Salomon Lancri
H.P.B. Le sphinx du XIXe siècle

Il semble, comme l’a dit Platon, que l’histoire de l’Humanité soit scandée par des cycles périodiques. Tour à tour se succèdent des époques de fertilité spirituelle où la propagation des enseignements spirituels ne rencontre pas de grande résistance, les gens semblant affamés de Vérité et de Sagesse, et des époques de stérilité spirituelle où l’opposition à la propagation de ces enseignements s’accroît fortement, et où l’esprit est bafoué et ne peut influencer l’Humanité…

(Revue Le Lotus Bleu. No 5. Mai 1991)

H.P.Blavatsky, que l’on a surnommée le Sphinx du XIXe siècle, a été une véritable énigme pour beaucoup de ses contemporains et elle le demeure pour bon nombre de ceux qui, de nos jours, essayent de comprendre ce qu’elle a été. Simple médium, porte-parole d’Adeptes aux pouvoirs et au savoir merveilleux? Certainement pas, car aucun témoignage ne permet d’affirmer qu’elle ait été hypnotisée et manipulée par qui que ce soit. Mais sans aucun doute puissante personnalité aux multiples facettes, personnage mystérieux, occultiste rompu aux techniques de développement psychique et spirituel enseignées dans les sanctuaires initiatiques, disciple avancé d’un Maitre de Sagesse dont la nature la plus importante était cachée aux profanes comme la majeure partie d’un iceberg est cachée sous les eaux.

En vérité, ce personnage captivant fut un maitre à penser pour de nombreux disciples et admirateurs et elle le demeure pour beaucoup. H.P.B., comme on l’a appelée familièrement, a été un briseur de formes périmées, un entraîneur d’hommes. Ses biographes s’accordent à la représenter comme un être rayonnant d’énergie, dont le savoir stupéfiait les savants qui avaient l’occasion de s’entretenir avec elle. Elle les confondait par la profondeur de ses vues. Un de ses élèves, nommé Buck, rapporte qu’un de ses amis, qui avait consacré la moitié de son existence à étudier la Kabbale, lui dit un jour être persuadé que personne ne pourrait répondre d’une façon satisfaisante aux questions qu’il pourrait poser dans ce domaine. Buck lui ayant alors suggéré d’écrire à H.P.B., ce Kabbaliste envoya à la Fondatrice de la Société Théosophique une série de questions qu’il jugeait difficiles. H.P.B. lui répondit en lui envoyant un manuscrit de près de quarante pages, couvertes d’une écriture serrée, où elle répondait à toutes ses interrogations en ajoutant une masse de renseignements sur la Kabbale qui le stupéfia.

H.P. Blavatsky déconcertait par la puissance de sa pensée, par des pouvoirs occultes et des dons qui en faisaient l’émissaire qualifiée de Sages mystérieux, détenteurs d’une Science Secrète transmise de siècle en siècle, de millénaire en millénaire, par des générations et des générations d’Adeptes, voués au service de l’Humanité. Mme Blavatsky a profondément impressionné de nombreux disciples, éparpillés sur la surface du globe et dont certains ne l’avaient rencontrée que pendant leur sommeil, dans le monde astral. Il est sûr qu’elle a, depuis son enfance, constamment vécu sur deux plans, le visible et l’invisible. Sa vie occulte, sans aucun doute d’une importance capitale, celle qu’elle vivait avec les Adeptes et Initiés de tous rangs, nous est parfaitement inconnue et le restera, comme elle l’écrivait à William Judge.

Quant à son existence dans le monde visible, elle a été vécue sous le signe du courage, de l’abnégation, du total dévouement à la cause de la Théosophie, c’est-à-dire à la cause de l’Humanité. Elle était remarquable par sa volonté indomptable dans l’accomplissement de son devoir et par l’audace avec laquelle elle affrontait de redoutables et très puissants adversaires. Son attitude devant les fanatiques, les théologiens bornés et les savants matérialistes est digne d’une admiration sans réserve. Si ses ennemis ont été nombreux et ne lui ont pas ménagé les attaques et les calomnies, nombreux aussi ont été ceux qu’elle a attirés, parmi lesquels se trouvaient beaucoup de personnalités éminentes qui ont adhéré à la Société Théosophique: savants renommés, artistes et écrivains de réputation mondiale, hommes d’état, etc…

Extérieurement, H.P.B. était une dame de l’aristocratie russe, douée d’une brillante intellectualité et de dons artistiques. Mais bien plus important était ce qui était dissimulé derrière cette façade. Si l’on ne tient pas compte de son Être intérieur, en d’autres termes de son Ego immortel et réincarnateur, on ne peut espérer comprendre ce Sphinx du XIXe siècle. C’est cet Ego Supérieur, sa Divinité personnelle, qui lui fournissait une masse énorme de connaissances et qui lui servait de Guide, d’Instructeur, de Gourou intérieur.

L’avantage inestimable d’être instruit et guidé du dedans par un tel Maitre n’est évidemment pas le résultat du hasard. Il est le produit d’efforts persévérants, renouvelés au cours de nombreuses vies terrestres et d’existences dans les mondes supérieurs. Le fait qu’H.P.B. a eu le privilège d’avoir un tel Instructeur est la preuve que bien avant de naître en Russie en 1831, elle s’était entraînée, siècle après siècle, à s’ouvrir à l’influence de sa Conscience Spirituelle et à se laisser pénétrer par le courant d’énergie et de connaissances en émanant. Comme tous les Messagers des Adeptes, H.P.B. avait donc deux sources d’inspiration: son Ego divin, rayonnant de Sagesse et son Maitre extérieur, membre de la Puissante et Glorieuse Fraternité Blanche. Elle montrait des pouvoirs parapsychiques étonnants, qu’elle n’utilisait qu’avec sagesse et délicatesse, comme il se doit pour un Magicien Blanc. L’un de ses disciples, Alexander Fullerton, raconte comment il fut surpris par l’attitude scrupuleuse à ce propos d’H.P.B. En août 1887 eut lieu sa première entrevue avec elle. Ses premiers mots furent pour lui dire combien il était impressionné et surexcité par la pensée qu’il s’entretenait avec quelqu’un qui avait le pouvoir de lire les pensées. H.P.B. lui répondit qu’elle ne se permettait pas une telle lecture si elle n’y était autorisée par l’intéressé et que, s’il n’y consent, il est aussi malhonnête de prendre à quelqu’un ses secrets que de lui dérober sa bourse.

Il semble, comme l’a dit Platon, que l’histoire de l’Humanité soit scandée par des cycles périodiques. Tour à tour se succèdent des époques de fertilité spirituelle où la propagation des enseignements spirituels ne rencontre pas de grande résistance, les gens semblant affamés de Vérité et de Sagesse, et des époques de stérilité spirituelle où l’opposition à la propagation de ces enseignements s’accroît fortement, et où l’esprit est bafoué et ne peut influencer l’Humanité. Il semble qu’H.P.B. nous ait fait pénétrer dans une ère de fertilité spirituelle. Dans son siècle, le monde était dans une phase d’obscurité si l’on tient compte non des lumières projetées par l’intellect, mais de l’illumination spirituelle dont la source est bien au-dessus de l’intellect. Beaucoup d’adversaires d’H.P.B. étaient sans doute de bonne foi, victimes simplement de leur ignorance des lois et vérités spirituelles. Franz Hartmann, qui fut un disciple d’H.P.B., disait que certains ennemis de celle-ci, tels les missionnaires de Madras, lui rappelaient un roi africain à qui un malheureux voyageur européen eut la malencontreuse idée de dire que dans certains pays d’Europe, à certaines époques, les lacs et les rivières étaient gelés, de sorte qu’on pouvait y marcher. Le roi fut tellement offusqué par ce qu’il considérait comme un mensonge éhonté, qu’il ordonna de décapiter ce voyageur. On ne pouvait souffrir, pensait-il, qu’un tel menteur pût continuer à vivre.

C’est dans les périodes sombres de l’histoire de l’Humanité que les Adeptes interviennent pour rappeler à l’homme son origine et ses potentialités divines. C’est à de telles interventions que fait allusion Krishna, dans la « Bhagavad-Gita », lorsqu’il déclare qu’en période d’adharma, c’est-à-dire quand dominent l’injustice, l’égoïsme et la bestialité, il se manifeste ici-bas pour donner une impulsion spirituelle au genre humain.

Éminente messagère des Maitres de Sagesse dont Krishna peut être considéré comme le symbole, H.P.B. a consacré sa vie à tenter d’éveiller les intuitions des hommes, à les tirer de leur torpeur spirituelle et à les ouvrir à l’influence de leur nature divine. Le génie, disait-elle, est une manifestation de cette nature divine et le hasard n’y est pour rien, car tout homme est le produit de ses activités dans ses vies antérieures. S’il y a eu des hommes de génie, pourquoi n’y en aurait-il pas d’autres dans le futur? De même, si la Nature a produit des Adeptes, êtres plus exaltés encore que les hommes de génie, pourquoi n’en produirait-elle pas encore maintenant et dans l’avenir?

Le « Sphinx du XIXe siècle » n’était-il pas la preuve que tout aspirant sincère et courageux peut s’élever jusqu’aux cimes spirituelles les plus glorieuses? La clef de l’énigme que fut, psychologiquement, H.P.B. se trouve en réalité dans ses propres enseignements. Ce qu’elle a fait, ce que beaucoup d’autres Initiés ont fait, est à la portée de quiconque consacre le temps et l’énergie suffisants pour se dépasser, aller de la circonférence au centre pour y découvrir la Vérité.

H.P.B. quitta son vieux corps, usé par un labeur incessant et la maladie, pour retourner dans ce qu’elle appelait son « Foyer », c’est-à-dire le Monde Occulte des Initiés. Il est très probable, je pense, qu’elle a utilisé le procédé indiqué dans « Élixir de Vie » pour ne mourir qu’en apparence et continuer son travail pour l’Humanité dans un nouveau corps, tout neuf, fabriqué par elle-même. Car comme beaucoup de ses proches en ont fait la remarque, dans ses derniers jours, elle s’isolait de plus en plus, semblant se préparer à l’évènement qui devait avoir lieu le 8 Mai 1891 et que je ne puis me résoudre à appeler sa mort.

Non, H.P.B. n’est pas morte. Qu’elle qu’ait pu être la nature de sa sortie définitive de son corps physique, elle a infusé sa vie dans la Société Théosophique. On peu donc dire qu’elle continue à vivre parmi nous qui étudions ses enseignements et faisons partie de cette Société.

Elle nous a montré le chemin du devoir vis-à-vis de nous-même et vis-à-vis de nos compagnons de route sur la voie qui s’élève vers les hauteurs de la spiritualité. Nous avons étudié la Théosophie. Maintenant, comme ce porteur de lumière que fut H.P.B., nous devons enseigner ce que nous avons appris. Nombreux autour de nous sont ceux qui sont affamés de Vérité. Ils ont demandé le pain de la véritable connaissance et n’ont reçu que des pierres. Donnons leur, de tout notre cœur et dans la mesure de nos moyens, le pain de la Sagesse éternelle qu’est la Théosophie. Répandre les enseignements théosophiques, voila l’important. Car, comme l’a dit le Bouddha, la misère des hommes est le résultat de l’ignorance et ne disparaîtra que lorsque disparaîtra l’ignorance.

Salomon LANCRI (Le Lotus Bleu – Octobre 1977)