Robert Linssen
Faut-il vivre « sa vie » ou la vie ?

La pensée joue un rôle prédominant dans le comportement humain. Elle est à l’origine de la plupart de nos motivations : sensorielles, sensuelles, sexuelles, physiologiques. Par son processus de comparaisons, elle nous suggère l’envie, l’avidité, la concurrence et finalement la violence et la cruauté.

(Revue Être Libre, Numéro 278, Janvier-Mars 1979)

La pensée joue un rôle prédominant dans le comportement humain. Elle est à l’origine de la plupart de nos motivations : sensorielles, sensuelles, sexuelles, physiologiques. Par son processus de comparaisons, elle nous suggère l’envie, l’avidité, la concurrence et finalement la violence et la cruauté.

La fonction mentale qui pourrait être merveilleusement utilisée est devenue une véritable malédiction.

Elle peut nous aider à réaliser les miracles de la technique, à explorer d’autres planètes mais l’abus et le manque de discernement dans son usage a contribué à développer notre égoïsme. Ceci nous a conduit à un manque de maturité psychologique contrastant dangereusement avec l’évolution de la technique.

Nous voilà donc enfermés, repliés sur nous-mêmes, prisonniers d’une identification avec l’ego et ses innombrables tensions conflictuelles. Ainsi que l’exprime Krishnamurti, l’immensité du chaos mondial actuel n’est que l’expression collective des tensions contradictoires existant dans chaque individu.

Nous l’avons souvent souligné ailleurs : la pensée n’est que mémoire. Le cerveau humain n’est qu’une gigantesque cristallisation de mémoires remontant aux origines de l’univers. Il est aussi une cristallisation des énergies du Temps.

Le « moi », et ce que nous nommons généralement l’esprit (qui n’est pas l’Esprit) n’est qu’une énorme accumulation de conditionnements mémoriels et temporels. Pour cette raison, chaque être humain est victime d’une force d’inertie considérable liée à un très ancien instinct de conservation.

La tâche qui nous incombe consiste à en prendre conscience et nous en libérer.

Ainsi que l’expriment les « Gnostiques de Princeton », nous ne sommes, dans notre apparence physique et psychique, que l’envers d’un ENDROIT unique et fondamental. Cet ENDROIT est une Conscience cosmique à laquelle nous pouvons accéder par une méditation correcte.

Si nous affirmons que nous avons à vivre seulement    « notre vie », nous commettons une imposture. Parce qu’il n’y a pas que « notre vie ».

Nous ne sommes pas seulement ce corps et ces associations mémorielles nés il y a quelques années ou des milliards d’années et mourant inévitablement. Au-delà existe une Réalité ou Champ de Conscience Cosmique qui n’est pas né et dont l’existence est totalement différente de tous les modes d’existence conditionnés qui nous sont familiers.

Ainsi que le suggère le Dr. Thérèse Brosse, il existe une loi de subordination aux termes de laquelle ce que nous appelons « notre vie » doit intervenir à titre second et dérivé par rapport à LA VIE. La conscience personnelle, égoïste, est une sorte de mirage dont les déformations doivent s’effacer devant la présence de la Conscience cosmique.

Mais lorsque nous lisons les mots « Conscience cosmique », il est nécessaire de nous méfier de la magie et des automatismes de nos identifications verbales. Souvenons-nous du fait que le mot n’est pas la « chose ».

En fait, tout est très simple.

Ainsi que l’exprime admirablement Wei Wu Wei :
« Parmi tout ce dont on doit « se défaire » — conditionnement, connaissance, religion, science, « moi » — le plus important est peut-être l’idée que l’on vit sa propre vie. Se défaire du reste, en continuant de penser que l’on vit, au lieu d’être vécu, serait une attitude vaine. »

La simplicité suprême se trouve exprimée par Michel Waldberg dans sa préface à la « Voie négative » de Wei Wu Wei :
« Ce que nous croyons obtenir à la fin, nous le possédons dès l’origine ; ce que nous nous efforçons de saisir en dehors de nous-mêmes, nous n’avons aucun moyen de l’appréhender, car ce ne peut être autre chose que Nous-mêmes, et nous n’avons pas plus la possibilité de le connaître objectivement qu’un œil n’a la capacité de se regarder lui-même. »

Puisse cela nous aider à « retourner chez CE que nous sommes réellement ».

Nous réalisons enfin l’Etat Naturel. Celui-ci consiste à vivre « noumènalement parmi les phénomènes » en accordant à l’Unique SUJET de tous les êtres et de tous les objets la place de priorité qui LUI revient. En cela réside la Plénitude de la VIE. Non la vie de l’ego.