Je suis de Sri Nisargadatta Maharaj

Le banyan a une très petite graine, la conception de cet arbre immense est contenue dans cette graine si petite, potentiellement l’arbre est dans cette graine. Allez-vous étudier et planter chaque racine, chaque branche, chaque feuille du banyan ? Non, vous ne vous occuperez que de la graine, vous planterez la graine. Quelle est votre graine ? La connaissance « Je suis ». Cette connais­sance est le lien entre vous et ce monde. Examinez cela, scrutez cela. C’est à ce niveau que peut se résoudre tout le pro­blème. Si cette conviction « Je suis » n’est plus là, quel souci peut vous causer le monde ? Cette graine est donc le facteur essentiel. Ce sens du « Je suis », scrutez-le, fouillez-le, ce n’est qu’à ce niveau que vos investigations peuvent aboutir.

(Revue Question De. No 49. Septembre-Octobre 1982)

« Vous êtes l’Absolue Réalité ici même assis devant moi, en cet instant ! La seule différence entre nous est que je le sais et que vous ne le savez pas. »

Pendant quarante-cinq ans Sri Nisargadatta Maharaj, le sage de Bombay qui est mort en septembre 1981, a tenu à ses visiteurs des propos aussi déconcertants.

Des propos qui balayent tous les dogmes, toutes les constructions philosophiques, tous les systèmes. « Ne cherchez plus, vous possédez l’identité même de Dieu, de l’Ultime. Elle n’a ni aspect, ni nom, ni couleur, ni forme. Il vous faut aban­donner tout ce que vous savez pour la découvrir, on ne connaît pas sa véritable nature, on l’est ! »

C’est à un lâcher-prise total que nous invite toujours Maharaj, à une stabilisa­tion dans l’être, dans la présence à soi-même… « vous n’êtes que lumière ». Il ne tolérait aucun rationalisme, aucun nouveau concept et savait le moment venu d’une seule remarque remettre dans la juste orientation, « vous participez à ces entretiens depuis longtemps, parlez-moi de ce que vous n’avez pas retenu ». Sri Maharaj exprimait en formules saisis­santes cet Absolu où il résidait. Les réponses jaillissaient de lui avec une vivacité devançant quelquefois l’entière traduction de la question posée. Ques­tionné à ce sujet, il répondait « je ne suis plus dans la conscience, je l’observe et vois simplement apparaître une ques­tion et se formuler une réponse ».

Cette perfection du non-faire était incroya­blement tangible aux pieds du Maharaj. Son authenticité, le feu de son regard, la densité de sa présence et de ses pro­pos ont constitué pour la plupart de ceux qui l’ont approché un événement essen­tiel, prélude à une transformation profonde. Il demeure heureusement des enre­gistrements des entretiens quotidiens qu’il avait avec ses visiteurs, dont le contenu au fil des années devient de plus en plus fulgurant.

Une mise en forme de ces entretiens a été faites par Maurice Frydman en 1972 et publiée à Bombay. La traduction fran­çaise de cet ouvrage, « Je suis », est paru aux éditions « Les deux océans ». Le même éditeur a publié d’autres livres d’entretiens avec ce sage permettant ainsi à de nombreux chercheurs de vérité d’avoir accès à ces paroles libératrices.

Paul Vervisch.

Maharaj : Bien que votre être soit l’élé­ment le plus subtil, il a créé le plus grossier : le monde. Considérez la graine de banyan, elle est plus petite qu’une graine de moutarde. Cette graine est minuscule, subtile et, néanmoins, cet arbre immense est déjà à l’intérieur. Votre être égale­ment est très subtile, pourtant il contient l’univers tout entier. Bija signifie seconde création, le passé est à nouveau répété, il y a un banyan concentré dans la petite graine.

• Visiteur : Le « Je suis » est la graine ?

Traditionnellement, « Je suis » est la graine mais, en fait, « Je suis » est syno­nyme de « rien ». C’est du domaine sub­atomique. Simplement « vous êtes » ! C’est une impression mais cela contient tout ce qui nous entoure : l’état Iswara, la manifestation.

Donc, conscient de cette graine qui est « Je suis », il nous faut germer pour de­venir l’Absolu ?

Vous n’êtes conscient d’aucune graine. « Je suis », en soi, est graine, ne le matérialisez pas davantage avec vos mots ! Vous êtes le cœur-même de « Je suis » avant l’expression « Je suis », antara-­Atma. Que contient-il ? Tout cela.

Vous avez dit aussi que ce centre, ce cœur, n’est que lumière.

Le centre est présence à « Je suis ». La lumière est seulement symbolique. Il ne s’agit pas d’une lumière possédant une source comme celle-ci. Il s’agit d’une lumière lumineuse par elle-même. Le pré­tendu « chercheur spirituel » veut attein­dre Brahman. Comment ? Selon les tradi­tions, selon les définitions qu’il a enten­dues.

Brahma est Koh-l-nor, montagne de lu­mière. Koh-l-Nor a la capacité de se manifester en n’importe quelle forme correspondant à vos désirs. Koh-l-Nor est votre conscience. L’univers tout entier est là, vaste, répandu mais vous ramassez une petite miette, un concept et, d’après ce concept, vous voulez recréer le Brahman. Vous voulez modifier ce qui est déjà là pour que cela corresponde à ce que vous avez perçu dans la miette ra­massée !

Et cela nous éloigne encore plus de la vérité ?

Tout est vérité tout est Absolu. Ce Brahman est créé par votre être. Autre­ment dit, ce Brahman est une illusion créée par votre ignorance. Du point de vue de l’Absolu, votre être est totale ignorance.

Encore une fois, c’est à partir de cette ignorance, de ce manque de compréhen­sion de la réalité que se forme cette conscience et cette manifestation s’éten­dant à l’infini. Ignorance mais intrinsèquement Absolu. Sur l’Absolu se pose cet être et l’illusion qu’il engendre acca­pare toute votre attention.

Par quel moyen inverser le processus ?

Reculez. Lorsqu’il doit avancer, le lion regarde en arrière. Faites comme lui, regardez en arrière, remontez vers la source. À partir de cet être, reculez et installez-vous au sein de l’Absolu. Si vous voulez chercher et espérez trouver en demeurant dans le domaine de Brahma, au sein de cette manifestation, vous ne découvrirez que chaos et confusion. Objectivement, vous n’aboutirez nulle part, c’est un cercle vicieux dont on ne peut pas sortir. Mais, lorsque vous abor­dez la compréhension de vous-même, la découverte de ce que vous êtes réelle­ment, tous les désirs se détachent de vous.

Qu’est ce « Je suis » ? « Je suis » est « l’état-étant » maintenu par l’attachement à l’être, la volonté d’être. Si vous demeu­rez calmement dans cette êtreté pendant un certain temps, ce puissant désir d’être, lui aussi, se détache et, quand ce désir n’est plus, vous êtes l’Absolu.

Cela me semble bien triste. Vous savez que l’être est là mais vous vous dirigez vers le non-être.

C’est votre véritable nature ! Restez à ce niveau, le niveau sans agitation. Votre être, votre « Je suis » reculant consciem­ment jusqu’à l’Absolu c’est vous ! Vous n’êtes que là. Il n’existe aucun mouve­ment permettant de l’attendre. C’est le but, la fin du spectacle !

Pourrez-vous expliquer plus clairement, je ne comprends pas très bien.

Étant dans la conscience, vous comprenez la nature de la conscience, vous reculez et votre progression se poursuit. Comprenez-vous ce que cela veut dire ? Cette conscience lentement s’affaiblit, s’éteint. Elle est sciemment en train de disparaître mais cela ne peut pas vous affecter, vous êtes l’Absolu !

La combustion du bâton d’encens a cessé, la fumée a cessé mais le ciel est toujours là. C’est la même chose au moment de la mort, le souffle vital quitte le corps, le « Je suis » recule, s’efface, c’est le grand moment de l’immortalité.

Regardez la flamme de ce briquet. Le « Je suis » est la flamme et j’observe ses mouvements. Elle s’éteint, le gaz n’arrive plus, le souffle vital quitte le corps, le corps s’affaisse et je l’observe. Ce qui observe c’est vous. Les ignorants sont dans la terreur au moment de la mort, ils luttent mais pas le Jnani, c’est pour lui un moment magnifique, un moment de béatitude.

J’ai eu l’expérience d’observer ma conscience du sein d’une autre conscience. Je sais que j’étais éveillé mais je me voyais comme si j’étais à une certaine distance.

Dans ma terminologie, il s’agit de l’état de rêve.

Pour moi c’était être l’observateur de ma conscience.

Ces différentes manifestations ou expressions relèvent uniquement de la conscien­ce. Quand vous regardez la télévision, vous recevez des informations diverses mais il n’y a personne dans votre télé­viseur. Il existe un élément de base, un principe en activité derrière l’écran qui enregistre et reproduit. Tout est fonction de cet élément premier.

Identiquement, tout ce que vous voyez est l’expression de cet élément premier, cette conscience qui éprouve « Je suis ». Dans le Vedanta, il existe une termino­logie variée pour ce sens du « Je suis » : Matattva, Mulmaya et bien d’autres.

Toutes les expressions de ce que vous percevez sont le produit, la floraison de la connaissance « Je suis ». Ce que vous êtes en train de faire en ce moment — vous efforcer de comprendre intellectuel­lement tous ces mots — est une fausse démarche. L’intellect n’est qu’un résultat de votre être. Il est donc impossible que l’intellect puisse appréhender cet être qui le précède.

Je ne peux pas dire si cette compré­hension m’est venue de l’intellect ou de quelque chose d’autre. I1 y a eu l’état que je viens de décrire et je ne peux pas expliquer sa provenance.

Qui a compris cette expérience, comment avez-vous assimilé, comment avez-vous reconnu cette expérience ?

Ce que je souhaite vous faire comprendre est extrêmement simple : tout ce que vous êtes, tout ce que vous expérimentez qu’est-ce que cela va devenir ? Il vous faut comprendre cela. Vous ne pourrez rien acquérir ici en m’écoutant qui ne relève du domaine des mots. De ce point de vue, continuez à réfléchir, usez votre tête, je vous demande simplement ceci : qui que vous soyez, quoi que vous fas­siez ou exprimiez, combien de temps cela va-t-il durer ? Employez votre tête à résoudre cette question.

Le banyan a une très petite graine, la conception de cet arbre immense est contenue dans cette graine si petite, potentiellement l’arbre est dans cette graine. Allez-vous étudier et planter chaque racine, chaque branche, chaque feuille du banyan ? Non, vous ne vous occuperez que de la graine, vous planterez la graine. Quelle est votre graine ? La connaissance « Je suis ». Cette connais­sance est le lien entre vous et ce monde. Examinez cela, scrutez cela. C’est à ce niveau que peut se résoudre tout le pro­blème.

Si cette conviction « Je suis » n’est plus là, quel souci peut vous causer le monde ? Cette graine est donc le facteur essentiel. Ce sens du « Je suis », scrutez-le, fouillez-le, ce n’est qu’à ce niveau que vos investigations peuvent aboutir.

Considérez une goutte d’eau, le cœur de la goutte est de l’eau, l’extérieur est toujours de l’eau. Si vous prenez le ciel, c’est la même chose : l’Intérieur et l’exté­rieur sont toujours du ciel. Il en est de même pour « Je suis ». Son intériorité et ce qui l’exprime sont toujours « Je suis ».

Supposons qu’il y ait une émeute avec des morts et des blessés. Vous allez vous informer : pourquoi s’est-on battu ? Quelle était la cause de la bataille ? Ici, de même, quelle peut être la cause de tout ceci ?

La cause est dans ma tête.

Tout d’abord, il vous faut le corps, puis la force vitale, puis l’intellect, puis d’autres choses. Quelle est la cause de toutes les souffrances et désespoirs dont nous bénéficions en ce monde ?

L’intellect ?

N’est-ce pas notre êtreté, notre décou­verte du « Je suis » ? Seulement, il se trouve que vous n’êtes pas prêt à quitter ce complexe psycho-somatique.

C’est vrai.

Quelle est la cause de la création du corps, quelle est la graine de votre corps ?

A ce niveau-là l’intellect devient biolo­gique.

Biologiquement, avez-vous étudié comment cela s’est passé ? Quand l’essence de la nourriture est pré­sente, le corps-nourriture est formé. Pre­nez un arbre, il a des fruits et, dans ces fruits, des graines. Le fruit ne se déta­chera pas de l’arbre tant qu’il ne sera pas mûr, c’est-à-dire tant que ses graines ne seront pas arrivées à terme. Qu’est-ce que cela veut dire ? Tant que la graine n’aura pas enregistré l’univers où elle existe, l’arbre et tout ce qui l’entoure. La graine est formée par l’arbre et quelle est sa fonction ? Tout est enregistré dans la graine : les racines, l’écorce, le tronc, les fleurs, les feuilles et, quand elle est prête, elle tombe, germe, s’enracine. Que fait-elle ? Tout ce qui a été enregistré est identiquement reproduit et cela s’applique également aux êtres humains. Quand la graine humaine est plantée, elle photogra­phie, enregistre, fixe les images de ses parents et aussi du monde à cet instant. J’ai dit, il y a un instant, que ce corps est formé grâce à la nourriture que nous consommons. Prenez une bougie, elle est formée de graisse, notre corps est aussi formé par la nourriture. Quand ce corps-nourriture est achevé et que le souffle vital l’anime, la conscience apparaît sous la forme du sens d’être, du sens abstrait « Je suis ». Dès que la bougie est formée, la flamme apparaît, la flamme est lumi­neuse et révèle les formes qui l’entourent. Similairement, votre êtreté manifeste rend sensible tout ceci qui est l’expression de vous-même. Ce sens du « Je suis » est votre flamme. Cette flamme durera tant que son support-nourriture ne sera pas épuisé, comme la graisse ou l’huile de la lampe.

Tout ce qui réfléchit la lumière de la bougie, toute cette pièce sont l’expres­sion de cette flamme, c’est son univers. Similairement, votre être est tout ceci, il est cette lumière mais ici ce sens du « Je suis » est votre propre assentiment au fait d’être.

Entendre tout ceci est peut-être difficile pour vous. Il vous faut arriver à le com­prendre. Pour cela, la méditation est essentielle. Il faut vous asseoir pour méditer et pratiquer le mantra afin de mûrir et d’arriver à comprendre ces entre­tiens.

Dans la bougie, la flamme produit de la chaleur en consumant sa nourriture. Ici, la flamme « Je suis » consume ce corps-nourriture pour sa subsistance. L’essence de ce corps-nourriture est un flux, son mouvement est le souffle vital. Quand tout cela est présent, plus la chaleur, le « Je suis » est là. Votre corps possède une chaleur qui révèle la combustion de cette nourriture. Regardez ce charbon de bois, il est froid, le flux est tari. Quand il n’y a plus de « Je suis », il n’y a plus de combustion du corps, plus de chaleur. Comme cette bougie qui n’est rien, froide, sans flamme.

Mais elle demeure quand même une bougie !

Quand cette essence de la nourriture se tarit, le corps est toujours là mais inerte, le « Je suis » a disparu. Vous pouvez vous imaginer qu’il est au ciel ou en enfer ou dans n’importe quel autre monde mais ce ne sont que des divagations de l’esprit. Où est-il parti ? Il a disparu, c’est tout.

il s’en est retourné.

« Retourné » veut dire que vous allez le localiser encore quelque part. Quand votre cadavre est froid, qui êtes-vous ?

Dès que l’on mentionne « vous » ou « je », pensez immédiatement « Je suis ceci ». Ce n’est jamais vrai. Vous com­prenez toujours « vous » et « votre monde ». Votre manifestation, votre expression où sont-elles allées ? Quand ce corps est terminé, épuisé, froid, qu’est devenu ce principe ? Il demeure l’état qui existait avant l’apparition de ce sens du « Je suis ».

Il n’y en a qu’un sur un million qui com­prenne ce qu’est ce principe et s’installe dans la quiétude. Les autres s’acharnent sur des détails : « qu’est-ce devenu, etc. ». Un Jnani, celui qui a réalisé sa véritable nature est libéré de quoi ? De tout besoin, de tout manque et non seulement ça, il s’est débarrassé de la machine-même qui continuellement recherche quelque chose.

Je vous ai entendu dire cela bien des fois « un sur un million seulement peut comprendre…. » Cela ne me décourage pas d’ailleurs. Je trouve que l’effort de com­prendre, en soi en vaut bien la peine, mais dans tous ceux qui ont défilé devant vous avez-vous jamais reconnu ce « un sur un million » ?

Vous pouvez être très sérieux, sincère et bien d’autres choses mais, malgré tout, vous vous accrochez à votre intellect, vos idées, votre monde mental. Vous ne re­tournez pas en arrière, vous vous cram­ponnez au contraire à cet intellect me­nacé, c’est là votre problème. Qu’est-ce que cette êtreté ? C’est la qualité la plus subtile. Lorsqu’elle s’est desséchée, où êtes-vous ?

Il n’y a pas de mots pour vous répondre.

Traduction Paul Vervisch