Une brève introduction
Brian Fang est un ancien ingénieur logiciel qui poursuit désormais une carrière dans le domaine médical. Son principal intérêt académique est d’explorer les grandes questions sur la réalité ultime. Il possède une expérience professionnelle dans le développement de logiciels pour les systèmes de stockage à grande échelle et a mené des recherches universitaires dans le domaine de l’aide à la décision clinique et des réseaux neuronaux. Il est titulaire d’un baccalauréat en informatique de l’université de Virginie.
Ce court et puissant essai soutient que le rejet généralisé du problème difficile de la conscience est une conséquence involontaire de l’enseignement scientifique lui-même. Notre pédagogie nous encourage d’abord à projeter le langage de l’intention sur des processus machinaux, ce qui dévalorise le concept ; ensuite, elle démystifie rapidement cette intention en la réduisant à une simple métaphore. Après des années de cet apprentissage, nous appliquons instinctivement la même logique à nous-mêmes, banalisant ainsi la seule forme d’intériorité qui soit indéniablement réelle, affirme Brian Fang.
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Il existe une lacune fondamentale dans notre compréhension scientifique du monde : le fait de l’expérience subjective. Pourquoi les différents états permutables de la matière et de l’énergie doivent-ils produire un aspect intérieur — non pas une autoreprésentation ou un traitement de l’information, mais ce que cela fait d’être quoi que ce soit ? C’est ce que David Chalmers (1995) a appelé le « problème difficile » de la conscience. Il ne s’agit pas de savoir ce que fait le cerveau, mais pourquoi cela fait quelque chose d’être un cerveau en premier lieu.
Cet essai soutient que le rejet généralisé du problème difficile est une conséquence involontaire de l’enseignement scientifique lui-même. Notre pédagogie, bien qu’efficace pour expliquer le monde matériel, cultive involontairement un réflexe cognitif qui fait d’abord apparaître l’intériorité authentique comme une évidence, puis, finalement, comme une illusion. Elle y parvient grâce à une manœuvre mentale cohérente en deux étapes : premièrement, elle nous encourage à projeter le langage de l’intention sur des processus inconscients, ce qui dévalorise le concept ; deuxièmement, elle démystifie rapidement cette intention en la réduisant à une simple métaphore. Après des années de cet entraînement, nous appliquons instinctivement la même logique à nous-mêmes, banalisant ainsi la seule forme d’intériorité qui soit indéniablement réelle.
Cette méthode pédagogique n’est pas seulement un raccourci paresseux ; elle peut être une nécessité cognitive. L’esprit humain a évolué pour comprendre le monde à travers l’action et le but, et la compréhension des processus statistiques et inconscients de la biologie cellulaire nécessite un pont conceptuel. Comme l’ont noté des chercheurs, tels que Zohar et Ginossar (1998), les « explications téléologiques et anthropomorphiques » fournissent ce pont. On nous dit que le système immunitaire reconnaît les envahisseurs ou que les électrons veulent trouver un état d’énergie plus bas. Philosophiquement, il s’agit d’une application pratique de ce que Daniel Dennett (1987) a appelé « la position intentionnelle ».
Curieusement, cette première étape entraîne l’esprit à accepter que les états intentionnels accompagnent gratuitement les processus physiques. Elle favorise une sorte de panpsychisme latent et quotidien, où nous ne sommes pas surpris de trouver une capacité d’agir tapie dans chaque recoin du monde matériel. Nous nous habituons à l’idée d’un algorithme « intelligent » ou d’un gène « égoïste ». L’intentionnalité devient une propriété par défaut des systèmes complexes.
Mais ce récit est immédiatement suivi d’une correction puissante. Nous apprenons, bien sûr, que le système immunitaire ne « reconnaît » rien ; sa fonction consiste à apparier les formes des protéines. Les électrons ne « veulent » rien ; leur comportement est régi par des gradients thermodynamiques. Cette danse — animer la nature avec un langage intentionnel, puis l’expliquer de manière mécaniste — nous enseigne une puissante métaleçon : là où vous voyez un but, cherchez le mécanisme qui révèle qu’il s’agit d’une fiction. Le pouvoir psychologique de cette leçon est profond, nous conditionnant à trouver les explications réductionnistes profondément satisfaisantes, comme le démontre « l’attrait séduisant des neurosciences » observé par Weisberg et al. (2008).
Après des années de conditionnement, celui-ci façonne notre interprétation des nouvelles découvertes scientifiques. Prenons l’exemple du flux constant de reportages dans les médias populaires sur les études IRMf (imagerie par résonance magnétique fonctionnelle) qui prétendent avoir « trouvé la région du cerveau responsable » de l’amour, de la jalousie ou de la croyance. Les couleurs vives du scan cérébral deviennent un substitut visuel de l’expérience elle-même, renforçant la conclusion implicite selon laquelle le sentiment n’est rien d’autre que cette activité neuronale localisée. Ce récit moderne, fondé sur des données, remplit la même fonction que les déclarations plus anciennes et plus directes : il confond corrélation et identité, confirmant subtilement que l’intériorité n’est qu’un comportement de parties physiques.
Aujourd’hui, un physicaliste sophistiqué, s’inspirant peut-être de Dennett lui-même, pourrait soutenir que ce conditionnement n’est pas un défaut, mais une caractéristique. Il affirmerait que cette pédagogie nous apprend à juste titre à considérer que toute intentionnalité, de l’électron à l’être humain, est une position prédictive utile, et non une propriété fondamentale de l’univers. Selon cette vision, notre propre conscience n’est que le système le plus complexe auquel nous appliquons cette posture.
Le problème avec cette vision élégante est qu’elle nous oblige à traiter notre propre expérience immédiate, la seule chose dont nous soyons vraiment certains, comme la « fiction utile » finale et la plus complexe. Elle nous demande d’accepter que la douleur ressentie lors d’une blessure n’est qu’une posture que nous adoptons envers notre propre neurochimie. Bien que cela puisse être une position philosophique cohérente, elle ne parvient pas à expliquer pourquoi cette grande illusion particulière, auto-dirigée, devrait exister. Elle renomme l’expérience plutôt que de l’expliquer.
L’obstacle n’est donc pas l’absence d’expériences de pensée intelligentes, mais un paradigme cognitif profondément ancré. Le problème n’est pas logique, il est psychologique. Pour le surmonter, il faudra peut-être un changement de paradigme similaire à celui qu’a connu la physique au début du XXe siècle. Pour comprendre le monde quantique, les physiciens ont dû abandonner leurs modèles intuitifs et classiques d’objets ayant des positions et des trajectoires définies. Ils ont dû apprendre à accepter la nature bizarre et non intuitive de la réalité, comme la superposition et l’intrication, comme fondamentale, et non comme des problèmes à expliquer. Un changement similaire pourrait être nécessaire pour la conscience. Il faudrait passer d’un paradigme qui cherche à réduire l’expérience à des mécanismes familiers à un paradigme qui accepte l’existence d’un aspect intérieur et subjectif comme une caractéristique fondamentale du monde, à partir duquel une science nouvelle, et peut-être très différente, pourrait se développer.
Ce n’est pas un argument contre l’enseignement des sciences ou l’analyse réductrice. Il s’agit d’un argument en faveur de la prise de conscience des effets secondaires cognitifs de notre formation. Comme l’a fait remarquer le spécialiste des sciences cognitives Robert McCauley (2011), la pensée scientifique est une compétence non naturelle. Mais en entraînant notre esprit à voir au-delà de l’illusion du but dans la nature, nous l’avons peut-être involontairement entraîné à voir au-delà de la réalité du but en nous-mêmes. Le problème difficile persiste non pas parce que nous manquons de données, mais peut-être parce que nos outils intellectuels — et la manière dont on nous a appris à les utiliser — ont façonné nos mains de telle sorte que nous ne pouvons plus sentir la forme de la question.
Références
Chalmers, D. J. (1995). Facing up to the problem of consciousness. Journal of Consciousness Studies, 2( 3), 200-219.
Dennett, D. C. (1987). The Intentional Stance. MIT Press.
McCauley, R. N. (2011). Why Religion Is Natural and Science Is Not. Oxford University Press.
Weisberg, D. S., Keil, F. C., Goodstein, J., Rawson, E., & Gray, J. R. (2008). The seductive allure of neuroscience explanations. Journal of Cognitive Neuroscience, 20( 3), 470-477.
Zohar, A., & Ginossar, S. (1998). Lifting the taboo on teleological and anthropomorphic explanations in science education (Lever le tabou sur les explications téléologiques et anthropomorphiques dans l’enseignement des sciences). Science Education, 82( 6), 679-697.
Texte original publié le 5 décembre 2025 : https://www.essentiafoundation.org/unlearning-experience-how-we-are-taught-to-un-see-a-mystery/reading/