(Revue Psi International. No 2. Novembre-Décembre 1977)
Avant de se consacrer entièrement à la métapsychique, en qualité de Directeur de l’Institut Métapsychique International, le docteur Gustave Geley (1865-1924), ex-interne des hôpitaux de Lyon, exerça à Annecy la profession de médecin jusqu’en 1918.
« Par sa sagacité médicale, par sa courtoisie, par son zèle pour ses malades, il s’acquit, écrit Charles Richet, une grande réputation. Il était devenu le médecin le plus écouté, non seulement d’Annecy, mais encore de toute la région. Rien ne pouvait donc faire supposer qu’il abandonnerait cette belle profession qu’il aimait et qui lui donnait des satisfactions de toutes sortes.
« Cependant, le démon de la recherche, démon terrible, exigeant et impérieux, s’empara bientôt de lui. Il avait pu observer des faits de lucidité, de somnambulisme, de prémonition qui le troublèrent d’abord, puis le convainquirent, de sorte que, tout en s’adonnant pacifiquement à sa clientèle, il poursuivait ses investigations dans le domaine maudit des sciences occultes ». Ses premières recherches sont consignées dans son ouvrage publié en 1897 : Essai de revue générale et d’interprétation synthétique du spiritisme.
Mais les travaux qui attirèrent sur lui l’attention des métapsychistes datent de 1916, époque à laquelle il commença, en collaboration avec Madame Juliette Bisson, une série d’expériences avec le médium Eva C., lesquelles se poursuivirent jusqu’en 1918.
En 1919, sur les instances amicales du Professeur Richet et du Professeur Santoliquido, conseiller d’Etat d’Italie, Geley prend la direction de l’Institut Métapsychique International (I.M.I.) qui venait d’être fondé par M. Jean Meyer et qui fut reconnu d’utilité publique le 23 avril 1919.
C’est à cette époque que je connus le docteur Geley. C’était un homme de taille moyenne ; ou, plus exactement, un peu au-dessous de la moyenne, mais ce qui m’a le plus frappé en lui ce sont les yeux, grands, légèrement saillants, et d’une étonnante fixité, qui, cependant, ne gênaient pas l’interlocuteur car le regard était atténué par une sorte de voile indéfinissable. Le visage, plutôt sévère, s’éclairait d’un large sourire ; la voix était nette et les termes précis.
A peine installé au 89, avenue Niel, siège de l’I.M.I., Geley fait venir de Pologne le célèbre médium à matérialisation Franeck Kluski et entreprend avec cet extraordinaire sujet de retentissantes expériences d’ectoplasmie sur lesquelles je reviendrai dans ces colonnes.
En 1922 et en 1923, il donne avec Guzik une série de séances de démonstration qui aboutissent au fameux manifeste des 34 dont il a été parlé dans le précédent numéro de PSI. Comme nous l’avons dit, plus de quatre-vingts personnalités de l’élite parisienne assistèrent à ces séances, et il y avait, parmi les assistants, des professeurs de médecine et de droit, des membres de l’Académie des Sciences et de l’Académie française, des médecins, des écrivains, des ingénieurs, des experts de police. A part trois ou quatre qui eurent la malchance de se trouver à quelques séances négatives, tous les expérimentateurs déclarèrent qu’ils étaient convaincus de la réalité de la télékinésie et de certaines manifestations lumineuses ou ectoplasmiques. Ceux qui avaient le plus longuement suivi les expériences signèrent un rapport synthétique, prudent et mesuré, mais très affirmatif : Le Manifeste des 34. Le document porte en réalité 35 signatures, mais une erreur primitive de typographie l’a popularisé sous ce titre.
En 1924, le Dr Geley étudie le médium à effets lumineux, Erto, et décèle la fraude. « Il est bon, écrit à ce propos Charles Richet, de rappeler ici pour prouver, s’il en était besoin, que c’est toujours par les métapsychistes que les tromperies des médiums sont découvertes ; jamais ce ne sont les autres, c’est-à-dire les incompétents, qui ont dévoilé les trucs des médiums ».
Bien que visiblement porté vers l’étude des grands phénomènes physiques de la médiumnité, Geley ne négligea pas la métapsychique intellectuelle, et, de 1921 1923, il réalisa soit à Varsovie, soit à Paris, une série d’expériences décisives de cryptesthésie avec le médium polonais Stéphan Ossowiecki. Il avait auparavant, en 1920, dirigé une enquête sur la lucidité à objectif humain.
Malheureusement, la mort brutale le surprend en pleine activité. Après avoir assisté à Varsovie à quelques séances de matérialisations avec Franeck Kluski, il prend l’avion pour Paris où l’attendaient de nouveaux travaux. Mais c’est la chute fatale au-dessus des faubourgs de Varsovie. Geley, retiré meurtri des débris de l’appareil, tenait encore à la main une petite valise dans laquelle on retrouva les fragments des moules ectoplasmiques qu’il avait obtenus au cours de ses dernières expériences. Fait curieux, le pilote de l’avion régulier, Varsovie-Paris, ayant appris l’existence des moules ainsi que leur origine, refusa de partir avec ces objets qu’il considérait comme « diaboliques et maléfiques » et le Dr Geley dut affréter un avion spécial.
Le Dr Geley ne fut pas seulement un expérimentateur hardi, il fut aussi un théoricien de la métapsychique, disons, plutôt, un métaphysicien du paranormal.
Il croyait à une sorte d’évolutionnisme providentiel et moral et il tenta d’asseoir ses idées sur des bases scientifiques et métapsychiques. Dans ses conceptions, les phénomènes paranormaux n’apparaissent plus comme des faits aberrants, mais viennent, au contraire, s’insérer harmonieusement dans le déroulement régulier des choses.
Geley pensait qu’il existe chez l’être et dans l’Univers manifesté un dynamopsychisme essentiel qui, progressivement, passe de l’Inconscient au Conscient.
« L’évolution collective, écrit-il, comme l’évolution individuelle, peut être résumée dans la formule : passage de l’Inconscient au Conscient.
« Dans l’individu, l’être apparent, soumis à la naissance et à la mort, limité dans ses capacités, éphémère dans sa durée n’est pas l’être réel, il n’en est que la représentation illusoire, atténuée et fragmentaire.
« L’être réel, apprenant peu à peu à se connaître lui-même et à connaître l’Univers, c’est l’étincelle divine en voie de réaliser sa divinité, infinie dans ses potentialités, créatrice, éternelle.
« Dans l’Univers manifesté, les différentes apparences des choses ne sont, elles-mêmes, que la représentation illusoire, atténuée et restreinte de l’unité divine se réalisant dans une évolution indéfinie.
« La constitution des mondes et des individus n’est ainsi que la réalisation progressive de la conscience éternelle par la multiplicité progressive de créations temporaires ou d’objectivations ».
Par ces conceptions, Geley rejoint les grandes religions hindoues, les doctrines de Pythagore, de Platon, d’Averroès, de Spinoza, de Schopenhauer, de Novalis, et, dans une certaine mesure, quelques aspects du spiritisme.
L’œuvre expérimentale et philosophique de Geley se trouve dans les ouvrages suivants :
Essai de revue générale et d’interprétation synthétique du spiritisme, (Lyon, 1897) ;
L’Etre subconscient, (Paris, 1899) ;
Monisme idéaliste et palingénésie, (Annecy, 1912) ;
La Physiologie dite supranormale et les phénomènes d’idéoplastie, (Paris, 1918) ;
De l’Inconscient au Conscient, (Paris, 1919) ;
L’Ectoplasmie et la Clairvoyance, (Paris, 1924).
Tous ces livres sont passionnants et de lecture facile. A l’encontre de certaines théories ou de vues philosophiques à bases métapsychiques, dont la caractéristique principale est d’être absconses et proprement impénétrables, les conceptions de Geley sont simples, claires, lumineuses même.
Malheureusement, Geley manque parfois de précision dans ses comptes rendus, et c’est là, si l’on peut dire, un défaut de ses qualités, une exagération dans la recherche de la netteté d’expression. Ses rapports, en effet, sont quelquefois « synthétiques », ce qui ne satisfait pas l’esprit avide de détails circonstanciés. De plus, au début d’une relation d’expériences d’ectoplasmie ou de télékinésie, on lit souvent une phrase comme celle-ci : « précautions et contrôle habituels ». Voilà qui est très insuffisant lorsqu’on a à décrire des faits aussi importants et aussi discutés que le sont les phénomènes physiques paranormaux. Dans ces conditions, le lecteur éprouve quelque difficulté à réaliser dans son esprit le déroulement de l’expérience.
Nous estimons, quant à nous, qu’un rapport d’expériences n’est pas nécessairement un morceau de rhétorique. Ce doit être, avant tout, une simple mais intégrale sténographie, de tout ce qui s’est dit, fait et passé.
Mais, cette remarque faite, il n’en demeure pas moins que l’œuvre expérimentale de Geley, dans ce qu’elle a de positif, et tout particulièrement celle qui a trait aux expériences avec Guzik et surtout avec Kluski, est capitale et n’a pas été jusqu’à présent atteinte et a fortiori dépassée par les métapsychistes ou les parapsychologues contemporains.
C’est, en tout cas, notre sentiment.