvée antérieurement, comme étant agréable ou désagréable, c’est-à-dire source d’équilibre ou de déséquilibre pour l’organisme.
L’apparition de la ‘‘mémoire à long terme’’ va donc permettre le passage progressif de la détermination rigide, en fonction du programme de la structure même du système nerveux, aux mécanismes d’adaptation sensibles à l’expérience acquise et mémorisée. Comme nous l’avons dit précédemment, c’est chez les mammifères supérieurs qu’apparaît le néocortex (son développement chez l’homme et principalement dans les régions orbito–frontales dépasse toutes les autres espèces) qui permettra l’association des éléments mémorisés.
Nous savons que les éléments informationnels du monde extérieur pénètrent dans notre système nerveux par des canaux sensoriels différents qui aboutissent à des régions séparées du cortex. Les informations contenues dans ces différents centres corticaux vont, par l’exercice d’une région cérébrale dont le rôle est avant tout associatif, s’assembler au moment où l’individu (homme ou animal) est concentré sur un seul objet duquel il reçoit des sensations séparées (visuelles, auditives, tactiles …). Au départ distinctes les unes des autres, les informations, issues de canaux sensoriels différents, se trouveront associées dans un certain ordre. Il s’agit là d’associations ‘‘factuelles’’ fondées sur l’ordre linéaire imposé par le milieu. L’animal exécute aussi bien que l’homme ce type d’association d’où émerge ce que Laborit appelle un « modèle neuronal du monde qui nous entoure ».
Mais l’homme – en fonction de la complexité accrue de son néocortex et plus particulièrement encore de la masse de cellules nerveuses purement associatives qui résident dans la région orbito–frontale –, peut transgresser les associations ‘‘factuelles’’ imposées par le déroulement linéaire que montre l’expérience de l’environnement. Il peut le faire en « associant entre elles des voies nerveuses codées par l’expérience et les voies nerveuses qui assurent le fonctionnement du système limbique, celui de la mémoire à long terme » (Laborit).
L’homme peut donc associer les informations mémorisées de façon différente de celle qui s’est effectivement déroulée dans l’expérience de l’environnement. En fait, en dépassant l’association ‘‘factuelle’’ imposée par le milieu, il devient capable d’imaginer quelque chose qui n’existe pas dans le monde qui l’entoure, d’associer ses expériences mémorisées dans tous les sens, de faire des hypothèses de travail orientées vers une finalité précise. Plus encore, « la manipulation de l’abstraction par les systèmes associatifs donne à l’homme des possibilités presque infinies de création » (Laborit).
Nous avons déjà insisté sur le fait que la créativité humaine en même temps que sa pathologie est inhérente au développement fabuleux de la structure imaginaire qui distingue l’homme de toutes les autres espèces connues. Il existe en fait une disparité énorme entre nos facultés intellectuelles et l’ancien cerveau qui, « une fois en éveil, tend à dominer toute la scène » (Koestler).
Ces deux mondes, que nous le voulions ou non, et l’expérience nous le montre quotidiennement, se contrarient souvent mutuellement. Seul l’éveil d’une conscience nouvelle, basée sur une juste utilisation de la pensée, peut mettre un terme à cette dualité intérieure. En effet, cette dualité n’est pas selon nous anatomique comme le propose Koestler, mais psychologique, c’est–à-dire inhérente à une illusion endémique d’être en tant que moi distinct et opposé. L’être humain, par exemple, ne se contente pas d’être simplement bienfaisant dans ses actes, mais il se veut bienfaisant en tant que distinct.
Notons encore que le siège de la conscience et même de la conscience de soi ne peut être localisé dans une région précise. La seule chose que l’on puisse dire c’est que le cortex cérébral est le principal appareil qui engendre la pensée réflexive; mais le sentiment d’exister, d’être conscient ne peut résulter que de la coordination complémentaire de tous les sous–ensembles organiques depuis la cellule jusqu’au néo- cortex.
Nous terminons cette note complémentaire en essayant d’établir une nette distinction entre instinct et émotion. Un instinct est une impulsion produite dans le cerveau primitif par la conjonction de stimuli hormonaux et sensoriels; le rôle du cortex est extrêmement limité, il ne fait que filtrer les messages bruts qu’il reçoit par les sens.
Par contre une émotion résulte de la conjonction d’un instinct et de processus relevant du cortex, d’une représentation adéquate en fonction d’une situation déjà éprouvée antérieurement comme étant agréable ou désagréable. L’émotion agréable résulte donc du transfert de l’instinct d’équilibre biologique, de cette fameuse volonté de vivre, sur une représentation mentale d’une situation éprouvée antérieurement et qui favorise (réellement ou symboliquement) cet équilibre. L’homme pouvant s’émotionner à partir du symbolique, ses émotions (rudimentaires chez l‘animal) peuvent prendre des formes nuancées à l’infini. L‘émotion désagréable est évidemment contraire, elle résulte d’une représentation mentale d‘une situation qui défavorise (réellement ou symboliquement) l’équilibre biologique.
Les émotions sont donc élaborées par le cortex (la mémoire, l’association, le raisonnement) à partir d‘instincts primitifs projetés sur des situations représentées. Elles sont le résultat de l‘interpénétration d‘un film élaboré par le cerveau primitif instinctif qui ressent l’état d’équilibre ou de déséquilibre intérieur, et d’un autre issu du cortex.
Les ruminations mentales constituent souvent des préjugés résultant d‘une mauvaise utilisation de notre outil intellectuel. Ces préjugés, cette utilisation incorrecte de nos facultés intellectuelles, divisent l’homme intérieurement en perturbant la coordination, pourtant naturelle, entre l’affectivité et la raison. Cependant nous perdons de vue que l‘émotion correctement vécue, c’est-à-dire complètement assimilée dans l’instant, constitue une synthèse naturelle entre une représentation adéquate de l’évènement et l’instinct qui s‘y retrouve sous une forme nouvelle par le phénomène d’association.
La complexité exceptionnelle des centres coordinateurs préfrontaux de notre cerveau permet, si ces centres sont utilisés adéquatement, l’association complémentaire de nos formations intellectuelles et instinctives au sein de l’instant affectif et émotionnel.
Cette position contredit donc la théorie que défend Koestler et selon laquelle il y aurait une rupture quasi incurable, inhérente à une erreur de l’évolution, entre le cerveau primitif affectif (système limbique) et le nouveau cerveau (néocortex). Nous pensons (P. Chauchard a d’ailleurs émis cette hypothèse avant nous) que le cerveau primitif affectif et nos facultés intellectuelles trouvent le chemin de la réconciliation par l’exercice de cette ‘‘troisième’’ région du cerveau (qui n’existe que chez l’homme) dont la fonction est purement associative. Quand cette région fonctionne adéquatement l’animal et l’humain en ont fini de s’exclure mutuellement, la voie de la réconciliation est enfin trouvée. Mais une éducation inadéquate engendre, dans cette région coordinatrice du cerveau, des associations elles aussi inadéquates, des fausses identifications qui perturbent une harmonie qui devrait être spontanée entre l’‘‘animal’’ et l’‘‘humain’’. En utilisant incorrectement ses fonctions associatives – c’est-à-dire en confondant notre vision du monde avec le monde en soi –, l’être humain, et non l’évolution, est le propre artisan de son manque d’unité intérieure. Bien entendu, le modèle de l’esprit présenté ci-dessus n’est évidemment valable que dans les limites qu’il s’impose à lui–même. La réalité, par la gamme infinie de toutes ses nuances, dépasse toujours nos plans intellectuels, notre structure imaginaire.