M. Van Pé
Hypothèse

Dès sa prise de conscience d’être, l’homme se sentit dangereusement infinitésimal dans l’immensité de son environnement et, conséquemment craintif de tout ce qui échappait soit à sa compréhension, soit aux limites de son propre pouvoir. Immédiatement, le roulement du tonnerre lui fut menace d’une puissance supérieure à lui-même, l’éclair dans l’orage lui fut frayeur d’une autre puissance; la manne, terrestre, par contre, lui devint céleste; le soleil levant le blé lui fut sujet d’adoration; sujet d’émerveillement lui fut la pluie rafraîchissant la terre…

(Revue Être Libre. No 287. Avril-Juin 1981)

« A chaque jour suffit sa peine » (Évangile de Matthieu 6.34).

Lorsque, le soir venu, l’homme, las de l’accomplissement des tâches journalières, prendra place sur le banc du jardin pour contempler la féerie que lui présente la voûte céleste étoilée, il entendra la voix de son en-soi et communiera avec lui-même.

Le poète fera mots ses rêves.

Le peintre emplira ses yeux des appogiatures dans le velours lunaire.

Le musicien chantera l’Harmonie des Sphères.

L’homme de la rue, simple unité dans la foule des unités pareilles à lui, face soudainement à la nuit plus éclairante à son âme que n’est le jour, face soudainement à la splendeur de l’immense facette nocturne de la Création, sera pris, ou du sentiment de curiosité de l’inconnu de lui, ou de crainte de ce qu’il sent échapper à son contrôle, ou de détresse dans l’entendement de ses limitations…

…et le philosophe méditera la question du « pourquoi ? » de Tout Cela…

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Dès sa prise de conscience d’être, l’homme se sentit dangereusement infinitésimal dans l’immensité de son environnement et, conséquemment craintif de tout ce qui échappait soit à sa compréhension, soit aux limites de son propre pouvoir.

Immédiatement, le roulement du tonnerre lui fut menace d’une puissance supérieure à lui-même, l’éclair dans l’orage lui fut frayeur d’une autre puissance; la manne, terrestre, par contre, lui devint céleste; le soleil levant le blé lui fut sujet d’adoration; sujet d’émerveillement lui fut la pluie rafraîchissant la terre.

Il eut alors des mots pour désigner ces Forces échappant à sa raison et les générations à venir les traduisirent uniformément « dieux », jusqu’à ce que vint le Prophète qui les groupa en l’Unique, « Celui Qui Est » (Exode 6.29).

Dangereusement faible se sentit-il, l’homme, dès sa prise de conscience d’être, face aux inconnues lui opposant leur maîtrise et ainsi s’ouvrit-il à une triple éthique : Soumission aux dieux inconnus de lui, sentiment de dépendance d’eux, besoin de leur faveur.

La religion était née (Abdul-Baha, Philosophie Bahaï).

Elle « relierait » l’homme au Tout-Puissant.

Sitôt ferait-il, l’homme, à cette religion naissante, son serment d’allégeance, conjuguant sa Foi à des superstitions.

Les notions Ciel et Terre, Paradis et Enfer, Vie et Mort, Eternité et Ephémère, Bien et Mal, Récompense et Punition étaient entrées dans le monde, bases de religions à ces optiques, premiers éléments d’une philosophie obscurée, qui ouvrirait la voie à l’éventail des philosophies futures.

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Les religions précédèrent les philosophies et les philosophies issues des religions s’en voulurent explicatives.

Les religions créèrent un climat de Foi en un « Caché » manifestant son autorité sur l’homme et, avec le temps, un climat de Foi en la « Révélation » de cette Autorité, dispensatrice ou d’éternelles Joies Célestes ou d’éternelles peines.

Les pays d’Orient connurent (et connaissent) la Foi en le Chemin de la Béatitude en Nirvana libérant l’homme de sa condition terrestre.

Mais le climat de Foi inclut partout les variantes de tempérament que furent et sont des traditions non fondées et des croyances infantiles.

Foi, croyances, superstitions restèrent et restent étrangères aux optiques de raison et ainsi naquit et s’exprima, dans l’évolution de la pensée, le développement des philosophies dont la pensée rationaliste.

Ce jour, la Science dépose son propre poids dans la balance de la spiritualité; en oscillant vers la métaphysique que proposent les émules de l’Ecole Einsteinienne, elle réveille la Pensée qui, déjà, était celle de Thalès de Milet et, bien plus tard, de Pascal et elle donne floraison à une « Gnose » nouvelle, la « Spiritualité dans la Matière ». (Cfr. : de Jean Charon aux Editions Albin Michel : « L’Esprit, cet Inconnu », « Mort, voici ta Défaite » et aux Editions Stock : « Le Monde Eternel des Eons » et de Bernard d’Espagnat aux éditions Gauthier-Villars : « A la Recherche du Réel »).

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Le « religieux » de l’Occident a foi dans un Paradis, le « religieux » de l’Orient croit en la « Survie » en Nirvana; le gnostique de la science oriente sa conviction vers le principe de continuité de l’élément vital en l’homme, la continuité de la Cellule Germinale.

Mais, quelles que puissent être les prises de position quant à la réalité ou non d’une vie par-delà la mort à la vie terrestre et quant à la manifestation de cette éventuelle « Survie », faute d’une constatation tombant sous les sens, reste posée la question que voici :

L’idée de « Survie » ne serait-elle qu’un mythe, fruit de l’imagination de l’homme refusant la Mort, ou se trouverait-elle justifiée par une réalité vivante dans son subconscient ?

Ainsi, deux optiques, opposées en leurs bases — Foi religieuse — et Gnose, nouvelle dans le fait de l’évolution de la physique vers la Métaphysique, se trouvent, néanmoins, un point commun : la Soif de l’Espérance d’une « Vie », non pas prolongeant mais perpétuant le voyage terrestre.

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Les deux mouvements de pensées, que l’un soit de Foi et l’autre de Raison, ont leurs grands esprits dont il serait vain de tendre à minimiser la valeur.

Dans le rayonnement de la foi, s’égrène le chapelet de noms de ceux qui se voulurent conducteurs d’âmes, tels Saint Jean-de-la-Croix, Sainte-Thérèse d’Avila, Saint-Thomas d’Aquin, Saint-Ignace-de-Loyola, Plotin, Luther, Calvin, Zwingli et tant d’autres Docteurs en Théologie,

— s’étale la fresque des Alchimistes, tel Jacob Boehme, tendant à transmuer en l’or éternellement pur d’une âme immortelle le plomb de la passagère nature humaine;

— s’allonge la litanie de ces martyrs christiques (différenciés des chrétiens) que furent les Cathares, les Albigeois, les Rosicruciens;

— s’imposent les noms qui circonscrivent le rigorisme janséniste.

Dans le rayonnement de la science, il y eut l’école de Pythagore de Samos englobant les noms éblouissants de Thalès de Milet et de Platon… et il y eut Descartes et son époque.

Entre ces deux sources de rayonnement s’intercale la pensée, laquelle, bien que a-religieuse, est élévatrice de la vocation humaine, telle la prestigieuse pensée de Nietzsche et celle non moins soucieuse du Destin de l’homme qu’est celle des agnostiques.

Ainsi, une base commune à ces rayonnements, la vision d’une « Survie » à la condition humaine, a conduit le monde à des différenciations dans la dialectique à son sujet, la foi en cette « Survie » étant la dialectique des uns, l’espoir de cette « Survie » étant la dialectique des autres, le pari de Pascal à son sujet ayant aussi ses adeptes, mais les uns et les autres se retrouvant au Banquet des Promesses et des Espoirs.

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Un essai de synthèse des promesses engagerait à dire que les religions occidentales laissent entrevoir à l’homme un passage sur terre au terme duquel son âme, se dégageant de la matière corporelle, va bénéficier, pour l’Eternité, des Joies Célestes ou, pour l’Eternité, subir les conséquences de sa condamnation.

Une même tendance à la synthèse engagerait à dire que les religions orientales laissent entrevoir à l’homme des réincarnations, l’une chaque fois plus salvatrice que la précédente.

Une synthèse de la Gnose moderne, à laquelle large diffusion a été donnée dans ces savants ouvrages déjà cités, auxquels on peut joindre : « La Gnose de Princeton » de Raymond Ruyer (Livre de Poche, Collection Pluriel) et « Spiritualité de la Matière » de Robert Linssen (Aux éditions « Le Courrier du Livre »), se situe dans l’exposé d’une cellule germinale enfantant, de toute éternité, neutrons, protons, électrons et éons ou électrons-pensants, ces derniers « survivant » à la corporalité disparue dans la mort physique, pour se perpétuer dans la Vie Cosmique.

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A présent faut-il différencier les choses de la foi des choses de la métaphysique.

La foi chrétienne implique qu’« il est réservé aux hommes de mourir une seule fois, après quoi vient le Jugement » (Epître aux Hébreux 9.27).

Au contraire, l’éthique orientale propose à l’homme, à l’individu qu’il est, un chemin de réincarnation jusqu’à salvation en Nirvana.

Dans les deux optiques s’agit-il de la « Survie » à la mort physique de l’individu.

Que propose la Gnose moderne ?

Elle aussi la « Survie », mais dans le fait basique de la Cellule Germinale, contenant le Principe de Vie laquelle encore non définitivement expliquée —, Cellule Germinale porteuse d’éléments évolutifs, lesquels, mus par le principe d’une vie en eux, survivent à la disparition dans la mort physique, à la matière corporelle et vont, dans l’épandage d’eux-mêmes dans le Cosmos, collaborer à la perpétuation, non pas de l’individu auquel ils ont appartenu, mais de la « Vie », l’en-soi de la « Vie » et cela dans toutes les manifestations de la Création, hommes, animaux, végétaux, minéraux, air, feu, eau, terre.

Ainsi l’homme présent recèlerait-il des éons ayant constitué la nature d’individualités antérieures à lui et pourrait-il faire bénéficier les générations à venir de la charge d’expérience qu’accumulent les éléments évolutifs qui le meuvent ce jour.

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Cette dernière hypothèse offre un certain parallélisme avec la notion de « Survie » dans la pensée bouddhique (par différence d’avec la notion chrétienne d’une seule Mort vers un seul Jugement) encore que différenciée dans la représentation qu’on s’en fait.

Mais une autre question quant à la vie future vient interférer dans l’exposé de ces optiques.

Quelle sera la sensibilité de l’homme dans sa confrontation avec elles ?

Les religions traditionnelles, en Occident et en Orient, ont mis l’accent sur la nécessité de culture du « Moi Supérieur » (à bien scinder du moi inférieur) lequel Moi Supérieur implique personnalité individuelle.

La Gnose Moderne, puisant ses sources dans l’« Einsteinisme », met l’accent sur la dévolution des éons, dont l’incalculable profusion fait l’âme, non de l’homme mais de l’humanité, à la perpétuité des plans divers de la création.

Si cela étant, alors se pose à l’homme le dilemme :

Préférera-t-il les promesses de la foi en la « Survie » de son âme individuelle ou l’argument de raison de « Survie Eonique » fraternellement mise en commun…

…et comme il a accepté que son corps est poussière et retournera en poussière… (Cfr. Les Ecritures).

…acceptera-t-il que son « Moi » est Eons et retournera en Eons ?…

S’arrêtera-t-il à cette Hypothèse ?