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(Revue Panharmonie. No 189. Janvier 1982)
Sur le Karma : Aussi mauvais soit-il, il y a toujours possibilité de le purifier chez les êtres ordinaires, qu’ils soient humains ou non. De nombreux voiles, de nombreuses passions obstruent leur esprit. Et, cependant, la nature de l’esprit d’un être et la nature de l’esprit d’un Bouddha sont semblables, ils sont de même nature. Mais chez les êtres ordinaires cette nature de l’esprit est voilée par des souillures, par des obstacles qui l’empêchent de voir les choses telles qu’elles sont et de connaître réellement tout ce qui existe. Cet état de fait est aussi, dans certains cas, cause d’attachement et, à partir de là vont naître toutes les passions, comme l’aversion, etc.
On parle en général de « Voiles de l’Esprit ». Les principaux voiles sont les six PASSIONS DE BASE, les FACTEURS PERTURBATEURS, ce sont : l’Ignorance, l’Attachement, l’Irritation, l’Orgueil, le Scepticisme, les Vues fausses, et également les Passions secondaires et les Potentialités qu’elles déposent sur l’esprit. Il y en a vingt. Mais ces dernières passions et leurs potentialités n’affectent l’esprit que de façon provisoire, elles ne sont pas de la nature même de l’esprit dont il est possible de les dissocier.
On peut prendre comme exemple un ciel nuageux. Quand le ciel est bleu on se sent content, on trouve qu’il fait beau temps. Mais dès qu’il y a des nuages, cela gâche tout. Les nuages ne sont là qu’à titre provisoire, on ne peut dire qu’ils sont de la même nature que le ciel, car s’ils étaient de nature indissociable avec le ciel, ils seraient là toujours et on ne pourrait jamais avoir un ciel bleu.
Il en est exactement de même pour l’esprit et les vues de l’esprit. Étant donné que les voiles ne peuvent affecter la nature réelle de l’esprit, il est possible de les diminuer, de les amoindrir et aussi, en quelque sorte, de nettoyer l’esprit.
L’ÉTAT DU BOUDDHA
Lorsqu’on dit qu’en éliminant et supprimant les souillures qui affectent l’esprit, on devient Bouddha, il faut savoir qu’il y a deux états de Bouddha :
1° La nature conventionnelle (ou provisoire) de l’esprit.
2° La nature ultime de l’esprit.
La nature conventionnelle de l’esprit, c’est sa faculté de compréhension. L’esprit peut saisir les phénomènes, réfléchir, comprendre.
La nature ultime de l’esprit sera indépendante des causes et conditions qui produisent l’esprit. Ce sera la VACUITE DE L’ESPRIT.
Tous les êtres, sans exception, ont ces deux sortes de nature de l’esprit qu’il est possible de purifier et d’en éliminer toutes les souillures. Donc tous les êtres, sans exception, peuvent obtenir l’ETAT DE BOUDDHA.
Chez les êtres ordinaires, la nature ultime de l’esprit est actuellement recouverte par toutes les souillures, tous les voiles. On lui donne à ce moment précis le nom de TATHATAGARBA, qu’on peut traduire par POTENTIALITE (de devenir) de BOUDDHA. Cette potentialité ou Tathatagarba possède deux affections : d’une part Tathatagarba désigne la nature ultime réelle, c’est-à-dire la Vacuité de l’Esprit. D’autre part, Tathatagarba désigne aussi, dans la nature conventionnelle de l’esprit la partie de la nature, conventionnelle qui subsistera dans l’État de Bouddha.
Lorsque la nature ultime de l’esprit, c’est-à-dire la Vacuité, sera totalement débarrassée de toutes les souillures et que l’être atteindra l’État de Bouddha, cette nature ultime va donner pour résultat le DHARMA TAKAYA, c’est-à-dire le CORPS ESSENTIEL.
La partie de la nature conventionnelle de l’esprit, une fois débarrassée de toutes les souillures, va donner le DHAMAKAYA, c’est-à-dire le CORPS DE LA LOI.
Chez tous les êtres qui ne sont pas Bouddha, chez tous quels qu’ils soient, il y a toujours ce pouvoir, cette capacité de devenir par la suite Bouddha. Cette capacité a deux aspects : un aspect conventionnel et un aspect qu’on peut dire ultime. Étant donné que tous les êtres ont ce pouvoir, possèdent cette capacité, il est dit que « tous les êtres un jour deviendront Bouddha ».
Plusieurs étapes y mènent : L’Étude, la Réflexion, la Méditation, la Pratique. Si quelqu’un pratique ces trois facteurs et que, de plus, il s’efforce d’accumuler des mérites et de purifier les obstacles, il va parcourir graduellement toutes les étapes de la voie, et plus particulièrement les cinq voies ; c’est-à-dire : le Chemin de l’Accumulation – le Chemin de la Préparation – le Chemin de la Vision – le Chemin de la Méditation – le Chemin Suprême, c’est-à-dire l’État de Bouddha.
Lorsqu’un être atteint le Chemin de la Vision, il commence à parcourir en même temps ce qu’on appelle : « les Dix Terres ». De la première à la neuvième Terre il va devoir faire certaines pratiques qui l’amèneront à la dixième Terre, c’est-à-dire à l’État de Bouddha. A ce moment-là il n’a plus la Potentialité de Bouddha, puisqu’elle a été totalement accomplie, qu’elle a été portée à maturité. Il n’y aura plus de Tathatagarba, plus de Gautra (Gautra et Garba en sanscrit ont la même signification, assez comparable au « germe » ou à la « source ». C’est un peu comme un support). Il aura simplement Tathagatagarbha.
Lorsqu’on dit que tous les êtres ont la capacité de devenir Bouddha, cela concerne les six classes d’existence et pas seulement les êtres humains, mais aussi les animaux en particulier. C’est pour cette raison que, dans les pays bouddhistes, il est d’usage non seulement de respecter les êtres humains, mais aussi les animaux. On estime que leur état d’animal n’est que provisoire. Eux aussi possèdent la potentialité de devenir Bouddha. Mais, avant d’atteindre cet état, l’animal devra d’abord reprendre une naissance en tant qu’être humain ou en tant que déité (déva en sanscrit). Car l’animal n’a pas la possibilité d’étudier, de réfléchir, de méditer et de pratiquer. Les déités font encore partie des six classes d’êtres du Samsara : les trois classes défavorables, les Enfers (chauds ou froids) – les Esprits avides (en sanscrit : Prétas) – les Animaux, et les trois classes considérées comme favorables : les êtres humains – les Titans ou Asuras – les Déités ou Dévas.
D’après les textes mentionnant l’histoire du Tibet, il semblerait qu’au départ, sur la Terre, sont apparu les animaux puis, petit à petit les singes et ensuite seulement les hommes.
Ce sont les êtres humains qui ont le plus de facilité pour l’obtention de l’État de Bouddha. Les Titans, tout en étant très intelligents, sont dotés d’une jalousie féroce, qui les empêche d’accumuler des vertus. Les Dévas (déités), sont également très intelligents, mais ils sont si heureux, qu’ils ne peuvent développer la compassion, car ils ne voient pas la souffrance. Les êtres humains sont relativement intelligents. Ils ont conscience de la souffrance et, de ce fait, peuvent développer la compassion, l’amour et toutes les qualités nécessaires. C’est pour cette raison qu’on dit que, parmi les six classes d’êtres, la meilleure est celles des êtres humains.
On ne peut pas dire que l’être humain se situe entre les deux autres catégories de « classes favorables ». Il vaut mieux mettre l’être humain en tête. Dans le Bouddhisme on parle du « Monde du désir », des « Mondes de la forme » et du « Monde sans forme ». Les Assuras (Titans) et les êtres humains font partie du Monde du Désir. Certains Dévas en font également partie, mais d’autres font partie du Monde de la Forme ou du Monde sans Forme. Ils ne sont pas matérialisés, ils sont en constante concentration et se nourrissent de pouvoir de leur concentration. Toutefois ils ne pensent pas en tirer profit et se libérer du Samsara (le cycle des existences), car ils ne comprennent pas la Vacuité.
Cette concentration qui peut durer de nombreuses années, va leur procurer de très grands bonheurs, d’immenses jouissances, mais elles ne remédieront pas au Samsara. En conséquence, quand leur naissance en tant que Déités prendra fin, il faut, si c’est possible, qu’elles reprennent naissance en tant qu’êtres humains, afin de pouvoir étudier. Bien entendu leur Karma les y prédispose, mais elles ne peuvent pas encore choisir leurs futures naissances.
Les six classes d’êtres dans le Samsara sont créées par le Karma. Mais on peut dire que s’il n’y avait aucun être pour accumuler certains Karma, la classe qui y correspondrait n’existerait pas. Si aucun être n’accumule le Karma adéquat pour naître en tant que Déité, il n’y aura plus de Déités. Il n’y a aucun rapport particulier entre les six classes d’êtres, elles sont créées par l’impulsion d’un Karma propice.
Les Déités qui ont la possibilité de devenir Bouddha ne sont pas forcément déjà sorties du Samsara. Elles résident par exemple dans des Mondes divins, tels que Gandin, Tushita. Le changement d’état n’est pas voulu, on reprend naissance selon le Karma, c’est-à-dire selon les cas, les mérites et les démérites. Dans le Samsara il n’y a pas de liberté.
Si un être humain meurt, puis reprend naissance en tant qu’animal, le « Continuum Mental » va chez l’animal, mais son esprit aura des qualités propres à sa race. Cela signifie que chez l’animal, tout en ayant la continuité de l’esprit, les conditions dans lesquelles il vit et évolue sont les conditions extérieures d’un animal, son comportement sera celui d’un animal. Les capacités de son esprit seront amoindries, il sera moins intelligent.
Si cet être humain, après avoir pris naissance en tant qu’animal, renaît en tant qu’être humain, les qualités de l’esprit humain seront là à nouveau et à sa disposition. Un être qui renaît en tant qu’animal, conserve tous ses karmas vertueux et non-vertueux. Ce qu’il perd, ce sont les qualités propres à l’espèce humaine, comme par exemple l’intelligence.
LE BODHISATTVA ET L’ETAT DE BOUDDHA
Un individu ordinaire qui étudie et qui cherche à obtenir la réalisation doit parcourir :
1° le Chemin des individus de capacité ordinaire ;
2° le Chemin des individus de capacité moyenne ;
3° le Chemin des individus de capacité supérieure.
A ce dernier stade il entre dans la voie du MAHAYANA (Grand Véhicule) et il devient BODHISATTVA dès le moment où il a acquis La Réalisation de l’Esprit d’Éveil (en sanscrit : Bhodicitta). Mais, bien qu’il soit Boddhisattva, il a encore des souillures qui voilent l’Esprit. Il va alors faire un dernier effort pour les éliminer et ceci atteint, il devient BOUDDHA.
Il faut faire attention au terme : « Mahayaniste » ; un être ordinaire suivant le Mahayana ne peut pas se dire « Mahayaniste », car pour cela il faut avoir réalisé l’Esprit d’Éveil, sinon il ne fait que suivre la voie Mahayaniste.
REALISATIONS : Il s’agit bien entendu de réalisations spirituelles. Cela n’a strictement rien à voir avec l’acquisition de pouvoirs qui ne sont pas un but en soi. Les réalisations dont on parle sont le fruit d’une étude approfondie, suivie d’une pratique assidue. Les efforts à faire, la persévérance à déployer permettent seuls d’atteindre, par un entraînement de l’esprit à de telles Réalisations.
L’enseignement n’est pas qu’intellectuel. Il a été totalement intériorisé. On en a fait la totale expérience.
Il en est de même des Hinayanistes. Il faut avoir obtenu les premières réalisations et être engagé dans le chemin du Hinayana (petit Véhicule).
Quatre Écoles philosophiques sont apparues en Inde. Chacune a sur n’importe quel point du Bouddhisme des idées légèrement différentes : Ce qui vient d’être exposé correspond aux voies de l’École MADHYAMIKA, l’École dite supérieure. On trouve ensuite dans l’ordre décroissant L’École CITTAMATRA. Elle contient deux tendances, une tendance qui suit les Textes et une autre, qui se base plutôt sur les Raisonnements Logiques. On commence par étudier cette deuxième tendance. La théorie Cittamatra est à peu près semblable à celle de la tradition Madhyamika. L’esprit possède un certain pouvoir et ce pouvoir est tel que les êtres peuvent devenir Bouddha. Pour les Cittamatra les êtres ont quatre caractéristiques concernant le pouvoir, et la capacité de devenir Bouddha.
1° Cette capacité existe de tous temps.
2° Cette capacité existe sur et dans l’esprit.
3° Cette capacité est innée, spontanée.
4° Cette capacité est continue.
Mais, contrairement à l’École Madhyamika, les Cittamatra ne parlent pas de la Vacuité de l’Esprit.
Les Cittamatra qui se basent sur les Textes, ne concèdent pas quatre caractéristiques à la capacité des êtres à devenir Bouddha. Au lieu de penser que cette possibilité existe clans la Conscience Mentale, ils font appel à l’ALAYA VIJNANA, la CONSCIENCE TREFONDS. Ils se distinguent surtout des autres Écoles en considérant qu’il y a certains êtres qui, par une sorte de prédestination, ne peuvent pas devenir Bouddha. Ils pensent en effet, que certains êtres, même s’ils étudient, réfléchissent et méditent beaucoup, ne pourront jamais, malgré leurs efforts, améliorer leur esprit, qu’ils ne pourront jamais obtenir aucune réalisation.
Ils compartimentent très rigoureusement les êtres : certains pourront devenir Bouddha, d’autres deviendront Pratyeka Bouddha et ne pourront plus progresser. D’autres encore, deviendront Sravaka Bouddha et ne pourront pas davantage progresser pour devenir Pratyeka Bouddha, ni Bouddha. Cette théorie leur est tout à fait particulière. Si un être a la potentialité de devenir Sravaka, il ne peut devenir que Sravaka et rien d’autre. C’est pour l’éternité. Jamais, pour cette École, il n’atteindra l’État de Bouddha. Cela n’a rien à voir avec le Karma.
Les autres traditions bouddhistes refusent absolument cette voie, la critiquent car, en admettant ce que propose Cittamatra, cela signifierait que l’on ne pourrait jamais réellement purifier l’Esprit, donc éliminer toutes les souillures. Or il est prouvé que esprit et souillures sont séparés totalement. C’est pour cette raison que la théorie de certains des Cittamatra n’est pas soutenable. Elle provient d’une incompréhension des textes. Il s’agit là d’une vue tout à fait spéciale qui ne concerne pas la théorie bouddhiste en général.
L’ÉCOLE SAUTANTRIKA dit qu’il y a une forme d’esprit qui est pure. C’est cette forme d’esprit pure qui permettra d’arriver à l’État de Bouddha. La théorie avancée par cette École est donc très semblable à celle du Madhyamika et des Cittamatra qui se basent sur le raisonnement logique.
L’École VAIBHASIKA, la Race Noble, ne parle ni de « capacité », ni de « potentialité ». Parmi les Facteurs Mentaux, il existe le facteur de Non-Attachement. C’est lui qui, selon les Vaibhasika donne aux êtres la possibilité d’obtenir la libération. C’est dans le Non-Attachement à tout ce qui est matériel, que les Vaibhasika vont trouver le support à partir duquel les êtres obtiendront la libération. (à suivre)
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