(Revue CoEvolution. No 8-9. Printemps-Été 1982)
André Dumas (décédé en 1997) fut très longtemps le pilier sans doute le plus actif de l’Union des sociétés francophones pour l’investigation psychique et l’étude de la survivance (USFIPES). Auteur d’un ouvrage considéré comme l’un des classiques du genre : La science de l’âme, il était aussi directeur et rédacteur en chef de la revue Renaître 2000, qui poursuivit, pendant une quinzaine d’années (à partir de la fin des années 1970), l’exploration de cette branche pionnière de la psychologie, dans son sens réel d’étude de la psyché ou âme. Ce bimensuel était un véritable forum international permettant aux lecteurs de dégager au triple point de vue scientifique, philosophique et moral, les conséquences des recherches parapsychologiques, d’enrichir le dossier de la survivance et d’examiner, dans les conquêtes de la science contemporaine, tout ce qui peut contribuer à répondre aux questions fondamentales : que sommes-nous ? d’où venons-nous ? quel est notre destin ? Grâce aux efforts conjugués d’André Dumas et d’autres chercheurs tels que Georges Clauzure, le Professeur Jean Dierkens et d’autres collaborateurs renommés, Renaître 2000 contribua à repenser les bases de la civilisation matérialiste occidentale et à connaître de manière plus profonde les lois de l’évolution.
André Dumas présente ici un aperçu des lectures essentielles sur ce sujet en 1982.
Jusqu’à une époque récente, la frontière entre la vie et la mort n’avait jamais été absolue dans l’esprit des hommes. Aux temps préhistoriques ou à l’aube des grandes religions historiques, comme dans les sociétés primitives qui subsistent dans les temps modernes, il y a toujours eu l’idée de passages exceptionnels « aller et retour » constituant le fondement même de certaines cultures, tel le chamanisme, et la base essentielle du pouvoir et du respect dont y disposent les êtres privilégiés, sorciers, voyants, hommes-médecines et prophètes, qui ont la réputation d’avoir un pied dans ce monde et un pied dans l’autre.
Depuis que des investigations scientifiques ont été tentées et se sont développées dans ce domaine « tabou » des pouvoirs de l’esprit et dans celui — plus « tabou » encore — de la destinée post mortem, la notion d’une zone intermédiaire entre la vie et la mort a continué à s’affirmer, en termes plus modernes.
Un des premiers écrivains du siècle dernier dans cet ordre de recherches, l’honorable Robert Dale Owen (membre du Congrès des États-Unis et ambassadeur américain à Naples) a publié deux livres dont les titres témoignent de cette idée de zone-frontière : Footfalls on the Boundary of Another World (Bruits de pas à la frontière de l’Autre Monde), 1860 et The Debatable Land (Le Pays controversé), 1871.
Au début de ce siècle, Michel Sage, s’inspirant des travaux du chimiste Charles de Reichenbach sur l’« od » et les « effluves odiques » [1], et des recherches de Carl du Prel sur « La Magie, science naturelle », a réuni un grand nombre de faits (appelés aujourd’hui « paranormaux ») concernant la double vue dans le somnambulisme naturel ou provoqué, l’autosuggestion, la stigmatisation et le médiumnisme dans un ouvrage intitulé précisément : La Zone-Frontière (1903).
La parapsychologie contemporaine [2], en poursuivant l’examen du « paranormal », a abouti à des constatations qui débouchent, elles aussi, sur la notion de zone-frontière entre les perceptions du conscient par les voies sensorielles, et la connaissance directe par le subconscient au moyen de mystérieuses voies extra-sensorielles.
Lorsqu’ils n’aboutissent pas, comme Crookes, Lodge, Lombroso, De Rochas, Driesch, Flamarrion, Geley et autres, à des conceptions nettement néo-spiritualistes ou spirites, les plus prudents, Osty, Bender, Tyrell, Warcollier, Rhine, Chauvin, Barry, constatent qu’il existe chez l’être humain un niveau de conscience cryptique ou de supra-conscience qui n’est pas soumis aux limitations de l’Espace-Temps.
• Plusieurs témoignages rapportent la façon dont certaines personnes, au cours de leur passage aux abords de la mort, ont rencontré ce que l’on pourrait appeler une frontière, ou quelque autre sorte de limite. Selon les cas, cette frontière est représentée comme une étendue d’eau, un brouillard gris, une porte, une haie dans un champ ou une simple ligne de démarcation. Bien qu’il nous faille demeurer dans le domaine des hypothèses, on peut supposer que ces divers symboles proviennent d’une source unique ; auquel cas, ces expressions différentes ne seraient dues qu’à l’interprétation, à la formulation ou au souvenir particuliers à chaque individu, à partir d’une même expérience fondamentale.
• Il semble actuellement impossible de déterminer exactement où se situe le point de non-retour. Il peut varier selon les individus ; ce n’est sans doute pas un point fixe, mais plutôt une limite variable au long d’une ligne continue. Raymond Moody, la vie après la vie |
Les études du Dr. Elisabeth Kübler-Ross sur les derniers instants de la vie, des Drs Karlis Osis et Erlender Haraldson sur les observations au lit de mort par des médecins et infirmières [3], permettent d’aller plus loin. Les travaux du Dr Raymond Moody, (La Vie après la Vie), et plus récemment, du Dr Kenneth Ring, consignés dans son livre Sur la Frontière de la Vie [4], sont très caractéristiques à ce sujet puisqu’ils concernent l’expérience de personnes qui ont effectivement vécu cliniquement leur agonie et que leur retour à la vie et leur témoignage illustrent précisément cette notion fondamentale d’« aller et retour » évoqué à propos des shamans et des voyants anciens et modernes.
La mort, telle que nous la comprenions en langage scientifique, n’existe pas réellement. C’est simplement se dépouiller de son corps physique comme un papillon qui sort de son cocon. C’est une transition vers un état de conscience supérieur, dans lequel nous continuons de percevoir, de comprendre, de rire, de pouvoir grandir, et la seule chose que nous perdons, c’est quelque chose dont nous n’avons plus besoin, notre corps physique. C’est comme si on enlevait son manteau d’hiver en sachant qu’il est trop élimé et qu’on ne le portera plus.
Elisabeth Kübler-Ross |
D’ailleurs, force est de considérer l’expérience du sommeil magnétique : dans cet état le sujet est incapable de décrire les objets qui se trouvent dans une pièce voisine ou la scène qui s’y déroule. Parfois il s’étonne de percevoir des silhouettes plus ou moins lumineuses lui conseillant de ne pas trop s’éloigner, de considérer cette expérience, dis-je, comme étant elle aussi, un « aller et retour » en tous points semblables, sauf l’agonie, aux phénomènes recueillis par le Dr Moody et ses émules.
Les différents événements qui semblent constituer le sort commun des mourants étudiés par Raymond Moody (il s’agit d’un modèle qui n’est pas nécessairement vécu entièrement par chaque patient) : 1 – l’incommunicabilité 2 – l’audition du verdict, le personnel médical déclare la mort du sujet 3 – sentiments de calme et de paix 4 – les bruits, notamment des bourdonnements 5 – le tunnel obscur 6 – décorporation : la conscience du sujet se trouve projetée à quelques mètres ; il perçoit son corps et l’environnement 7 – contact avec d’autres : on vient à sa rencontre 8 – rencontre avec une très brillante lumière, contact non-verbal 9 – panorama de la vie les images « se bousculent » à très grande vitesse 10 – frontière ou limite 11 – le retour |
Et il faut bien dire que les conclusions formulées en 1928 par Ernest Bozzano — le père de la parapsychologie italienne — à la suite de son analyse comparée du contenu d’un très grand nombre de « messages » d’origine médiumnique concernant les modalités de la crise de la mort [5], préfiguraient, près d’un siècle auparavant, celles du Dr Raymond Moody : Bozzano énumérait « douze détails fondamentaux » sur lesquels l’accord était unanime dans les messages médiumniques examinés, détails confirmés d’une manière étonnante par les déclarations de rescapés de l’agonie recueillies par les chercheurs américains.
Cette extraordinaire concordance justifierait à elle seule l’intérêt porté aux problèmes de l’après-mort par les parapsychologues américains, comme ceux de la « Physical Research Foundation » qui, dans leur organe « Théta » [6], en abordent l’étude avec rigueur, mais aussi avec une détermination dont pourraient s’inspirer résolument leurs collègues européens, qui semblent souvent avoir peur de leurs propres découvertes.
Pourtant, c’est le propre de la Science et son honneur, de surmonter tous les « tabous ». Le tabou des frontières politiques et culturelles qui entravent la coévolution de toutes les forces vives de la planète, est désormais mis en cause. Celui qui s’oppose encore à une investigation systématique dans la zone-frontière « Vie-mort » doit disparaître aussi, pour une meilleure connaissance de la place de l’Homme dans l’Espace-Temps.
[1] od ou force odique : rayonnement lumineux émis par les cristaux et les aimants et visibles pour les « sujets visibles » ; mis en rapport avec la psychiatrie, aptitude à découvrir une information grâce au seul toucher.
[2] Voir CoEvolution n° 7 : le temps du psi, par Guy Beney.
[3] Deathbed Observations by physicians and Nurses : A Cross Cultural Survey in : Journal of The American Society for Psychical Research, Juillet 1977.
[4] Préface du Dr R. Moody — Traduction française : Laffont, 1982.
[5] Cf. « Renaître 2000 », numéros 11 à 16 et 18 à 21, spécialement ce dernier (janvier, février 1981) pour les conclusions.
[6] Theta (The Journal of The Psychical Research Foundation).