Robert Powell
Conversation avec Sri Poonja

Traduction libre En mars 1993, j’ai eu le privilège de passer une semaine avec Sri Poonja à Lucknow, en Inde. Poonjaji s’est fait connaître récemment en Occident, principalement grâce à un livre qu’il a publié sous le titre Wake Up and Roar (Le réveil du lion & Réveillez-vous et rugissez) et à des interviews qu’il […]

Traduction libre

En mars 1993, j’ai eu le privilège de passer une semaine avec Sri Poonja à Lucknow, en Inde. Poonjaji s’est fait connaître récemment en Occident, principalement grâce à un livre qu’il a publié sous le titre Wake Up and Roar (Le réveil du lion & Réveillez-vous et rugissez) et à des interviews qu’il a accordées à des journalistes américains et qui ont été publiées dans des périodiques tels que le Yoga Journal (Sept./Oct. 1992) et The Inquiring Mind (Automne 1992).

Voici quelques détails biographiques. Sri Poonja est né le 13 octobre 1910, dans la partie occidentale du Punjab. Il fait l’expérience de son premier samadhi (état de béatitude) à l’âge de neuf ans. En 1944, il rencontre son maître, Sri Ramana Maharshi. Comme cet autre grand maître indien, Sri Nisargadatta Maharaj, Poonjaji était un maître qui enseignait dans sa maison. Il a passé une grande partie de sa vie professionnelle sur le terrain en tant qu’inspecteur des mines. Jusqu’à sa mort en 1997, il a résidé à Lucknow, où des centaines de personnes du monde entier ont cherché son conseil spirituel. Quelques-uns de ses élèves diffusent aujourd’hui son message en Occident.

La principale vertu de son enseignement, telle que je la conçois, est son universalité et sa simplicité. Il ne nécessite aucune connaissance théorique préalable de la part de l’étudiant, et rappelle la transmission directe telle qu’elle est pratiquée dans le Zen. En fait, Poonjaji lui-même déclare qu’il n’a rien à enseigner, et qu’il n’y a pas d’enseignement. Tout ce qui est demandé à l’étudiant est de laisser l’esprit se calmer. L’activité constante de nos pensées ne mène qu’à la misère (samsara). Un esprit calme, en revanche, est la plus grande bénédiction de l’homme. Il nous ouvre à la félicité (ananda), qui n’est pas conditionnée par des circonstances extérieures. Tout sera révélé dans cet état et seulement dans cet état. Ceci, très simplifié, me semble l’essence de son « non-enseignement ».

Pendant mon séjour à Lucknow, j’ai eu l’occasion de discuter avec lui d’un problème qui me préoccupait depuis un certain temps, et qui résultait des déclarations de J. Krishnamurti et de son homonyme U.G. Krishnamurti sur le sujet de l’interaction corps-esprit, particulièrement en ce qui concerne le processus d’illumination. Ce qui suit est un compte rendu textuel de notre échange :

RP : Ma question porte sur la relation, si elle existe, entre la psyché et le soma. Selon J. Krishnamurti, au moment de la libération, il y a aussi une transformation physique des cellules du cerveau. Est-ce correct ou incorrect, ou peut-être d’une certaine manière à la fois correct et incorrect ? Un autre penseur, U.G. Krishnamurti, affirme que la transformation psychologique est un processus entièrement corporel et qu’elle ne peut être affectée en aucune façon par le mode de perception de la réalité. Il me semble avoir discerné la bonne réponse à ces questions l’autre jour lorsque vous avez dit que dans la vraie liberté, il n’y a même plus d’esprit, de pensées et de corps. Tous ces points de vue ont donc disparu comme des conceptualisations inutiles et non pertinentes. Est-ce que je vous ai bien compris ?

Poonjaji : Parler de n’importe quelle cellule dans le corps, des cellules du cerveau est simplement une idée physique, parce que les cellules sont dans le cerveau ; donc cela appartient à la réalité physique.

Quant à l’autre question, U.G. dit qu’il n’est pas d’accord. Donc, ces deux concepts ne sont pas corrects à mon avis. Parce que, que vous soyez d’accord ou non, ils appartiennent au même esprit. Ils viennent de l’esprit. Donc la liberté totale, la réalité ultime, est que jamais rien n’a existé. Alors qui est celui qui peut comprendre s’il y a des cellules du corps ou non ? Qui peut dire s’il est contre ou en faveur ? Pour dire quelque chose en faveur, vous avez besoin de l’esprit. Qu’est-ce que l’esprit lui-même ? Vous n’avez besoin d’aucun esprit. Vous n’avez jamais existé. Rien n’a jamais existé. Pas même le créateur lui-même. Et nous appartenons tous au créateur… (Mais) quand vous parlez de création, un créateur a dû exister. Je ne pense pas qu’un créateur ait été créé avant toute création. Avant la création, il devait y avoir quelque chose, dont on ne peut pas parler ou décrire. Vous ne pouvez pas lui donner un nom, même pas celui de Néant, de Vide, d’Illumination, de Liberté ou autre. Il n’y a pas de mot (pour cela)… Le mot n’est qu’une définition de la communication entre deux personnes… Il n’y avait rien que Dieu là ; c’est Dieu, la réalité ultime et c’est toujours là, ici et maintenant. Non pas que vous deviez l’acquérir ou l’atteindre par l’intermédiaire d’un enseignant. Vous devez retourner à votre compréhension ultime : D’où vient ce concept que j’existe ? « J’existe. »… si vous cherchez la source du « je », cela vous mènera directement à cet endroit ou ce non-endroit dont je viens de parler.

Autres commentaires de RP : La déclaration de Poonjaji fait écho à la célèbre déclaration du maître zen Hui-neng : « À partir du primordial, aucune chose n’est. »

Même au niveau de la réalité physique, les commentaires des deux Krishnamurti sont contestables, puisque la relation biunivoque entre l’esprit et un corps particulier — qui constitue la base de ce « un » qui a un corps particulier, fait des déclarations sur « moi » et « le mien », et aussi sur les cellules de ce corps particulier — sont perçues comme invalides. Vous voyez, parler de « corps » implique une question d’exclusivité — le « corps » étant synonyme de frontières — et la question non exprimée en arrière-plan demeure : « De qui ? » De quel corps parlons-nous ? Lier un corps particulier à une entité ou à un « moi » particulier est la base de toute ignorance et la pierre angulaire de la dualité. En d’autres termes, du point de vue de l’advaita (non-dualité), parler de « mon corps » ou d’un « corps » ouvre immédiatement la boîte de Pandore.

Puis, lorsque ce niveau est encore transcendé, en passant de la conscience à l’éveil — l’arrière-plan ultime de l’expérience — il n’y a plus ni esprit ni corps. Car le corps repose sur l’esprit, comme Poonjaji l’a dit un jour : « Le corps n’est qu’une pensée. » Alors ce dont on parle en tant que « corps » est un concept et une définition de « l’esprit » — et l’esprit, à son tour, n’est qu’une abstraction, une fixation par la mémoire dans le courant du temps, et autrement inexistant. Pouvez-vous me montrer votre esprit ? Le temps, à son tour, n’est rien d’autre qu’un flux de pensées, et ne peut être considéré comme existant réellement qu’à travers la mémoire, comme une projection. Donc, en fait, l’esprit est le temps, et le temps est l’esprit. Les deux sont des figures de style. Lorsque le temps est vu pour ce qu’il est, il ne reste que le Présent — non pas comme une intersection entre le futur et le passé, mais comme une pure « êtreté (isness) », ou comme on l’appelle dans le Zen, « l’essence (suchness) ». Cette « essence » est totalement étrangère au concept de temps ; en fait, elle est intemporelle ou véritable Éternité. Dans cet « isness », il n’y a pas la moindre trace d’esprit, de corps ou de pensée, et il n’est donc plus pertinent de parler de ce que Nisargadatta appellerait des « formes grossières (grossified) », comme les cellules et leurs mutations biologiques.