(Revue Être. No 4. 2eannée. 1974)
Dieu est nommé Un, parce que dans l’excellence de sa singularité absolument indivisible, il comprend toutes choses, et que, sans sortir de l’unité, il est le créateur de la multiplicité ; car rien n’est dépourvu d’unité ; mais comme tout nombre participe de l’unité, tellement qu’on dit un couple, une dizaine, une moitié, un tiers, un dixième, ainsi toutes choses, et chaque chose, et chaque partie d’une chose tiennent de l’unité ; et ce n’est qu’en vertu de l’unité que tout subsiste. Et cette unité, principe des êtres, n’est pas portion d’un tout ; mais, antérieure à toute universalité et multitude, elle a déterminé elle-même toute multitude et universalité. Car il n’y a pas de pluralité qui ne soit une par quelque endroit ; ce qui est multiple en ses parties, est un dans sa totalité ; ce qui est multiple en ses accidents est un dans sa substance ; ce qui est multiple en nombre, ou par les facultés, est un par l’espèce ; ce qui est multiple en ses espèces, est un par le genre ; ce qui est multiple comme production, est un dans son principe. Et il n’y a rien qui n’entre en participation quelconque de cet un absolument indivisible, et renfermant dans sa simplicité parfaite chaque chose individuellement, et toutes choses ensemble, alors même qu’elles sont mutuellement opposées. La pluralité n’existerait pas sans la singularité ; mais la singularité peut exister sans la pluralité, comme l’unité précède tout nombre multiple. Et si vous considérez les diverses parties de l’univers comme unies de tout point entre elles, vous aurez alors l’unité dans la totalité.
(Des Noms divins, XI 1-3)
Tout préexistait en Lui dans le mystère d’une simplicité transcendante qui exclut toute qualité ; tout est également contenu dans le sein de son immensité indivisible, et tout participe à son unité féconde, comme une seule et même voix peut frapper en même temps plusieurs oreilles.
(Des Noms divins,V-9)
De l’Être
L’Éternel a produit la participation de l’être ; ainsi l’existence relève de lui, et il ne relève pas d’elle ; elle est comprise en lui, et il n’est pas compris en elle ; elle participe de lui et il ne participe pas d’elle. Il est la mesure, le principe et la durée de l’être ; car il précède et l’être et la durée, et il est la cause féconde, le milieu et la fin de toutes choses. De là vient que l’Écriture lui applique toutes les expressions qui désignent la raison constitutive des divers êtres et dit très bien de lui qu’il était, qu’il est et qu’il sera ; qu’il a duré, qu’il dure et qu’il durera ; car ces locutions, pour qui les comprend religieusement, signifient que la divinité existe suréminemment, en quelque sens qu’on le veuille prendre, et qu’elle est le principe de toute chose, quelles qu’elles soient. Effectivement Dieu n’est pas tel objet à l’exclusion de tel autre objet, il ne possède pas tel mode à l’exclusion de tel autre mode; mais il est tout, dans ce sens qu’il a tout produit et qu’il renferme en sa plénitude le principe et la fin de tout ; et il est en même temps au-dessus de tout parce qu’il existe d’une façon sur-essentielle et antérieurement à tout. C’est pourquoi toutes choses peuvent à la fois s’affirmer de lui et il n’est pourtant aucune de ces choses ; ainsi il a toute forme, toute beauté, et il est sans forme, sans beauté ; car il possède par anticipation, d’une manière transcendante et incompréhensible, le principe, le milieu et la fin de tout ce qui est ; et, en vertu de sa causalité une et simple, il répand sur l’univers entier le pur rayon de l’être. Car, si le même soleil qui verse uniformément les flots de sa lumière sur la substance et les qualités des corps si nombreux et si variés, cependant les renouvelle tous, les alimente, les conserve et les perfectionne, les distingue et les unit, les échauffe et les féconde, les fait croître, les transforme et les fortifie, leur donne de produire et de se mouvoir et de vivre, si tous, selon leur nature respective, reçoivent l’influence d’un seul et même astre, qui, ainsi, possède préalablement, sous la raison d’unité, les causes diverses de tant d’effets : à plus forte raison faut-il accorder que les types de toutes choses préexistent, sous la condition d’une parfaite et surnaturelle unité, en celui qui est l’auteur du soleil et de tous les êtres : car c’est lui qui produit les substances par une force qui le rend supérieur à toute substance.
(Des Noms divins, V-8)
De la paix
Et maintenant honorons par la louange de ses œuvres harmoniques la paix divine, qui préside à toute alliance. Car c’est elle qui unit les êtres ; qui les concilie, et produit entre eux une parfaite concorde ; aussi tous la désirent, et elle ramène à l’unité leur multitude si diversifiée, et combinant leurs forces naturellement opposées, place l’univers dans un état de régularité paisible. C’est par leur participation à la paix divine que les premiers d’entre les esprits conciliateurs sont unis avec eux-mêmes d’abord, puis les uns avec les autres, enfin avec le souverain auteur de la paix universelle ; et que, par un effet ultérieur, ils unissent les natures subalternes avec eux-mêmes, et entre elles, et avec la cause unique de l’harmonie générale. Car ce principe parfait, étendant à toutes les créatures son action indivisible, les distingue, les limite, les maintient, et enveloppe comme par des liens puissants la collection totale de ces substances diverses ; et Il ne permet pas qu’elles brisent leur union, se dispersent à l’infini et se résolvent sans fin, déchues de tout ordre, de toute stabilité, séparées de Dieu, en guerre avec elles-mêmes, et confondues les unes avec les autres dans un trouble immense.
Mais qu’est-ce que cette paix et ce divin calme, que le saint personnage Justus appelle silence et immobilité merveilleusement active ? …
Disons d’abord que Dieu produit la raison essentielle de toute paix, et la paix, soit dans l’univers entier, soit dans chaque individu ; et que rapprochant l’une de l’autre les diverses substances, il les réunit sans les altérer, tellement que dans cette alliance où il n’y a ni séparation, ni intervalle, elles se maintiennent dans l’intégrité de leur propre espèce, ne sont point dénaturées par le mélange des contraires ; et que rien ne trouble ni leur concert unanime, ni la pureté de leur essence particulière. Il faut donc contempler cette pacifique harmonie dans la simplicité parfaite de son principe, qui les unit à lui d’abord, puis avec elles-mêmes, enfin toutes ensemble, et qui les étreignant dans sa force, et les protégeant dans sa sagesse, les ordonne sans les confondre. C’est par lui que les esprits célestes se trouvent unis à leur propre entendement et aux objets de leur connaissance, et de là se plongent éperdument dans les incompréhensibles secrets. C’est par lui que les âmes raisonnables, rassemblant leurs raisonnements multiples qu’elles réduisent à l’unité d’un concept pur, et dégageant la vérité de tout ce qui est matériel et divisible, s’élèvent, en suivant cette route tracée par leurs forces, jusqu’à cette union que la pensée ne saurait atteindre. Par lui encore l’univers subsiste inaltérable dans le merveilleux ensemble de ses parties, et toutes choses, liées par des rapports harmonieux, forment un concert parfait, de sorte qu’elles sont rapprochées sans confusion et maintenues sans séparation. Car de cette sublime et universelle cause, la paix descend sur toutes les créatures, leur est présente, et les pénètre en gardant la simplicité et la pureté de sa force, elle les ordonne, elle rapproche les extrêmes à l’aide des milieux, et les unit ainsi comme par les liens d’une naturelle concorde ; elle daigne appeler à sa participation les plus viles substances de l’univers ; elle fait que toutes choses conspirent à une sorte de fraternel accord par leur unité individuelle et leur identité, par leur commune réunion et assemblage. Et toutefois elle demeure indivisible, et sa simplicité est l’exemplaire où toutes choses se voient, et elle pénètre tout, sans jamais sortir de sa constante immutabilité. Car elle s’étend et se communique à tous les êtres, en la façon qui leur convient, et sa fécondité paisible déborde en flots surabondants, et sa puissante unité se concentre en elle-même, et subsiste pleinement inaltérable.
(Des Noms divins, XI, 1-2, – traduit par Mgr Darboy)