Frans Wittemans
Krishnamurti et l'Idée Religieuse

Avec la venue de Krishnamurti a commencé une période nouvelle dans l’histoire du monde au point de vue religieux, car il s’élève avec la plus grande autorité contre pareil sentiment qui, dit-il, n’a établi que confusion entre les hommes. « Chaque religion a eu son propre dieu, son ciel et son enfer. Dieu me garde d’ajouter quelque chose à cette confusion. Si vous me demandez ce qu’il faut entendre par Dieu, je vous répondrai que pour les uns c’est une puissance suprême; pour d’autres, l’intelligence suprême; pour d’autres encore, l’énergie créatrice. Pour moi, c’est la Vie Universelle, qui ne doit pas être adorée, mais dont nous sommes nous-mêmes les porteurs. »

Texte probablement écrit à la fin des années 1920 et qui traduisait l’enthousiasme de nombreuses personnes dans les premières années de l’enseignement de Krishnamurti et de la naissance de l’union soviétique.


(Être Libre Documents. Sans date, probablement la 2e moitié des années 1930)

Avocat. Ancien sénateur. Auteur de l’Histoire des Rose Croix.

Un des aspects les plus importants de la pensée Krishnamurtienne concerne la question religieuse. Les idées du nouvel Instructeur mondial, à cet égard, démontrent la grande signification de la rénovation spirituelle qu’il apporte à l’humanité. Pour mieux pouvoir s’en rendre compte, il convient de résumer d’abord l’évolution de l’idée religieuse depuis le commencement de la société humaine.

Au début, les hommes voyaient en toutes choses la manifestation extérieure d’êtres invisibles, génies et esprits de la nature, en lutte les uns contre les autres. Tout leur semblait animé, les pierres et les objets quelconques, les forces de la nature, au point qu’il y avait lieu pour eux de se rendre favorables les diverses divinités présidant à la vie, manifestée dans toutes ces formes séparées. Nous trouvons la culmination de ces personnifications de la divinité dans le Panthéon grec et le Walhalla germain.

Ce fut le mérite de la religion juive de n’adorer qu’un seul Dieu, et si le peuple hébreu était resté fidèle à la conception monothéiste, il aurait probablement pu conserver son hégémonie. Mais, d’autre part, son Jéhovah était affublé de toutes sortes de défauts humains; il était jaloux et vindicatif, autoritaire et sanguinaire; il était un dieu des armées et exigeait des sacrifices. Les premiers nés mâles lui étaient offerts, témoin Isaac. Il fallut l’intervention d’un ange pour empêcher l’inutile holocauste du premier fils d’Abraham; mais ses descendants crurent qu’il était agréable à l’Éternel de lui offrir la vie d’animaux. Le fameux temple de Salomon ruisselait du sang de centaines de bœufs tués à la fois, dont ensuite des cohortes de Lévites se nourrissaient.

Il fallut la venue de Jésus pour faire cesser cette affreuse tuerie. Certes, nous retrouvons dans les paroles du Christ des allusions à la croyance en un dieu punisseur, envoyant ses enfants dans une éternelle géhenne; mais nous devons faire toutes réserves quant à l’authenticité des Évangiles. Toutefois, le Maître sublime du Christianisme nous parle d’un Père d’Amour, plein de sollicitude pour ses créatures, sachant d’avance ce que nous lui demanderons, sensible à des prières, dont le Christ nous donne d’ailleurs une formule sacramentelle et magique.

Le Fils de l’Homme conserve l’action de grâce envers le Père Céleste par la Cène, qui devint le fondement du culte chrétien, tout en nous disant que nous devons adorer Dieu en esprit et vérité, non dans les synagogues, mais dans notre for intérieur « dans la place la plus secrète de notre être ». Il maintint ainsi le culte et la représentation extérieure de Dieu. Celui-ci avait envoyé son Fils Unique, qui serait assis à sa droite pour juger les morts et les vivants au Jugement dernier.

Ce n’est pas ici le moment de faire le tableau de tous les crimes de lèse-humanité, des guerres sanglantes et des malédictions, engendrés par les religions avec leur cortège de fanatisme et d’orthodoxie; et, cependant, tous ces malheurs qui ont enténébré le passé, sont résultés de convictions sincères dans le but de servir la cause de Dieu.

Avec la venue de Krishnamurti a commencé une période nouvelle dans l’histoire du monde au point de vue religieux, car il s’élève avec la plus grande autorité contre pareil sentiment qui, dit-il, n’a établi que confusion entre les hommes. « Chaque religion a eu son propre dieu, son ciel et son enfer. Dieu me garde d’ajouter quelque chose à cette confusion. Si vous me demandez ce qu’il faut entendre par Dieu, je vous répondrai que pour les uns c’est une puissance suprême; pour d’autres, l’intelligence suprême; pour d’autres encore, l’énergie créatrice. Pour moi, c’est la Vie Universelle, qui ne doit pas être adorée, mais dont nous sommes nous-mêmes les porteurs. »

Saint Paul n’avait-il pas déjà dit que nous sommes, nous vivons et nous nous mouvons en Dieu ?

Krishnamurti appelle cette divinité partout présente son Bien-Aimé, qui réside aussi bien dans le cœur de la fleur, que dans la pierre qui borde le chemin. « Si vous voulez pratiquer une religion, dit-il, c’est là un motif suffisant pour le faire, mais sachez que pour moi vous appartenez à la congrégation des morts. Les religions cristallisent la vérité. Celle-ci n’a pas besoin d’organisation, et tous ceux qui veulent l’organiser, sont des exploiteurs. »

Il nous invite au doute libérateur et à trouver la vérité par nous-mêmes, car elle réside en nous. Il place la divinité en nous et nous dit « non de prier, mais d’agir ». Il va même jusqu’à employer cette allégorie hardie, qu’il n’y a pas d’autre dieu que l’homme libéré, allégorie qui rappelle d’ailleurs cette phrase de la Genèse que l’homme est fait à l’image de Dieu. L’homme étant partie intégrante de cette « Réalité Vivante, Éternellement Présente », de cette « Vie Éternelle, Source et But encore qu’il n’y ait ni commencement, ni fin, ni But, ni Apogée, car Elle est éternellement en mouvement », il ne doit pas mettre son point d’appui sur une force, ni divinité extérieure mais sur lui-même, le plus sublime des mystères.

Le concept de l’Absolu, quelque soit le nom lui donné, est entré ainsi par la venue du nouvel instructeur mondial dans une phase nouvelle, concordant avec la rénovation politique et économique du monde. Les pays à structure nouvelle, telles les Républiques Socialistes Soviétiques, ont condamné systématiquement toute organisation religieuse et tâchent de détruire les religions anciennes fondées sur l’adoration d’un dieu extérieur, voulant poursuivre uniquement le bien-être social et moral de l’homme.

Sans doute, les Soviets sont ils allés trop catégoriquement à l’œuvre; ils semblent avoir obéi à des préoccupations purement matérialistes, sans vouloir répondre aux besoins spiritualistes larges de l’humanité. Mais il y a dans l’âme russe un fonds de mystique qui, purifié par la formidable épreuve qu’elle subit en ce moment, régénérera tous les peuples soumis à sa loi. Les bons éléments auront le dessus sur les mauvais, et ainsi les Soviets, c’est là notre conviction profonde, imposeront un jour leur influence d’une façon impérieuse sur l’ancien monde.

L’on voudra peut-être objecter que le Bouddha prêche déjà une doctrine purement morale, ne faisant pas allusion à une divinité; qu’il ne vint pas pour fonder une religion et qu’il n’y a d’ailleurs pas de prêtres bouddhistes, ni même un véritable culte bouddhiste, mais uniquement des moines qui veulent vivre une vie inspirée de l’exemple et des préceptes de leur maître. Nous lisons cependant dans les ouvrages sacrés, traitant de sa doctrine, tels le Tsing-tu-wan, le Shaman et le Tevijjasutta, qu’il y est question de l’union avec Brahma, conçu comme un Père miséricordieux (donc anthropomorphe), auteur de tout ce qui respire, non comme notre propre être, fin en soi.

Krishnamurti évite toute expression qui pourrait donner lieu à de mauvaises interprétations. Il nous dit qu’il aurait même voulu inventer un nouveau langage, précisément afin de les éviter. Si nous pouvons employer ici le mot de religion dans son sens étymologique, nous conclurons que si, par malheur, une religion était fondée dans la suite sur la base des enseignements de Krishnamurti, ce serait simplement une compréhension commune ayant pour but de «relier» les hommes dans l’Amour de la Vie, dans le respect de toute existence, dans la pleine réalisation de l’Éternel Présent, dans la gloire de l’immanente beauté qui, de toute part, inonde ceux dont les yeux se sont ouverts à elle.

Sans doute, il faudra des siècles pour que la pensée Krishnamurtienne pénètre dans le mental commun de l’humanité, et les prêtres de toute religion essayeront de continuer aussi longtemps que possible cette « exploitation de la peur, de l’inconnu, des préjugés, des dieux et de l’opinion publique » dont Krishnamurti veut nous libérer. Mais il a jeté les bases d’un ordre nouveau, qui s’établira un jour pleinement, fondé sur la reconnaissance et le développement de l’individu, le droit de tous à leur plein épanouissement matériel, moral et spirituel.